Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2009
En présence de monsieur le juge Mainville
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), en date du 13 mai 2009, qui lui a refusé la qualité de réfugiée au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger.
Le contexte
[2] La demanderesse, qui est de nationalité chinoise, affirme que, à partir de l’été 2006 jusqu’à son arrivée au Canada, elle était membre d’une église chrétienne clandestine en Chine. Elle est venue au Canada avec l’aide d’un passeur le 17 septembre 2007 et a présenté sa demande d’asile à Vancouver le 18 septembre 2007.
[3] Elle affirme qu’elle court un risque de persécution en Chine parce qu’elle appartenait à une église clandestine et donc non autorisée. Lors de son entrée au Canada, elle a dit qu’elle avait perdu son emploi d’enseignante à la maternelle en Chine parce que, interrogée par ses élèves sur l’origine du monde, elle avait affirmé devant sa classe qu’elle croyait en l’existence de Dieu. Elle dit que, le 2 septembre 2007, la police chinoise est entrée au domicile de sa tante où avaient lieu les réunions de la petite congrégation. Elle affirme aussi que sa tante a été arrêtée et qu’elle-même était recherchée par la police en raison de ses liens avec l’église clandestine.
[4] La demanderesse a produit plus tard une lettre, écrite censément par son employeur et datée du 30 juillet 2007, qui confirmait qu’elle avait été congédiée en raison de ses activités chrétiennes. Elle a également produit une autre lettre, datée du 15 octobre 2007, censément rédigée par l’employeur de son père, où il est écrit que son père avait perdu son emploi en raison des activités chrétiennes de la demanderesse. A aussi été produit ce qui semble être une assignation de la police, adressée à la demanderesse, qui lui ordonne de se présenter le 10 septembre 2007 pour être interrogée. Finalement, la demanderesse a produit un certificat de baptême établi par l’Église baptiste de Rosewood, certifiant que la demanderesse a été baptisée à Toronto le 21 décembre 2008.
La décision contestée
[5] Une audience a eu lieu devant la SPR par vidéoconférence le 12 mars 2009, et la décision de la SPR rejetant la demande d’asile a été rendue le 13 mai 2009.
[6] La décision de quatre pages de la SPR se compose pour une large part d’extraits de l’entrevue à laquelle avait été soumise la demanderesse au point d’entrée le 18 septembre 2007, peu après son arrivée au Canada. Les points saillants de la décision sont reproduits ci-après, presque intégralement.
[7] Se fondant sur la transcription de l’entrevue au point d’entrée, la SPR a estimé que la demanderesse n’était pas crédible et qu’elle avait concocté les allégations de persécution pour pouvoir entrer au Canada. Les paragraphes pertinents de la décision de la SPR sont les suivants :
[7] Le tribunal estime que le témoignage de la demandeure d’asile n’est pas crédible parce que ses réponses étaient incohérentes et évasives et qu’elle n’a pas expliqué de manière satisfaisante les divergences entre l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), son témoignage et ses déclarations faites au cours de l’entrevue avec l’agent d’immigration au point d’entrée, le 18 septembre 2007.
[8] Les questions et réponses suivantes sont consignées dans le compte rendu de l’entrevue de la demandeure d’asile au point d’entrée :
Q : Avez‑vous déjà tenté de venir au Canada?
R : Oui.
Q : Quand?
R : En février ou en mars 2007.
Q : De quelle façon?
R : J’ai épousé quelqu’un du pays, et mon intention était de venir au Canada.
Q : S’agit‑il de la personne avec qui vous êtes mariée?
R : Oui, je ne le connais pas, je l’ai épousé pour venir au Canada.
Q : Combien l’avez-vous payé pour venir au Canada?
R : 10 000 $US.
[9] Le tribunal souligne que, le 23 février 2009, le ministre a communiqué un document, comprenant les notes versées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration, se rapportant aux tentatives de la demandeure d’asile pour immigrer au Canada à titre d’épouse parrainée. Il accepte l’observation du ministre selon laquelle ce document démontre que le mariage de la demandeure d’asile était de mauvaise foi et visait l’acquisition d’un statut au Canada. En réponse à la question 19a) du FRP (Avez‑vous demandé un visa pour venir au Canada?), la demandeure d’asile a coché la case « Non ». Questionnée sur cette incohérence, elle n’a fourni aucune explication satisfaisante. Le tribunal accepte également l’observation du ministre selon laquelle les systèmes informatiques indiquent qu’aucun appel n’a été interjeté contre le refus par l’agent des visas de la demande de parrainage.
[10] Dans ce contexte, le tribunal estime que la preuve indique que, lorsque la demande basée sur le mariage de mauvaise foi a été refusée et que la demandeure en a été informée par l’agent des visas dans une lettre envoyée en janvier 2008, la demandeure d’asile a trouvé un passeur (le « passeur » dont il est question dans le FRP) et qu’elle a inventé les allégations de persécution pour les utiliser après son arrivée au Canada.
[8] S’agissant du fondement objectif de la persécution, la SPR se réfère à nouveau à l’entrevue organisée au point d’entrée. Elle arrive à la conclusion que ni l’assignation adressée à la demanderesse par la police, ni le fait que la demanderesse avait perdu son emploi d’enseignante à la maternelle en raison de ses activités chrétiennes, ne permettaient objectivement d’affirmer qu’elle avait des raisons de craindre la persécution :
[11] Les questions et réponses suivantes, consignées dans le compte rendu de l’entrevue de la demandeure d’asile au point d’entrée, ont été présentées à la demandeure à l’audience :
Q : Comment avez‑vous obtenu votre nouveau passeport?
R : L’ancien avait expiré, et j’ai présenté une demande pour en obtenir un nouveau.
Q : Comment avez‑vous pu obtenir un nouveau passeport si la police vous recherchait?
R : La police ne voulait pas m’arrêter, elle voulait seulement se renseigner à mon sujet.
Q : Comment pouvez‑vous avoir peur de la police si vous ne savez pas pourquoi elle est venue vous voir?
R : Les policiers sont seulement venus pour se renseigner à mon sujet.
Q : Vous n’avez donc pas vraiment peur d’eux?
R : Je ne sais pas pourquoi ils continuent de venir chez moi; je pense qu’ils cherchent des preuves?
Q : Quel genre de preuve?
R : Des preuves concernant la réunion illégale.
Q : Pourquoi fuyez‑vous si vous ne savez même pas pourquoi ils vont chez vous?
R : Je leur ai dit qu’il s’agissait d’une réunion illégale à laquelle seuls ma tante et quelques membres de l’église ont assisté.
[12] Au cours de son témoignage, la demandeure d’asile a confirmé les réponses précitées. Le seul autre élément de preuve concernant l’intérêt du Bureau de la sécurité publique (PSB) à l’égard de la demandeure d’asile est une ordonnance de convocation délivrée par le PSB de la ville de Fu Zhou, demandant à la demandeure de se présenter, avec la convocation, pour un interrogatoire au poste de police de Gu Shan le 10 septembre 2007, à 10 h.
[13] La seule autre conséquence subie par la demandeure d’asile en raison de sa participation à des activités chrétiennes a été la perte de son emploi d’enseignante à la maternelle, ce qu’elle attribue au fait que les parents de ses élèves auraient porté plainte.
[14] Le tribunal estime que l’ensemble de ces éléments de preuve est loin de prouver l’existence d’un fondement objectif étayant la conclusion selon laquelle la demandeure d’asile craint avec raison d’être persécutée.
Les positions des parties
[9] La demanderesse fait valoir que la SPR ne s’est pas prononcée sur sa qualité de chrétienne et a donc commis une erreur susceptible de contrôle, compte tenu de la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 480; [2002] A.C.F. n° 647 (QL). La SPR n’a pas non plus tenu compte de son certificat de baptême délivré au Canada, ni de la documentation relative aux conditions ayant cours dans le pays. En un mot, d’après la demanderesse, la SPR a conclu qu’elle n’était pas crédible en se fondant sur sa demande antérieure de résidence au Canada, et elle lui a refusé la qualité de réfugiée essentiellement pour cette raison, sans s’interroger sur les risques auxquels elle serait exposée en Chine en tant que chrétienne pratiquante.
[10] Le défendeur répond que la SPR a bien vu que la demanderesse était une chrétienne, pour peu qu’on lise la décision globalement, et en particulier son paragraphe 13, reproduit ci-dessus, et la SPR s’est donc bien prononcée sur sa qualité de chrétienne. Le défendeur ajoute que, fixée sur l’identité religieuse de la demanderesse, la SPR a estimé que la preuve produite ne permettait pas de confirmer l’allégation de persécution. Par ailleurs, ayant conclu que la demanderesse n’était pas crédible, la SPR n’était pas tenue de considérer les conditions ayant cours dans le pays.
La norme de contrôle
[11] La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de la SPR relatives à la crédibilité d’un demandeur d’asile et à l’appréciation de la preuve a toujours été la décision raisonnable : voir, entre autres décisions, Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 732; (1993), 160 N.R. 315; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1153; [2008] A.C.F. n° 1433, paragraphe 4. Comme on peut le lire dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 57 et 62, il n’est pas nécessaire dans tous les cas de se demander quelle norme de contrôle il convient d’appliquer si la norme a été fixée d’une manière satisfaisante par la jurisprudence. Je procéderai donc au contrôle judiciaire de la décision de la SPR en me fondant sur la norme de la décision raisonnable.
Analyse
[12] Les principes applicables à la présente affaire ont été clairement exposés dans la décision Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 635; [2008] A.C.F. n° 808, au paragraphe 15 :
Selon la jurisprudence, il incombe à la Commission de se prononcer sur l’élément central d’une demande d’asile. Dans une série de jugements qui ont suivi la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 480 (CanLII), 2002 CFPI 480, [2002] A.C.F. n° 647(QL), la Cour a toujours dit que, même lorsque la Commission arrive à la conclusion que l’allégation de persécution religieuse dont se dit victime un demandeur d’asile dans son pays d’origine n’est pas crédible, soit parce que selon elle il n’était pas membre du groupe religieux considéré, soit parce que selon elle il n’a pas été persécuté, la Commission doit néanmoins dire, implicitement ou explicitement, s’il est aujourd’hui effectivement membre de ce groupe et s’il serait exposé à la persécution à son retour (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 266 (CanLII), 2008 CF 266, [2008] A.C.F. n° 338 (QL); Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 132 (CanLII), 2008 CF 132, [2008] A.C.F. n° 164 (QL); Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 544 (CanLII), 2007 CF 544, [2007] A.C.F. n° 739 (QL); Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 510 (CanLII), 2007 CF 510, [2007] A.C.F. n° 692 (QL); Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 695 (CanLII), 2006 CF 695, [2006] A.C.F. n° 880 (QL); Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 971 (CanLII), 2003 CF 971, [2003] A.C.F. n° 1236 (QL)). [Non souligné dans l’original].
[13] Dans la décision Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 132; [2008] A.C.F. n° 164, un précédent qui présente des similitudes avec la présente espèce, le juge O’Reilly s’exprimait ainsi, au paragraphe 8 :
À mon avis, même si la conclusion de la Commission selon laquelle M. Huang n’avait jamais été membre d’une église clandestine était étayée par la preuve, elle ne justifiait pas la décision voulant que M. Huang n’ait pas droit à l’asile. Bien qu’elle ait émis l’hypothèse que les connaissances générales de M. Huang au sujet du christianisme avaient peut-être été acquises au Canada en vue d’appuyer sa demande d’asile, la Commission n’a pas tiré de conclusion définitive portant que M. Huang n’était pas un vrai chrétien. Par conséquent, à mon avis, la Commission a omis d’examiner la question de savoir si M. Huang risquait d’être persécuté du fait de sa religion s’il était renvoyé en Chine, qu’il ait ou non auparavant été membre d’une église clandestine. (Voir la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 480 (CanLII), 2002 CFPI 480, [2002] A.C.F. no 647 (C.F. 1re inst.) (QL).)
[14] La SPR ne semble pas s’être exprimée sur les pratiques chrétiennes suivies par la demanderesse en Chine, ni sur les convictions chrétiennes qu’elle a acquises au Canada. Elle ne semble pas avoir analysé ces aspects ni s’être interrogée sur les risques pour la demanderesse de subir une persécution religieuse si elle était renvoyée en Chine.
[15] Le défendeur fait valoir que la SPR a effectivement conclu que la demanderesse était une chrétienne pratiquante, au paragraphe 13 de sa décision, où elle écrivait que, si la demanderesse avait perdu son emploi d’enseignante à la maternelle, c’était en raison de ses croyances. Cependant, ce paragraphe ne fait que répéter le contenu de la demande d’asile, et la SPR ne s’y exprime en rien sur les croyances de la demanderesse ou sur sa religion. Le paragraphe 13 ne peut à lui seul constituer une décision de la SPR sur le point central en cause dans la présente affaire.
[16] Le défendeur voudrait aussi que la Cour examine la documentation relative au pays, qui montre que la manière dont les chrétiens sont traités en Chine s’est considérablement améliorée. Cependant, il n’appartient pas à la Cour de faire une telle analyse alors que la SPR ne l’a pas faite. Il incombait à la SPR, au départ, d’examiner et analyser les conditions ayant cours dans le pays, puis de dire clairement dans sa décision pourquoi lesdites conditions constituaient, ou ne constituaient pas, une menace pour la demanderesse. Cette analyse serait évidemment elle-même susceptible de contrôle judiciaire devant la Cour.
[17] La question posée ici concerne l’intelligibilité et la justification de la décision de la SPR. Nulle part dans ses motifs la SPR n’énonce clairement sa position sur les convictions et pratiques religieuses de la demanderesse en Chine, nulle part ne passe-t-elle en revue les conditions ayant cours en Chine pour les chrétiens et nulle part ne s’exprime-t-elle sur les convictions religieuses actuelles de la demanderesse, ni sur le certificat de baptême qu’elle a produit.
[18] Le caractère raisonnable d’une décision, dans une procédure de contrôle judiciaire, tient principalement à la justification de la décision, ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel : arrêt Dunsmuir, précité, paragraphe 47 :
La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. [Non souligné dans l’original]
[19] Pour les motifs qui précèdent, j’arrive à la conclusion que la décision de la SPR ne respecte pas la norme de la décision raisonnable telle que cette norme est exposée dans l’arrêt Dunsmuir, et la demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;
2. L’affaire est renvoyée, pour nouvelle audition et nouvelle décision, à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Réviseur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3037-09
INTITULÉ : SHAODAN LIN c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 8 DÉCEMBRE 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE MAINVILLE
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : LE 16 DÉCEMBRE 2009
COMPARUTIONS :
Leonard Borenstein
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POUR LA DEMANDERESSE |
Adrienne Rice
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Leonard Borenstein Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |