Federal Court |
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Cour fédérale |
Ottawa (Ontario), le 10 février 2010
En présence de monsieur le juge Harrington
ENTRE :
demandeur
et
ET DE LA L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Boniface Kaburente, un citoyen du Burundi, est membre de l’ethnie minoritaire Tutsi. Il a dénoncé des malversations commises par des membres de l’administration locale dans la distribution de l’aide alimentaire, dont il était responsable. Ces derniers lui ont fait injonction de n’aider que les Hutus. Il a refusé. Il a commencé aussitôt à recevoir des insultes et des menaces de mort. Le 25 juillet 2007, il déclare avoir été kidnappé et en octobre de la même année, il déclare avoir été agressé à son domicile, et avoir découvert dans son jardin une grenade.
[2] Il a quitté le Burundi pour arriver au Canada en décembre 2007 et a introduit sa demande d’asile.
[3] Bien que le Tribunal ait considéré M. Kaburente crédible, et que ce dernier ait une crainte subjective de persécution, le tribunal a conclu que le demandeur n’est ni un « réfugié au sens de la Convention », ni une « personne à protéger ».
[4] Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision. La décision sera annulée seulement si la Cour juge que celle-ci est déraisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).
L’ANALYSE
[5] Les parties sont d’avis qu’il y a deux enjeux en question. Le premier est de déterminer s’il existe un fondement objectif à la crainte subjective de persécution. Le deuxième enjeu est de déterminer si le demandeur a rencontré le fardeau d’établir avec des preuves claires et convaincantes qu’il ne pouvait pas obtenir la protection de l’État. Pour que M. Kaburente ait gain de cause, il doit démontrer que la décision était déraisonnable au niveau des deux enjeux.
[6] J’ai mes doutes quant à l’analyse du Tribunal quant au fondement objectif. Bien que M. Kaburente ait quitté son emploi dans le programme de distribution de l’aide alimentaire, il s’est plaint. Bien que son voisinage soit un endroit paisible, les agresseurs n’ont eu aucune difficulté à se rendre à son domicile.
[7] Il semble que M. Kaburente, en tant que Tutsi, a une crainte généralisée des Hutus, et des crimes en général. Suite à ses plaintes, la police est néanmoins parvenue à procéder à l’arrestation de suspects.
[8] C’est l’incident de novembre 2007 qui a fait déborder le vase afin que M. Kaburente décide de quitter son pays pour venir s’installer au Canada. Il a dit dans son Formulaire de renseignements personnels :
[Il a] …été réveillé par un bruit d’inconnus qui voulaient défoncer la porte d’entrée de [sa] maison mais sans succès. Puisque je réalisais que mon domicile était attaqué, avec les enfants, nous avons crié au secours en sollicitant l’aide du voisinage. Suite à [leurs] cris de détresse, les malfaiteurs ont été obligés d’abandonner leur plan d’attaque. Avant de s’enfuir cependant, ils ont lancé des pierres dans les vitres et ont réussi à les casser.
[9] Il a appelé la police qui est venue inspecter les lieux. Elle a trouvé une grenade dans sa cour. La police a promis de faire enquête mais lui a dit qu’elle n’était pas en mesure de lui offrir une protection individualisée.
[10] Bien que la police ne soit pas en mesure de lui offrir une protection individuelle en lui fournissant, notamment, un garde du corps, cela n’indique en rien que l’État n’est pas en mesure de lui offrir une protection adéquate.
[11] Un autre décideur aurait pu raisonnablement arriver à la conclusion qu’il y avait un fondement objectif quant à la crainte de M. Kaburente, et que ce dernier avait été en mesure de réfuter la présomption de la protection de l’État. Bien qu’il n’y ait qu’une seule décision correcte, il peut y avoir plusieurs décisions raisonnables. Le paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, susmentionné, oblige une cour de révision à prendre en considération si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. » :
La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[12] Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, le juge Iacobucci, au nom de la Cour suprême, donne, au para. 80 de sa décision, une mise en garde aux cours de révision lorsqu’il est question d’appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter :
En guise de conclusion de mon analyse de cette question, je tiens à faire observer que le décideur chargé du contrôle de la décision, et même un décideur appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, sera souvent tenté de trouver un moyen d’intervenir dans les cas où il aurait lui-même tiré la conclusion contraire. Les cours d’appel doivent résister à cette tentation. Mon affirmation selon laquelle je ne serais peut‑être pas arrivé à la même conclusion que le Tribunal ne devrait pas être considérée comme une invitation aux cours d’appel à intervenir dans les cas comme celui qui nous intéresse, mais plutôt comme une mise en garde contre pareille intervention et comme un appel à la retenue. La retenue judiciaire s’impose si l’on veut façonner un système de contrôle judiciaire cohérent, rationnel et, à mon sens, judicieux.
Cette Cour ne peut pas faire autrement que de tenir compte d’une telle mise en garde dans la présente affaire.
ORDONNANCE
POUR CES MOTIFS;
LA COUR ORDONNE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.
« Sean Harrington »
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4171-09
INTITULÉ : Kaburente c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 3 février 2010
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : le 10 février 2010
COMPARUTIONS :
William Sloan
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POUR LE DEMANDEUR |
Sherry Rafai
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
William Sloan Avocat Montréal (Québec)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR |