Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 8 février 2010
En présence de monsieur le juge Martineau
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur, M. Cho Duri, a déposé la présente demande de contrôle judiciaire après qu’un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) eut sommairement rejeté sa demande de rétablissement de demande d’asile, le 30 juin 2009, au motif que la SPR n’a pas la compétence voulue pour rétablir une demande qui ne lui a jamais été déferrée par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (la décision contestée).
I LE CONTEXTE FACTUEL
[2] Le demandeur est un Bangladais qui a acquis la citoyenneté sud-coréenne en 2005. Depuis 2006, il a eu un certain nombre de contacts avec des agents d’immigration canadiens, lesquels contacts se sont conclus par la décision contestée. En 1991, le demandeur a quitté le Bangladesh pour s’établir en Corée du Sud. Il a été travailleur migrant pendant de nombreuses années, occupant des postes sans avoir de statut légal en Corée du Sud. En 1998, il a fait la connaissance de sa future épouse, une citoyenne sud‑coréenne; ils se sont mariés en 2002. Le demandeur prétend que, en 2005, après avoir obtenu la citoyenneté sud‑coréenne, il a été victime de grave discrimination fondée sur son origine ethnique.
[3] Le 28 décembre 2006, le demandeur et son épouse sont arrivés à Vancouver. Interrogés par les agents d’immigration au sujet du but de leur voyage, le demandeur et son épouse ont déclaré être venus au Canada pour faire du tourisme et rendre visite à des proches. Après avoir procédé à l’inspection des bagages du demandeur et de son épouse et avoir passé un appel, les agents d’immigration ont été amenés à penser que le couple avait l’intention de rester au Canada. Le demandeur et son épouse ont alors été séparés pour être interrogés par des agents d’immigration. Pendant qu’on l’interrogeait, le demandeur a demandé l’asile, au motif qu’il était victime de discrimination en Corée du Sud en tant que Bangladais. L’épouse du demandeur s’est montrée extrêmement troublée en apprenant que son mari avait demandé l’asile. Elle a affirmé être venue au Canada pour suivre son mari, et même si elle a reconnu que son mari faisait face à des problèmes en Corée du Sud, elle a déclaré ne pas connaître ces problèmes elle-même. Elle n’a à aucun moment demandé l’asile. Le demandeur et son épouse ont ensuite été détenus.
[4] Le 29 décembre 2006, moins de 24 heures après son arrivée, le demandeur a demandé à retourner en Corée du Sud avec son épouse. Il a déclaré qu’il n’y courait aucun risque et a signé des formulaires par lesquels il retirait sa demande d’asile et renonçait à son droit à un examen des risques avant renvoi (ERAR). Le 29 décembre 2006, le demandeur et son épouse ont quitté le Canada volontairement. Le demandeur n’a pas essayé de revenir avant 2009.
[5] À son retour en Corée du Sud, le demandeur est devenu un fervent défenseur des droits des travailleurs migrants. À ses dires, son activisme a eu pour résultat que les difficultés auxquelles il devait faire face en tant que Bangladais vivant en Corée du Sud ont empiré. Le 12 mars 2009, le demandeur a été frappé par une voiture; il prétend qu’il ne s’agissait pas d’un accident. Craignant d’être victime d’autres attaques, le demandeur a quitté la Corée du Sud, et le 31 mars 2009, il est arrivé à Toronto, seul. Il est entré au Canada à l’aéroport international Pearson de Toronto, avec le statut de visiteur, le statut de résident temporaire lui ayant été accordé jusqu’au 30 septembre 2009. Le 24 avril 2009, à Montréal, le demandeur a présenté une seconde demande d’asile. Le 20 mai 2009, le demandeur a été informé que sa demande d’asile était irrecevable parce qu’il avait retiré une demande semblable par le passé. Le jour même, une mesure d’exclusion a été prise à son égard.
[6] Le demandeur n’a pas essayé de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l’irrecevabilité de sa demande d’asile. Son avocat a clairement dit à la Cour que la présente demande ne visait pas à obtenir la révision de cette première décision. Quoi qu’il en soit, toute demande de contrôle judiciaire de cette décision que le demandeur présenterait serait maintenant frappée de prescription. Le demandeur a néanmoins demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la mesure d’exclusion. Le 10 septembre 2009, la Cour a rejeté cette demande d’autorisation. Entre‑temps, le 27 mai 2009, le demandeur a déposé auprès de la SPR une demande de rétablissement de la demande d’asile qu’il avait retirée. Le 30 juin 2009, la SPR a répondu au demandeur de la manière suivante : [traduction] « la SPR n’est pas compétente pour se prononcer sur le dossier étant donné que l’Agence des services frontaliers du Canada ne le lui a jamais déféré ». C’est sur cette dernière décision que la Cour doive se prononcer dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.
II LA QUESTION DE LA COMPÉTENCE
[7] Même si le demandeur et le défendeur ont tous deux soulevé plusieurs questions dans leurs documents écrits, il s’avère que la seule question sur laquelle la Cour doive se prononcer est de savoir si la SPR était compétente pour rétablir la demande d’asile du demandeur.
[8] La question de savoir si la SPR avait la compétence voulue pour rétablir une demande qui ne lui avait pas été déférée par l’ASFC est une question de droit susceptible de contrôle selon la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, et Gonulcan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 32, au paragraphe 14). Le défendeur est d’avis que, la demande d’asile faite le 28 décembre 2006 n’ayant jamais été déférée à la SPR par un agent, la SPR n’avait tout simplement pas la compétence voulue pour la rétablir. Le demandeur s’inscrit en faux.
[9] Afin de répondre à la question qui a été soulevée en l’espèce, la Cour doit étudier la relation qui existe entre l’article 100 et l’alinéa 101c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch-27 (la Loi), d’une part, et l’article 53 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), d’autre part. Afin d’en faciliter la consultation, ces dispositions sont reproduites ci‑dessous :
100. (1) Dans les trois jours ouvrables suivant la réception de la demande, l’agent statue sur sa recevabilité et défère, conformément aux règles de la Commission, celle jugée recevable à la Section de la protection des réfugiés.
(2) L’agent sursoit à l’étude de la recevabilité dans les cas suivants : a) le cas a déjà été déféré à la Section de l’immigration pour constat d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée;
b) il l’estime nécessaire, afin qu’il soit statué sur une accusation pour infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.
(3) La saisine de la section survient sur déféré de la demande; sauf sursis ou constat d’irrecevabilité, elle est réputée survenue à l’expiration des trois jours.
(4) La preuve de la recevabilité incombe au demandeur, qui doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées et fournir à la Section, si le cas lui est déféré, les renseignements et documents prévus par les règles de la Commission.
(5) Le délai prévu aux paragraphes (1) et (3) ne court pas durant une période d’isolement ou de détention ordonnée en application de la Loi sur la mise en quarantaine.
101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :
[…]
c) décision prononçant l’irrecevabilité, le désistement ou le retrait d’une demande antérieure;
[…]
53. (1) Toute personne peut demander à la Section de rétablir la demande d’asile qu’elle a faite et ensuite retirée.
(2) La personne fait sa demande selon la règle 44; elle y indique ses coordonnées et transmet une copie de la demande au ministre.
(3) La Section accueille la demande soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire. |
100. (1) An officer shall, within three working days after receipt of a claim referred to in subsection 99(3), determine whether the claim is eligible to be referred to the Refugee Protection Division and, if it is eligible, shall refer the claim in accordance with the rules of the Board.
(2) The officer shall suspend consideration of the eligibility of the person’s claim if (a) a report has been referred for a determination, at an admissibility hearing, of whether the person is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality; or
(b) the officer considers it necessary to wait for a decision of a court with respect to a claimant who is charged with an offence under an Act of Parliament that is punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.
(3) The Refugee Protection Division may not consider a claim until it is referred by the officer. If the claim is not referred within the three-day period referred to in subsection (1), it is deemed to be referred, unless there is a suspension or it is determined to be ineligible.
(4) The burden of proving that a claim is eligible to be referred to the Refugee Protection Division rests on the claimant, who must answer truthfully all questions put to them. If the claim is referred, the claimant must produce all documents and information as required by the rules of the Board.
(5) If a traveller is detained or isolated under the Quarantine Act, the period referred to in subsections (1) and (3) does not begin to run until the day on which the detention or isolation ends.
101. (1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if
. . .
(c) a prior claim by the claimant was determined to be ineligible to be referred to the Refugee Protection Division, or to have been withdrawn or abandoned;
. . .
53. (1) A person may apply to the Division to reinstate a claim that was made by that person and withdrawn.
(2) The person must follow rule 44, include their contact information in the application and provide a copy of the application to the Minister.
(3) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice or if it is otherwise in the interests of justice to allow the application. |
[10] Le demandeur prétend qu’il n’y a rien dans la formulation de l’article 53 des Règles qui limite les demandes de rétablissement aux demandes qui ont été déférées à la SPR. D’après le demandeur, si les exigences prévues par le paragraphe 53(3) des Règles sont respectées, la SPR doit accueillir la demande de rétablissement. Le demandeur soutient que, puisqu’il a fait sa demande selon l’article 44 des Règles, comme le prévoit le paragraphe 53(2) des Règles, la SPR a commis une erreur en refusant de se prononcer sur sa demande. À titre subsidiaire, le demandeur fait valoir que, si la Cour conclut qu’une demande doit avoir été déférée à la SPR pour que celle‑ci soit compétente pour rétablir ladite demande, et étant donné que sa demande n’avait pas été réputée irrecevable au sens de l’article 101 de la Loi, alors, au regard du paragraphe 100(3), la demande d’asile qu’il a présentée en 2006 devrait être réputée avoir été déférée à la SPR simplement par l’écoulement du temps.
[11] Le sens manifeste de l’article 100 de la Loi est que la SPR ne peut pas s’estimer saisie d’une demande si cette demande ne lui a pas été effectivement déférée par un agent (voir le paragraphe 100(3) de la Loi), et l’agent défère la demande à la SPR dans les trois jours ouvrables suivant la réception de la demande, à moins qu’il juge que la demande est irrecevable et ne peut donc pas être déférée à la SPR (voir le paragraphe 100(1) de la Loi). L’article 53 des Règles est une disposition relative au rétablissement d’une demande qui a été retirée. L’article 53 des Règles vient simplement compléter l’article 100 de la Loi. Un demandeur peut demander à la SPR de rétablir une demande qu’il a précédemment retirée s’il le fait selon les formes prescrites (voir les paragraphes 53(1) et 53(2) des Règles). Aux termes du paragraphe 53(3) des Règles, une demande de rétablissement doit être accueillie soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire. D’après l’article 101 de la Loi, une demande peut être irrecevable dans le cas, notamment, où une décision a prononcé le désistement ou s’il y a eu retrait d’une demande antérieure faite par la même personne (voir l’alinéa 101c) de la Loi). Si un agent ne défère pas une demande et que celle‑ci ne fait pas l’objet d’un sursis ou n’est pas été jugée irrecevable, le paragraphe 100(3) de la Loi prévoit que, à l’expiration des trois jours ouvrables, la demande est réputée avoir été déférée à la SPR pour examen.
[12] Dans ce contexte, les arguments du demandeur ne sauraient tenir.
[13] L’avocat du demandeur a donné à entendre que la demande de son client avait été déférée à la SPR parce qu’elle n’avait pas été réputée irrecevable au sens de l’article 101 de la Loi, ce qui est illogique. Une demande qui a été retirée ne peut pas avoir été déférée à la SPR, pour la bonne et simple raison qu’une telle demande n’existe plus. En ce qui concerne l’article 53 des Règles et la capacité d’une personne à demander le rétablissement d’une demande qu’elle a précédemment retirée, il n’est pas logique que la SPR soit compétente pour rétablir une demande qui ne lui a jamais été déférée. Ce constat s’appuie sur le paragraphe 100(3) de la Loi, qui prévoit que « [l]a saisine de la [SPR] survient sur déféré de la demande ». Si la SPR ne peut s’estimer saisie d’une demande tant qu’elle ne lui a pas été déférée par un agent, on ne peut affirmer que la SPR peut rétablir une demande qui ne lui a jamais été déférée par un agent.
[14] En l’espèce, le demandeur a retiré sa première demande d’asile dans les 24 heures qui ont suivi le moment où il l’avait présentée. Ainsi, sa demande n’a jamais été déférée à la SPR et, par conséquent, la SPR n’avait pas la compétence voulue pour étudier sa demande de rétablissement. Ainsi, la SPR n’a pas commis d’erreur en déclarant qu’elle n’avait pas la compétence voulue pour étudier la demande de rétablissement relative à la demande d’asile du demandeur.
III CONCLUSION
[15] Pour tous ces motifs, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.
[16] Le demandeur a proposé que la question suivante soit certifiée :
[traduction]
La SPR est-elle compétente pour étudier une demande de rétablissement relative à une demande d’asile qui a été retirée par le demandeur avant qu’un agent la défère à la SPR?
[17] Le défendeur a déjà fait savoir que les dispositions contestées de la Loi et des Règles sont claires et exigent qu’on réponde par la négative à la question énoncée ci‑dessus. Ainsi, si la présente demande doit être rejetée, il est inutile de certifier la question proposée par le demandeur.
[18] Je ne pense pas qu’il y ait une question grave de portée générale en l’espèce.
[19] Même si la question soulevée par le demandeur pourrait être déterminante quant à l’issue de l’appel du présent jugement, l’avocat du demandeur a reconnu que les faits de l’espèce sont exceptionnels. Un demandeur retourne rarement dans son pays d’origine avant qu’une mesure d’exclusion soit prononcée à son égard; la plupart des demandeurs ne retirent pas, au point d’entrée, une demande d’asile qu’ils ont faite. Au contraire, la plupart du temps, les demandeurs veulent présenter une demande d’asile, après qu’une mesure de renvoi a été prononcée à leur égard, lorsqu’il est trop tard pour le faire. En outre, même si la question soulevée par le demandeur est nouvelle et assez intéressante, il n’en demeure pas moins que les dispositions contestées de la Loi et des Règles sont parfaitement claires. Ainsi, dans les circonstances, il ne semble pas nécessaire que la Cour d’appel fédérale examine la question.
[20] Par conséquent, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je décide qu’aucune question de portée générale ne sera certifiée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Alya Kaddour-Lord, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3572-09
INTITULÉ : CHO DURI
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 28 janvier 2010
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le juge Martineau
DATE DES MOTIFS : Le 8 février 2010
COMPARUTIONS :
Me William Sloan POUR LE DEMANDEUR
Me Martine Valois POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
William Sloan POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous‑procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)