Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

 


 

Date : 20100120

Dossier : IMM-2980-09

Référence : 2010 CF 54

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

RANGA JEEWANTHA WIJESINGHE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L’MMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas au Sri Lanka, datée du 16 juin 2009, rejetant la demande de permis de travail du demandeur aux termes du paragraphe 200(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) D.O.R.S./2002-227 parce que le demandeur n’a pas convaincu l’agente des visas qu’il retournerait au Sri Lanka, pays où il est né, à la fin de la période de séjour qui lui était applicable.


LES FAITS

Contexte

[2]               Le demandeur, âgé de vingt-six (26) ans, est citoyen du Sri Lanka. Au moment de sa demande la plus récente, il avait été cuisinier pendant quelque deux ans au Saketha Medura Banquet Hall. Le demandeur a fait des études secondaires de niveaux O et A et est titulaire d’un diplôme en gestion hôtelière obtenu après quatre ans d’études. Le demandeur déclare parler couramment l’anglais.

 

[3]               Le 2 mai 2008, le demandeur a fait une première demande de permis de travail. Il a obtenu un avis favorable concernant l’impact sur le marché du travail qui confirmait l’offre d’emploi de Doncan Restaurants Inc., au restaurant Denny’s, à Calgary, en Alberta. Le demandeur a signé un contrat d’emploi comme cuisinier au restaurant Denny’s, à 12 $ l’heure pour une semaine de travail de 40 heures. L’agente des visas, après avoir examiné la demande de permis de travail, n’était pas convaincue que le demandeur possédait les qualités requises pour travailler au Canada comme cuisinier et a rejeté sa demande le 8 septembre 2008.

 

[4]               Le demandeur n’était pas d’accord avec le premier refus, mais il ne l’a pas contesté. Selon le demandeur, la première agente des visas a fondé son opinion sur le fait que le demandeur exerçait en fait les activités de « commis II », soit un cuisinier subalterne qui s’occupe des outils d’une section de la cuisine, et non celles de « cuisinier » au moment de la demande.

 

[5]               Le demandeur a obtenu un nouvel avis concernant l’impact sur le marché du travail le 11 mars 2009 qui confirmait une offre d’emploi du Restaurant R&A, aussi appelé Copper Kettle, à Regina, en Saskatchewan. Le demandeur a signé un contrat d’emploi comme « aide de cuisine » au Copper Kettle le 24 novembre 2008. Le restaurant acceptait d’embaucher le demandeur au salaire horaire de 10,50 $ pour une semaine de travail de 44 heures. Le demandeur a cherché à obtenir un deuxième permis de travail le 29 mars 2009, permis qui a été refusé par un deuxième agent des visas le 16 juin 2009.

 

Décision contestée

[6]               Le demandeur a expliqué qu’il cherchait à obtenir un poste d’« aide de cuisine » afin d’avoir le temps d’acquérir en milieu de travail l’expérience nécessaire pour devenir cuisinier. Le demandeur a déclaré avoir l’intention de retourner au Sri Lanka à la fin de la période de séjour qui lui est applicable. Le demandeur a soutenu qu’il avait de [traduction] « nombreuses possibilités » de demander la résidence permanente à la fin de la période de séjour autorisée.

 

[7]               L’agente des visas n’était pas convaincue que le demandeur était un véritable travailleur temporaire et ce, pour les motifs suivants :

[traduction] Le demandeur principal a occupé des postes de plus en plus élevés dans le domaine culinaire depuis 2002. Il serait maintenant prêt à laisser tout cela derrière lui et à faire du travail d’entretien et à nettoyer et couper des légumes. Ni le demandeur principal ni le consultant n’ont expliqué en quoi cette façon de faire serait avantageuse pour sa carrière au Sri Lanka. Autre source de préoccupation, le consultant déclare que le demandeur principal pourrait demander la résidence permanente au Canada s’il décidait de le faire, tout en sachant très bien que les travailleurs peu qualifiés ne sont pas admissibles au statut de résident permanent au Canada. Je ne suis pas convaincue que le demandeur principal est un véritable travailleur temporaire.

 

 

[8]               La demande de permis de travail a donc été rejetée.

 

LÉGISLATION

[9]               Le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27 exige de l’étranger qu’il demande un visa avant d’entrer au Canada :

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite

d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[10]           Le paragraphe 22(2) de la LIPR autorise l’étranger à demander à la fois l’admission à titre temporaire et le statut de résident permanent :

(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay..

 

[11]           L’article 197 du RIPR autorise l’étranger à faire une demande de permis de travail à tout moment avant son entrée au Canada :

197. L’étranger peut, en tout temps avant son entrée au Canada, faire une demande de permis de travail.

197. A foreign national may apply for a work permit at any time before entering Canada.

 

[12]           Le paragraphe 200(1) du RIPR énonce les exigences d’attribution d’un permis de travail à l’étranger :

200. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis de travail

à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

a) l’étranger a demandé un permis de travail conformément à la section 2;

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

 

c) il se trouve dans l’une des situations suivantes :

(i) il est visé par les articles 206, 207 ou 208,

(ii) il entend exercer un travail visé aux articles 204 ou 205,

(iii) il s’est vu présenter une offre d’emploi et l’agent a, en application de l’article 203, conclu que cette offre est authentique et que l’exécution du travail par l’étranger est susceptible d’avoir des effets positifs ou neutres sur le marché du travail canadien;

[Non souligné dans l’origina]l

200. (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

 

(a) the foreign national applied for it in accordance with Division 2;

 

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

 

(c) the foreign national

(i) is described in section 206, 207 or 208,

(ii) intends to perform work described in section 204 or 205, or

(iii) has been offered employment and an officer has determined under section 203 that the offer is genuine and that the employment is likely to result in a neutral or positive effect on the labour market in Canada; and

[Emphasis added]

 

 

QUESTION À TRANCHER

[13]           Le demandeur soulève la question suivante :

                                   i.                   Est-ce que l’agente des visas a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en omettant de prendre en compte l’ensemble des éléments de preuve fournis par le demandeur et en fondant son évaluation sur une application incorrecte de la loi?

 

 

NORME DE CONTRÔLE

[14]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a établi au paragraphe 62 que la première étape d’une analyse de la norme de contrôle judiciaire applicable consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier »; voir aussi Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, par la juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[15]           Le demandeur a soulevé des questions relatives au caractère raisonnable de conclusions de fait ou de conclusions mixtes de fait et de droit d’une agente des visas. Il est clair que, à la lumière de la jurisprudence établie par les arrêts Dunsmuir et Khosa, ces questions doivent faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme du caractère raisonnable : voir aussi ma décision dans Randhawa c. Canada (MCI), 2006 CF 1294, au paragraphe 10; Dhanoa c. Canada (MCI), 2009 CF 729, par le juge Harrington, au paragraphe 11; Thomas c. Canada (MCI), 2009 CF 1038, par le juge Mosely, au paragraphe 9.

 

[16]           En effectuant le contrôle de la décision de l’agente selon la norme du caractère raisonnable, la Cour tiendra compte de « … la justification de la décision… [de] la transparence et… [de] l’intelligibilité du processus décisionnel » et établira si la décision « fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” » : Dunsmuir, au paragraphe 47, Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

ANALYSE

Question :       Est-ce que l’agente des visas a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en omettant de tenir compte de tous les éléments de preuve fournis par le demandeur et en fondant son évaluation sur une application incorrecte de la loi?

 

[17]           Le demandeur soutient que l’agente des visas a erré en limitant son évaluation au fait que le poste d’« aide de cuisine » que le demandeur cherchait à obtenir au Canada était à un niveau inférieur à celui que le demandeur occupait au Sri Lanka, sans tenir compte de la raison pour laquelle le demandeur cherchait un poste d’« aide de cuisine » et du fait qu’il avait l’intention de devenir cuisinier à temps plein au Canada et d’y acquérir une expérience canadienne.

 

[18]           Pour faciliter la lecture du présent jugement, je reprends une partie de la citation de la décision de l’agente des visas :

[traduction] Le demandeur principal a occupé des postes de plus en plus élevés dans le domaine culinaire depuis 2002. Il serait maintenant prêt à laisser tout cela derrière lui et à faire du travail d’entretien et à nettoyer et couper des légumes. Ni le demandeur principal ni le consultant n’ont expliqué en quoi cette façon de faire serait avantageuse pour sa carrière au Sri Lanka.

 

[19]           De l’avis de la Cour, il est clair que l’agente des visas a omis de tenir compte des éléments de preuve suivants :

1.                  Le demandeur a cherché à obtenir un poste d’« aide de cuisine » étant donné que sa première demande de permis de travail a été refusée parce que l’agent des visas a estimé qu’il ne possédait pas les compétences pour être « cuisinier »; et

 

2.                  le demandeur a expliqué qu’il cherchait à obtenir un poste d’« aide de cuisine » de façon à devenir « cuisinier » à temps plein au restaurant, en montrant à son employeur qu’il possédait les compétences requises.

 

Ces éléments de preuve expliquent pour quelle raison le demandeur acceptait un poste de niveau inférieur comme « aide de cuisine », ce dont l’agente des visas n’a pas tenu compte.

 

[20]           Voici le reste de l’extrait de la décision de l’agente des visas :

[traduction] Autre source de préoccupation, le consultant déclare que le demandeur principal pourrait demander la résidence permanente au Canada s’il décidait de le faire, tout en sachant très bien que les travailleurs peu qualifiés ne sont pas admissibles au statut de résident permanent au Canada. Je ne suis pas convaincue que le demandeur principal est un véritable travailleur temporaire.

 

[21]           La Cour est d’avis que l’agente des visas n’a pas tenu compte de l’intention du demandeur, soit acquérir de l’expérience canadienne et devenir « cuisinier ». Après avoir acquis ces compétences et étant donné son expérience, sa formation et le fait qu’il semble parler couramment l’anglais, le demandeur aurait le droit de demander le statut de résident permanent en tant que travailleur qualifié après son retour au Sri Lanka à l’expiration de son visa de travail.

 

[22]           Le paragraphe 22(2) de la LIPR prévoit que l’étranger peut à la fois demander l’admission à titre temporaire au Canada puis, plus tard, le statut de résident permanent et que cette intention de devenir un résident permanent ne peut justifier un refus de visa de résident temporaire, comme un permis de travail, dans la mesure où l’agent des visas est convaincu que le demandeur quittera le Canada à l’expiration de son permis de travail et qu’il n’y demeurera pas illégalement : Rebmann c. Canada (MCI), 2005 CF 310, par le juge Martineau, au paragraphe 25. Par conséquent, l’agent des visas qui tire une conclusion négative de l’intention du demandeur de devenir par la suite résident permanent et s’en sert pour refuser un permis de travail se place dans l’illégalité.

 

[23]           Le défaut de l’agente des visas de tenir compte des éléments de preuve pertinents présentés par le demandeur rend erronées les inférences factuelles et juridiques qui sous-tendent la décision. La décision de l’agente est donc déraisonnable et ne peut être confirmée.

 

[24]           Pour ces motifs, la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire, infirme la décision de l’agente des visas et renvoie l’affaire à un autre agent des visas afin qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

QUESTION CERTIFIÉE

[25]           Les deux parties ont informé la Cour que la présente affaire ne soulève pas une question grave de portée générale qu’il conviendrait de certifier en vue d’un appel. La Cour est d’accord.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agente des visas est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

 

Copie certifiée conforme

Colette Dupuis

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2980-09

 

INTITULÉ :                                       RANGA JEEWANTHA WIJESINGHE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Bahman Motamedi

 

POUR LE DEMANDEUR

M. Neal Samson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green and Spiegel, LLP

Toronto

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.