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Cour fédérale

Federal Court


Date : 20100120

Dossier : T-880-03

Référence : 2010 CF 63

Toronto (Ontario), le 20 janvier 2010

En présence du juge Campbell

 

ENTRE :

TRUEHOPE NUTRITIONAL SUPPORT LIMITED

ET DAVID HARDY

demandeurs

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET LA MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Dans la présente instance, les demandeurs contestent la constitutionnalité des dispositions relatives à la saisie de la Loi sur les aliments et drogues, L.R., 1985, ch. F-27 (LAD), au motif qu’elles porteraient atteinte aux droits garantis par les articles 7 et 8 de la Charte.

 

[2]               Le demandeur, M. David Hardy, est le cofondateur et l’âme dirigeante de l’entreprise demanderesse, TrueHope Nutritional Support Limited (TrueHope). TrueHope gère la production, la vente et le soutien aux consommateurs d’un produit de santé naturel appelé EMpowerplus, présenté comme un traitement contre la maladie mentale. La conduite qui motive la contestation constitutionnelle est la saisie de deux envois d’EMpowerplus par des fonctionnaires de Santé Canada qui, sous la direction de la ministre de la Santé, est le ministère fédéral chargé d’aider les Canadiens à maintenir et à améliorer leur santé.

 

[3]               L’article 23 de la LAD autorise l’inspecteur de Santé Canada à saisir des articles qui, à son avis, a servi ou donné lieu  à une infraction à la LAD et à ses règlements. L’article 26 de la LAD permet à l’inspecteur qui a saisi les articles de les retenir jusqu’à ce qu’il ait constaté que les dispositions de la LAD et de ses règlements applicables ont été respectées. Les saisies d’EMpowerplus dont il est question sont survenues en avril et en mai 2003, et il n’a pas encore été donné mainlevée des produits qui avaient alors été saisis.  

 

[4]               Les saisies constituent un événement marquant dans l’historique du différend qui oppose M. Hardy et Santé Canada au sujet de la vente au Canada d’EMpowerplus. En avril 2001, Santé Canada a signifié à TrueHope un avis portant que sa pratique d’offrir son produit en vente au Canada était illégale, et le refus de Truehope d’y mettre fin est à l’origine des saisies. Au moment des saisies, des centaines, voire des milliers, de personnes dépendaient du produit EMpowerplus comme traitement de leurs troubles de santé mentale. Parce que les saisies étaient perçues par les usagers comme une menace directe à leur possibilité d’avoir accès au produit, une campagne intensive de sensibilisation du public a immédiatement été lancée contre la mesure d’exécution de Santé Canada. La campagne s’est révélée efficace; dans l’année qui a suivi les saisies, TrueHope et Santé Canada ont conclu une entente au sujet des conditions de vente d’EMpowerplus qui a permis aux usagers d’avoir le même accès au produit qu’avant les saisies.

[5]               Néanmoins, la présente demande, déposée immédiatement après les saisies, a procédé jusqu’à l’audition. La principale réparation demandée consiste en deux jugements déclaratoires  portant d’une part, que les saisies ont porté atteinte aux droits garantis à Truehope et de M. Hardy par les articles 7 et 8 de la Charte,  et d’autre part, que l’al. 23(1)d) et l’art. 26 de la LAD portent atteinte aux articles 7 et 8 de la Charte, et sont donc inopérants. La contestation constitutionnelle des dispositions de la LAD relatives à la saisie vise à réduire les restrictions à l’accès aux produits de santé naturels imposées par la LAD et ses règlements d’application. Même si la présente demande ne vise pas à contester directement les mesures de contrôle législatives et réglementaires, son objectif est d’en réduire l’efficacité en modifiant de manière fondamentale les dispositions permettant leur exécution.

 

[6]               Les demandeurs font valoir que les dispositions de la LAD relatives à la saisie contreviennent aux articles 7 et 8 de la Charte parce qu’elles n’offrent pas, avant que la saisie n’ait lieu, la possibilité de plaider que la saisie entraînera des risques pour la santé.  Il est plaidé que le régime de la LAD doit être modifié en introduisant une forme d’équité procédurale qui fournirait une mesure de contrôle judiciaire de l’application de la LAD et de ses règlements d’application.

 

[7]               M. Hardy n’est pas un usager d’EMpowerplus à des fins thérapeutiques; sa contestation purement personnelle en vertu de la Charte est fondée sur le droit à la sécurité que lui garantit  l’article 7, soit son droit de ne pas être soumis au stress psychologique qu’il a subi en raison des  saisies. Ainsi, pour réussir à conférer une équité procédurale au processus de saisie sous le régime de la LAD, il est nécessaire d’invoquer les droits garantis par l’article 7 à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes qui font usage d’EMpowerplus à des fins thérapeutiques. Pour arriver à ce résultat, l’avocat des demandeurs plaide que la qualité pour agir de M. Hardy, à titre personnel, dans la présente demande fondée sur la Charte, offre la possibilité de faire valoir que les dispositions actuellement déficientes en matière d’application de la loi vont à l’encontre des droits garantis par la Charte aux usagers d’EMpowerplus, non-demandeurs, et qu’elles sont donc inconstitutionnelles.

 

[8]               Pour réussir, la demande personnelle de M. Hardy, fondée sur la Charte, dépend de la qualité de la preuve au dossier, et de l’argument voulant qu’il puisse être tenu compte des revendications fondées sur la Charte visant des usagers non-demandeurs, suivant une interprétation correcte des règles juridiques concernant la qualité pour agir requise pour introduire une contestation fondée sur la Charte. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la demande échoue sur les deux fronts.

 

[9]               D’entrée de jeu, il y a une question préliminaire qu’il faut examiner. Dans sa plaidoirie, l’avocat des défendeurs a indiqué qu’on pouvait, en raison d’événements survenus depuis les saisies, se demander si la présente demande revêt maintenant un caractère théorique.  Cependant, puisque Santé Canada admet que les produits saisis en 2003 sont toujours retenus et qu’il existe toujours une vive controverse quant à savoir s’ils devraient le demeurer, j’estime que la demande ne revêt pas un caractère quel que soit le motif invoqué.  

 

I.          Les faits à l’origine de la demande

[10]           Précisons que dans la formulation des présents motifs, les mots EMpowerplus et TrueHope sont orthographiés selon l’orthographe utilisée par M. Hardy dans son affidavit. L’orthographe et la forme utilisées par les autres participants varient dans les documents auxquels il est fait référence dans les motifs.

 

[11]           L’historique de la mise au point et de la commercialisation d’EMpowerplus, ainsi que des mesures prises par Santé Canada pour restreindre l’accès au produit, n’est pas contesté. Toutefois, comme cet historique constitue le fondement de la contestation de M. Hardy au titre de la Charte, il est nécessaire de relater les principaux événements survenus dans ses rapports avec Santé Canada, à l’appui de la décision définitive en réponse à la présente demande.

 

            A. La mise au point du produit EMpowerplus

[12]           Spécialiste en nutrition animale, M. Hardy a découvert qu’en fournissant certains nutriments aux porcs, on atténuait leur syndrome de morsure des oreilles et de la queue. M. Hardy a observé que certains comportements chez les humains, comme l’hyperirritabilité et certains symptômes associés au trouble bipolaire, étaient semblables à ce qu’il avait observé chez les porcs, et il s’est dit qu’en fournissant certains nutriments aux humains, on pourrait également atténuer leurs symptômes.

 

[13]           En 1995, M. Anthony Stephan, également cofondateur de TrueHope, a demandé conseil à M. Hardy au sujet des traitements à prodiguer à ses enfants souffrant de troubles de santé mentale : sa fille Autumn souffrant de troubles délirants et était suicidaire, et son fils Joseph souffrait d’accès de rage incontrôlables. Comme M. Hardy avait eu une expérience positive en traitant des porcs dont le comportement similaire était attribué à une carence nutritionnelle, ils ont soumis Autumn et Joseph à un régime de nutriments en vente libre. La santé mentale des deux s’est améliorée.

 

[14]           En 1996, l’utilisation de nutriments pour aider les gens aux prises avec des problèmes de santé mentale ayant donné des résultats positifs, MM. Hardy et Stephan ont entrepris d’élaborer le programme Quad, un protocole de traitement à l’aide de suppléments de vitamines et de minéraux nutritifs. En 1996, MM.  Hardy et Stephan ont créé la société Synergy Group of Canada Inc. (Synergy) en vue de promouvoir les recherches du programme Quad et d’en observer les résultats. Une étude du programme Quad réalisée à l’Université de Lethbridge et à l’Université de Calgary a révélé qu’en raison du manque d’uniformité des suppléments minéraux, les personnes qui suivaient le protocole ne faisaient pas de progrès. MM. Hardy et Stephan ont alors cherché à améliorer le programme Quad et l’ont fait en mettant au point un seul produit uniforme, l’EMpowerplus.

 

[15]           En 1998, le fils et la fille de M. Hardy ont commencé à suivre le programme Quad : pour son fils Landon, il s’agissait de traiter sa schizophrénie et des épisodes psychotiques, et pour sa fille Cherilea, il s’agissait de traiter une psychose postpartum après la naissance de son premier enfant. Les deux ont bénéficié du traitement et continuent d’utiliser EMpowerplus à des fins thérapeutiques.

 

[16]           En 1999, MM. Hardy et Stephan ont créé TrueHope, un programme visant à aider les usagers d’EMpowerplus. Un trait essentiel du programme TrueHope tient au fait qu’EMpowerplus n’est vendu qu’aux personnes qui acceptent de s’y inscrire et que le produit n’est offert en vente qu’aux usagers inscrits au programme.

 

[17]           Ce mode de gestion s’explique par le fait qu’EMpowerplus oblige les usagers à réduire ou à éliminer complètement leur prise de médicaments psychiatriques au motif que la transition des médicaments psychiatriques à EMpowerplus ferait réapparaître temporairement les symptômes de troubles mentaux. Cette transition étant préoccupante pour la sécurité des nouveaux usagers, TrueHope les aident à s’adapter à EMpowerplus en leur offrant des services de counseling et de gestion des nutriments. TrueHope fournit aussi le soutien constant d’une équipe de spécialistes qui supervisent les participants et fournissent une formation aux psychiatres et aux médecins pour qu’ils aident leurs patients à s’adapter à EMpowerplus.

 

[18]           La mise au point d’EMpowerplus a commencé aux États-Unis en collaboration avec des partenaires américains. À la fin de 2002, TrueHope a déménagé son programme de soutien à Raymond (Alberta), et l’entreprise partenaire de TrueHope, Synergy, a commencé à être utilisée comme société génératrice de revenus pour gérer les ventes d’EMpowerplus. À tous les moments pertinents pour les saisies en question, les produits étaient entreposés et distribués aux États-Unis par l’intermédiaire de la société Pharos DTB LL (Pharos), dans l’État de l’Utah, et ils étaient fabriqués aux États-Unis. Il est cependant incontesté qu’EMpowerplus était vendu aux usagers au Canada par Synergy, qui mettait le produit en vente sur le site Internet de TrueHope comme traitement contre les troubles mentaux.

 

[19]           Au moment des saisies, les pratiques de vente étaient les suivantes : Synergy recevait les commandes des personnes qui avaient composé un numéro sans frais annoncé sur le site Internet de TrueHope; les commandes étaient acheminées à Pharos qui les remplissait; Pharos les envoyait à Synergy au Canada par United Parcel Service (UPS) à titre de courtier en douane; pour économiser les frais de transport, de nombreuses commandes étaient regroupées en un même envoi, mais chaque envoi contenait des paquets séparés comportant chacun une facture et qui étaient adressés aux usagers de TrueHope; une fois au Canada, chaque paquet était livré à chacun des usagers par UPS.

 

[20]           Le fait que TrueHope offre EMpowerplus en vente au Canada pour traiter des troubles mentaux s’est révélé très litigieux pour Santé Canada.

 

B. La mesure d’exécution de Santé Canada et la réponse de TrueHope

[21]           Il n’est pas contesté qu’en 2003, Truehope offrait EMpowerplus en vente au Canada grâce à son site Internet sans l’autorisation requise de Santé Canada. Il n’est pas contesté non plus que les saisies en question sont le résultat direct de l’omission par TrueHope de se conformer à l’ordre donné par Santé Canada, dans un premier temps en 2001, de mettre fin à sa pratique non autorisée. Par conséquent, outre la contestation au titre de la Charte de la présente demande, il ne fait aucun doute que Santé Canada avait de bons motifs juridiques pour effectuer les saisies en raison des manquements à la LAD et à ses règlements d’application, tels qu’ils existaient en 2003.

 

[22]           Comme les motifs des saisies ne sont pas contestés, il n’est pas nécessaire de s’étendre sur les différentes dispositions de la LAD et de ses règlements, applicables aux  saisies. Ces dispositions sont en fait bien résumées dans la lettre d’avertissement de Santé Canada du 27 avril 2001 dans laquelle l’inspecteur de Santé Canada, M. Miles E. Brosseau, informait Synergy qu’elle contrevenait à la loi :

[traduction]

 

M. Anthony Stephan

Synergy Group of Canada, Inc.

635 – 2nd Avenue West

Cardston (Alberta) T0K 0K0

À l’attention de M. Stephan

 

OBJET : AVERTISSEMENT - Violation des paragraphes 3(1), 3(2), 9(1) et 9(2), et des articles C.01.003, C.01.005, C.01.004.1, C.01.014(1), C.01A.004.(1), C.08.002 et C.08.005 de la LOI ET DU RÈGLEMENT SUR LES ALIMENTS ET DROGUES ET .

-----------------------------------------------------------------------------------

Il appert que Synergy Group of Canada Inc. annonce et vend le médicament non approuvé « E.M.Power » sur votre site Internet www.truehope.com.

 

Le site Internet sollicite la participation à un programme d’essais cliniques et cherche à attirer l’attention de parents ayant des enfants souffrant de maladie mentale au moyen d’affirmations comme [traduction] « trouver l’espoir véritable dans le désespoir ». Le produit est proposé pour l’étude et le traitement de troubles graves tels les troubles anxieux, les crises de panique, les troubles affectifs bipolaires, la fibromyalgie, la schizophrénie, les troubles d’hyperactivité avec déficit de l’attention, la dépression clinique, le syndrome de Tourette, etc. qui ne se prêtent pas à l’autodiagnostic ou à l’autosurveillance.

 

Il est jugé que les activités de Synergy Group of Canada Inc. enfreignent les dispositions mentionnées en objet, et la conformité aux exigences réglementaires est requise.

 

La vente et l’annonce d’une drogue, et en l’occurrence d’une drogue nouvelle, avant l’attribution d’un avis de conformité (AC) et d’un numéro d’identification du médicament (DIN), contreviennent au paragraphe C.01.014(1) et à l’article C.08.002.

 

E.M.Power n’a pas reçu de DIN ou d’AC pour l’une ou l’autre des indications pour lesquelles il est vendu et annoncé, et n’est pas étiqueté correctement. Par conséquent, la vente ou l’annonce frauduleuse, trompeuse et mensongère de cette drogue non approuvée et mal étiquetée contrevient aux paragraphes 9(1) et 9(2) et aux articles C.01.003, C.01.004.01 et C.01.005.

 

Aussi, la commercialisation d’E.M.Power pour des maladies énumérés à l’annexe A contrevient aux paragraphes 3(1) et 3(2).

 

En application du paragraphe C.01A.004(1), il est interdit de distribuer une drogue au Canada sans être titulaire d’une licence d’établissement.

 

Vous avez déjà été avisé [dans une lettre du 20 octobre 2000] qu’aux termes de la Loi et du Règlement sur les aliments et drogues une présentation de drogue nouvelle de recherche (DNR) doit être produite pour évaluation avant de procéder à un essai clinique. Si l’examen de l’essai clinique proposé s’avérait satisfaisant, une lettre d’autorisation serait émise. Le défaut de produire une présentation de drogue nouvelle en lien avec une recherche effectuée avec E.M. Power contrevient à l’article C.08.005.

 

Une copie des définitions, de l’annexe A et des dispositions enfreintes est jointe pour votre information. Je vous conseillerais de communiquer cette information aux parties intéressées (les administrateurs de la société, les experts cliniques, le fabricant et les assistants de recherche de Synergy).

 

Il est impératif de mettre immédiatement fin à la vente et à la distribution du produit E.M.Power ainsi qu’à toute forme de publicité et de recherche s’y rapportant. Je vous demande de me confirmer par écrit, d’ici le 31 mai 2001, que les activités en contravention de la loi ont cessé et que Synergy Group of Canada Inc. se conformera à la Loi et au Règlement sur les aliments et drogues.

 

Si vous avez des questions ou souhaitez des précisions, veuillez appeler […]

 

[Souligné dans l’original.]

 

(Dossier des défendeurs, vol. 2, p. 382)

 

[23]           Les principales dispositions de la LAD évoquées dans la lettre du 27 avril 2001 sont les suivantes :

Aliments, drogues, cosmétiques

et instruments

 

Foods, drugs, cosmetics and

devices

 

 3. (1) Il est interdit de faire, auprès du grand

public, la publicité d’un aliment, d’une drogue,

d’un cosmétique ou d’un instrument à titre de

traitement ou de mesure préventive d’une maladie,

d’un désordre ou d’un état physique anormal

énumérés à l’annexe A ou à titre de moyen de guérison.

(2) Il est interdit de vendre à

titre de traitement ou de mesure préventive d’une maladie,

d’un désordre ou d’un état

physique anormal énumérés à l’annexe A, ou à titre de moyen de guérison, un aliment, une drogue, un cosmétique

ou un instrument :

a) représenté par une étiquette;

b) dont la publicité a été faite auprès du grand public par la personne en cause.

 

3. (1) No person shall advertise any food, drug, cosmetic or device to the general public

as a traitement, preventative or cure for any of the diseases, disorders or abnormal physical

states referred to in Schedule A.

(2) No person shall sell any food, drug, cosmetic or device

(a) that is represented by label, or

(b) that the person advertises to the general Public as a traitement, preventative or cure for any of the diseases, disorders or abnormal physical

states referred to in Schedule A.

 

 

[…]

 

 

Drogues

 

Drugs

 

9. (1) Il est interdit d’étiqueter, d’emballer, de traiter, de préparer ou de vendre une drogue — ou d’en faire la publicité — d’une manière

fausse, trompeuse ou mensongère ou susceptible de créer une fausse impression quant à sa nature, sa valeur, sa quantité, sa composition,

ses avantages ou sa sûreté

(2) La drogue qui n’est pas étiquetée ou emballée

ainsi que l’exigent les règlements ou dont l’étiquetage ou l’emballage n’est pas conforme aux règlements est réputée contrevenir

au paragraphe (1).

 

 

9. (1) No person shall label, package, treat, process, sell or advertise any drug in a manner

that is false, misleading or deceptive or is likely to create an erroneous impression regarding its character, value, quantity, composition, merit

or safety.

(2) A drug that is not labelled or packaged as required by, or is labelled or packaged contrary

to, the regulations shall be deemed to be labelled or packaged contrary to subsection (1).

 

 

 


[24]           Les pouvoirs d’exécution de Santé Canada sont énoncés au paragraphe 23(1) et à l’article 26 de la LAD :

23. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), l’inspecteur peut, à toute heure convenable, procéder à la visite de tout lieu où, à son avis, sont fabriqués, préparés, conservés, emballés ou emmagasinés des articles visés par la présente

loi ou ses règlements. Il peut en outre :

 

a) examiner ces articles et en prélever des échantillons, et examiner tout objet qui, à son

avis, est utilisé — ou susceptible de l’être —

pour la fabrication, la préparation, la conservation, l’emballage ou l’emmagasinage de semblables articles;

 

a.1) procéder à la visite de tout moyen de transport qui, à son avis, est utilisé pour le transport d’un article visé par l’article 6 ou 6.1, examiner l’article qui s’y trouve et en prélever des échantillons;

 

 

b) ouvrir tout contenant ou emballage qui, à son avis, contient un article visé par la présente loi ou ses règlements;

 

 

 

[…]

 

d) saisir et retenir aussi longtemps que nécessaire tout article qui, à son avis, a servi ou donné lieu à une infraction à la présente loi ou à ses règlements. L’avis de l’inspecteur doit dans tous les cas être fondé sur des motifs raisonnables.

 

[…]

23. (1) Subject to subsection (1.1), an inspector may at any reasonable time enter any place where the inspector believes on reasonable grounds any article to which this Act or the regulations apply is manufactured, prepared, preserved, packaged or stored, and may

 

(a) examine any such article and take samples thereof, and examine anything that the

inspector believes on reasonable grounds is

used or capable of being used for that manufacture, preparation, preservation, packaging or storing;

 

 

(a.1) enter any conveyance that the inspector believes on reasonable grounds is used to carry any article to which section 6 or 6.1 applies and examine any such article found therein and take samples thereof;

 

(b) open and examine any receptacle or package that the inspector believes on reasonable grounds contains any article to which this Act or the regulations apply;

 

[…]

 

(d) seize and detain for such time as may be necessary any article by means of or in relation to which the inspector believes on reasonable

grounds any provision of this Act or the regulations has been contravened

 

 

[…]

26. L’inspecteur, après avoir constaté que les dispositions de la présente loi et de ses règlements applicables à l’article qu’il a saisi en vertu de la présente partie ont été respectées, donne mainlevée de la saisie.

 

26. An inspector who has seized any article under this Part shall release it when he is satisfied that all the provisions of this Act and the regulations

with respect thereto have been complied with.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

 

 

 

 

[25]           Durant les événements qui ont mené à la présente demande, Santé Canada a aussi exprimé son inquiétude quant à la sécurité de la composition d’EMpowerplus et à sa conformité au Règlement sur les aliments et drogues. Il est convenu que cette inquiétude n’est pas pertinente par rapport à la présente demande.

 

1. Événements ayant mené aux saisies

[26]           La lettre d’avertissement du 27 avril 2001 de Santé Canada est l’événement principal qui a créé le rapport d’opposition dans lequel Santé Canada a tenté d’obtenir la conformité de TrueHope, et à laquelle TrueHope s’est objectée.

[27]           En réponse à la lettre du 27 avril 2001, MM. Hardy et Stephan ont communiqué avec M. Dennis Shelley et M. Rob Neske de Santé Canada par conférence téléphonique afin de discuter des questions soulevées dans la lettre. Après la téléconférence, MM. Hardy et Stephan ont envoyé une lettre à M. Shelley en date du 17 juin 2002 expliquant les mérites de leurs activités et exprimant leur souhait [traduction] « que cette lettre ne soit que le début d’un dialogue continu avec vous et tous ceux au gouvernement qui peuvent avoir à cœur la santé et le bien-être des Canadiens, surtout de ceux qui soufrent des stigmates de la maladie mentale ». La lettre était accompagnée de lettres d’appui de plus de 200 participants de TrueHope ainsi que de lettres et d’articles de psychiatres soulignant les effets « significatifs » d’EMpowerplus sur les usagers. Toutefois, la cinquième page de la lettre contient ce qui suit :

 

[traduction]

 

Bien sûr, Synergy – Truehope ne demande pas l’approbation de son produit, mais plutôt l’élimination des obstacles empêchant que cette recherche critique progresse.  La législation ne devrait jamais servir de prétexte pour prolonger la souffrance humaine et protéger les intérêts acquis d’une petite minorité, si puissante puisse-t-elle paraître.

[…]

À notre avis, nous ne devrions pas avoir à mettre le gouvernement ou l’un de ses ministères dans  pour obtenir la confirmation que l’on nous écoute dans cette demande. Et nous croyons que nous ne devrions pas être obligés d’attiser la grogne de milliers de familles canadiennes qui continuent jusqu’à ce jour à être vexées par l’action ou l’inaction du gouvernement dans cette affaire.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 3, p. 705)

 

[28]           Santé Canada a répondu à la lettre de juin 2002 dans une lettre rédigée par M. Shelly en date du 4 décembre 2002. M. Shelly a confirmé  de nouveau que Synergy et TrueHope continuaient  de contrevenir à LAD et son Règlement,   déclarant que [traduction] « Synergy/Truehope doit immédiatement cesser toute vente, offre ou exposition en vue de la vente ainsi que toute promotion ou publicité de E.M.Power+ ». La lettre se termine en disant que [traduction] « la conformité à la LAD est demandée au plus tard à la fermeture des bureaux le 18 décembre 2002 » (Dossier des défendeurs, vol. 2, p. 390).

 

[29]           MM. Hardy et. Stephan ont répondu par une lettre en date du 10 décembre 2002 dans laquelle ils indiquent avoir eu des conversations téléphoniques avec M. Shelly les 9, 10 et 11 décembre, et confirment qu’ils assisteront à une rencontre avec lui le 14 janvier 2003 aux bureaux de Santé Canada à Burnaby (C.-B.). Ils ont aussi déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

 

[…]

 

À la lumière du contenu de votre lettre du 4 décembre 2002, nous répétons que nous n’avons pas l’intention de contrevenir à la loi. Nous sommes très perplexes, car nous avons demandé à votre ministère (veuillez vous référer à notre lettre du 17 juin) des éclaircissements sur ce qui serait acceptable, et n’avons reçu en réponse qu’une ordonnance de cessation et d’abstention d’une pratique. Nos efforts en vue de l’établissement d’un dialogue constructif avec votre ministre, sollicité dans trois demandes écrites jusqu’à maintenant et dans au moins une douzaines d’appels téléphoniques, sont également demeurés sans réponse. Nous sommes donc très heureux de pouvoir vous rencontrer.

 

Dans le deuxième paragraphe de votre lettre, vous indiquez que nous avons un site Internet canadien. Veuillez prendre note qu’il n’y a pas de site Internet canadien. Le site Internet est maintenant exploité aux États-Unis par une société américaine.

 

Vous affirmez aussi que nous contrevenons à la loi. Comme nous vous l’avons déjà expliqué, nous estimons que nous n’enfreignons pas la Loi sur les aliments et drogues. Nous vous avons présenté la


jurisprudence qui indique que nous ne vendons pas un produit visé par l’art. 2 de la Loi sur les aliments et drogues.

 

[…]

(Dossier des demandeurs, vol. 3, p. 932)

 

[30]           La rencontre a effectivement eu lieu le 14 janvier 2003, à laquelle ont assisté MM. Hardy, Stephan, Shelley et Brosseau, ainsi que Mme Lorill Zandberg, une participante de TrueHope et utilisatrice d’EMpowerplus. Un rapport rédigé par Miles Brosseau après la rencontre explique ce dont il a été discuté. Lors de la rencontre, MM. Stephan et Hardy ont dit souhaiter se conformer à la LAD en ce qui a trait à la vente de leur produit, mais ils ont aussi exprimé leur frustration devant la réponse donnée par Santé Canada à leur demande d’aide en vue d’assurer leur conformité. Ils ont aussi exprimé leurs inquiétudes au sujet des mesures dilatoires entravant les essais cliniques d’EMpowerplus. Ils ont également demandé une exemption ministérielle pour leur produit, ajoutant qu’ils avaient tenté de communiquer avec la ministre à cet effet, sans succès. Mme Zandberg assistait à la rencontre pour décrire l’expérience décevante qu’elle avait eue avec les médicaments psychiatriques qui lui avaient été prescrits et expliquer comment son état s’était amélioré depuis qu’elle faisait usage d’EMpowerplus. Les modalités entourant les transactions et la vente d’EMpowerplus ont été abordées. Mme Zandberg a expliqué qu’elle [traduction] « payait le produit par chèque fait à l’ordre de Synergy » et que [traduction] « M. Stephan a déclaré que depuis novembre 2002, les chèques pour le produit sont faits à l’ordre de Synergy Group of Canada » (Dossier des défendeurs, vol. 2, p. 393).

 

[31]           Les représentants de Santé Canada qui assistaient à la rencontre ont demandé à MM. Hardy et à Stephan de s’engager explicitement à se conformer à la législation et à cesser la vente de leur produit au Canada. Ils ont aussi suggéré que « Synergy / Truehope » déplace ses activités aux États-Unis. À la fin de la rencontre, M. Stephan a demandé un délai de sept à dix jours pour préparer et présenter un plan d’action (Dossier des défendeurs, vol. 2, p. 394).

 

[32]           À la suite de la rencontre du 14 janvier 2003, M. Hardy a téléphoné à M. Shelley et lui a dit que TrueHope ne serait pas en mesure de se conformer au Règlement, qu’il était frustré et souhaitait mettre ses pensées par écrit. Il a demandé à M. Shelley s’il pouvait envoyer ses pensées par écrit à Ottawa et M. Shelley a répondu qu’il le pouvait (Dossier des demandeurs, vol. 2, para. 91). Ainsi, l’étape suivante dans la relation a pris la forme d’une « lettre ouverte » rédigée par MM. Hardy et Stephan en date du 6 mars 2003 sur le papier à entête de TrueHope et adressée à M. Neske de Santé Canada :

 

[traduction]

 

LETTRE OUVERTE À SANTÉ CANADA

 

Le 6 mars 2003

 

M. Rod Neske, agent de conformité

Santé Canada

Inspectorat de la Direction générale des produits de santé et des aliments

3155, Willingdon Green

Burnaby (C.-B.)

V5G 4P2

 

Monsieur,

 

Il semble que notre lettre en date du 17 juin 2002 adressée à M. Shelly en vue d’obtenir des éclaircissements, et dont copies ont été envoyées à votre ministre et au directeur général Phil Waddington (BPSN), a été complètement ignorée car nous n’avons reçu aucune réponse que ce soit. De plus, nous avons envoyé trois lettres à votre ministre et fait plus de vingt appels téléphoniques consignés auxquels nous n’avons également pas reçu de réponse.

 

Néanmoins, à la suite de notre rencontre du 14 janvier 2003 à Burnaby (C.-B.) avec M. Dennis Shelly et M. Miles Brosseau de l’inspectorat, nous vous faisons parvenir les renseignements suivants.

 

M. Shelly a reconnu que les communications avec nous n’ont pas été traitées correctement et nous a demandé de mettre par écrit nos préoccupations et de les lui transmettre.

 

C’est en continuant d’espérer recevoir une réponse détaillée à nos préoccupations que nous vous les transmettons.

 

Sincèrement,

 

Anthony F. Stephan                  David L. Hardy

Cofondateur                             Cofondateur

 

cc. L’honorable Anne McLellan, ministre de la Santé

 

Pièce jointe : 6 pages

 

[La pièce jointe]

 

AVANT-PROPOS

 

Truehope Nutritional Support Ltd. est une société albertaine qui a mis au point un protocole en vue de traiter des carences nutritionnelles qui sont de toute évidence la cause de certains troubles mentaux. L’efficacité du protocole est confirmée par trois articles révisés par des pairs publiés dans des revues médicales, ainsi que par un certain nombre d’études à paraître. L’observation expérientielle de nombreux médecins dans le monde de même que plus de 2500 études publiées démontrant l’influence positive des nutriments sur les troubles mentaux ajoutent également du poids à la preuve scientifique à l’appui de la découverte. Truehope offre un soutien gratuit aux personnes souffrant de maladie mentale grâce au téléphone et à Internet, et fournit gratuitement des nutriments aux malades qui ne peuvent se les payer. Plus de quatre mille personnes au Canada ont été rejointes grâce à ce système de soutien. Plusieurs de ces personnes ont pu retrouver une vie normale auprès de leur famille, dans leur carrière ou dans la poursuite de leurs études. Même si le supplément n’a pas fonctionné chez tous ceux qui l’ont essayé, un nombre croissant de participants y trouvent un soulagement complet de leurs symptômes.

 

 

1. SITUATION ACTUELLE : Les travaux effectués pendant sept ans par Truehope à la recherche d’une réponse aux causes des troubles mentaux ainsi que les recherches indépendantes mais parallèles qui ont suivi ont clairement démontré qu’en s’attaquant aux carences nutritionnelles, on atténuait les symptômes de la maladie mentale [notes de bas page omises]. Nos résultats vont dans le même sens qu’un mouvement mondial visant à traiter la maladie mentale grâce à des remèdes naturels, un sujet qui suscite beaucoup d’intérêt en Amérique du Nord (Note : la toute première conférence sur le traitement des troubles mentaux grâce à des suppléments nutritifs aura lieu à l’Université Harvard du 25 au 27 avril 2003.)

 

PRÉOCCUPATION: Il est évident qu’un ministère du gouvernement chargé de veiller à la santé des Canadiens devrait être intéressé à favoriser, accélérer et aider de telles recherches si manifestement importantes pour la santé des Canadiens. Plutôt que d’examiner et de confirmer nos percées dans la recherche, Santé Canada a criminalisé à la fois les efforts de Truehope et ceux des chercheurs universitaires. Une étude à double insu financée par le gouvernement de l’Alberta a été annulée à l’Université de Calgary, et Truehope a reçu une ordonnance de cessation et de désistement. Les employés de Santé Canada ont démontré leur parti pris dans les commentaires qu’ils ont formulés au moment de retourner les demandes d’essais cliniques de l’université ainsi que dans leurs propres communications internes, par exemple en nous appelant « TRUEDOPE ». Santé Canada a de plus violé les droits de la protection des renseignements personnels de Truehope et des ses fondateurs en divulguant des renseignements confidentiels à des tiers, sans respecter les règles de la législation sur l’accès à l’information. Santé Canada veut-il vraiment améliorer l’accès aux soins de santé de tous les Canadiens? Respecte-t-il vraiment la liberté universitaire au Canada ainsi que les droits des citoyens canadiens?

 

2. SITUATION ACTUELLE : Santé Canada a délivré une ordonnance de cessation et de désistement à Truehope qui dans les faits empêche tous les Canadiens d’avoir accès à notre supplément.

 

PRÉOCCUPATION: Pour des centaines de Canadiens qui ont retrouvé leur santé mentale grâce au programme de Truehope, cette action les prive de leur droit à la santé garanti par la Charte des droits et libertés et les force à s’en remettre à des médicaments moins efficaces et plus dangereux (des médicaments qui créent manifestement une dépendance ou qui augmentent dramatiquement les risques de cancer ou d’insuffisance hépatique ou rénale, par exemple. Voir PRÉOCCUPATION no 7). S’agit-il d’une action responsable de la part ceux qui sont chargés de garantir la santé des Canadiens?

 

3. SITUATION ACTUELLE : Santé Canada se sert de l’annexe A et des paragraphes 3(1) et 3(2) de la désuète Loi sur les aliments et drogues pour éliminer les traitements de rechange qui atténuent efficacement différents problèmes de santé.

 

PRÉOCCUPATION : Plus d’un million de consommateurs canadiens ont envoyé un message non équivoque au gouvernement en 1997, disant clairement qu’on ne pouvait plus invoquer l’annexe A et les paragraphes 3(1) et 3(2) de l’archaïque Loi sur les aliments et drogues pour nier la liberté des Canadiens en matière de santé, ou conférer à des aliments le statut de drogue. Le gouvernement a réagi en novembre 1998 en créant le Comité permanent de la santé qui a sollicité les commentaires des citoyens partout au pays avant de formuler 53 recommandations de changement. Ces recommandations ont été déposées devant le la Chambre des communes et ont été acceptées le 26 mars 1999 par le ministre de la Santé, l’honorable Allan Rock, au nom du Parlement [note de bas de page omise]. À la suite de cette démarche, le gouvernement a formé l’équipe de transition du Bureau des produits de santé naturels (un comité d’experts formés de représentants de Santé Canada, de consommateurs et de groupes de consommateurs), et il a accepté son rapport du 31 mars 2000 qui clarifie et étoffe les 53 recommandations [note de bas de page omise]. Une partie importante du rapport de l’équipe de transition se présente ainsi :

 

Les produits de santé naturels : Une nouvelle vision

 

L’article 3 et l’annexe A (actuels)

 

3(1) Il est interdit de faire, auprès du grand public, la publicité d'un aliment, d'une drogue, d'un cosmétique ou d'un instrument à titre de traitement ou de mesure préventive d'une maladie, d'un désordre ou d'un état physique anormal énumérés à l'annexe A ou à titre de moyen de guérison.


3(2) Il est interdit de vendre à titre de traitement ou de mesure préventive d'une maladie, d'un désordre ou d'un état physique anormal énumérés à l'annexe A, ou à titre de moyen de guérison, un aliment, une drogue, un cosmétique ou un instrument :

a) représenté par une étiquette;

b) dont la publicité a été faite auprès du grand public par la personne en cause.

 

Au sujet de ces dispositions de la Loi, l’équipe de transition fait le commentaire suivant :

 

« Les paragraphes 3(1) et 3(2) ainsi que l'annexe A de la Loi sur les aliments et drogues ne sont plus pertinents. Ils ne jouent aucun rôle qui ne peut être rempli convenablement par d'autres articles de la loi ou de son règlement.

 

Plus important encore, l'annexe ne reflète pas une réflexion scientifique contemporaine. Le poids des preuves scientifiques contemporaines confirme l'atténuation et la prévention de nombreuses maladies et de nombreux troubles cités dans l'annexe A, au moyen de l'utilisation judicieuse des PSN. Il est temps que les lois et les règlements reflètent la science actuelle.

L'alinéa 30(1)m) de la Loi accorde le pouvoir d'ajouter ou de retrancher n'importe quel élément des annexes de la Loi.

L'Équipe de transition recommande que :

L'on se prévaille du paragraphe 30(1) de la Loi sur les aliments et drogues afin de retrancher toutes les maladies contenues dans l'annexe A; les paragraphes 3(1) et 3(2) devraient être abolis au moyen de l'initiative du renouveau législatif ».

 

On a ensuite confié à Santé Canada la tâche de traduire ces recommandations de l’équipe de transition dans la loi en les publiant dans la Gazette 1 du 22 décembre 2001 et dans la Gazette 2 du 22 juin 2003. De scandaleuses omissions dans la Gazette 1, comme celle de l’élimination recommandée de l’annexe A et des paragraphes 3(1) et 3(2) de la Loi, et les efforts soudainement renouvelés de Santé Canada pour appliquer sélectivement et injustement ces dispositions démontrent clairement son refus d’accepter l’esprit et l’intention de ces recommandations. Il est en effet difficile de ne pas voir en cela une tentative de la part de certains fonctionnaires de Santé Canada de se substituer à la loi et d’écarter la volonté des Canadiens en adoptant leurs propres règles, au mépris du processus parlementaire. Leurs actions contredisent clairement l’intention expresse du Parlement et soulèvent encore une fois la colère des groupes de consommateurs partout au pays. Santé Canada en sait-il davantage au sujet de l’intention du gouvernement sur cette question que ce qu’il veut bien nous dire?

 

4. SITUATION ACTUELLE : Santé Canada impose des sanctions à ceux qui disent la vérité au sujet de l’efficacité des suppléments nutritifs et autres médecines douces.

 

PRÉOCCUPATION: Les déclarations véridiques au sujet de l’efficacité des traitements non pharmaceutiques, mais qui sont clairement confirmées par des preuves scientifiques, relèvent du droit de tous les Canadiens de s’exprimer en vertu du droit constitutionnel. Santé Canada est en porte-à-faux par rapport à la garantie constitutionnelle de la « liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication » [notes de bas de page omises]. Le temps n’est-il pas venu de considérer ces droits (énoncés dans la Déclaration canadienne des droits et la Charte canadienne des droits et libertés) comme inviolables, et de modifier toutes nos vieilles lois afin qu’elles s’y conforment [note de bas de page omise]? En lien avec une considération constitutionnelle similaire, si l’on juge inconstitutionnel le fait de nier le droit des Canadiens d’utiliser la marihuana (une substance réglementée) à des fins médicinales, pourquoi Santé Canada pourrait-il nier le droit des Canadiens d’utiliser des vitamines et des minéraux aux mêmes fins? [Notes de bas de page omises]

 

5. SITUATION ACTUELLE : Santé Canada soutien la position indéfendable de permettre, en vertu de l’ALÉNA, que des produits soient vendus au Canada sans avoir de DIN, mais refuse aux Canadiens le droit de produire et de vendre ces mêmes produits au Canada.

 

PRÉOCCUPATION : Une telle action est une gifle à la figure des Canadiens pour qui il s’agit clairement d’une tentative de légitimer une pratique commerciale déloyale, en permettant à des étrangers de s’accaparer un marché canadien. Plusieurs de produits interdits à la vente au Canada sont vendus dans les supermarchés aux États-Unis. Le fait que ces produits puissent être importés au Canada pour usage personnel indique qu’ils ne posent pas de problème pour la santé, mais que Santé Canada participe plutôt à une pratique commerciale discriminatoire qui outrepasse son mandat. De plus, l’application sélective de ce règlement discriminatoire est la preuve qu’il ne peut pas être administré d’une manière juste et équitable. Comment Santé Canada peut-il soutenir une telle politique?

 

6. SITUATION ACTUELLE : Santé Canada rend difficile sinon impossible la poursuite des recherches universitaires au Canada sur des produits qui ne posent aucun problème de santé.

 

PRÉOCCUPATION : Santé Canada viole les droits constitutionnels des Canadiens en entravant la liberté de la recherche universitaire et les avantages éventuels de cette recherche pour la santé et le bien-être de tous les Canadiens. Il a réussi à mettre fin à une étude à double insu sur des vitamines et des minéraux à l’Université de Calgary qui démontrait les impressionnants bénéfices des suppléments nutritifs pour atténuer les troubles psychiatriques. Il a aussi retardé cette recherche pendant plus d’un an et demi. Ses tentatives en vue de museler les efforts de sensibilisation du public sur des découvertes aussi importantes constituent une autre violation des droits constitutionnels ainsi qu’une pratique discriminatoire pour les personnes souffrant de déficience mentale [note de bas de page omise]. (Le paragraphe 15(1) de la Charte énonce expressément : « La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques »). Il faut se demander pourquoi Santé Canada s’est donné pour mission de bouter ces recherches hors du pays alors que les Canadiens s’attendraient au contraire à ce que Santé Canada favorise et donne de l’ampleur à de telles recherches si pleines de promesses?

 

7. SITUATION ACTUELLE : Santé Canada informe de façon inadéquate le public de l’inefficacité et des importants dangers des médicaments psychiatriques.

 

PRÉOCCUPATION : Cette réalité est la raison même de l’existence de Truehope. Nous avons examiné le système actuel de traitement des personnes souffrant de maladie mentale, et il n’est pas étonnant qu’un aussi grand nombre d’entre elles cherchent en vain de l’aide. . Des centaines d’études au cours de vingt dernières années ont démontré la nature toxicomanogène et les effets cancérigènes de nombreux médicaments [notes de bas de page omises]. (Note : les auteurs ont plus de 400 études démontrant les effets toxicomanogènes et cancérigènes de médicaments psychiatriques communs). Santé Canada continue de faire fi des recherches modernes qui dévoilent ces réalités, et les médicaments deviennent donc une partie importante du problème alors que de nombreux Canadiens courent des risques accrus en raison de l’inaction de Santé Canada. Nous vous avons avisé de cela dans notre lettre du 17 juin 2002, et aucune mesure n’a été prise pour réduire le risque pour les Canadiens. Dans le cas d’un organisme public censé protéger et améliorer la santé et le bien-être des Canadiens, on pourrait dire qu’il s’agit d’un acte criminel ou d’un « abus de confiance par un fonctionnaire public » au sens de l’article 122 du Code criminel du Canada. Peut-on dire qu’il s’agit d’un geste responsable de la part de ceux à qui est confiée la responsabilité de veiller à la santé et au bien-être de tous les Canadiens?

 

8. SITUATION ACTUELLE : Truehope existe parce qu’elle se bat littéralement pour la santé et le bien-être des membres de la famille de ses deux cofondateurs et de ses employés. Nous avons demandé des éclaircissements sur ces questions à Santé Canada et à la ministre de la Santé, sans jamais avoir obtenu de réponse autre qu’une ordonnance de cessation et de désistement.

 

PRÉOCCUPATION : Qui assumera la responsabilité des problèmes énoncés plus haut? La présente lettre, comme toutes les autres adressées à Santé Canada, demeurera-t-elle sans réponse? Qui va aborder de front la réalité du traitement des maladies mentales au Canada?

 

CONCLUSION
En résumé, il est clair que nos travaux doivent aller de l’avant. Avec preuves à l’appui, nous exigeons donc que l’ordonnance de cessation et de désistement que vous nous avez délivrez soit annulée immédiatement. Mais surtout, nous exigeons que vous permettiez aux recherches concernant notre produit de se poursuivre sans entrave, comme sur tous les autres produits similaires dont l’innocuité est bien établie. Ces nutriments ne sont pas des drogues et nous, comme des centaines de milliers de Canadiens, exigeons que vous cessiez de les considérer comme telles.

 

[Références des notes de bas de page omises]

[Souligné dans l’original]

 

(Dossier des demandeurs, vol. 3, pp. 937 à 943)

 

[33]           En réponse à la « lettre ouverte », MM. Hardy et Stephan ont reçu la lettre reproduite plus bas de l’adjointe exécutive de la ministre de la Santé, Anne McLellan, en date du 26 mars 2003 :

 

[traduction]

 

M. Anthony F. Stephan

M. David L. Hardy

Cofondateurs

Truehope Nutritional Support Ltd.

C.P. 1254

Cardston (Alberta) T0K 0K0

 


Messieurs,

 

Au nom de l’honorable A. Anne McLellan, j’aimerais accuser réception de la correspondance et des communications que vous et des représentants de votre entreprise nous avez fait parvenir concernant EM-Power - Truehope et Synergy.

 

Des mesures d’application de la loi sont actuellement prises en ce qui concerne la vente de drogues par votre compagnie. Il est donc malvenu pour la Ministre ou un membre de son cabinet de discuter des questions que vous soulevez. La prise de décisions réglementaires est une activité déléguée à des fonctionnaires du ministère. Veuillez noter qu’à compter de la date de la présente, toute nouvelle communication de cette nature, par téléphone, télécopieur ou courriel, sera transmise directement au fonctionnaire compétent pour qu’il y réponde. Vous ne recevrez aucune réponse du cabinet de la Ministre.

 

À titre d’information, je joins une liste de fonctionnaires régionaux avec qui vous pourriez correspondre concernant les mesures d’exécution des règlements. Je joins aussi une liste de fonctionnaires avec qui vous pourriez vouloir communiquer pour obtenir des renseignements de nature générale concernant les autorisations de commercialisation, les licences d’établissement et les essais cliniques.

 

Tous les fabricants, distributeurs et importateurs de drogues doivent respecter les exigences de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements d’application. Des fonctionnaires du ministère seront heureux de vous aider et de vous expliquer toutes les exigences réglementaires qui s’appliquent aux produits de votre entreprise.

 

Encore une fois, merci de nous avoir écrit.

 

Sincèrement,

 

Hilary Geller

Adjointe exécutive

 

(Dossier des demandeurs, vol. 3, p. 944)

 

 


[34]           La réponse de M. Neske à la « lettre ouverte » est en date du 8 avril 2003 :

 

[traduction]

 

M. Anthony Stephan

Cofondateur

Truehope Nutritional Support Ltd.

C.P. 1254

Cardston (Alberta) T0K 0K0

 

LETTRE D’AVERTISSEMENT

 

Monsieur,

 

La présente fait suite à votre lettre du 7 mars 2003 concernant EMPowerplus, anciennement EM Power Plus et EM Power. Nous retenons l’appellation EM Power dans cette lettre, qui s’appliquera également aux autres appellations.

 

Synergy/Truehope continue de contrevenir à la Loi sur les aliments et drogues et à son règlement en raison des activités promotionnelles qui ont cours au bureau de Lethbridge. Il est jugé que ces activités correspondent à la « mise en vente » du produit EM Power. Au sens de la Loi sur les aliments et drogues, est assimilé à l’acte de vendre une drogue le fait de la « mettre en vente » ou de l’« exposer pour la vente » sans qu’il soit nécessaire d’en avoir la possession. Veuillez vous référer à la définition du mot « vente » à l’article 2 de la Loi sur les aliments et drogues.

 

E.M. Power est considéré comme étant une drogue, et une « drogue nouvelle » telle que définie dans la Loi sur les aliments et drogues et le Titre 8 du Règlement sur les aliments et drogues. À ce titre, la vente, la promotion et l’annonce de ce produit avant l’obtention d’un Avis de conformité contreviennent à cette législation. De plus, Santé Canada a examiné E.M. Power ainsi que la dose suggérée et a déterminé qu’ils présentaient un risque de type 2 pour la santé des Canadiens.

 

Synergy/Truehope doit immédiatement cesser de vendre, de mettre en vente, d’exposer en vue de la vente, de faire la promotion ou la publicité d’E.M. Power au Canada.

 

Comme elle n’a pas reçu le plan d’action demandé lors de la rencontre du 14 janvier 2003 avec M. D. Shelley expliquant comment vous entendez vous conformer à la Loi sur les aliments et drogues et à son règlement, la Direction générale des produits de santé et des aliments poursuivra ses démarches d’exécution de la loi, conformément à son mandat sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues. À moins qu’elles n’établissent clairement que vous vous conformez à la Loi sur les aliments et drogues et à son règlement, les futures lettres que vous enverrez à Santé Canada pourraient demeurer sans réponse.

 

Sincèrement,

Rod Neske

Gestionnaire des opérations p.i.

 

(Dossier des défendeurs, vol. 2, pp. 396 - 397).

 

 

2. Les saisies elles-mêmes

 

[35]           La présente demande vise deux saisies d’EMpowerplus.

 

[36]           La première saisie visait l’envoi, le 17 avril 2003, de 72 flacons d’EMpowerplus envoyés au Canada par Pharos et livrés par UPS pour remplir les commandes de 22 participants de TrueHope. L’envoi était accompagné d’une facture principale et d’une facture détaillée consolidée. La facture principale indique le lieu d’origine de l’envoi, le nom de l’acheteur, le nom du destinataire et la quantité totale de produits livrés ainsi que la valeur unitaire et la valeur totale des produits en devise américaine. La facture détaillée consolidée est une ventilation de la facture principale, la quantité totale de l’envoi étant divisée en factures distinctes adressées aux acheteurs ou contacts individuels. Chaque facture indique la quantité et la valeur précises de la commande de l’acheteur.

 

[37]           L’envoi du mois d’avril a fait l’objet de l’évaluation suivante : à titre de courtier en douane de Synergy, UPS a avisé l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) que l’envoi n’était pas conforme aux lois et règlements du Canada, dont la LAD; l’ASFC a consulté Santé Canada pour déterminer les prochaines mesures à prendre et lui a transmis par télécopieur la facture principale et la facture détaillée consolidée; résultat, M. Neske a recommandé que l’envoi soit saisi parce que [traduction] « Empowerplus est une drogue et qu’à mon avis, le produit est importé au Canada en vue de la vente » (Dossier des défendeurs, vol. 2, p. 376).

 

[38]           Le 28 avril, 2003, M. Stephan a reçu par télécopieur une lettre de M. Neske, qui renfermait le message suivant :  :

[traduction]

Objet : E.M. Power +

Concernant l’envoi de 72 flacons du produit mentionné en objet actuellement retenu, il n’y aura pas de mainlevée pour le moment. Le produit fait l’objet d’une enquête relative à une importation interdite aux termes de l’article A.01.040 du Règlement sur les aliments et drogues. Nous espérons terminer cette enquête rapidement grâce à votre collaboration.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 3, p. 1034)

 

L’article A.01.040 du Règlement est libellé comme suit :

Sous réserve de l'article A.01.044, il est interdit d'importer pour la vente des aliments ou des drogues dont la vente au Canada enfreindrait la Loi ou le présent règlement.

 

[39]           Le 29 avril 2003, MM. Hardy et Stephan ont écrit à M. Neske accusant réception de sa lettre :

[traduction]

Monsieur,

 

Nous accusons réception de votre lettre indiquant que l’envoi de 72 flacons est retenu et qu’il n’y aura pas de mainlevée pour le moment. Vous dites que le produit fait l’objet d’une enquête. Cet envoi a été retenu maintenant pendant huit jours, soit depuis le mardi 22 avril 2003.

 

Soyez avisé qu’en retenant ce produit, vous mettez en péril la santé et la vie des personnes qui ont commandé le produit de vitamines et de minéraux EMPOWERPLUS pour leur santé personnelle. Plusieurs de ces personnes ont souffert de symptômes suicidaires par le passé et vos actions les placent à risque.

 

Nous souhaitons vous aviser que s’il arrivait malheur à l’une ou l’autre de ces personnes dont les produits sont ainsi retenus, nous intenterons des poursuites CRIMINELLES et/ou CIVILES en leur nom contre vous personnellement. L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit ce qui suit : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. » En retenant cet envoi, vous portez effectivement atteinte a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de personnes souffrant de maladie mentale.

 

Veuillez agir en conséquence,

           

 

Anthony F. Stephan                              David L. Hardy

Cofondateur                                         Cofondateur

 

[Souligné dans l’original.]

 

(Dossier des demandeurs, vol. 3, p. 1035)

 

 

 

[40]           Le 1er mai 2003, M. Neske a reçu une lettre d’un conseiller juridique de Synergy et de TrueHope demandant [traduction] « la mainlevée immédiate de cet envoi retenu illégalement » (Dossier des demandeurs, vol. 3, p. 1037). Dans sa réponse écrite en date du 9 mai 2003, M. Neske décrit la conduite légale de Santé Canada quant à la saisie effectuée sous le régime des articles 23 et 26 de la LAD et confirmé  que la mainlevée de la saisie ne serait pas accordée « immédiatement » tel que demandé (Dossier des demandeurs, vol. 3, p. 1039). L’envoi du mois d’avril a été officiellement saisi le 8 mai 2003 lorsqu’un [traduction] « rapport d’examen pour la déclaration en douane » a été rempli (Dossier des demandeurs, vol. 4, p. 1203).

 

[41]           La deuxième saisie visait l’envoi, le 16 mai 2003, de 57 flacons d’EMpowerplus et de trois flacons de poudre d’EMpowerplus. Alors que l’inspectrice Sandra Jarvis a d’abord saisi cet envoi pour les mêmes motifs que pour l’envoi du mois d’avril, elle en a par la suite accordé la mainlevée en se fondant sur sa propre interprétation de la facture principale et de la facture détaillée consolidée indiquant que le produit n’était pas importé au Canada pour la vente. Mme Jarvis a ainsi avisé UPS que Santé Canada ne s’opposait plus à l’importation de l’envoi (Dossier des défendeurs, vol. 2, p. 331).

 

[42]           Dans les quelques mois qui ont suivi toutefois, plusieurs envois d’EMpowerplus ont été jugés en contravention de la LAD et du Règlement, et les personnes dont le nom apparaissait sur la facture détaillée consolidée ont donc reçu une lettre les informant que l’entrée au Canada de l’envoi était refusée (Dossier des demandeurs, vol. 4, pp. 1043 - 1185).

 

3. Les événements subséquents aux saisies

[43]           Au moment des saisies, on comptait quelque 48 000 usagers d’EMpowerplus dans 50 pays (Dossier des demandeurs, vol. 1, p. 26), dont plusieurs en dépendaient pour traiter un trouble mental. Plusieurs mesures concrètes ont été prises pour exhorter Santé Canada à cesser de restreindre l’accès au produit : les usagers ont lancé une campagne massive de pétition par lettres et appels téléphoniques adressés aux responsables gouvernementaux; ils ont demandé l’appui du député James Lunney pour défendre leur cause et exercé des pressions sur le gouvernement en leur nom; et un groupe d’usagères appelées les « Red Umbrellas » (parapluies rouges) ont publiquement déclaré qu’en se rendant sur la colline du Parlement pour manifester, parler aux députés et tenir une conférence de presse, elles mettaient leur santé en péril.

 

[44]           Pour répondre aux plaintes téléphoniques,  Santé Canada a mis en place une ligne d’écoute téléphonique sans frais. Selon les données produites par Santé Canada recensant les appels reçus sur cette ligne, quelque 484 appels au total ont été reçus entre le 2 et le 25 juin 2003 (Pièce no 1 déposée à l’audience le 10 novembre 2009).

 

[45]           À la suite des mesures prises, une « entente » a été conclue le 18 mars 2004 entre Santé Canada et TrueHope pour autoriser officiellement les usagers, d’alors et d’aujourd’hui, à importer EMpowerplus directement de Pharos dans l’Utah en vertu de la « Directive sur les importations personnelles » (DIP); les commandes pour usage personnel sont adressées directement à Pharos, l’argent pour payer les commandes est envoyé directement à Pharos, et les commandes peuvent être livrées de ce côté-ci de la frontière sans entrave. EMpowerplus est offert en vente aux États-Unis sans restriction. Santé Canada considère que son mandat se limite à restreindre la vente du produit au Canada afin de protéger la sécurité du public, et qu’il n’a pas d’intérêt juridique dans l’utilisation du produit s’il est importé légalement au Canada pour usage personnel. Toutefois, pour mettre en application la restriction qui demeure relative à la vente d’EMpowerplus au Canada, la DIP autorise l’importation d’un approvisionnement de trois mois seulement du produit.

 

[46]           Pour ce qui est de l’accès à EMpowerplus, l’entente a permis à Santé Canada et à TrueHope de signer la paix jusqu’à ce jour, et rien n’indique qu’elle ne se maintiendra pas dans le futur.

 

II.        L’usager d’EMpowerplus et la contestation fondée sur la Charte

[47]           Depuis la mise au point d’EMpowerplus en 1998 jusqu’au moment des saisies, TrueHope a connu un grand succès de commercialisation : des centaines, voire des milliers de personnes, en sont venues à dépendre du produit pour le traitement de leurs troubles de santé mentale. C’est envers ces personnes que M. Hardy s’estime responsable, et pour elles que la présente demande est faite.

 

[48]           Afin de rendre service aux usagers d’EMpowerplus à des fins thérapeutiques, la présente demande vise à établir qu’EMpowerplus traite effectivement la maladie mentale pour laquelle il est pris. M. Hardy a fait l’admission suivante au moment d’être interrogé au sujet de son affidavit :

[traduction]

 

Voilà pourquoi cette affaire est si importante, parce que, soit c’est vrai, nous vous disons la vérité, et je jure que c’est le cas, et alors il s’agit d’une percée majeure et d’un bienfait pour le futur de l’humanité, pour vos enfants et mes enfants. Ou alors c’est une supercherie qui doit être dénoncée. Et j’espère que c’est ce que fera cette instance. Cependant, si tel est le cas, c’est bel et bien une percée majeure, alors nous voulons que celle-ci aille de l’avant.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 5, p. 1414)

 

[49]           L’objectif ultime des demandeurs est d’obliger le législateur à modifier les dispositions relatives à la saisie pour remédier aux préjudices décrits au paragraphe 43 de l’avis de demande :

[traduction]

 

Les saisies effectuées en application de l’article 23 de la [LAD] ont pour effet de retirer des médicaments, des produits de santé naturels ou des dispositifs médicaux à des personnes qui en dépendent pour leur santé ou même leur vie. Ces saisies les privent :

a. de leur souveraineté sur leur propre corps;

b. du droit aux traitements de leur choix;

c. de l’accès à des traitements efficaces;

d. du droit de ne pas se faire retirer des traitements efficaces sans qu’il soit tenu compte des risques qu’un tel retrait entraîne pour  leur santé.  

 

                        (Dossier des demandeurs, vol. 1, p. 9)

En l’espèce, ces préjudices se traduisent de la façon suivante :

[traduction]

 

Il résulte des saisies que d’autres usagers d’Empowerplus ont été privés d’accès, et d’un accès sûr, au produit Empowerplus, qui fournit un équilibre nutritionnel important pour leur santé et atténue les symptômes de leur maladie mentale.  Leur santé et leur bien-être mental ont été gravement compromis par les saisies, et ils se trouvent dans l’incertitude quant aux futurs approvisionnements.

 

Il résulte des saisies que M. Hardy a été privé d’accès, et d’un accès sûr, au produit Empowerplus, qui fournit un équilibre nutritionnel aux membres de sa famille, dont certains souffrent de maladie mentale.

 

Il résulte des saisies que M. Hardy et d’autres usagers d’Empowerplus ont souffert d’un grand stress psychologique.

 

Il résulte des saisies que la santé physique et mentale de M. Hardy et d’autres usagers d’Empowerplus a été mise en péril.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 1, p. 7, par. 27 à 31)

 

Les demandeurs font valoir que, pour remédier à ces préjudices, il faut assortir l’application de l’article 23 d’une procédure équitable prévoyant la nécessité de tenir une audience devant le tribunal avant qu’il soit procédé à la saisie d’un produit de santé vital. L’objet de cette audience serait de permettre à un usager, susceptible d’être privé d’un produit de santé vital par la saisie, de plaider sa cause. Il pourrait plaider que la saisie causerait un risque pour sa santé, et si cette argument était accueilli par le juge qui préside l’audience, la saisie serait interdite. Le type d’audience qui répondrait à cette attente serait une procédure semblable à celle requise pour l’obtention d’un mandat qui pourrait se faire par comparution en personne ou par téléconférence (Transcription de l’audience, vol. 13, p. 3249 à 3272).

 

[50]           Ainsi, les paragraphes 74, 94 et 95 de l’avis de question constitutionnelle posent des questions au sujet des articles 23 et 26 en lien avec les droits des demandeurs garantis par les articles 7 et 8 de la Charte et les droits des personnes qui font usage d’EMpowerplus à des fins thérapeutiques garantis par l’article 7. Le paragraphe 74 est libellé ainsi :

[traduction]

 

1. Est-il vital pour le système de justice de permettre aux défendeurs de retirer à des personnes des produits sur lesquels elles comptent pour leur santé :

 

a. sans qu’il soit tenu compte des risques que le retrait de tels produits comportent pour la santé;

b. sans qu’il y ait un mécanisme de contrôle permettant de contester la saisie et la rétention de ces produits?

2. Est-il vital pour notre système de justice de permettre à des personnes qui n’ont aucune formation médicale de prendre des décisions qui ont des répercussions directes sur la santé?

3. L’État a-t-il le droit de faire retirer des traitements efficaces sans avoir de raisons impérieuses justifiant le retrait?

4. L’État a-t-il le droit de retenir indéfiniment des produits de santé essentiels sans qu’il y ait de mécanisme de contrôle ou de révision judiciaire?

5. Retirer Empowerplus du marché pose-t-il plus de risque que le laisser sur le marché (pondération des droits individuels et de ceux de  l’État)?

6. Est-ce que les pouvoirs de saisie et de rétention, qui contreviennent à l’art. 8 de la Charte, peuvent être considérés conformes aux principes de justice fondamentale?

7. Est-ce que les pouvoirs de saisie et de rétention, qui contreviennent aux principes d’équité procédurale, peuvent être considérés conformes aux principes de justice fondamentale?

8. Est-ce que les saisies et la rétention contreviennent aux  dispositions relatives à la négligence criminelle du Code criminel, L.R.C. 1985 ch. C-46?

9. Si les saisies et la rétention constituent de la négligence criminelle, peuvent-elles être considérées conformes aux principes de justice fondamentale?

 

Les paragraphes 94 et 95 sont libellés comme suit :

[traduction]

 

En examinant si une saisie est abusive au sens de l’art. 8, le tribunal doit se demander si le tort causé par la saisie est excessif par rapport au tort que la saisie cherche à éviter.

 

Il est « abusif » au sens de l’art. 8 de la Charte de saisir et de retenir des produits sur lesquels des personnes dépendent pour leur santé :

 

(1)   sans préavis;

(2)   sans mécanisme pour réviser la saisie et la rétention;

(3)   sans pondération du risque pour la santé causé par la saisie et la rétention par rapport aux intérêts servis par la saisie et la rétention;

(4)   sans autorisation préalable;

(5)   par des personnes qui ne sont pas compétentes pour évaluer les risques de la saisie;

(6)   en violation de l’art. 7 de la Charte.

 

Les demandeurs font valoir que des réponses à ces questions, qui leur seraient favorables, auraient pour effet de faire déclarer inconstitutionnels les articles 23 et 26. Toutefois, leur argumentation porte essentiellement sur les risques pour la santé des usagers, ainsi que sur la violation des droits de ceux-ci à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne garantis par la Charte, de sorte que la preuve à l’appui ne peut venir que des usagers qui feraient personnellement une demande fondée sur la Charte. Pour ce qui est de la présente demande, M. Hardy n’est pas un usager d’EMpowerplus à des fins thérapeutiques, et n’a donc pas d’argument à présenter ni de preuve à l’appui en tant qu’usager. Le succès de l’argumentation dépend d’une décision quant à la nature d’une contestation constitutionnelle intentée en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

[51]           Selon l’avocat du demandeur, une demande portant qu’une disposition est inconstitutionnelle parce qu’elle viole la Charte, qui est présentée en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, est différente en nature d’une demande de réparation en vertu de l’article 24 de la Charte pour violation d’un droit garanti par la Charte : dans le premier cas, il ne s’agit pas d’une demande de réparation, et elle n’est donc pas limitée par la nature de la demande personnelle du demandeur. Ces dispositions sont les suivantes :

 


 

 Recours

 

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

 

Enforcement

 

24. (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charte, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

 


 

 

Dispositions générales

 

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes

les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

 

 

General

 

52. (1) The Constitution of Canada is the supreme law of Canada, and any law that is

inconsistent with the provisions of the Constitution is, to the extent of the inconsistency, of no force or effet.

 

[52]           Cet argument soulève deux questions : la capacité juridique de M. Hardy de s’appuyer sur la preuve concernant les usagers pour ajouter un poids quelconque à sa demande personnelle fondée sur le risque pour la vie, la liberté ou la sécurité des usagers, et la capacité juridique  de M. Hardy sa capacité juridique de faire en sorte que les prétentions des usagers fondées sur la Charte soient considérées comme des éléments de sa propre demande personnelle.

 

            A. L’argument des demandeurs

                        1. La capacité juridique d’étendre la portée d’une demande personnelle

[53]           Dans ses arguments écrits, l’avocat des demandeurs décrit la capacité juridique de M. Hardy d’étendre la portée de sa propre demande personnelle en ces termes :

[traduction]

 

L’invalidation de dispositions législatives ne touche pas seulement les parties en cause, mais l’ensemble de la société. Il est incorrect d’invalider une loi en se fondant sur un nombre limité de faits spécifiques aux parties sans tenir compte de toutes les répercussions d’une telle décision (voir le paragraphe 181). De même, les tribunaux doivent examiner à la fois l’« objet » et l’« effet » de la loi pour déterminer si elle est constitutionnelle (voir la discussion débutant au paragraphe 175). Cette obligation de tenir compte de l’effet général de la loi oblige à examiner en profondeur ses effets autres que ses effets sur les parties.

 

Une discussion plus approfondie sur la portée de la preuve requise pour cet examen suit l’analyse des articles 7 et 8. En considérant la preuve relative aux art. 7 et 8, il faut toutefois noter que les demandeurs avaient le loisir de présenter une preuve sur les effets que la loi avait sur d’autres personnes et qui sont sans rapport avec les saisies ou la rétention en cause. Par exemple, les demandeurs auraient pu présenter une preuve concernant les saisies sans rapport avec eux-mêmes pour démontrer que l’« effet » de la loi est inconstitutionnel. Il se trouve simplement qu’en l’occurrence, il y avait amplement de preuve quant à l’« effet » général de la loi sur d’autres personnes ayant un lien factuel avec les saisies en cause. Mais ce lien factuel n’est pas une condition requise de cette preuve. Tout ce qui est requis, c’est que les tribunaux ne tirent pas de conclusions sur la constitutionnalité de l’effet d’une loi sans avoir une preuve relative à l’effet «global » de cette loi, et il y a obligation pour la partie qui cherche à faire invalider la loi de présenter cette preuve.

 

[…]

 

Il ne fait aucun doute qu’il y a eu violation du droit à la liberté ou à la sécurité de la personne. Comme il est dit pus haut, pour franchir cette première étape, il suffit de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu atteinte au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. En l’espèce, il est clair qu’il y a eu atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Les saisies et la rétention étaient susceptibles de nuire à la santé. Le droit de prendre des décisions fondamentales en matière de santé a été clairement enfreint. Le droit d’avoir accès à un traitement a été enfreint. L’action de l’État a causé un grave stress psychologique. La vraie question est de savoir si ces violations sont conformes aux principes de justice fondamentale.

 

[Souligné dans l’original.]

 

(Dossier des demandeurs, vol. 20, Mémoire des faits et du droit, par. 111, 112, 124)

 

Ainsi, selon cet argument, la preuve de la violation du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité d’« autres personnes »,  qui ne sont pas  auteurs d’une demande fondée sur Charte, peut être « importée » dans  la demande que M. Hardy a présentée, sur le fondement de son droit  personnel à la sécurité que lui garantit la Charte, et ce afin de  donner du poids aux arguments à l’appui de sa demande.

 

2. La capacité juridique permettant la prise en compte des prétentions fondées sur la Charte de personnes autres que les demandeurs

 

[54]           En ce qui a trait à la capacité juridique de M. Hardy qui permettrait la prise en compte des prétentions fondées sur la Charte des usagers comme éléments de sa propre demande personnelle, l’avocat des demandeurs, dans un argument de vive voix présenté à l’audition de la présente demande, a soutenu que, puisque M. Hardy a qualité pour agir dans sa contestation personnelle au titre de l’article 7, il était possible de se prévaloir de cette qualité pour plaider une violation de chacun des droits prévus aux articles 7 et 8 de la Charte, qui sont garantis à d’autres personnes qui ne sont pas parties à la présente demande. Ces personnes seraient : les 21 usagers d’EMpowerplus, outre M. Hardy, qui ont un intérêt de propriété sur le produit saisi; trois usagers qui ont déposé des affidavits dans la présente demande attestant des effets bénéfiques que le produit avait eu pour leur santé mentale, et exprimant leurs inquiétudes pour leur santé s’ils étaient privés du produit; et tous les usagers qui dépendaient du produit au moment des saisies et qui se sont plaints à Santé Canada dans le cadre de la campagne visant à mettre fin à ses mesures d’exécution. Cet argument est fondé sur un autre argument : en ce qui a trait à la contestation constitutionnelle fondée sur l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, l’effet des saisies sur M. Hardy à titre de demandeur n’est pas pertinent; ce qui l’est, c’est l’effet sur les usagers.

 


B. L’argument des défendeurs

[55]           L’avocat des défendeurs soutient qu’il n’y a pas de différence intrinsèque entre une demande fondée sur l’article 24 de la Charte et une demande fondée sur l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’une ou l’autre est une demande de réparation, et les mêmes règles s’appliquent quant à la qualité pour agir et à la preuve. L’argument suivant a été présenté de vive voix :

[traduction]

 

Nous prétendons que l’affaire doit être tranchée à la lumière de la preuve spécifique aux parties; que la règle générale relative à la qualité pour agir s’applique à cette affaire, règle selon laquelle la personne qui allègue la violation d’un droit garanti par la Charte doit avoir qualité pour agir à cet effet et doit se limiter à alléguer une violation de ses propres droits. Ces affaires doivent être tranchées à partir de la preuve spécifique aux parties. Leur portée doit à juste titre se limiter aux droits garantis par la Charte des parties en cause. Si une contestation diffuse ou de portée très générale devait échouer, il pourrait y avoir un préjudice pour les autres parties qui contesteraient les mêmes règles et qui auraient des motifs spécifiques et factuels pour fonder leur plainte. Il faut toujours avoir à l’esprit que la preuve doit provenir -- doit se rapporter aux parties les plus touchées par la décision. Une personne qui est touchée mais qui n’est pas partie à la procédure n’a pas qualité pour agir, et sa plainte ne peut pas s’exprimer par la voix d’une autre personne qui aurait qualité pour agir. Si c’était cas le cas, cela signifierait que les affaires relatives à la Charte n’ont plus à être décidées comme il se doit à partir des faits de l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

 

(Transcription de l’audience, vol. 10, p. 2326 et 2327)

 


[56]           En ce qui a trait aux arguments relatifs à l’article 52 qui ont été présentés, la position de l’avocat des défendeurs était la suivante :

[traduction]

 

L’objet du présent contrôle judiciaire est de déterminer si les saisies, ou la loi autorisant les saisies, ont porté atteinte aux droits des demandeurs. Il ne s’agit pas d’un exercice abstrait visant à établir si les saisies, ou la loi les autorisant, risquent de porter atteinte : :

 

a)                       aux droits d’autres personnes qui ne sont pas parties à la procédure;

b)                      aux droits d’autres personnes à des produits de santé naturels quels qu’ils soient;  

c)                       aux droits d’autres personnes à quelque produit réglementé par la Loi sur les aliments et drogues.

 

Les références à d’« autres personnes » dans la demande et la preuve des demandeurs visant à démontrer des répercussions ou des effets sur celles-ci ne sont pas pertinentes pour les questions soulevées dans la présente instance. Les répercussions ou effets sur d’autres personnes ne sont pas des éléments contextuels qu’il convient de prendre en compte pour décider des demandes fondées sur la Charte présentées par les demandeurs.

 

À titre de demandeur, Hardy ne peut s’acquitter du fardeau de preuve qui lui incombe d’établir une restriction de ses propres droits sans preuve de l’effet de la loi ou des mesures prises sur ses droits. Hardy n’allègue pas qu’il comptait sur Empowerplus pour traiter une maladie.

 

La portée qu’il convient de donner au présent contrôle judiciaire est de déterminer si l’action gouvernementale ou la législation ont porté atteinte aux droits garantis par la Charte des demandeurs. La qualité requise pour agir dans une contestation fondée sur la Charte peut être reconnue en vertu de quatre grandes règles. Premièrement, la règle générale veut que la partie alléguant une violation de ses droits et libertés garantis par la Charte a qualité pour agir, mais seulement en ce qui a trait à la violation de ses propres droits, pas ceux d’autres personnes.

 

Deuxièmement, lorsqu’une personne est involontairement traduite devant les tribunaux, elle peut de plein droit contester la constitutionnalité de la loi en vertu de laquelle elle est poursuivie : R. c. Big M Drug Mart et Office canadien de commercialisation des œufs (OCCO), infra. Troisièmement, un tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder la qualité pour agir lorsqu’il a été satisfait au critère de l’intérêt public pour ce faire. Quatrièmement, un tribunal peut accorder la qualité pour agir en vertu d’un pouvoir discrétionnaire résiduaire pour des questions d’importance nationale : OCCO, infra. Ainsi, alors que R. c. Big M Drug Mart Ltd. et OCCO, infra, prévoient des exceptions à la règle générale, ces exceptions ne s’appliquent pas en l’espèce.

 

[Citations d’arrêts omises.]

 

La preuve pertinente et complète requise dans une affaire constitutionnelle est néanmoins limitée à la preuve nécessaire pour que soient tranchées les questions portées à l’attention du tribunal. Ainsi, une preuve relative aux effets des actions gouvernementales ou de la législation contestées sur d’autres personnes qui ne sont pas devant le tribunal n’est pas requise. La preuve des demandeurs, portant qu’il y a eu des répercussions sur d’autres personnes dans diverses circonstances, n’est pas pertinente pour les demandes de Hardy et de Truehope. Pour cette raison, elle n’est pas recevable.

 

[Citations d’arrêts omises.]

 

Le présent contrôle judiciaire porte sur les répercussions de la saisie et de la rétention [de l’envoi d’avril 2003] effectuées par [l’inspecteur de Santé Canada] Neske, en application de l’alinéa 23(1)d) et de l’article 26 de la LAD, sur les demandeurs. Il ne porte pas sur les répercussions éventuelles et hypothétiques qu’une saisie sans mandat en vertu de l’alinéa 23(1)d) pourrait entraîner.

 

De plus, la recommandation initiale de [l’inspectrice de Santé Canada] Jarvis aux services frontaliers de refuser l’entrée [de la livraison de mai 2003] ne met pas en cause le pouvoir de saisie en application de l’alinéa 23(1)d) de la LAD de 2003 ou de l’article 26 de la LAD. Dans ce cas, il n’y a eu aucune saisie empêchant les demandeurs ou quelque autre consommateur d’avoir accès au produit.

 

[Souligné dans l’original.]

(Dossier des défendeurs, vol. 19, p. 127 à 129)

 

 

C.  Analyse des arguments

[57]           En règle générale, seules les personnes physiques peuvent présenter une contestation fondée sur la Charte. Toutefois dans l’affaire R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295 (Big M Drug Mart), la Cour suprême a reconnu une exception à cette règle du droit criminel en accordant à une personne morale la qualité pour agir et contester, en invoquant l’alinéa 2a), la validité constitutionnelle de la loi qui l’obligeait à comparaître devant le tribunal. Dans cet arrêt, le raisonnement du juge en chef Dickson est présenté aux paragraphes 36 à 41 :

Lorsqu'il s'agit de contester la validité d'une loi en vertu de laquelle on fait l'objet de poursuites, il est sans importance, en ce qui concerne la qualité pour agir et la compétence du tribunal, que la contestation soit fondée sur les art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou sur les restrictions imposées aux corps législatifs par la Loi constitutionnelle de 1982.

 

Le paragraphe 24(1) prévoit un redressement pour les personnes, aussi bien physiques que morales, qui ont été victimes d'une atteinte aux droits qui leurs sont garantis par la Charte. Toutefois, il ne s'agit pas là du seul recours qui s'offre face à une loi inconstitutionnelle. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, la contestation est fondée sur l'inconstitutionnalité d'une loi, il n'est pas nécessaire de recourir à l'art. 24 et l'effet particulier qu'elle a sur l'auteur de la contestation est sans importance.

 

L'article 52 énonce le principe fondamental du droit constitutionnel, savoir la suprématie de la Constitution. De ce principe il découle indubitablement que nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à une loi inconstitutionnelle. Ce n'est pas volontairement, à titre de citoyen intéressé qui demande qu'une loi soit déclarée inconstitutionnelle, que l'intimée se trouve devant les tribunaux. S'il s'était agi de ce genre de « litige d'intérêt public », elle aurait eu à satisfaire aux exigences relatives à la qualité pour agir que cette Cour a établies dans les trois arrêts suivants: Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265 et Ministre de la Justice du Canada c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575. Toutefois, ce n'est pas la raison pour laquelle elle s'est présentée en Cour.

 

Tout accusé, que ce soit une personne morale ou une personne physique, peut contester une accusation criminelle en faisant valoir que la loi en vertu de laquelle l'accusation est portée est inconstitutionnelle. Big M soutient que la loi en vertu de laquelle elle est accusée est incompatible avec l'al. 2a) de la Charte et qu'elle est inopérante en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

La question de savoir si une personne morale peut jouir de la liberté de religion est donc sans importance. L'intimée soutient que la loi en cause est inconstitutionnelle parce qu'elle porte atteinte à la liberté de religion‑‑si cette loi porte atteinte à la liberté de religion, il n'importe pas de se demander si la compagnie peut avoir des croyances religieuses. Un athée pourrait tout autant contester une accusation portée en vertu de la Loi. Cette question ne pourrait être pertinente que si l'al. 2a) était interprété comme ne protégeant que les personnes qui peuvent démontrer qu'elles ont véritablement des croyances religieuses. Je ne vois rien qui permet de limiter ainsi la portée de l'al. 2a) en l'espèce.

 

L'argument portant que l'intimée, parce qu'elle est une personne morale, est incapable d'avoir des croyances religieuses et, par conséquent, incapable d'invoquer des droits en vertu de l'al. 2a) de la Charte a pour effet de brouiller la nature de ce pourvoi. La loi qui porte atteinte à la liberté de religion est, de ce seul fait, incompatible avec l'al. 2a) de la Charte et il n'importe pas de savoir si l'accusé est chrétien, juif, musulman, hindou, bouddhiste, athée ou agnostique, ou s'il s'agit d'une personne physique ou morale. C'est la nature de la loi, et non pas le statut de l'accusé, qui est en question.

[…]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[58]           Toutefois, la phrase portant que « l'effet […] sur l'auteur de la contestation est sans importance » soulignée dans le passage cité plus haut sert d’argument interprétatif à l’avocat des demandeurs en réponse à l’argument des défendeurs selon lequel les droits d’« autres personnes » garantis par la Charte ne peuvent être invoqués dans la présente demande. L’avocat des demandeurs a donné l’explication suivante dans sa plaidoirie :

 

 

 

[traduction]

 

Pour les demandeurs, la jurisprudence est absolument limpide. Alors, par exemple, nous avons la demanderesse Truehope, et nous avons le demandeur David Hardy. Et pour les demandeurs, il est absolument limpide que lorsqu’on conteste la constitutionnalité d’une loi en invoquant l’article 52 de la Constitution, il est très important, l’article 52, que – et nous l’avons indiqué dans notre avis de demande – que le tribunal doit non seulement examiner l’objet et l’effet, mais le faire de façon si large qu’il examine l’objet et l’effet sur d’autres personnes.

 

Et la raison pour cela est très simple. Si une partie pouvait se présenter devant vous et démontrer une atteinte personnelle à ses droits garantis par la Charte et demander à la Cour d’invalider la loi parce qu’elle est inconstitutionnelle, il reste que les lois s’appliquent à tous. Alors les tribunaux ne sont pas censés déclarer des lois inconstitutionnelles en vertu de l’article 52 sans apprécier l’objet et l’effet dans leur ensemble.

 

Souvent, quelqu’un peut présenter une demande en invoquant l’article 24 de la Charte, ce qui est une affaire personnelle. Il doit démontrer une atteinte personnelle pour que la Cour puisse lui accorder un redressement. Mais en vertu de l’article 52, cela n’est pas nécessaire. Aussi, j’aimerais que la Cour se reporte à l’onglet 193. Il s’agit encore une fois de Big M. Et c’est un point très important. Alors je renvoie à Big M où l’on parle de l’objet et de l’effet. Vous devez examiner l’objet et l’effet.

 

Alors voici l’endroit, au paragraphe 38, où la Cour établit la distinction entre le fait de demander un redressement en vertu de l’article 24 de la Charte et le fait de demander un redressement en vertu de l’article 52. Alors au par. 38 :

 

Le paragraphe 24(1) prévoit un redressement pour les personnes, aussi bien physiques que morales, qui ont été victimes d'une atteinte aux droits qui leurs sont garantis par la Charte. Toutefois, il ne s'agit pas là du seul recours qui s'offre face à une loi inconstitutionnelle. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, la contestation est fondée sur l'inconstitutionnalité d'une loi, il n'est pas nécessaire de recourir à l'art. 24 et l'effet particulier qu'elle a sur l'auteur de la contestation est sans importance.

 

 

Et je ne saurais trop insister sur ce point. Alors ce que dit la Cour suprême du Canada ici, c’est : oui, l’article 24 de la Charte est l’un des moyens qui s’offrent aux gens pour obtenir un redressement. Habituellement, c’est que vous demandez l’exclusion de certaines preuves, on s’en sert tous les jours dans des procès criminels, et une grande partie de la jurisprudence de mes amis, ce sont des affaires invoquant l’article 24. Mais il est absolument crucial que la Cour comprenne que ce que nous demandons ici, c’est une déclaration sous le régime de l’article 52 de la Constitution, soit l’article qui dit, essentiellement, que la Constitution est la loi suprême du pays et que toute loi incompatible est inopérante. Et c’est ce que je redis dans le mien.

 

Alors la Cour suprême du Canada le dit clairement ici, et je l’ai souligné en rouge : lorsque vous contestez la constitutionnalité d'une loi, il n'est pas nécessaire de recourir à l'art. 24, et l'effet particulier qu'elle a sur l'auteur de la contestation est sans importance.

 

Ce que cela signifie, c’est que je n’ai pas besoin de démontrer à la Cour que les droits personnels de M. Hardy ont été violés. Je n’ai pas besoin de démontrer que les droits de Truehope ont été violés. Et – mais je ne peux pas – c’est l’affaire qui dit qu’il faut montrer l’objet et l’effet. Alors quand ils disent qu’il faut montrer l’effet, eh bien, ils ne parlent pas de l’effet sur Big M.

 

Pardon, ils poursuivent au paragraphe 39 :

 

L'article 2 énonce le principe fondamental du droit constitutionnel, savoir la suprématie de la Constitution. De ce principe il découle indubitablement que nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à une loi inconstitutionnelle. Ce n'est pas volontairement, à titre de citoyen intéressé qui demande qu'une loi soit déclarée inconstitutionnelle, que l'intimée se trouve devant les tribunaux.

 

Bon, il s’agit d’une affaire ancienne qui a introduit ce principe, et tous étaient d’accord en 1985 quand elle est devenue connue que le principe s’appliquait seulement si l’on était accusé. Alors une personne morale pouvait contester la validité constitutionnelle d’une loi si elle était accusée de quelque chose. Mais la portée a maintenant été élargie, et c’est ce que je vais démontrer.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Transcription de l’audience, vol. 3, p. 760 à 765)

 

[...]

 

Alors s’il faut examiner l’effet et si l’effet sur l’auteur de la contestation importe peu, alors la question évidente, c’est : l’effet sur qui?, et il est clair que c’est l’effet sur d’autres personnes.

 

(Transcription de l’audience, vol. 3, p. 777 et 778)

 

 

[59]           Je rejette cet argument. J’estime qu’on a donné à la phrase « l'effet sur l'auteur de la contestation est sans importance » un sens qui ne peut découler que d’une lecture hors contexte. Les premiers mots du passage d’où est tirée la phrase établit ce contexte; c’est-à-dire que les mots « comme c'est le cas en l'espèce » doivent être interprétés comme référant à la situation dont il était question, soit celle d’une personne, physique ou morale, accusée d’une infraction criminelle, pour qui les circonstances personnelles sont sans importance parce que toute la question consiste à déterminer la constitutionnalité de la loi sur laquelle se fonde la poursuite.

 

[60]           Lorsque la constitutionnalité d’une loi est remise en question pour des motifs relatifs à la Charte, il ne fait aucun doute que pour se prononcer, il faut respecter le principe bien établi selon lequel on doit cerner l’« objet » et examiner dans son ensemble l’« effet » de la loi contestée. Il n’est pas contesté qu’il faille examiner l’effet de la loi au-delà de l’effet sur les parties (voir Big M Drug Mart, par. 80; Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 35 par. 9). Il est donc impératif d’appliquer le principe pour trancher une question constitutionnelle. Toutefois, l’avocat des demandeurs voudrait d’une certaine manière étendre la portée de ce principe de la preuve afin d’établir un droit ou une qualité pour agir dans une contestation constitutionnelle.

 

[61]           L’avocat des demandeurs cite les causes suivantes pour montrer que dans chacune, la preuve relative à l’effet était insuffisante pour que la contestation constitutionnelle de la loi en cause soit accueillie : Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086 et R. c. Rao (1984), 46 O.R. (2d) 80. L’argument tiré de ces affaires comme « extension » du raisonnement dans Big M Drug Mart est que le principe selon lequel il faille produire une preuve d’effet suffisante permet à la preuve relative à l’effet sur d’« autres personnes » de conférer à ces « autres personnes » la qualité pour agir et de soutenir leurs propres prétentions fondées sur la Charte dans une demande à laquelle elles ne sont pas parties prenantes. À mon avis, il s’agit là d’une utilisation erronée du principe. Le principe de la preuve n’a rien à voir avec le principe légal selon lequel la qualité pour agir doit d’abord être établie pour qu’une personne puisse présenter une contestation fondée sur la Charte.

 

[62]           Cet argument de l’« extension » se fonde aussi sur une interprétation injustifiable des décisions dans R. c. Parker (2000), 188 D.L.R. (4th) 385 (C.A. Ont.) (Parker) et R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30 (Morgentaler).

 

[63]           Dans l’arrêt Parker, la Cour d’appel de l’Ontario est arrivée à la conclusion suivante : le défendeur, souffrant d’épilepsie et accusé de possession de marihuana en contravention de l’art. 4 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, utilisait la marihuana à des fins médicinales, et il était donc forcé de choisir entre un état de santé délétère et le risque d’être incarcéré; l’interdiction frappant la marihuana portait atteinte aux droits de Parker garantis par l’article 7; en même temps, l’interdiction portait atteinte aux droits d’autres personnes faisant usage de marihuana à des fins médicinales. C’est cette dernière conclusion qu’invoque l’avocat des demandeurs pour plaider qu’elle étend la portée de la décision dans Big M Drug Mart de sorte que [traduction] « le fardeau en vertu de l’article 52 est d’établir une violation de la Charte, et il peut s’agir de violations de la Charte visant d’autres personnes ou de violations de la Charte à votre endroit »  (Transcription de l’audience, vol. 3, p. 787). La décision dans Parker, placée dans son contexte, se trouve aux paragraphes 77 à 80 :

[traduction

 

Dans l’affaire connexe R. c. Clay, j’ai déjà traité de l’argument selon lequel, en gros, l’interdiction de la marihuana portait atteinte aux droits garantis par l’art. 7 parce qu’elle criminalise des gens qui n’ont rien fait de mal. La présente affaire soulève la question plus étroite des répercussions sur les personnes qui prétendent avoir besoin de la marihuana par nécessité médicale, et non à des fins récréatives.

Cet aspect de l’affaire soulève une question semblable à la question touchant la qualité pour agir que j’ai abordée dans l’affaire Clay. Le ministère public dans le présent appel a tenté de démontrer qu’en fait, Parker n’avait pas besoin de la marihuana pour maîtriser son épilepsie. Je traite de cette question plus loin. Toutefois, il est aussi permis à Parker de contester la validité de la loi au motif qu’elle est trop générale ou inconstitutionnelle d’une autre manière dans son application à d’autres personnes. Le ministère public intimé a semblé le reconnaître dans l’appel Clay. De toute façon, cette conclusion découle des décisions de la Cour suprême du Canada dans R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295 et R. c. Morgentaler. Dans les deux cas, il a été jugé que l’accusé avait qualité pour agir et contester la loi en vertu de laquelle il était accusé, bien que l’atteinte alléguée à la Charte concernait les droits d’une autre personne.

La décision de la Cour suprême du Canada dans Morgentaler est particulièrement utile parce que les questions en litige dans cette affaire étaient très similaires à celles qui sont soulevées ici. Les médecins accusés invoquaient l’art. 7 de la Charte pour contester une infraction criminelle en plaidant une atteinte à la santé des femmes enceintes demandant un avortement. Dans ses motifs dissidents à la page 133, le juge McIntryre [sic] a laissé entendre que la question de la violation de l’art. 7 était hypothétique parce que « [i]l n'est nullement question ici d'une personne du sexe féminin qui s'est vu refuser l'avortement thérapeutique ». Toutefois, le juge en chef Dickson était d’avis que les médecins accusés avaient qualité pour agir. Comme il l’a dit à la page 63 :

Par ailleurs, je rappellerais que les appelants ont qualité pour contester une loi inconstitutionnelle s'ils risquent d'être déclarés coupables d'une infraction à cette loi, même s'ils n'ont pas directement à pâtir des effets inconstitutionnels : l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., à la p. 313. Le ministère public n'a d'ailleurs pas contesté leur qualité pour agir.

Parker a donc le loisir de contester la validité de la loi interdisant la marihuana non seulement au motif qu’elle viole ses droits au titre de l’art. 7 en raison de sa maladie particulière, mais aussi parce qu’elle viole les droits d’autres personnes souffrant d’autres maladies.

[Non souligné dans l’original.]

 

Il est clair à mon avis que ni Parker ni Morgentaler n’étendent la portée de l’arrêt Big M Drug Mart d’une manière qui servirait les fins de l’argument de l’avocat des demandeurs.

 

[64]           En effet, on tente d’obtenir une décision portant que M. Hardy se trouve dans la situation d’une personne tenue de contester la constitutionnalité des dispositions de la LAD relatives à la saisie pour deux motifs : ce n’est pas de sa propre initiative qu’il introduit la présente demande, mais c’est parce qu’il s’estime obligé de le faire au profit des usagers d’EMpowerplus et parce qu’il n’avait pas d’autre choix de le faire pour que lui soit retourné son envoi d’EMpowerplus saisi en avril 2003. Les décisions rendues dans les affaires Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157 (OCCO) et PCL Industrial Constructors Inc. c. CLR Construction Labour Relations Association of Saskatchewan Inc., [1999] S.J. no 151, (C.B.E. Sask.) (PCL) sont invoquées à l’appui de cet argument.

 

[65]           Dans sa plaidoirie, l’avocat des défendeurs a soutenu que M. Hardy n’est pas dans la situation d’un accusé ou en position de contester une loi qui aurait porté atteinte aux droits garantis par la Charte de quelqu’un d’autre. M. Hardy n’est donc pas tenu d’agir dans la présente demande de la même manière que les défendeurs dans OCCO et Big M Drug Mart.

 

[66]           Alors que Big M Drug Mart introduisait une exception en droit pénal, la Cour suprême dans OCCO a étendu cette exception aux procédures civiles. Les défendeurs dans OCCO étaient des producteurs privés d’oeufs  qui contestaient la constitutionnalité du régime fédéral de commercialisation des œufs. Au paragraphe 34, les juges Iacobucci et Bastarache écrivent :

La constitutionnalité du régime fédéral de commercialisation des œufs est manifestement une question d’importance nationale, tout comme le sont les questions plus particulières qui ont été soulevées au sujet de l’application aux personnes morales de l’al. 2d) et de l’art. 6 de la Charte. Ces questions ont été abordées par les tribunaux d’instance inférieure et auraient pu être examinées par notre Cour, en vertu de ce pouvoir discrétionnaire résiduaire. Cependant, la présente affaire a donné à notre Cour l’occasion de réexaminer les règles applicables à la reconnaissance à une personne morale de la qualité pour agir en vertu de ladite exception de l’arrêt Big M Drug Mart. Avant le présent arrêt, les intimés ne pouvaient pas obtenir la qualité pour invoquer la Charte grâce à l’exception créée par notre Cour dans R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, parce qu’ils ne faisaient pas l’objet de poursuites criminelles. À notre avis, il est maintenant temps d’élargir cette exception afin de permettre aux personnes morales d’invoquer la Charte lorsqu’elles sont défenderesses dans des poursuites civiles intentées par l’État ou un organisme de l’État conformément à un régime de réglementation.

 

           

Toutefois, cette exception était assortie de la mise en garde suivante au paragraphe 44 :

En étendant l’exception de l’arrêt Big M Drug Mart aux poursuites civiles dans ces circonstances limitées, nous ne voulons pas fournir aux personnes morales une nouvelle arme en matière de litige. Notre but est de permettre à une personne morale, poursuivie en justice conformément à un régime de réglementation, de contester la loi — qu’elle considère inconstitutionnelle — en vertu de laquelle le régime en cause a été établi. Certes, tout comme nul ne devrait être déclaré coupable d’une infraction définie par une loi inconstitutionnelle, nul ne devrait faire l’objet de procédures et de sanctions coercitives autorisées par une telle loi.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[67]           Dans PCL, la Cour a constaté que certains entrepreneurs industriels étaient tenus d’intenter l’action pour faire trancher des questions touchant leurs droits et obligations en vertu de certaines dispositions législatives en matière de relations de travail, et que dans les circonstances, les demandeurs avaient qualité pour agir et invoquer la Charte en raison des principes établis dans OCCO.

 

[68]            L’avocat des demandeurs soutient que TrueHope peut obtenir la qualité pour agir et invoquer la Charte à titre de personne morale en s’appuyant sur OCCO, et plaide aussi que la décision dans PCL établit que les demandeurs, même s’ils ne sont pas menacés d’une sanction pénale ou réglementaire, peuvent être tenus d’intenter une action civile et d’obtenir la qualité pour agir et présenter un argument constitutionnel fondé sur la Charte. J’estime que cet argument n’est pas pertinent, car, à mon avis, la présente demande a été introduite et maintenue simplement par  choix.

 

[69]           Les saisies ont clairement donné le signal que, pour Santé Canada, il n’était plus question de discuter avec TrueHope et Synergy au sujet de leur non-respect de la loi. Devant ce fait, M. Hardy devait choisir : cesser de mettre EMpowerplus en vente en modifiant les pratiques de commercialisation de TrueHope et de Synergy, ou contester les saisies en s’adressant aux tribunaux. C’est manifestement ce deuxième choix qui a été fait.

 

[70]           L’accès à EMpowerplus a été fourni aux usagers en vertu de l’« entente » de mars 2004, et comme il a été mentionné, rien au dossier n’indique que cela devrait changer à l’avenir. On peut donc s’interroger sur la raison d’être du maintien de la présente demande. La rétention du produit EMpowerplus saisi en avril 2003 est en pratique sans conséquence. Pendant l’audience, l’avocat des demandeurs a déclaré que la présente demande était maintenue pour assurer un accès [traduction] « garanti » parce qu’en vertu de l’entente, cet accès est toujours soumis au [traduction] « caprice » de Santé Canada (Transcription de l’audience, vol. 13, p. 3143).

 

[71]           Ainsi, si l’on en juge de la manière dont la présente demande est structurée et plaidée, il semble que la principale raison pour maintenir la demande est d’assujettir les dispositions de la LAD en matière de saisie à une procédure de recours. À mon avis, cette décision est encore une fois purement une question de choix : agir dans le respect de la loi volontairement, ou agir dans le respect de la loi contestée et tenter de la faire modifier. Manifestement, c’est ce dernier choix qui a été fait.

 

[72]           En conclusion, j’estime que l’argument juridique des avocats des défendeurs concernant la qualité pour agir est correct. Je conclus donc que la qualité pour agir de M. Hardy ne peut servir que pour présenter sa propre contestation au titre des articles 7 et 8 en se fondant sur la preuve des répercussions directes des saisies sur lui-même. Je conclus de la même manière pour ce qui est de la contestation de TrueHope, fondée sur l’article 8.

 

[73]           Je conclus donc que la preuve concernant les prétentions des usagers d’EMpowerplus fondées sur la Charte n'est pas pertinente pour la présente demande.

 

            D. Les articles 23 et 26 de la LAD contreviennent-ils aux articles 7 et 8 de la Charte?

[74]           Comme il est dit plus haut, la question constitutionnelle formulée par les demandeurs attaque à la fois les articles 23 et 26 en ce qu’ils contreviendraient aux articles 7 et 8 de la Charte pour les mêmes motifs. L’argument est formulé de la manière suivante :

[traduction]

 

Cette affaire examinera aussi s’il est licite de saisir et de retenir sans contrôle judiciaire des produits de santé vitaux pour une période indéfinie en raison d’un manquement au règlement.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 20, Mémoire des faits et du droit, par. 110)

 

Comme nous l’avons mentionné, l’argument porte essentiellement sur le risque pour la santé des usagers, et l’atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des usagers garanti par la Charte, et la preuve à l’appui de cet argument ne peut donc provenir que des usagers présentant leur propre demande au titre de la Charte. Parce que les prétentions fondées sur la Charte des usagers d’EMpowerplus ont été jugées sans pertinence pour la présente demande, je conclus que la réponse à cette question est « non ».

 

III.       La pertinence de la preuve par affidavit contestée

[75]           Les demandeurs et les défendeurs ont présenté des demandes reconventionnelles pour faire rayer certains paragraphes de la preuve par affidavit au motif principal qu’il s’agit de ouï-dire ou d’opinions inadmissibles. Dans le cadre de la gestion du dossier préalable à l’audition de la présente demande, j’ai décidé que la détermination de l’admissibilité de cette preuve contestée serait faite au moment de la décision finale, parce qu’une évaluation contextuelle de cette preuve serait nécessaire avant de pouvoir en juger de manière définitive en toute équité.

 

[76]           Une bonne partie de la preuve contestée a été présentée en présumant que la preuve à l’appui des prétentions au titre de la Charte des usagers autres que les demandeurs est pertinente pour la présente demande. Comme il a été déterminé dans la section précédente des présents motifs que la présente demande avait une portée plus étroite, cette preuve n’est plus pertinente. Je conclus que les requêtes en radiation des défendeurs et des demandeurs peuvent être abordées sur cette base. Les règles juridiques concernant la pertinence et l’admissibilité d’éléments de preuve sont les suivantes :

[traduction]

 

Les faits en litige, parfois appelés les « principaux » faits, sont ceux qui sont nécessaires en droit pour établir la demande, la responsabilité ou le moyen de défense faisant l’objet de l’instance, et qui sont contestés par les parties [note de bas de page omise].

 

[…]

 

Il faut distinguer la pertinence de l’admissibilité, qui en est la première mais nullement la seule condition. Une preuve peut être pertinente, mais pour des motifs de commodité ou de politique, être inadmissible. En fait, cette exclusion de ce qui est par ailleurs pertinent a été qualifié de trait distinctif du droit anglais sur la preuve. Il est donc justifié, pour décider si un élément de preuve est admissible, de se demander d’abord s’il est pertinent, et ensuite d’examiner s’il existe des règles ou une discrétion fondées sur la commodité ou une politique qui rendent néanmoins cette preuve pertinente inadmissible.

 

 

[Souligné dans l’original.]

 

(Phipson on Evidence, 16e éd. (London: Sweet and Maxwell, 2005), par. 7 – 02, 7 – 05)

 

La décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Truscott, [2006] O.J. no 4171, aux paragraphes 22 et 23, est également instructive :

[traduction]

Une preuve est pertinente lorsque, selon la logique et l’expérience humaine, elle rend l’existence ou l’absence d’un important fait en litige plus ou moins vraisemblable […]. Une preuve ne sera pas pertinente si elle ne rend pas le fait auquel elle se rapporte plus ou moins vraisemblable, ou encore si ce fait n’a pas d’importance dans la procédure.

La pertinence est contextuelle dans la mesure où elle dépend des faits en litige, de la position des parties par rapport à ces faits et des autres éléments de preuve présentés à l’appui de ces faits : voir R. c. Arp (1998), 129 C.C.C. (3d) 321 p. 338 (C.S.C.). Parce que la pertinence est contextuelle, le tribunal sera souvent dans l’impossibilité de déterminer si un élément de preuve est pertinent au moment où il est présenté, mais l’accueillera sous condition et se prononcera sur sa pertinence au moment où il aura un portrait plus complet de l’ensemble de la preuve. Cela ne signifie toutefois pas que parce qu’il est souvent impossible de déterminer la pertinence d’une preuve au moment où elle est produite, la question de la pertinence ne doit pas être abordée au moment où la preuve est présentée. Si le tribunal est convaincu à ce moment que la preuve n’est pas pertinente, il doit se prononcer en ce sens et refuser de l’admettre. Le tribunal ne doit pas accueillir un élément de preuve au cas où peut-être, éventuellement, à un certain moment elle deviendrait pertinente.

 

                        [Non souligné dans l’original.]

 

            A. La requête des défendeurs en vue de faire radier la preuve des demandeurs

[77]           L’historique des faits sous-jacents à la présente demande, résumé dans les affidavits de M. Hardy, M. Stephan et M. Lunney, n’est pas contesté et constitue une preuve pertinente. Je considère que tous les autres éléments de preuve présentés par M. Stephan ou M. Lunney à l’appui des prétentions des usagers sont non pertinents.

 

[78]           L’état d’esprit de M. Hardy est un des faits en litige dans la présente demande, et la preuve à l’appui de ce fait est donc pertinente. Dans son affidavit et dans ses déclarations factuelles, M. Hardy présente des opinions et une preuve par ouï-dire relativement à tout le contexte de l’historique en question, y compris la mise au point du produit EMpowerplus, la conduite de TrueHope, ses rapports avec Santé Canada et ses rapports avec les usagers d’EMpowerplus, dont des membres de sa famille et de la famille de M. Stephan. J’estime que cette preuve est une preuve pertinente de son état d’esprit, mais non d’autre chose. Parce que M. Hardy fait directement référence à la santé mentale et à l’expérience de Landon Hardy dans sa propre demande fondée sur la Charte, je suis d’avis que la preuve par affidavit de Landon Hardy est pertinente, mais seulement de la façon exposée plus bas à la Section IV, (A), (3), d).

 

[79]           Bien qu’il ne soit pas contesté que les usagers d’EMpowerplus rapportent une amélioration de leur santé mentale après avoir pris le produit selon la posologie recommandée, il y a controverse sur la question de savoir si EMpowerplus réussit à traiter la maladie mentale en raison des qualités qui lui sont propres, ou si les résultats obtenus sont simplement la conséquence d'un effet placébo qui le rend efficace en raison des attentes des patients. Étant donnée la portée limitée de la présente demande telle qu’il a été établi plus haut, je suis d’avis que la question ne constitue pas un fait en litige parce qu’elle ne se poserait que si les droits des usagers garantis par la Charte étaient en jeu. C’était la stratégie des demandeurs, mais elle a échoué.

 

[80]           Je conclus donc que la preuve par affidavit suivante n’est pas pertinente : les témoignages de Mme Coulson et de Mme Oxby qui visent à établir l’effet positif qu’a eu l’EMpowerplus sur leur vie; le témoignage de M. LaJeunesse, un ancien directeur de l’Association canadienne pour la santé mentale, qui vise à appuyer les allégations des usagers; et les opinions d’expert de M. Kaplan, un psychologue, et du Dr Popper, un psychiatre, qui visent à établir l’effet thérapeutique d’EMpowerplus.

 

[81]           En ce qui a trait aux notes relatives à la ligne d’écoute téléphonique sans frais, il n’est pas contesté qu’elles établissent qu’un certain nombre d’appels ont été reçus exprimant des préoccupations au sujet des saisies, et même s’il s’agit d’un élément pertinent de la preuve historique, le contenu des appels quant leur véracité n’est par pertinent. Je rends la même conclusion quant aux enregistrements audio et vidéo des usagers, qui comprennent les témoignages des « Red Umbrellas ».

 

[82]           En ce qui a trait à la requête des demandeurs pour que soit admis le témoignage de M. Miles Brosseau, un fonctionnaire de Santé Canada, devant la Cour provinciale de l’Alberta au procès criminel contre TrueHope et Synergy pour manquement au Règlement sur les aliments et drogues, en vue d’établir que Santé Canada n’a pas tenu compte des conséquences pour la santé de la saisie d’avril 2003 avant de procéder à la saisie, je conclus que ce fait n’est pas contesté.

 

            B. La requête des demandeurs en vue de faire radier la preuve des défendeurs

[83]           Comme il est dit plus haut, il est convenu que les préoccupations exprimées par Santé Canada au sujet de l’innocuité de la composition d’EMpowerplus ne sont pas pertinentes pour la présente demande. Les demandeurs contestent certains éléments contenus dans les affidavits des fonctionnaires de Santé Canada portant sur cette préoccupation non pertinente ainsi que sur les effets thérapeutiques d’Empowerplus, qui ne sont pas pertinents. Je conclus donc que les témoignages par affidavit du Dr Duc Vu, directeur du Bureau des produits biologiques, biotechnologiques et de santé naturels commercialisés de Santé Canada, de M. Robin Marles, directeur du Bureau d'essais cliniques et des sciences de la santé de Santé Canada, et de la Dre Siddika Mithani, sous-ministre adjointe déléguée de Santé Canada, ne sont pas pertinents.

 

[84]           Pour la même raison que pour les témoignages d’expert de M. Kaplan et du Dr Popper concernant la requête en radiation des défendeurs, je conclus que le témoignage d’expert du Dr Silverstone, psychiatre, visant à établir l’effet thérapeutique d’EMpowerplus, n’est pas pertinent.

 

            C. Conclusion

[85]           Je conclus que la preuve déclarée non pertinente est inadmissible.

 

IV.       L’aspect personnel de la contestation fondée sur la Charte

A. La contestation de M. Hardy fondée sur l’article 7

[86]           L’article 7 de la Charte est libellé ainsi :

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

 

 

[87]           M. Hardy n’est pas un usager d’EMpowerplus à des fins thérapeutiques, et il ne peut donc pas plaider que les dispositions relatives à la saisie sont inconstitutionnelles parce qu’elles l’ont privé de produits de santé nécessaires pour sa vie ou l’ont privé de la liberté de choisir des produits de santé qui lui sont nécessaires et vitaux.

 

[88]           La contestation fondée sur la Charte de M. Hardy se reporte donc sur son droit à la sécurité de sa personne. Son argument subjectif et objectif est que les saisies ont porté atteinte à son bien-être émotionnel, élément de sa sécurité. Sa qualité pour agir et plaider cet argument n’est pas contestée.

                        1. La condition à remplir

[89]           Pour bien évaluer l’allégation de M. Hardy au plan juridique, il faut, à mon avis, procéder à une analyse critique non seulement de laa preuve subjective qu’il a présentée, mais aussi de la preuve objective pertinente à l’appui du contenu de ses prétentions subjectives afin de déterminer le poids qu’il convient de leur accorder. C’est ce qui ressort clairement de l’arrêt Nouveau- Brunswick c. G.(J.), [1999] 3 R.C.S. 46 au paragraphe 60 :

Pour qu’une restriction de la sécurité de la personne soit établie, il faut donc que l’acte de l’État faisant l’objet de la contestation ait des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique d’une personne. On doit procéder à l’évaluation objective des répercussions de l’ingérence de l’État, en particulier de son incidence sur l’intégrité psychologique d’une personne ayant une sensibilité raisonnable. Il n’est pas nécessaire que l’ingérence de l’État ait entraîné un choc nerveux ou un trouble psychiatrique, mais ses répercussions doivent être plus importantes qu’une tension ou une angoisse ordinaires.

(Non souligné dans l’original.)

 

[90]           Comme il est dit dans ce passage, il faut une solide preuve subjective et objective pour prouver l’atteinte alléguée.

 

[91]           L’action de l’État contestée dans la présente demande, ce sont les saisies d’avril et de mai 2003; j’accepte toutefois l’argument de l’avocat de M. Hardy portant que, compte tenu du contexte, la preuve objective pertinente relative aux saisies remonte aux circonstances entourant la mise au point d’EMpowerplus et se termine avec l’entente de mars 2004.

 

[92]           La question est donc la suivante : les saisies, dans ce contexte, ont-elles eu des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique de M. Hardy?

 

2. La preuve objective

[93]           La preuve objective est l’historique dont il est fait état plus haut dans la Section I.

 

[94]           De cette preuve objective, on peut dégager un certain nombre de faits : les saisies ont eu lieu dans le cadre d’une relation de nature contradictoire entre M. Hardy et Santé Canada;  dans cet affront, M. Hardy était un participant à part entière et compétent; son refus de se conformer aux exigences légales de Santé Canada a causé de l’anxiété pour les deux parties; Santé Canada et M. Hardy étaient tous deux frustrés par l’absence de progrès dans le règlement du différend.

 

[95]           La preuve montre clairement que M. Hardy représentait les intérêts des usagers d’EMPowerplus; mais il le faisait en tant que dirigeant d’une entreprise qui avait un intérêt économique à ce que la vente du produit continue à générer des profits, profits nécessaires à la survie de l’entreprise et à la poursuite des efforts de ses artisans, ainsi que pour le programme de counseling qui avait été mis au point.

 

[96]           Selon la preuve, la saisie a été un moment déterminant du différend  qui perdurait, mais qui était prévisible et qu’on aurait dû voir venir. En particulier, M. Hardy aurait dû comprendre que le défi qu’il lançait à Santé Canada constituait une invitation non déguisée à prendre des mesures d’exécution. On peut très bien comprendre que le ton et le contenu de la « lettre ouverte » représentaient une contestation de l’autorité de Santé Canada,  qui ne pouvait  plus être tolérée. En effet, la réplique de Santé Canada indique clairement que le processus de négociation était terminé et que des mesures d’exécution allaient bientôt suivre. Elle constitue un avis amplement suffisant indiquant que la prochaine étape de la relation serait vraisemblablement la saisie.

 

3. La preuve subjective

[97]           Il n’y a aucun élément de preuve permettant de remettre en question la crédibilité de M. Hardy ou ses objectifs déclarés dans l’exploitation de TrueHope et de Synergy ou dans ses rapports avec Santé Canada. En ce qui a trait précisément à l’état d’esprit qui l’animait durant ses actions, il y a trois sources d’information dont la crédibilité ne fait pas de doute : le témoignage de M. Hardy lui-même, le témoignage de M. Stephan et celui du fils de M. Hardy, Landon Hardy.

 

[98]           La preuve par affidavit de M. Hardy et de M. Stephan fait constamment référence aux deux agissant de concert. Par exemple, on retrouve dans chaque affidavit le pronom pluriel « nous » concernant leurs actions communes. Pour ce qui est de l’état d’esprit de M. Hardy, il y a des références similaires quant à leur état d’esprit commun; par exemple, au sujet de la lettre du 28 avril 2003 de M. Neske, M. Stephan dit que la lettre [traduction] « nous a beaucoup angoissés » (par. 99), et que [traduction] « nous étions tellement préoccupés au sujet de la santé des participants de TrueHope … » (par. 100). Ainsi, M. Stephan fournit une preuve corroborante, mais je retiens davantage le propre témoignage de M. Hardy quant à son état d’esprit.

 

[99]           Landon Hardy est le seul usager d’EMpowerplus auquel M. Hardy fait directement référence dans son affidavit et qui a lui-même déposé un affidavit dans le cadre de la présente demande. En raison des liens étroits qui les unissent, je suis d’avis que le témoignage de Landon Hardy fait preuve du contenu de l’état d’esprit de M. Hardy; il fournit en effet une preuve corroborant la preuve de M. Hardy.

 

[100]       Dans son affidavit du 4 octobre 2008 déposé aux fins de la présente demande (Dossier des demandeurs, vol. 2, p. 292 à 322) et dans son interrogatoire afférent, M. Hardy fait un certain nombre de déclarations en vue de prouver l’état d’esprit qui l’animait au moment de présenter ses arguments fondés sur la Charte.

 

a. Le devoir d’aider ceux qui utilisent EMpowerplus et qui en ont besoin

[101]       En 2002, c’est animé d’un sens du devoir que MM. Hardy et Stephan travaillaient à la mise au point d’EMpowerplus. M. Hardy en fait état lors de son interrogatoire en parlant des traitements dispensés aux enfants de M. Stephan :

[traduction]

 

[…] C’est ce que nous avons entrepris de faire, simplement mettre au point un produit. Je ne sais pas si nous avions en tête d’en faire une grosse compagnie, mais je sais que nous avions une obligation envers ces enfants dans la vie était en jeu, celle d’assurer leur stabilité, et c’est ce que nous avons voulu faire. Si vous avez déjà connu l’enfer de la maladie mentale, vous savez que c’est l’une des expériences de vie les plus dévastatrices, et c’est par là que Tony [Stephan] était passé, et c’est là que nous ne voulions plus qu’il retourne jamais; et ce qui nous a grandement motivé, c’est que nous voulions éviter que d’autres aient aussi à vivre cette expérience.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 5, p. 1400)

 

[102]       En ce qui concerne ce qui précède et en ce qui a trait à l’expérience des usagers, il n’est pas contesté que M. Hardy croyait que le produit avait les qualités voulues pour traiter efficacement la maladie mentale. Il s’agit ici de comprendre ce facteur comme élément contribuant à son état d’esprit. La question de l’efficacité réelle d’EMpowerplus n’est pas pertinente dans les faits.

 

[103]       Dans son affidavit, M. Hardy exprime sa conviction dans les termes suivants :

[traduction]

 

Nous avons toujours cru avoir l’obligation morale d’aider les gens souffrant de maladie mentale et qui nous demandaient de l’aide. Au fil des ans, j’ai été témoin d’un taux de succès de plus de 80 % chez les personnes souffrant de trouble bipolaire qui se sont inscrites à notre programme, soit une réduction totale ou substantielle de leurs symptômes. La majorité des participants qui prenaient des médicaments psychiatriques au moment d’entreprendre le programme ont pu les abandonner ou les réduire substantiellement tout en réduisant totalement ou substantiellement leurs symptômes. De nombreux participants, comme les enfants de M. Stephan, Joseph et Autumn, étaient incapables de gérer efficacement leurs symptômes avec les médicaments psychiatriques, mais les ont complètement éliminés grâce à EMpowerplus.

 

Je suis personnellement convaincu que si, à un moment donné, y compris le présent, nous cessions de fournir EMpowerplus, nous constaterions des suicides et des hospitalisations chez les participants de TrueHope. Nous constaterions aussi la réapparition de symptômes débilitants malgré les interventions des médecins et des psychiatres. Je crois que je verrais des personnes qui me sont chères, comme mon


fils Landon, ou les enfants de M. Stephan, Autumn et Joseph, cesser de vivre en santé et redevenir handicapés par la maladie mentale.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 2, p. 300 par. 37 et 38)

 

b. La frustration causée par Santé Canada

[104]       Dès le début, comme il l’a expliqué lorsqu’il a été interrogé sur son affidavit, M. Hardy savait très bien qu’il aurait des comptes à rendre pour avoir vendu EMpowerplus au Canada :

[traduction]

 

[…] Q. : En aucun temps après 2000, lorsque M. Peterson a envoyé cette lettre, la pièce 13, et un peu après, n’étiez-vous pas préoccupé par le fait que le produit, selon Santé Canada, n’était pas conforme au règlement en vigueur, et que des mesures pourraient être prises pour retirer le produit des comptoirs ou du marché, comme vous avez dit?

 

R. : Oui, je crois que lorsque nous avons reçu ces lettres, nous étions certainement conscients et préoccupés de ce qui pourrait arriver. C’est pourquoi nous avons commencé à écrire des lettres et à essayer d’organiser des rencontres avec des ministres, auxquelles toutes… auxquelles très peu ont reçu une réponse appropriée. Nous n’avons pas reçu de réponse, et nous ne pouvions avoir de rencontre. Nous étions certainement conscients qu’il y avait un problème. Nous ne savions simplement pas comment le corriger. Et je n’étais pas disposé à y mettre fin et à attendre six ans pendant que Santé Canada déterminait que je pourrais finalement le ravoir pour mon fils, il aurait alors été mort.

 

(Dossiers des demandeurs, vol. 5, p. 1454)

 

[105]       Concernant l’ordre donné par Santé Canada le 27 avril 2001 de cesser de vendre EMpowerplus, M. Hardy dit cependant ce qui suit dans son affidavit :

[traduction]

 

En fait, nous ne distribuions pas le produit au Canada et ne croyions donc pas qu’il nous fallait une licence d’établissement. Le produit était fabriqué aux États-Unis d’où il était livré. Nous étions prêts à collaborer avec Santé Canada et à modifier ce qui était dit sur notre site Web afin de répondre à ses préoccupations [au sujet de la vente au Canada], et j’espérais alors que nous pourrions y parvenir […]

 

Nous étions préoccupés par la sommation [de Miles Brosseau] de cesser de vendre. Notre principale inquiétude, c’était que si nous cessions de vendre le produit, nous étions d’avis que nous causerions de graves torts aux personnes participant au programme TrueHope.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 2, p. 309, par. 80 et 81)

 

[106]       Dans la lettre du 17 juin 2002, comme il est dit dans l’historique qui précède, M. Hardy s’est dit frustré de ne pas pouvoir obtenir de Santé Canada qu’il entende ses préoccupations. La réponse qui est venue six mois plus tard et la rencontre qui a suivi le 14 janvier 2003 ont prouvé que M Hardy et Santé Canada étaient dans une impasse. Dans son affidavit, M. Hardy fait le commentaire suivant concernant la rencontre :

[traduction]

 

À la rencontre du 14 janvier 2003, Miles Brosseau a suggéré que nous déménagions aux États-Unis. Nous avons réfléchi à cette possibilité et décidé qu’elle n’était pas faisable. En supposant que les États-Unis acceptent que nous émigrions et déménagions dans le pays, nous avons conclu que ce n’était pas économiquement faisable. Nous étions aussi préoccupés du fait de devoir trouver et former de nouvelles personnes pour diriger le programme TrueHope si nous devions déménager.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 2, p. 311 et 312, par. 90)

 

 

[107]       Au sujet de la réponse à la « lettre ouverte » donnée le 26 mars 2003 par la ministre de la Santé, M. Hardy fait le commentaire suivant :

[traduction]

 

[…]

Cette lettre a été difficile à accepter. Nous croyions que la ministre avait le pouvoir, en vertu de la loi, de nous accorder une exemption pour que EMpowerplus puisse demeurer disponible. Nous avions à plusieurs reprises évoqué l’exemption ministérielle dans notre correspondance et nos rencontres (par exemple dans notre lettre du 17 juin 2002 ou à la rencontre du 14 janvier 2003). Voilà que le cabinet de la ministre nous informait que la ministre ne nous rencontrerait pas, encore moins nous accorder une exemption.

[…]

 

(Dossier des demandeurs, vol. 2, p. 312, par. 92)

 

c. L’angoisse causée par les saisies

[108]       M. Hardy exprime ses préoccupations au sujet de l’effet des saisies sur sa famille en ces termes :

[traduction]

 

Je n’ai jamais souffert de maladie mentale. Mais après avoir mis au point EMpowerplus, j’ai commencé à en prendre régulièrement comme supplément vitaminique et minéral. J’ai encouragé ma famille à en faire tout autant. Je n’ai pas éprouvé d’effets indésirables. En fait, ma propre expérience est que je me sens bien et que je semble attraper le rhume ou la grippe moins souvent qu’à l’époque où je n’utilisais pas d’ EMpowerplus.

 

Lorsque le 17 avril 2003, comme il est décrit plus loin, Santé Canada a saisi l’envoi de 72 flacons d’EMpowerplus, il a saisi 15 flacons que j’avais commandés pour moi-même et ma famille. Dans mon cas et pour la majorité des membres de ma famille, la saisie n’allait pas causer de risque pour la santé. Mais dans le cas de Landon et de Cherilea, la saisie a effectivement créé un important danger pour leur santé. Landon et Cherilea dépendaient d’EMpowerplus pour leur santé et stabilité mentales, menacées par la saisie. Je suis devenu très inquiet pour la santé de Landon et de Cherilea lorsque ma commande d’EMpowerplus a été saisie. J’avais très peur de peut-être voir mes enfants retourner à l’hôpital psychiatrique, ou pire encore. À cette époque, j’avais eu amplement l’occasion de constater chez d’autres la grande rapidité à laquelle ils devenaient instables lorsqu’ils cessaient de prendre EMpowerplus. La saisie était pour moi rien de moins qu’une menace pour leur vie.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 2, p. 302, par. 46 et 47)

 

Cependant, comme M. Hardy était tout à fait au courant de  la DIP, il a reconnu dans son interrogatoire au sujet de son affidavit que les membres de sa famille n’ont pas été privés d’accès au produit en raison des saisies parce qu’il a été personnellement en mesure d’en faire venir un approvisionnement suffisant au Canada en vertu de la DIP (Dossier des demandeurs, vol. 5, p. 1440 à 1442).

 

[109]       M. Hardy était également préoccupé par le fait que d’autres usagers seraient privés d’EMpowerplus; il déclare au paragraphe 97 de son affidavit que la saisie du mois d’avril a aussi [traduction] « causé une grande inquiétude car nous avions des craintes pour la santé des personnes dont l’envoi était retenu ». En ce qui a trait à la lettre du 28 avril 2003 de M. Neske l’informant que l’envoi d’avril serait retenu, M. Hardy explique dans son affidavit pourquoi il a répondu comme il l’a fait dans sa lettre du 29 avril :

[traduction]

 

La lettre du 28 avril 2003 nous a beaucoup angoissés. Les 15 flacons saisis qui étaient les miens étaient destinés à ma famille, dont certains membres utilisaient EMpowerplus pour contrôler une grave maladie mentale. Les 57 flacons restants étaient destinés à 21 participants distincts de TrueHope, dont plusieurs avaient souffert de graves troubles mentaux avant d’utiliser EMpowerplus. Nous croyions que cette rétention causait une importante menace à la santé et à la sécurité de ces 21 participants ainsi qu’à ma famille. Nous avons promptement réagi dans une lettre datée et envoyée le 29 avril 2003 pour communiquer nos inquiétudes.

[…]

Le but de la lettre était de faire savoir en termes clairs à Santé Canada qu’il créait un risque sérieux pour la santé en retenant l’envoi. Nous estimions que cette action dangereuse violait les droits qui étaient garantis aux participants par l’article 7 de la Charte et nous voulions que Santé Canada en tienne compte. Nous espérions en envoyant cette lettre que Santé Canada comprenne qu’il créait une situation dangereuse et qu’il donnerait mainlevée de la saisie.

 

Nous étions si préoccupés au sujet de la santé des participants de TrueHope dont l’EMpowerplus avait été saisi que nous avons cherché de l’assistance juridique […].

 

(Dossier des demandeurs, vol. 2, p. 314 et 315, par. 99 et 100)

[110]       Après la saisie d’avril, M. Hardy déclare :

[traduction]

 

Pendant une bonne partie de cette période, TrueHope était inondé d’appels provenant de participants au programme qui craignaient ne plus recevoir d’EMpowerplus. Plusieurs des appels provenaient de participants dont les envois n’avaient pas encore été saisis, mais qui appelaient pour nous dire qu’ils étaient inquiets. Plusieurs des appelants étaient paniqués. […]

 

Nous nous sentions obligés de faire tout en notre pouvoir pour amener Santé Canada à changer d’idée et faire en sorte que les participants de TrueHope puissent avoir accès à EMpowerplus.

 

Nous avons aussi décidé de rendre public ce qui se passait ainsi que les mesures que nous prenions pour exercer des pressions sur le gouvernement afin de permettre l’accès à EMpowerplus.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 2, p. 317 et 318, par. 114, 116 et 117)

 

 

                                    d. L’inquiétude au sujet de l’état de Landon Hardy

[111]       Landon Hardy donne la description qui suit de son état de santé mentale, de ses traitements et de sa réaction aux saisies :

[traduction]

 

Les premiers problèmes dont je me souviens sont survenus quand j’avais 17 ans, à la fin de 1997, à peu près au moment des examens. Je me souviens de pensées qui défilaient dans ma tête et qui me tenaient éveillé la nuit, de pensées paranoïaques d’hommes armés du gouvernement ou de militaires à ma poursuite, d’hélicoptères qui me pourchassaient. Les symptômes ont empiré les mois suivants.

 

J’ai souffert de ce qui a peut-être été mon pire épisode psychotique en mars 1998. Mes symptômes sont devenus tels que je me sentais piégé et voulais me sauver, alors je suis sorti précipitamment de la maison. Je pensais pouvoir courir jusqu’en Russie où se trouvait mon frère. J’ai enfilé deux ou trois robes de chambre, plusieurs paires de souliers et d’autres vêtements, et je suis sorti de la maison en courant. J’ai traversé la ville en courant, sauté par-dessus des clôtures, traversé des champs, une autoroute et un canal d’irrigation rempli de monceaux de glace et d’eau à la hauteur du genou. Je me rappelle avoir lancé des balles de neige à des chevaux, et fait des signes de la main aux voitures sur la route. Comme j’avais chaud après avoir tant couru, j’ai commencé à arracher mes vêtements. Après avoir parcouru une bonne distance, je me suis dirigé en courant vers une maison que je ne connaissais pas et j’ai frappé à la porte. J’étais alors complètement nu. Les résidents m’ont paru choqués, mais m’ont tendu une couverture. Alors que j’étais encore à la porte, mon père et mon frère sont apparus, ainsi que la police. Je ne sais pas qui a appelé la police, mais j’ai aperçu une femme dans la maison qui était au téléphone. Mon père et mon frère ont réussi à me calmer et ils m’ont ramené à la maison. Heureusement, la police n’a pas porté d’accusation.

 

Je me rappelle aussi être devenu très psychotique pendant quelques jours, incapable de dormir. Une nuit particulièrement difficile, le 20 mars 1998, il y avait deux ou trois chansons qui me trottaient dans la tête, toutes en même temps, que j’étais incapable de chasser. J’hallucinais, je voyais des scies qui tentaient de me couper en deux, des serpents qui me mordaient, et des hélicoptères qui me pourchassaient. Mes parents m’ont emmené dans leur chambre pour tenter de me calmer. J’ai fini par passer à travers cet épisode. Mais je ne me sentais pas assez bien pour retourner à l’école, alors je suis resté à la maison pour essayer de récupérer.

 

Mon père a suggéré que j’essaie de prendre, en suivant un programme régulier, quatre suppléments qu’il avait commencé à fabriquer avec d’autres. Compte tenu de la gravité de mon comportement et de la frayeur que ma crise avait provoquée en moi, j’ai accepté d’essayer les suppléments. Petit à petit, mon état mental s’est amélioré. Après quatre ou cinq mois à suivre le programme, j’ai commencé à me sentir mieux. Les pensées galopantes ont commencé à ralentir, et les images effrayantes sont disparues. J’étais plus calme et je pouvais dormir. Je ne ressentais plus la nécessité de fuir quelque chose.

 

J’étais assez bien pour retourner à l’école en septembre, j’ai terminé l’année scolaire et j’ai obtenu mon diplôme. J’ai pris soin de poursuivre le programme de suppléments, et je me sentais tout à fait normal. J’ai fonctionné très bien pendant un an et demi.

 

En février 2000, mon père m’a fourni une nouvelle formule de suppléments pour que je l’essaie, Empower-plus, produit par Evince, des laboratoires Cornerstone. J’ai compris que cette formule était plus stable que la précédente.

 

J’ai entrepris ce programme avant de me rendre à Salt Lake City, dans l’Utah, pour un projet missionnaire auquel je participais. Après quelques semaines, je suis déménagé à Toronto pour le projet. Le travail était très accaparant, et je m’y consacrais souvent plusieurs heures par jour. Tout allait très bien pour moi. J’étais très pris par mon travail, et j’ai commencé à faire moins attention à la prise de mes suppléments. Je commençais à penser que mes problèmes étaient chose du passé, et que je n’étais plus obligé de continuer à prendre les suppléments. Je sautais la dose du midi, et je ne prenais plus d’EMPowerplus que de façon sporadique.

 

Juste avant que je quitte l’Ontario, j’ai fait une gastroentérite qui m’a donné la diarrhée. Celle-ci a duré quelques semaines, durant lesquelles les quelques doses d’EMPowerplus que j’ai prises n’auraient pas été absorbées. Je suis retourné en Alberta en décembre, chez mes parents. La diarrhée s’est poursuivie pendant quelques semaines de plus. J’ai constaté que je me sentais de plus en plus mal et que je devenais rapidement colérique. Je me fâchais de plus en plus souvent, et mes accès de colère empiraient. J’ai commencé à avoir de troublantes hallucinations, les mêmes images qu’en 1998, mais encore plus violentes. Mes pensées n’étaient plus cohérentes, et je ne fonctionnais plus correctement. Je me souviens de périodes d’extrême colère, j’ai commencé à perdre mon sang-froid et à un moment donné, j’ai fracassé une chaise dans un accès de rage. J’ai mis le feu à la maison à une ou deux reprises. Mes parents n’en pouvaient plus et m’ont emmené à l’hôpital de Raymond, le 5 février 2001, où l’on a certifié que j’étais un patient en cure involontaire en vertu de la loi sur la santé mentale avant de me diriger vers l’hôpital régional de Lethbridge.

 

[…]

 

Le diagnostic était que je souffrais de schizophrénie. À l’hôpital, on m’a prescrit du Flanksol pendant le premier mois, puis du Haldol. On m’a aussi prescrit du Zyprexa. Je me souviens des accès de colère à l’hôpital, comme la fois où j’ai renversé une table sur laquelle se trouvait un casse-tête. J’ai lancé une pointe de pizza à un autre patient. Je voulais m’enfuir, mais on ne me laissait pas partir. Au début, je me sentais plus mal, mais après que les médecins eurent changé ma médication, je me suis stabilisé un peu. Je dormais jusqu’à 18 ou 20 heures d’affilée. […]

 

J’ai engraissé de 50 à 65 livres pendant que je prenais les médicaments de l’hôpital, et je sentais que mon cerveau était comme dans un brouillard. J’ai constaté que même si mes idées avaient cessé de galoper dans ma tête, j’étais somnolent. Je ne me sentais pas vraiment mieux. Je n’étais plus violent, j’étais plutôt très tranquille. Mais je ne me sentais pas fonctionnel. Quand je prends EMpowerplus, je n’ai pas cette somnolence, et je me sens fonctionnel.

 

Quelque temps après le début de mon hospitalisation, j’ai recommencé à prendre EMpowerplus. Ma famille me l’apportait, et il y avait deux infirmières qui me rappelaient de le prendre. Je me rappelle avoir dit aux médecins traitants de l’hôpital que je prenais EMpowerplus.

 

Après mon congé de hôpital, j’ai continué à prendre le supplément, j’ai fait attention à ma diète pour éviter d’avoir des problèmes intestinaux, et j’ai fini par cesser le Zyprexa. Je suis retourné voir le psychiatre qui m’avait traité à l’hôpital six mois plus tard pour un suivi. Je n’avais plus aucun problème, et je ne suis pas retourné le voir. Je n’ai eu aucune rechute depuis. Je n’ai jamais cessé de prendre EMpowerplus car je ne veux plus retourner à l’hôpital psychiatrique ni me retrouver avec ces pensées galopantes, la confusion, la paranoïa et les hallucinations.

 

En avril 2003, ma famille m’a informé que le gouvernement avait saisi des envois d’EMPowerplus. Quand j’ai appris que des envois avaient été saisis à la frontière, je suis devenu très angoissé et j’ai eu peur de ce qui pourrait m’advenir, à moi et à ma famille, si j’étais incapable de me procurer EMpowerplus. J’ai souffert d’une grave maladie mentale, mais depuis que je suis inscrit au programme d’EMPowerplus, j’ai complètement retrouvé la santé et me sens bien. Après être tombé malade en 1997 et avoir commencé à prendre EMpowerplus en 1998, je n’ai eu qu’une seule rechute, tout de suite après avoir totalement cessé de prendre EMpowerplus, aux alentours du mois de décembre 2000.

 

En 2003, j’étais toujours célibataire et je vivais dans la maison familiale avec mes parents. Je sais que j’ai menacé ma famille et que j’étais un danger pour moi-même au début de 2001, et j’avais peur de retomber malade. Je pouvais voir que la saisie des envois d’EMPowerplus à la frontière causait beaucoup de stress et d’inquiétude pour mes parents, comme j’avais été violent envers eux


lorsque je ne prenais pas le supplément. Je voyais aussi que mes parents étaient fâchés et frustrés à cause des saisies.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 8, p. 2345 à 2449, par. 6 à 13, et 15 à 20)

 

e. Conclusion

[112]       La principale impression qui se dégage du témoignage de M. Hardy, c’est qu’il est un homme solide, dévoué, imaginatif et très déterminé. Au moment des saisies, il portait plusieurs chapeaux : celui d’entrepreneur ayant de grands talents en affaires et en gestion; celui de leader visionnaire et de chaud partisan de l’utilisation de produits de santé naturels à des fins thérapeutiques; celui de contestataire de l’autorité gouvernementale considérée comme étant injuste et dénuée d’empathie; celui d’allié dévoué des personnes souffrant de maladie mentale ayant besoin de soins; et celui de père compatissant et soucieux de ses propres enfants malades.

 

[113]       Les activités relevant de ces différents rôles, telles qu’elles se dégagent de la preuve, sont difficiles à distinguer. La déception et la frustration de M. Hardy, en tant qu’artisan d’une entreprise de soins de santé naturels prospère et respectée dans le contexte difficile d’un conflit l’opposant à la réglementation gouvernementale, sont difficiles à distinguer de ses propres sentiments d’empathie et d’inquiétude à l’égard des usagers d’EMpowerplus qui se sentaient menacés par les saisies.

 

[114]       Je ne doute pas que durant toute la vie de son fils Landon, M. Hardy a éprouvé beaucoup d’angoisse au sujet de sa piètre santé mentale, et que les saisies ont pu causer une crainte immédiate pour sa sécurité. Mais concernant la possibilité pour Landon de continuer à avoir accès à EMpowerplus après les saisies, si l’on considère les choses de manière réaliste et en se fondant sur le propre témoignage de M. Hardy, cet accès n’a jamais fait de doute. M. Hardy connaissait d’autres moyens de s’approvisionner, et il a effectivement pris ces moyens pour s’approvisionner.

 

[115]       Quant aux saisies, la résilience de M. Hardy est impressionnante. Sa réaction immédiate a été de faciliter et d’organiser une campagne très réussie pour que les participants de TrueHope continuent à avoir accès à EMpowerplus grâce à une entente avec Santé Canada. En fait, en vue de garantir cet accès dans le futur, il a, à titre d’un des dirigeants de TrueHope et à titre de demandeur dans la présente instance, mené une chaude lutte durant les six dernières années pour que ses préoccupations en matière de soins de santé soient entendues grâce à la présente demande.

 

[116]       Par conséquent, compte tenu de la force de caractère attestée de M. Hardy, et compte tenu de la complexité des facteurs en jeu dans les démêlés de TrueHope et de M. Hardy avec Santé Canada menant aux saisies tels qu’elles ont été décrites dans l’historique, je ne peux pas conclure que M. Hardy a satisfait au critère applicable à une contestation fondée sur l’article 7; je ne peux pas conclure que les saisies, comprises dans ce contexte, ont eu des répercussions graves et profondes sur son intégrité psychologique.

 

[117]       Je rejette donc la demande de M. Hardy fondée sur l’article 7 de la Charte.

 


B. La demande de M. Hardy et de TrueHope fondée sur l’article 8 de la Charte

[118]       L’article 8 de la Charte est libellé comme suit :

 

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

 

. 8. Everyone has the right to be secure against unreasonable search and seizure.

 

[119]       Il est convenu que seule la saisie du 8 avril 2003 est pertinente pour cette demande fondée sur l’article 8 parce que, même si l’envoi de mai 2003 a été inspecté, à la fin il n’a pas été saisi en fait et en droit.

 

[120]       La règle de droit récente pour déterminer si une « saisie » porte atteinte à un droit garanti par l’article 8 est exprimée par le juge Lebel, de la Cour suprême, au paragraphe 53 de l’arrêt Québec (Procureur général) c. Laroche, [2002] 3 R.C.S. 708 :    

Toutefois, à l’instar d’une interprétation trop large du mot saisie, une interprétation rigoureusement littérale de la notion risquerait de détourner l’art. 8 de son objet. Dans l’interprétation du mot « saisie », il ne suffit pas de s’arrêter au procédé. Il faut examiner le contexte et l’objectif de la garantie. Faire fi de la finalité et du cadre de cette disposition risque de la vider d’une partie de son effet dans bien des situations où les intérêts constitutionnels de protection de la vie privée, sinon de régularité et d’équité fondamentale de la procédure pénale se trouvent en jeu. Alors, si une limite doit s’appliquer à la définition du mot saisie, elle ne doit pas se rattacher au procédé lui-même mais bien au contexte dans lequel elle est exécutée. Des commentaires de S. C. Hutchison, J. C. Morton et M. P. Bury expriment bien cette problématique de l’interprétation et de l’application de l’art. 8 : 

[TRADUCTION] Il convient d’établir une limite à la portée du mot « saisie » utilisé dans la Charte. Le droit particulier d’une personne à la « jouissance de ses biens », que garantit la Déclaration canadienne des droits, n’est pas garanti par la Charte. L’interdiction des fouilles, perquisitions et saisies abusives vise à promouvoir le droit à la vie privée et non le droit de propriété. Par conséquent, la protection que la Charte assure contre les saisies abusives ne devrait pas s’appliquer à des mesures gouvernementales du seul fait que ces mesures portent atteinte au droit de propriété. En particulier, lorsqu’un bien est confisqué par l’État autrement que dans le cadre d’une enquête administrative ou criminelle, il n’y a pas « saisie » au sens de la Charte. Un certain nombre de décisions illustrent cette perception de la saisie. La rétention d’un bien ne constitue pas en soi une saisie au sens de la Charte — l’enquête administrative ou criminelle doit avoir une incidence additionnelle sur le droit à la vie privée. [Je souligne.]

 

(S. C. Hutchison, J. C. Morton et M. P. Bury, Search and Seizure Law in Canada (feuilles mobiles), p. 2-5; voir aussi : F. Chevrette et H. Cyr, « La protection en matière de fouilles, perquisitions et saisies, en matière de détention, la non-rétroactivité de l’infraction et la peine la plus douce », dans G.-A. Beaudoin et E. P. Mendes, dir., Charte canadienne des droits et libertés (3e éd. 1996), 521, p. 529.)

 

Il faut donc procéder à une analyse contextuelle pour déterminer le but de la saisie : était-ce dans le but d’une enquête criminelle comme le prétendent les demandeurs; dans le but d’une enquête administrative comme le prétendent les défendeurs; pour les deux buts; pour aucun des deux?

 

[121]       Le principal argument des demandeurs est que cette Cour a déjà déterminé que les saisies en vertu de la LAD visaient une enquête criminelle. À l’appui de leur argument, ils invoquent le


passage suivant, au paragraphe 150 de la décision du juge Muldoon dans C.E. Jamieson c. Canada, [1988] 1 C.F. 590 (C.E. Jamieson), qui portait sur la version antérieure de l’article 23 de la loi :

Il est vrai que les alinéas 22(1)a), b) et c) créent des pouvoirs qui semblent prévoir des inspections réglementaires, mais l'alinéa 22(1)d), invoqué par les inspecteurs, prévoit que le fonctionnaire « peut ... saisir et détenir ... tout article au moyen duquel ou relativement auquel il croit raisonnablement qu'une disposition de la présente loi ou des règlements a été violée". (C'est moi qui souligne.) Ce sont là les mots mêmes qu'emploie l'article 26. L'intention législative de faire de l'alinéa 22(1)d) un accessoire procédural servant dans la poursuite des infractions en vertu de l'article 26 est tellement manifeste qu'il n'est pas nécessaire de s'y attarder plus longtemps.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Étant donnée la nécessité d’une analyse contextuelle pour répondre à la question, comme l’a dit le juge Lebel dans Québec c. Laroche, je conclus, avec respect, que la preuve au dossier de la présente demande mérite effectivement que l’on discute davantage des motifs de Santé Canada pour procéder à la saisie.

 

[122]       Lorsqu’il était interrogé au sujet de son affidavit, M. Neske a fourni une directive en matière de politique contenant ce qui suit au sujet de l’application de la LAD et du Règlement :

6.5.12. Saisie et rétention

La saisie administrative et la rétention constituent un outil d'application immédiat en cas de non-conformité. L'Inspectorat peut prendre en main des articles (p. ex. une drogue ou un instrument médical) non conformes. Avant de décider de recourir à la saisie administrative et à la rétention, l'Inspectorat évaluera le risque pour la santé et la sécurité, ainsi que l'historique de conformité de la partie réglementée.

 

Il arrive que des articles soient saisis comme éléments de preuve aux fins d'une poursuite judiciaire. L'Inspectorat peut saisir, comme preuve, les articles non conformes en vertu d'un mandat de perquisition obtenu conformément à l'article 489 du Code criminel.

 

6.5.13. Poursuite judiciaire

Il s'agit d'une procédure par laquelle une cour de juridiction criminelle détermine si la loi ou le règlement applicable a été violé et, le cas échéant, établit la sanction qui s'impose. L'Inspectorat envisagera de recommander qu'une accusation soit portée si la non-conformité peut être liée à l'un des critères suivants :

·             crée un risque important pour la santé;

·             persiste;

·            est préméditée, témoigne d'indifférence ou d'insouciance, ou s'écarte de façon marquée des normes raisonnables en matière de soins;

·             si d'autres activités d'application se sont avérées inefficaces.

 

(Dossier des demandeurs, vol. 8, p. 2589)

 

En pratique donc, la politique établit une nette distinction entre une « saisie administrative et une rétention » comme outil d’application immédiat pour contrôler la non-conformité, et la « saisie d’articles comme éléments de preuve » aux fins d’une poursuite criminelle.

 

[123]       Effectivement, en mai 2004, TrueHope et Synergy ont été accusées au criminel d’avoir contrevenu à la LAD et à son règlement d’application pour avoir vendu de l’EMpowerplus au Canada entre le 1er janvier et le 31 décembre 2003. Aux fins de cette poursuite, un mandat a été demandé pour perquisitionner les bureaux de TrueHope à Raymond (Alberta), perquisition qui a eu lieu en juillet 2003. Les demandeurs prétendent que, parce que les mesures prises concernant les envois d’avril et de mai 2003 sont mentionnées dans la demande de mandat, cela signifie que la saisie d’avril a été effectuée aux fins de cette enquête criminelle.

 

[124]       Comme elle est reproduite dans la Section I des présents motifs, la télécopie de M. Neske à M. Stephan envoyée immédiatement après la saisie du mois d’avril indique les motifs de la saisie :

Objet : E.M. Power +

Concernant l’envoi de 72 flacons du produit mentionné en objet actuellement retenu, il n’y aura pas de mainlevée pour le moment. Le produit fait l’objet d’une enquête relative à une importation interdite aux termes de l’article A.01.040 du Règlement sur les aliments et drogues. Nous espérons terminer cette enquête rapidement grâce à votre collaboration.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier des demandeurs, vol. 3, p. 1034)

 

Comme il est dit plus haut, l’article A.01.040 du Règlement est libellé comme suit :

Sous réserve de l'article A.01.044, il est interdit d'importer pour la vente des aliments ou des drogues dont la vente au Canada enfreindrait la Loi ou le présent règlement.

 

[125]       La lettre de M. Neske dit clairement que la saisie du mois d’avril se rapportait à l’importation, et non à la vente, d’EMpowerplus au Canada. Il n’est pas clair cependant si la saisie était censée être une saisie administrative et une rétention en tant que mesure d’application immédiate en vue de contrôler la non-conformité, ou s’il s’agissait d’une saisie servant à recueillir des éléments de preuve en vue d’une poursuite. À mon avis, il s’agissait sans doute des deux.

 

[126]       Le dernier jour de l’audition de la présente demande, l’envoi du mois d’avril a été inspecté dans la salle d’audience, et il a été établi que suite à la saisie, une partie des produits saisis a été prélevée pour être analysée. J’en conclus donc que la saisie a servi en partie à recueillir des éléments de preuve en vue d’une poursuite, soit pour vente illégale ou pour importation illégale.

 

[127]       Comme en a fait état le juge Lebel dans Québec c. Laroche, un élément important de l’analyse au regard de l’article 8 consiste à déterminer si la rétention de biens correspond à une saisie au sens de la Charte. Pour que la Charte soit en cause, la rétention doit aussi avoir une incidence additionnelle sur le droit à la vie privée.

 

[128]       À mon avis, les facteurs suivants établissent que M. Hardy et Truehope n’ont pas de base crédible pour se plaindre de la saisie en invoquant la Charte : pendant les deux années qui ont précédé la saisie, M. Hardy a eu de nombreux contacts personnels avec des fonctionnaires de Santé Canada; durant cette période, M. Hardy savait que TrueHope et Synergy enfreignaient la LAD et le Règlement; Santé Canada a fait preuve de patience en expliquant clairement que les infractions ne pouvaient pas être passées sous silence et que la conformité avec la loi était requise; mais surtout, M. Hardy a refusé net de d’essayer de trouver le moyen d’assurer la conformité de Synergy et de Truehope. Ainsi, en tenant compte de tous les facteurs, je conclus que M. Hardy et Truehope n’avaient pas de droit au respect de la vie privée à l’égard des produits saisis, et que ces saisies n’avaient donc pas d’incidence additionnelle sur l’un ou l’autre d’entre eux.

 

[129]       Même si un pouvait trouver un faible droit au respect à la vie privée en faveur de M. Hardy et de Truehope qui mettrait en cause les droits garantis par l’article 8, j’estime qu’en raison des facteurs mentionnés plus haut, le résultat serait le même. Dans cette situation, puisque la saisie de l’envoi d’avril a été exécutée sans mandat, il est entendu qu’il existe une présomption réfutable de saisie abusive. S’il s’agit d’une saisie à des fins administratives, la présomption est facile à réfuter, mais s’il s’agit d’une saisie à des fins de poursuite criminelle, la présomption du caractère abusif est difficile à réfuter (Hunter et al. c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145). Il reste qu’à mon avis, la présomption est réfutée selon les normes les plus rigoureuses. J’estime que la saisie était très raisonnable, tant pour les fins de l’enquête administrative que pour l’enquête criminelle visant à faire cesser une conduite illégale qui perdurait.

 

[130]       Dernier élément de l’analyse au regard de l’article 8, l’avocat des demandeurs fait valoir que dans C.E. Jamieson, le juge Muldoon a décidé que la version antérieure de l’article 23 était inconstitutionnelle, et comme il est convenu qu’il n’y a pas de différence entre cette version et l’article 23, cet article est donc inconstitutionnel. C’est l’effet qu’aurait le paragraphe 155 de la décision :

Il est manifeste, donc, qu'il était possible de recourir à une autorisation préalable. L'autorisation préalable n'aurait pas entraîné un déséquilibre en faveur de l'expectative de respect de la vie privée de la demanderesse et du respect de sa propriété, au détriment des objectifs étatiques valables concernant l'application de la loi et la [page670] protection de la sécurité du public. Par conséquent, la saisie sans mandat était abusive et contrevenait à l'article 8 de la Charte. Nous déclarons donc, dans la mesure de cet abus, que l'alinéa 22(1)d) de la Loi des aliments et drogues est inopérant.

 [Non souligné dans l’original.]

 

[131]       L’avocat des demandeurs plaide que l’utilisation du mot « inopérant » par le juge Muldoon appuie la conclusion selon laquelle l’article 23 est inconstitutionnel. À mon avis, si on interprète ce mot dans son contexte, on doit rejeter cet argument. La conclusion de droit dans C.E. Jamieson est que la présomption du caractère abusif de la saisie n’avait pas été réfutée et qu’il était donc établi que la perquisition contrevenait à la Charte. À mon avis, le commentaire portant que l’alinéa 22(1)d) est « inopérant » doit s’interpréter comme signifiant que la violation de la Charte rendait la saisie inopérante.

 

[132]       On trouve une confirmation de cette conclusion au paragraphe 156 de C.E. Jamieson où le juge Muldoon dit ce qui suit :

[traduction]

 

La saisie est annulée parce que abusive. Ce n'est que la saisie qui est déclarée inconstitutionnelle. […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

De plus, à la fin de la décision sous la rubrique [traduction] « Résumé des dispositifs », un redressement est offert dans les termes suivants, au paragraphe 158 :

[traduction]

 

... la saisie des articles effectuée le 17 décembre 1984 par le directeur, défendeur, et les inspecteurs, agents et autres fonctionnaires publics qui étaient alors membres de son personnel ou qui étaient par ailleurs autorisés à effectuer de telles saisies, est et était illégale, nulle et de nul effet, en particulier parce que ladite saisie était abusive et contrevenait à l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[133]       Je conclus donc que C.E. Jamieson ne permet pas d’affirmer que l’article 23 est inconstitutionnel.

 

[134]       En fin de compte, je conclus que la saisie du 23 avril n’a pas porté atteinte aux  droits que l’art. 8 garantit à MM. Hardy ou Truehope.

 

V.        Conclusion de la présente demande

[135]       La demande est rejetée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande est rejetée.

2.         La question des dépens est différée jusqu’à réception des observations supplémentaires des parties.

 

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-880-03

 

INTITULÉ :                           TRUEHOPE NUTRITIONAL SUPPORT LIMITED                                                              ET DAVID HARDY

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET LA MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

LIEUX D’AUDIENCE :                    Calgary (Alberta) ET

                                                            Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATES D’AUDIENCE :                   2 AU 20 NovembrE 2009

                                                            27 NOVEMBRE 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 JANVIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shawn Buckley

 

POUR LES DEMANDEURS

James Shaw

Jaxine Oltean

Nataha Leclerc

Jessica Stallknecht

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Buckley & Company

Kamloops (C.-B.)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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