Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2010
En présence de monsieur le juge Pinard
Entre :
et
et de l’immigration du Canada
Motifs du jugement et jugement
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision rendue le 21 avril 2009 par Alexander George Johnstone, dans laquelle il a rejeté la demande d’asile du demandeur.
[2] M. Muhammad Iqbal Butt, le demandeur, est né et a grandi à Sialkot, Panjab, au Pakistan. Il est âgé de 46 ans et est arrivé au Canada le 18 octobre 2007. Il est membre de la Ligue musulmane du Pakistan (groupe Nawaz), LMP-N, un parti politique. Le demandeur a été actif au sein du parti, comme son père avant lui, et a souvent participé à des assemblées ainsi qu’à des manifestations politiques.
[3] Selon la déclaration du demandeur, ses agents de persécution étaient des agents de l’État, la police de Sialkot et des membres de la Ligue musulmane du Pakistan (groupe Qaid-e-Azam), LMP‑Q, en particulier Choudry Shujaat Hussain qui était le député local à Sialkot. Le motif allégué de la persécution était l’affiliation politique du demandeur à la LMP-N et plus particulièrement, sa participation aux assemblées pour s’opposer au parti au pouvoir.
[4] Pour le commissaire, la question à trancher était de savoir si la crainte subjective était bien fondée eu égard à la preuve documentaire. Il a également examiné les éléments de preuve concernant le climat politique au Pakistan en 2009 en comparaison de 2007, lorsque le demandeur a fui le pays. La Commission a finalement conclu que les éléments de preuve à l’appui de la persécution du fait des opinions politiques du demandeur n’étaient pas bien fondés à l’égard de la preuve présentée lors de l’audience.
[5] La Commission a examiné la question de savoir si le demandeur était une personne à protéger. Selon le témoignage du demandeur, le chef de la LMP‑N vit à Lahore. Le demandeur a convenu qu’il existait une [traduction] « possibilité » selon laquelle il aurait pu déménager à Lahore, mais il a ajouté que la police l’arrêterait à son arrivée à l’aéroport. Le demandeur a expliqué que la police n’avait pas besoin d’un mandat d’arrêt ou d’un FIR pour le détenir. Le [traduction] « réseau de la police » était tel que le [traduction] « système » faisait en sorte qu’il n’était pas en sécurité à Lahore. La Commission a repoussé cette proposition et a conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI), à savoir Lahore. Ainsi, si le demandeur devait retourner au Pakistan, il n’avait pas de possibilité sérieuse d’être exposé à de la torture, à des peines cruelles et inusitées ou à la mort.
[6] La question de savoir si le demandeur a répondu aux motifs légaux de la crainte subjective de persécution énoncés à l’article 96 est une question mixte de fait et de droit. De même, la question de savoir si le demandeur est une personne à protéger est une question mixte de fait et de droit. Dans le cadre du processus décisionnel relatif aux articles 96 et 97 de la Loi, la Commission tirera souvent des conclusions de fait à l’égard de la disponibilité d’une PRI raisonnable et/ou de la question de savoir s’il y a eu un changement suffisamment important dans la situation du pays d’origine pour écarter le fait que le demandeur craignait avec raison d’être persécuté au moment où il a fui son pays (Stoyanov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 N.R. 394 (C.A.F.), par. 3).
[7] Selon la Cour suprême du Canada, au paragraphe 53 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, lorsque le tribunal entreprend un examen de questions de droit et de faits qui ne peuvent être dissociées aisément, la cour de révision fera preuve de déférence à l’égard du tribunal. La norme de contrôle applicable dans la présente affaire est la « raisonnabilité ». La Cour suprême a déclaré ce qui suit au paragraphe 47 :
[. . .] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
Elle ne doit pas intervenir pour y substituer son opinion, à moins que la décision n’appartienne pas aux issues raisonnables, bien qu’à l’occasion la Cour ne soit pas d’accord avec le poids accordé à divers éléments de preuve.
[8] L’argument fondamental du demandeur est que la Commission a mal évalué la preuve dont elle était saisie et qu’elle a fait abstraction d’éléments de preuve corroborants.
[9] Le défendeur fait valoir que les conclusions de la Commission concernant la crainte objective et l’existence d’une PRI sont toutes deux déterminantes en ce qui a trait à la demande d’asile. En conséquence, pour que la Cour annule la décision de rejeter la demande d’asile, elle doit conclure que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle à l’égard des deux questions. Je suis d’accord.
[10] Le défendeur laisse entendre que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle à l’égard de la crainte subjective de persécution et de l’existence d’une PRI, et que le demandeur conteste simplement le poids que la Commission a accordé aux éléments de preuve.
[11] Dans la décision Omrane c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 291, le juge Simon Noël a écrit ce qui suit, au paragraphe 11 :
À mon avis, tous ces arguments concernant la crédibilité du demandeur tiennent à l’appréciation de la preuve et des faits. La SSR a fondé sa décision sur la preuve au dossier et l’a interprété comme elle l’entendait. Contrairement aux prétentions du demandeur, la SSR n’a pas omis de considérer les explications que celui-ci lui a données, mais n’a simplement pas été convaincue ou satisfaite de celles-ci. Vu l’importante déférence que (sic) la Cour doit faire preuve devant une question de fait traitant de l’appréciation de la preuve, il ne revient pas à celle-ci de substituer son interprétation à celle de la SSR pour la sienne.
[Non souligné dans l’original.]
[12] Tout comme dans la décision Omrane, précitée, et la décision Multani c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 187, le demandeur a fourni à la Commission des explications concernant les raisons pour lesquelles la police pouvait avoir des motifs de le persécuter, mais la Commission n’a pas été convaincue ou satisfaite de celles-ci.
[13] De plus, si l’on peut raisonnablement penser que le demandeur disposait d’une PRI, sa demande d’asile échouera nécessairement, peu importe l’existence d’une crainte bien fondée (Sarker c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 353, au paragraphe 5). Le critère pour conclure à l’existence d’une PRI est que la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI et que, dans la situation personnelle du demandeur, il n’est pas déraisonnable pour lui de s’y réfugier. Le défendeur cite la décision Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.). Cette décision a été confirmée dans plusieurs affaires ultérieures et la juge Snider s’y est reportée tout récemment dans la décision Syvyryn c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1027. Voir aussi Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.). La Commission a exprimé ce critère de manière satisfaisante dans sa conclusion.
[14] Il incombe au demandeur de démontrer qu’il sera persécuté partout dans son pays d’origine et qu’il est déraisonnable de s’attendre à ce qu’il déménage si une PRI est trouvée (voir Pena c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 616). Toutefois, le demandeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau. Plutôt que de conclure à une mauvaise évaluation des faits, je conclus que la preuve était insuffisante pour convaincre la Commission que la police de Sialkot continuait à s’intéresser à lui. Compte tenu du changement survenu dans la hiérarchie politique depuis que le demandeur a fui le Pakistan et des éléments de preuve dont la Commission était saisie, il était raisonnable pour la Commission de rechercher des éléments de preuve corroborants de persécution partout dans ce pays pour conclure à une crainte objective.
[15] Le demandeur soutient que la Commission devait lui accorder le bénéfice du doute qu’il serait persécuté à son retour dans le pays, quel que soit l’endroit. La Commission a conclu qu’il n’existait aucune indication sur la manière dont la police apprendrait que le demandeur était arrivé au Pakistan. L’opinion du demandeur quant aux liens au sein du système de police et l’influence générale exercée par la LMP‑Q sur la police n’a pas convaincu la Commission pour qu’elle conclue à une possibilité sérieuse de risque de peines cruelles et inusitées ou de mort à son retour au Pakistan.
[16] En conclusion, je suis d’avis que le raisonnement de la Commission appartient aux issues raisonnables et, par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir.
[17] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 21 avril 2009 par Alexander George Johnstone, dans laquelle il rejetait la demande d’asile du demandeur, est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Réviseur
cour fédérale
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2492-09
Intitulé : MUHAMMAD IQBAL BUTT c. Le ministre de la citoyenneté et de l’immigration du Canada
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 15 décembre 2009
Motifs du jugement
et jugement : le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : le 18 janvier 2010
Comparutions :
Eric Freedman pour le demandeur
Mireille-Anne Rainville Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Eric Freedman pour le demandeur
Montréal (Québec)
John H. Sims, c.r. Pour le défendeur
Sous-procureur général du Canada