Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20100120

Dossier : T-1788-08

Référence : 2010 CF 61

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

UNICROP LTD.

demanderesse

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Unicrop Ltd. (Unicrop), de Helsinki, en Finlande, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le commissaire aux brevets (le commissaire) a conclu que la demande de brevet canadien n° 2,531,185 (la demande) avait été abandonnée au 5 juillet 2008, laquelle décision a été communiquée à la demanderesse dans une lettre du 17 octobre 2008.

 

Les faits à l’origine du litige

[2]               Le 3 janvier 2006, Unicrop a produit la demande auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) à titre d’inscription nationale sous le régime du Traité de coopération en matière de brevets (PCT FI2004/000426). La demande a été produite par le cabinet Bereskin & Parr S.E.N.C.R.L., qui représentait Unicrop à l’époque. À titre de document produit après 1989, la demande constitue, selon le paragraphe 27.1(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi), une demande présentée sous le régime de la nouvelle loi et des taxes périodiques doivent être payées.

 

[3]               Par l’entremise de Bereskin & Parr, la demanderesse a versé les taxes périodiques annuelles à l’OPIC jusqu’aux taxes applicables au deuxième anniversaire, lesquelles taxes devaient être payées le 5 juillet de chaque année visée conformément aux Règles sur les brevets, DORS/96-423 (les Règles). Le dernier versement de Bereskin & Parr a été remis au commissaire vers le 12 juin 2006.

 

[4]               Les taxes périodiques applicables au troisième anniversaire devaient être payées le 5 juillet 2007 et ce montant n’a pas été payé à temps. Le commissaire aux brevets a donc considéré que la demande avait été abandonnée conformément au paragraphe 73(1) de la Loi.

 

[5]               Selon le paragraphe 73(3) de la Loi et le paragraphe 98(1) des Règles, la demanderesse disposait d’un délai de douze mois pour rétablir la demande, pourvu qu’une demande de rétablissement soit présentée, que la taxe de rétablissement soit payée et que les taxes annuelles de maintien en état soient également acquittées.

 

[6]               Le 23 juin 2008, la demanderesse a tenté de rétablir la demande par l’entremise de son agent, le cabinet Furman & Kallio, qui a présenté deux lettres à l’OPIC le 23 juin 2008. La première lettre, qui visait à obtenir le rétablissement de la demande, était accompagnée du dépôt du droit de rétablissement administratif (200 $) ainsi que de la taxe de maintien en état exigible au troisième anniversaire (100 $). La deuxième lettre, datée du 23 juin 2008, était accompagnée du paiement de la taxe de maintien en état exigible au quatrième anniversaire (100 $).

 

[7]               Dans une lettre envoyée au cabinet d’avocats Furman & Kallio le 23 juillet 2008, l’OPIC a reconnu avoir reçu le paiement de la taxe de maintien en état pour le quatrième anniversaire, lequel paiement était daté du 23 juin 2008. Dans cette même lettre, le cabinet d’avocats était informé que seul le correspondant autorisé pouvait payer les taxes de rétablissement et de maintien en état. Selon l’OPIC, le cabinet Bereskin & Parr LLP était le correspondant autorisé. Le commissaire a expliqué que les taxes n’avaient pas été payées de la façon exigée, étant donné qu’aucun document de nomination n’avait été reçu avant le paiement en question ou en même temps que celui-ci.

 

[8]               La demanderesse soutient qu’un représentant de Unicrop a signé le document de nomination désignant le cabinet Furman & Kallio à titre de représentant juridique de Unicrop pour la demande le 16 juin 2008. La demanderesse ne nie pas le fait que le document de nomination n’ait pas été remis à l’OPIC avant le 5 juillet 2008. Cette omission était une erreur commise par inadvertance au sein du bureau de Furman & Kallio.

 

[9]               Le 12 août 2008, le cabinet Furman & Kallio a répondu à la lettre de l’OPIC datée du 23 juillet 2008 et a affirmé qu’il avait déjà été nommé à titre d’agent pour représenter la demanderesse lorsque les deux lettres ont été envoyées le 23 juin 2008. Une copie du document de nomination daté du 16 juin 2008 était jointe à la lettre et un réexamen du rejet rétroactif du paiement des taxes était également sollicité.

 

[10]           Le 17 octobre 2008, l’OPIC a fait parvenir au cabinet d’avocats Furman & Kallio une lettre l’informant que le paiement des taxes ne serait pas accepté et que la demande ne pouvait être rétablie, parce que le délai de rétablissement avait expiré. La demande a été considérée abandonnée et sans effet (c’est-à-dire qu’elle ne pouvait plus être rétablie), de sorte que la demanderesse a été déchue de ses droits de brevet.

 

[11]           Le 23 octobre 2008, l’OPIC a fait parvenir à Furman & Kallio une lettre reconnaissant la réception de la taxe de maintien en état pour la troisième année et des paiements des droits de rétablissement datés du 23 juin 2008 et a rappelé que les paiements ne pouvaient être acceptés, la demande étant désormais abandonnée.

 

Questions en litige

[12]           La présente demande soulève les questions suivantes :

a.       Quelle est la norme de contrôle applicable?

b.      Le commissaire aux brevets a-t-il commis une erreur en refusant de rétablir la demande?

c.       Le paragraphe 3.1(1) des Règles sur les brevets peut-il être invoqué en l’espèce?

d.      La demanderesse peut-elle invoquer utilement en l’espèce les doctrines reconnues en equity de la levée de la déchéance et de la préclusion promissoire?

 

Dispositions législatives pertinentes

[13]           Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 :

Taxes périodiques

27.1 (1) Le demandeur est tenu de payer au commissaire, afin de maintenir sa demande en état, les taxes réglementaires pour chaque période réglementaire.

 

(2) et (3) [Abrogés, 1993, ch. 15, art. 32]

Maintenance fees

27.1 (1) An applicant for a patent shall, to maintain the application in effect, pay to the Commissioner such fees, in respect of such periods, as may be prescribed.

 

(2) and (3) [Repealed, 1993, c. 15, s. 32]

 

Abandon

73. (1) La demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur omet, selon le cas :

 

 

a) de répondre de bonne foi, dans le cadre d’un examen, à toute demande de l’examinateur, dans les six mois suivant cette demande ou dans le délai plus court déterminé par le commissaire;

 

 

b) de se conformer à l’avis mentionné au paragraphe 27(6);

 

c) de payer, dans le délai réglementaire, les taxes visées à l’article 27.1;

 

d) de présenter la requête visée au paragraphe 35(1) ou de payer la taxe réglementaire dans le délai réglementaire;

 

 

 

e) de se conformer à l’avis mentionné au paragraphe 35(2);

 

f) de payer les taxes réglementaires mentionnées dans l’avis d’acceptation de la demande de brevet dans les six mois suivant celui-ci.

 

Idem

(2) Elle est aussi considérée comme abandonnée dans les circonstances réglementaires.

 

 

 

Rétablissement

(3) Elle peut être rétablie si le demandeur :

 

 

 

a) présente au commissaire, dans le délai réglementaire, une requête à cet effet;

 

 

b) prend les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon;

 

c) paie les taxes réglementaires avant l’expiration de la période réglementaire.

 

Modification et réexamen

(4) La demande abandonnée au titre de l’alinéa (1)f) et rétablie par la suite est sujette à modification et à nouvel examen.

 

 

Date de dépôt originelle

(5) La demande rétablie conserve sa date de dépôt.

Deemed abandonment of applications

73. (1) An application for a patent in Canada shall be deemed to be abandoned if the applicant does not

 

(a) reply in good faith to any requisition made by an examiner in connection with an examination, within six months after the requisition is made or within any shorter period established by the Commissioner;

 

(b) comply with a notice given pursuant to subsection 27(6);

 

 

(c) pay the fees payable under section 27.1, within the time provided by the regulations;

 

(d) make a request for examination or pay the prescribed fee under subsection 35(1) within the time provided by the regulations;

 

(e) comply with a notice given under subsection 35(2); or

 

 

(f) pay the prescribed fees stated to be payable in a notice of allowance of patent within six months after the date of the notice.

 

Deemed abandonment in prescribed circumstances

(2) An application shall also be deemed to be abandoned in any other circumstances that are prescribed.

 

Reinstatement

(3) An application deemed to be abandoned under this section shall be reinstated if the applicant

 

(a) makes a request for reinstatement to the Commissioner within the prescribed period;

 

(b) takes the action that should have been taken in order to avoid the abandonment; and

 

(c) pays the prescribed fee before the expiration of the prescribed period.

 

Amendment and re-examination

(4) An application that has been abandoned pursuant to paragraph (1)(f) and reinstated is subject to amendment and further examination.

 

Original filing date

(5) An application that is reinstated retains its original filing date.

 

[14]           Règles sur les brevets, DORS/96-423 :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent aux présentes règles.

 

« correspondant autorisé » Pour une demande : 

 

 

a) lorsque la demande a été déposée par l’inventeur, qu’aucune cession de son droit au brevet, de son droit sur l’invention ou de son intérêt entier dans l’invention n’a été enregistrée au Bureau des brevets et qu’aucun agent de brevets n’a été nommé :

 

(i) l’unique inventeur,

 

(ii) s’il y a deux coïnventeurs ou plus, celui autorisé par ceux-ci à agir en leur nom,

 

 

(iii) s’il y a deux coïnventeurs ou plus et qu’aucun de ceux-ci n’a été ainsi autorisé, le premier inventeur nommé dans la pétition ou, dans le cas des demandes PCT à la phase nationale, le premier inventeur nommé dans la demande internationale;

 

 

b) lorsqu’un coagent a été nommé ou doit l’être en application de l’article 21, le coagent ainsi nommé;

 

 

c) lorsque les alinéas a) et b) ne s’appliquent pas, l’agent de brevets nommé en application de l’article 20. (authorized correspondent)

2. In these Rules,

 

 

 

authorized correspondent” means, in respect of an application, 

 

(a) where the application was filed by the inventor, where no transfer of the inventor’s right to the patent or of the whole interest in the invention has been registered in the Patent Office and where no patent agent has been appointed

 

 

(i) the sole inventor,

 

(ii) one of two or more joint inventors authorized by all such inventors to act on their joint behalf, or

 

(iii) where there are two or more joint inventors and no inventor has been authorized in accordance with subparagraph (ii), the first inventor named in the petition or, in the case of PCT national phase applications, the first inventor named in the international application,

 

(b) where an associate patent agent has been appointed or is required to be appointed pursuant to section 21, the associate patent agent, or

 

(c) where paragraphs (a) and (b) do not apply, a patent agent appointed pursuant to section 20; (correspondant autorisé)

 

3.1 (1) Sous réserve du paragraphe 6(1), si, avant l’expiration du délai fixé pour le versement d’une taxe prévue à l’annexe II, le commissaire reçoit une communication dans laquelle une personne fait une tentative manifeste mais infructueuse pour verser la taxe, celle-ci est réputée avoir été reçue avant l’expiration du délai dans les cas suivants :

 

a) la taxe impayée est versée avant l’expiration du délai;

 

 

b) dans le cas où un avis est envoyé conformément au paragraphe (2), la taxe impayée, accompagnée de la surtaxe pour paiement en souffrance prévue à l’article 2.1 de l’annexe II, est versée dans les deux mois suivant la date de l’avis;

 

c) dans le cas où aucun avis n’est envoyé, la taxe impayée, accompagnée de la surtaxe pour paiement en souffrance prévue à l’article 22.1 de l’annexe II, est versée dans les deux mois suivant la date à laquelle le commissaire a reçu la communication.

 

(2) Sous réserve du paragraphe 6(1) et à moins que l’auteur de la communication au commissaire ne soumette pas les renseignements permettant de communiquer avec lui, si le commissaire reçoit la communication dans les circonstances visées au paragraphe (1), il demande, par avis, à la personne qui lui a envoyé la communication de verser la taxe impayée, accompagnée, s’il y a lieu, de la surtaxe pour paiement en souffrance visée au paragraphe (1).

 

(3) Les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent pas aux taxes prévues aux articles 9 à 9.4 et 22.1 de l’annexe II.

3.1 (1) Subject to subsection 6(1), if, before the expiry of a time limit for paying a fee set out in Schedule II, the Commissioner receives a communication in accordance with which a clear but unsuccessful attempt is made to pay the fee, the fee shall be considered to have been paid before the expiry of the time limit if

 

(a) the amount of the fee that was missing is paid before the expiry of the time limit;

 

(b) if a notice is sent in accordance with subsection (2), the amount of the fee that was missing, together with the late payment fee set out in item 22.1 of Schedule II, are paid before the expiry of the two-month period after the date of the notice; or

 

(c) if a notice is not sent, the amount of the fee that was missing, together with the late payment fee set out in item 22.1 of Schedule II, are paid before the expiry of the two-month period after the day on which the communication was received by the Commissioner.

 

(2) Subject to subsection 6(1) and unless the person making the communication did not provide information that would allow them to be contacted, if the Commissioner has received a communication in the circumstances referred to in subsection (1), the Commissioner shall, by notice to the person who made the communication, request payment of the amount of the fee that was missing together, if applicable, with the late payment fee referred to in subsection (1).

 

(3) Subsections (1) and (2) do not apply in respect of the fees set out in items 9 to 9.4 and 22.1 of Schedule II.

 

6. (1) Sauf disposition contraire de la Loi ou des présentes règles, dans le cadre de la poursuite ou du maintien d’une demande, le commissaire ne communique qu’avec le correspondant autorisé en ce qui concerne cette demande et ne tient compte que des communications reçues de celui-ci à cet égard.

6. (1) Except as provided by the Act or these Rules, for the purpose of prosecuting or maintaining an application the Commissioner shall only communicate with, and shall only have regard to communications from, the authorized correspondent.

 

Nomination des agents de brevets

20. (1) Le demandeur qui n’est pas l’inventeur nomme un agent de brevets chargé de poursuivre la demande en son nom.

 

(2) L’agent de brevets est nommé dans la pétition ou dans un avis remis au commissaire et signé par le demandeur.

 

(3) La nomination d’un agent de brevets peut être révoquée par un avis de révocation remis au commissaire et signé par l’agent ou le demandeur.

 

Appointment of Patent Agents

20. (1) An applicant who is not an inventor shall appoint a patent agent to prosecute the application for the applicant.

 

 

 

(2) The appointment of a patent agent shall be made in the petition or by submitting to the Commissioner a notice signed by the applicant.

 

(3) The appointment of a patent agent may be revoked by submitting to the Commissioner a notice of revocation signed by the applicant or that patent agent.

 

98. (1) Pour que la demande considérée comme abandonnée en application de l’article 73 de la Loi soit rétablie, le demandeur, à l’égard de chaque omission visée au paragraphe 73(1) de la Loi ou à l’article 97, présente au commissaire une requête à cet effet, prend les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon et paie la taxe prévue à l’article 7 de l’annexe II, dans les douze mois suivant la date de prise d’effet de l’abandon.

 

 

 

 

(2) Pour prendre les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon pour non-paiement de la taxe visée aux paragraphes 3(3), (4) ou (7), le demandeur, avant l’expiration du délai prévu au paragraphe (1) :

 

 

 

 

 

 

a) soit paie la taxe générale applicable;

 

b) soit dépose, à l’égard de sa demande, la déclaration du statut de petite entité conformément à l’article 3.01 et paie la taxe applicable aux petites entités.

98. (1) For an application deemed to be abandoned under section 73 of the Act to be reinstated, the applicant shall, in respect of each failure to take an action referred to in subsection 73(1) of the Act or section 97, make a request for reinstatement to the Commissioner, take the action that should have been taken in order to avoid the abandonment and pay the fee set out in item 7 of Schedule II, before the expiry of the 12-month period after the date on which the application is deemed to be abandoned as a result of that failure.

 

(2) For the purposes of subsection (1), if an application is deemed to be abandoned for failure to pay a fee referred to in subsection 3(3), (4) or (7), for the applicant to take the action that should have been taken in order to avoid the abandonment, the applicant shall, before the expiry of the time prescribed by subsection (1), either

 

(a) pay the applicable standard fee, or

 

(b) file a small entity declaration in respect of the application in accordance with section 3.01 and pay the applicable small entity fee.

 

 

Analyse

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

[15]           Il est admis de part et d’autre et la Cour convient que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision correcte, parce que la question à trancher est d’abord et avant tout une question de droit. La Cour d’appel fédérale a constamment décidé que les questions relatives à l’interprétation de la Loi et des Règles, notamment les questions concernant les taxes périodiques, doivent être tranchées selon la norme de la décision correcte (Dutch Industries Limited c. Canada (Commissaire aux brevets), 2003 CAF 121, [2003] 4 C.F. 67). La compétence spécialisée du commissaire ne couvre pas l’interprétation juridique des lois en ce qui a trait aux questions administratives (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 60; Rendina c. Canada (Procureur général), 2007 CF 914, [2008] 3 R.C.F. 3, aux paragraphes 10 et 11).

 

2.         Le commissaire aux brevets a-t-il commis une erreur en refusant de rétablir la demande?

[16]           Selon l’article 2 des Règles, le « correspondant autorisé » s’entend de l’inventeur (s’il n’a pas nommé d’agent), de l’agent de brevet nommé par l’inventeur ou d’un coagent. L’article 22 des Règles énonce que tout acte fait par l’agent de brevet ou le coagent ou les concernant a le même effet que l’acte fait par le demandeur ou le concernant. Le paragraphe 6(1) des Règles précise qui peut communiquer avec l’OPIC dans le cadre de la poursuite ou du maintien d’une demande de brevet.

 

[17]           Il est nécessaire de payer des taxes périodiques afin de maintenir en état une demande de brevet présentée sous le régime de la nouvelle loi et, lorsque ces taxes ne sont pas payées au plus tard à la date anniversaire annuelle de la demande (en l’occurrence, le 5 juillet), celle-ci est considérée abandonnée (paragraphes 27.1(1) et 73(1) de la Loi).

 

[18]           La Loi et les Règles prévoient un délai de grâce d’un an pour le rétablissement dans le cas d’une demande de brevet qui a été considérée abandonnée en raison de l’omission de payer les taxes périodiques (paragraphe 73(3) de la Loi et article 98 des Règles). La demanderesse souligne que, selon l’alinéa 73(3)a) de la Loi, pour qu’une demande considérée abandonnée soit rétablie à l’intérieur du délai de rétablissement, le demandeur doit, notamment, présenter « au commissaire, dans le délai réglementaire, une requête à cet effet ». La demanderesse soutient que ni la Loi non plus que les Règles ne précisent en quoi consiste une requête en rétablissement qui respecte l’alinéa 73(3)a) de la Loi. La Loi et les Règles ne comportent aucune précision quant à la forme que devrait prendre la requête, hormis l’exigence générale selon laquelle elle doit être formulée de manière explicite.

 

[19]           La demanderesse soutient que la situation en l’espèce est régie par les principes énoncés dans Sarnoff Corporation c. Canada (Procureur général), 2008 CF 712, [2009] 2 R.C.F. 3, décision confirmée dans 2009 CAF 142, [2009] A.C.F. n° 567 (QL), où mon collègue le juge Hughes a conclu que l’agent inscrit compétent avait rempli les obligations nécessaires aux fins du rétablissement de la demande de brevet.

 

[20]           Selon le défendeur, une différence factuelle majeure existe entre les circonstances de Sarnoff et celles de la présente affaire. Dans Sarnoff, la preuve ne permettait pas clairement de savoir si l’OPIC avait reçu ou non un avis du document de nomination d’agent ou de coagent répondant aux exigences de la Loi. Après avoir examiné la preuve, le juge Hughes a conclu, au paragraphe 28, que l’OPIC « devait avoir en sa possession un avis de nomination de coagent » et la Cour d’appel fédérale a confirmé cette conclusion.

 

[21]           Le défendeur fait valoir que l’interprétation de la Loi et des Règles que propose la demanderesse créerait de l’incertitude dans l’administration du régime de brevets et va à l’encontre de l’objet de la Loi, car l’OPIC n’est nullement tenu d’informer les demandeurs des obligations que la législation leur impose.

 

[22]           Ainsi, ajoute-t-il, lorsque les taxes exigées n’ont pas été payées dans les délais par le représentant compétent, la demande est abandonnée et le commissaire n’est pas habilité à modifier ou influencer ce résultat.

 

[23]           Tel qu’il est mentionné plus haut, le paragraphe 6(1) des Règles prévoit que l’OPIC communique uniquement avec le correspondant autorisé (au sens de l’article 2 des Règles) dans le cadre de la poursuite ou du maintien d’une demande. Comme la Cour fédérale l’a fait remarquer dans Sarnoff, la Loi et les Règles ne précisent nullement à quel moment l’avis de nomination doit être donné et l’effet sur les mesures prises, comme la reconnaissance et la réception des paiements par l’OPIC. De plus, le paragraphe 6(1) des Règles ne doit pas être interprété étroitement au point d’empêcher un mandataire d’exécuter des opérations aussi courantes que le paiement de taxes périodiques (Sarnoff). En conséquence, chaque affaire doit être un cas d’espèce.

 

[24]           Dans Sarnoff, les taxes exigées ont été payées en temps opportun, ce que l’OPIC a reconnu, mais la Cour devait décider si un avis de nomination d’agent avait été signifié ou non dans les délais prescrits.

 

[25]           Dans la présente affaire, et contrairement à la situation exposée dans Sarnoff, il appert clairement de la preuve que le cabinet d’avocats Furman & Kallio n’a pas signifié d’avis de nomination d’agent à l’OPIC comme la Loi l’exige; de plus, aucune tentative claire n’a été faite en vue de désigner un représentant juridique avant l’expiration du délai de rétablissement de la demande. Par ailleurs, l’OPIC n’a aucun dossier de communications avec Furman & Kallio au sujet de la demande de brevet n° 2,531,185 et le cabinet Bereskin et Parr a été reconnu comme le correspondant autorisé compétent à l’époque.

 

[26]           Les tribunaux ont reconnu que le régime des taxes périodiques est compliqué et que, par conséquent, ils devraient trancher en faveur du titulaire de brevet toute omission ou ambiguïté que comporte le texte législatif (Dutch Industries). Cependant, eu égard à ce qui précède, je ne vois aucune omission ou ambiguïté qui pourrait être tranchée en faveur de la demanderesse.

 

[27]           Étant donné que le paragraphe 6(1) des Règles exige que toute communication avec le commissaire soit faite par le correspondant autorisé, le commissaire n’a pas commis d’erreur en refusant le paiement des taxes effectué par Furman & Kallio, puisque ce cabinet n’était pas le correspondant autorisé à l’égard de la demande lors des paiements en question. La demanderesse ne nie pas que l’OPIC n’ait pas reçu l’avis de nomination d’agent avant le 5 juillet 2008; par conséquent, il était raisonnable de la part du commissaire de refuser le paiement des taxes et le rétablissement de la demande.

 

[28]           S’il est indéniable que la demanderesse avait bel et bien l’intention de nommer le cabinet Furman & Kallio comme son représentant, il n’en demeure pas moins que la connaissance de ce changement ne peut être imputée à l’OPIC, qui devrait alors décider dans chaque cas s’il y a lieu de tenir compte ou non de la communication directe d’un demandeur avec son bureau. La simple affirmation d’une personne selon laquelle elle est mandataire d’une autre ne signifie pas qu’elle est effectivement mandataire en droit. En plus d’aller à l’encontre des Règles, puisqu’elle rend inutile la définition de « correspondant autorisé », l’interprétation de la demanderesse crée de l’incertitude et alourdit la tâche administrative de l’OPIC, qui est appelé à communiquer à maintes reprises avec différents intervenants dans le cadre de son mandat.

 

[29]           La Cour est d’avis que l’OPIC n’a pas reçu l’avis de nomination du cabinet Furman & Kallio à titre d’agent de la demanderesse avant le 5 juillet 2008, de sorte qu’il était raisonnable de la part du commissaire de refuser le paiement des taxes et la requête en rétablissement de la demande.

 

3.         Le paragraphe 3.1(1) des Règles sur les brevets peut-il être invoqué utilement en l’espèce?

 

[30]           La demanderesse soutient que le paragraphe 3.1(1) des Règles accorde un délai supplémentaire de deux mois lorsqu’une personne fait une tentative manifeste mais infructueuse pour verser la taxe. Le paragraphe 3.1(2) des Règles énonce que, si les critères prévus dans ce paragraphe sont établis, le commissaire demande, par avis, (« shall, by notice ») à la personne en question de verser la taxe. La demanderesse soutient que l’emploi de l’indicatif présent sous‑entend une obligation (article 11 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21). En conséquence, les mots « il demande, par avis, » du paragraphe 3.1(2) des Règles obligent le commissaire à remettre cet avis, lorsque les circonstances visées au paragraphe 3.1(1) des Règles se produisent.

 

[31]           La demanderesse a également fait valoir à l’audience que l’article 3.1 des Règles a pour but d’offrir aux demandeurs de brevet la possibilité de prendre des mesures correctives lorsque les documents d’autorisation relatifs aux taxes sont mal communiqués ou ambigus ou qu’ils ne sont pas par ailleurs suffisamment clairs pour permettre au commissaire de traiter le paiement des taxes exigées. L’avis prévu à l’article 3.1 des Règles n’a pas été donné en l’espèce, ce qui, selon la demanderesse, va à l’encontre de l’objet de cette disposition, qui vise à permettre une exception lorsqu’une obligation purement administrative (la nomination d’un agent) n’a pas été respectée.

 

[32]           Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse. Cet argument a été rejeté dans Rendina, où mon collègue, le juge de Montigny, a souligné au paragraphe 22 que les mots « sous réserve du paragraphe 6(1) » qui figurent au paragraphe 3.1(1) des Règles signifient que la requête en rétablissement devait être présentée par l’agent de brevet.

 

[33]           La même interprétation peut être faite en l’espèce. Tel qu’il est mentionné plus haut, le cabinet d’avocats Furman et Kallio n’était pas le correspondant autorisé conformément au paragraphe 6(1) des Règles et ne pouvait donc pas tenter de payer les taxes périodiques et la taxe de rétablissement en se fondant sur le paragraphe 3.1(1) des Règles. Cet argument ne peut donc être d’aucune utilité pour la demanderesse.

 

4.         La demanderesse peut-elle invoquer utilement en l’espèce les doctrines reconnues en equity de la levée de la déchéance et de la préclusion promissoire?

 

[34]           La demanderesse soutient que la doctrine de la levée de la déchéance est une doctrine en equity qui n’est pas modifiée par les régimes législatifs. À titre de cour d’equity, la Cour fédérale peut accorder la levée de la déchéance à l’égard des questions relevant par ailleurs de sa compétence (Shiloh Spinners Ltd. c. Harding, [1973] A.C. 691, [1973] 1 All E.R. 90 (C.L.), aux pages 102 et 103; Loi sur les Cours fédérales, article 4 et paragraphe 20(2)).

 

[35]           À l’appui de cet argument, la demanderesse cite l’arrêt Sarnoff, qui permettrait à la Cour d’admettre les recours d’equity dans la présente affaire.

 

[36]           Cependant, dans Sarnoff, mon collègue le juge Hughes a reconnu la décision que la Cour fédérale avait rendue dans F. Hoffman-LaRoche AG c. Canada (Commissaire aux brevets), 2003 CF 1381, [2004] 2 R.C.F. 405, confirmée dans 2005 CAF 399, 344 N.R. 202, et a écarté cette décision sur la base des faits, soulignant que la demanderesse s’était effectivement conformée à la loi, ce qui lui permettait d’accorder la réparation en equity.

 

[37]           Les faits de la présente affaire sont différents de ceux de l’arrêt Sarnoff, puisque la demanderesse n’a pas respecté la loi et que l’OPIC n’a commis aucune erreur. Accorder la réparation en equity à la demanderesse dans la présente affaire équivaudrait à annuler les délais prévus par la Loi et irait à l’encontre de la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans F. Hoffman-LaRoche AG, puisqu’une telle conclusion contredirait les dispositions claires du texte législatif. Effectivement, la Loi et les Règles obligent impérativement le correspondant autorisé à verser le paiement exigé à l’OPIC à l’intérieur d’un certain délai et prévoient l’abandon en cas d’omission de respecter cette obligation.

 

[38]           Dans la présente affaire, même si les taxes exigées ont été payées, elles ne l’ont pas été par le correspondant autorisé, comme l’exige la loi et, par conséquent, l’OPIC n’a pas reconnu le cabinet Furman & Kallio comme l’agent compétent. La Cour ne peut conclure que le refus du commissaire de rétablir la demande est une décision allant à l’encontre de l’equity. Tel qu’il est mentionné dans F. Hoffmann-La Roche AG, au paragraphe 44, la Cour ne peut accorder une réparation en equity lorsqu’une déchéance découle d’une règle législative, puisque le juge doit donner effet à la loi. Si elle accordait une réparation de cette nature, la Cour substituerait son propre délai à celui que le législateur a fixé.

 

[39]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1788-08

 

INTITULÉ :                                                   UNICROP LTD. c.

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 9 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 20 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marguerite F. Ethier

 

POUR LA DEMANDERESSE

Marlon Miller

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lenczner Slaght Royce Smith

Griffin LLP

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.