Cour fédérale
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Federal Court
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Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2009
En présence de madame la juge Hansen
ENTRE :
et
BRAGG COMMUNICATIONS INCORPORATED
faisant affaire sous le nom commercial EASTLINK
défendeurs
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le 15 octobre 2009, le ministre de l’Industrie a approuvé la construction et l’exploitation d’une tour pour Internet sans fil à haut débit (NSC312) dans le havre de Victoria, dans le comté de Kings, en Nouvelle-Écosse. La tour NSC312 est l’une des six tours qui, ensemble, offriront l’accès à Internet à haut débit dans le comté en vertu d’une initiative du gouvernement de la Nouvelle-Écosse visant à fournir l’accès à Internet dans les régions rurales de la province. La construction de la tour est maintenant terminée; cependant, celle-ci n’est toujours pas « fonctionnelle ». On s’attend à ce qu’elle le soit vers la fin du mois de décembre 2009.
[2] Le 4 novembre 2009, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision du 15 octobre 2009 en vue d’obtenir un jugement déclaratoire, une ordonnance annulant la décision et une autre mesure de redressement. Le demandeur sollicite maintenant une suspension de la décision jusqu’à ce qu’une décision soit rendue concernant le contrôle judiciaire.
[3] Il est bien établi que, dans une requête en sursis, un demandeur doit convaincre la Cour qu’une question sérieuse est à juger, qu’il subira un préjudice irréparable si la mesure de redressement demandée n’est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du redressement demandé (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311). Comme la question déterminante porte sur un préjudice irréparable, seuls les faits pertinents pour cette question sont énoncés ci-après.
[4] Le demandeur possède 20 acres de terrain dans le havre de Victoria, dans le comté de Kings, en Nouvelle-Écosse. Sa propriété est adjacente au terrain sur lequel la tour NSC312 est érigée. Depuis 1984, le demandeur cultive de l’ail biologique sur son terrain. Il vend la majorité de sa production sous forme de semence, il en conserve le quart aux fins de réensemencement l’année suivante et il vend le reste pour consommation. Le demandeur déclare qu’au fil des ans, parce qu’il a sélectionné les meilleures semences et qu’il a appliqué les meilleures pratiques de culture biologique, son produit et la réputation de celui-ci ont atteint un point où il est réputé être [traduction] « le seul fournisseur fiable à long terme d’ail biologique local de haute qualité » dans la région du Canada atlantique. En 1990, l’organisme Organic Crop Improvement Association lui a accordé une certification pour son entreprise de culture d’ail biologique. Le demandeur déclare qu’il n’a pas maintenu cette certification officielle, car celle-ci n’est plus avantageuse pour lui puisque son ail est maintenant reconnu comme un produit biologique [traduction] « pur ». Son entreprise de culture d’ail est sa seule source de revenus.
[5] Le demandeur allègue que la radiation de ses cultures, de ses semences pour le réensemencement et de son terrain l’empêchera de commercialiser son produit comme étant un produit biologique naturel. Il allègue aussi que, dans le milieu des aliments biologiques, l’exposition de son produit et de son terrain à la radiation émanant d’une tour de télécommunication sera considérée comme une contamination de son produit, ce qui en compromettra l’intégrité et l’empêchera de commercialiser son produit comme étant un produit biologique naturel. Il soutient que ses clients n’achèteront pas un produit exposé à la contamination causée par une tour de télécommunication.
[6] Il prétend qu’il sera incapable d’éliminer la stigmatisation causée par l’exposition à la radiation de son produit et de son terrain. Il prétend également que cela causera le même genre de préjudice qui ne peut être quantifié en termes monétaires que ceux dont faisait l’objet RJR-MacDonald, au paragraphe 59. Plus précisément, il allègue qu’il subira une perte de marché permanente, que son entreprise subira des dommages irrévocables, et qu’il sera contraint de fermer boutique.
[7] Il incombe au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il subira un tort irréparable si la suspension demandée n’est pas accordée. Il précise également que le préjudice pourrait ne pas être hypothétique ou conjectural : International Longshore and Warehouse Union c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 3, au paragraphe 25.
[8] En ce qui concerne l’affirmation d’endommagement causé par la radiation des cultures et du terrain du demandeur, dans le cadre du processus d’approbation, Eastlink devait satisfaire à la norme établie par Santé Canada dans le document Limites d’exposition humaine à l’énergie électromagnétique radioélectrique dans la gamme de fréquences de 3 kHz à 300 GHz – Code de sécurité 6. Selon les calculs qui ont été effectués conformément au Code de sécurité 6, « l’exposition » aux radiofréquences mesurée depuis la tour jusqu’au domicile du demandeur est de 782 518 fois inférieure à la limite sécuritaire établie pour les humains dans le code. À la base de la tour, l’exposition sera de 60 000 fois inférieure à la limite indiquée dans le Code de sécurité 6. Comme le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve concernant les niveaux de radiation ni d’éléments de preuve contredisant les calculs de la sécurité, il n’y a aucune raison de conclure que les cultures et le terrain seront endommagés par la radiation.
[9] Quant à l’affirmation du demandeur voulant qu’il soit incapable de commercialiser son produit comme étant un produit « biologique », pour apaiser ses inquiétudes, Eastlink a communiqué avec un spécialiste des normes de l’Office des normes générales du Canada (ONGC). L’ONGC est un organisme d’élaboration de normes intégré au Système national de normes (SNN) du Canada. Le rôle de l’office, par l’intermédiaire d’un comité constitué de spécialistes représentant les utilisateurs, les producteurs et les groupes d’intérêts généraux, est de gérer l’élaboration de normes consensuelles. Le comité est responsable des détails techniques des normes. Le spécialiste des normes a déclaré que le président du comité de l’ONGC sur l’agriculture biologique a confirmé que les normes ne contenaient aucune mention de [traduction] « contamination par ondes hertziennes ».
[10] Le demandeur est d’avis qu’il est sans importance qu’un organisme de certification certifie ou non son produit comme étant un produit « biologique » en dépit de la présence de la tour. Comme il est mentionné ci-dessus, son allégation de préjudice irréparable porte sur les conséquences découlant du stigmate lié au fait que son produit et son terrain sont situés à proximité de la tour.
[11] Le demandeur n’a pas soumis d’éléments de preuve sur la manière dont ses clients ou d’autres intervenants dans le milieu des aliments naturels considéreront son produit une fois que la tour sera fonctionnelle. Il soutient plutôt qu’il est le mieux placé pour connaître les préoccupations de ses clients et l’effet probable qu’aura la proximité de la tour sur l’intégrité de son produit et la réputation de son entreprise. Même si je ne mets pas en doute la sincérité du demandeur, sa croyance et son opinion sont de nature hypothétique en ce qui concerne la perception des autres. En l’absence d’autres éléments de preuve, le demandeur n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il subira un tort irréparable si la suspension demandée n’est pas accordée.
[12] Par conséquent, la requête est rejetée et la question des dépens relèvera du juge de première instance.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée et que la question des dépens relève du juge de première instance.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1823-09
INTITULÉ : LENNARD LEVINE c.
LE MINISTRE DE L’INDUSTRIE et
BRAGG COMMUNICATIONS INCORPORATED
faisant affaire sous le nom commercial EASTLINK
LIEU DE L’AUDIENCE : Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 14 décembre 2009
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LA JUGE HANSEN
DATE DES MOTIFS : Le 21 décembre 2009
COMPARUTIONS :
M. Blair Mitchell
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M. Reinhold M. Endres
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mitchell & Ferguson, Associates
2704, rue Oxford
Case postale 9134
Halifax (N.-É.) B3K 5M7
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John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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