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Date : 20091207

Dossier : T-1868-07

T-2054-07

Référence : 2009 CF 1250

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2009

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE BARNES

 

Dossier : T-1868-07

 

ENTRE :

ELTON MITCHELL DIABO

demandeur

et

CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION WHITESAND,

CHEF ALLAN GUSTAFSON

ET LES CONSEILLERS

ANGELA NODIN,

RENE WILSON SR.,

NORMAN MATINET,

JAMES NAYANOOKEESIC,

DOUGLAS SINOWAY JR.

et FRANCIS NODIN

défendeurs

 

Dossier : T-2054-07

 


ENTRE :

CHEF ALLAN GUSTAFSON,

représentant du conseil de bande de la Première nation

Whitesand, et

CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION WHITESAND

demandeurs

et

 

ELTON MITCHELL DIABO,

et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans la première de ces procédures (dossier T-1868-07), Elton Mitchell Diabo cherche à obtenir un jugement déclaratoire ou tout autre recours extraordinaire à l’encontre d’une décision prise par les défendeurs de retirer son nom de la liste des membres de la Première nation Whitesand (Whitesand)[1].

 

[2]               Dans la procédure correspondante (dossier T-2054-07), Whitesand et le chef Allan Gustafson demandent un jugement déclaratoire pour invalider une ancienne résolution du conseil de bande (RCB) qui accorderait le statut de membre de Whitesand à M. Diabo. Comme ces procédures portent toutes deux sur les mêmes faits et qu’elles concernent des questions de droits se chevauchant, elles ont été réunies par l’ordonnance de la protonotaire Roza Aronovitch rendue le 11 décembre 2008.

 

a.                   Contexte

[3]               Il est difficile d’établir avec précision le contexte historique de ce litige à partir des dossiers fournis par les parties. Cela s’explique entre autres par l’écoulement du temps, mais aussi, dans une certaine mesure, par la mauvaise gestion des archives de Whitesand. La preuve documentaire et les affidavits présentés montrent clairement que M. Diabo a cherché à devenir membre de Whitesand en 1995 à la suite de son mariage, en 1992, avec Esther Rita Lachinette‑Diabo, une membre de Whitesand. Le couple a eu deux enfants, le plus vieux étant membre de Whitesand. Le plus jeune est membre des Mohawks de Kahnawake, la Première nation dont M. Diabo était membre depuis sa naissance.

 

[4]               Le dossier des défendeurs contient une RCB datant du 4 août 1995 signée par le chef de l’époque et deux conseillers de la bande en vertu de laquelle M. Diabo a été accepté comme membre de Whitesand. Cette preuve est confirmée par une RCB du conseil des Mohawks de Kahnawake datée du 18 septembre 1995 qui indique que M. Diabo a accepté de devenir membre de Whitesand et en vertu de laquelle il est retiré du registre des membres de Kahnawake. Dans son affidavit, M. Diabo affirme qu’en 2001, on lui a demandé de présenter une nouvelle demande pour devenir membre de Whitesand, parce qu’apparemment, les dossiers dans lesquels se trouvaient les traces de son transfert de chez les Mohawks de Kahnawake avaient été égarés.

 

[5]               L’appartenance de M. Diabo à Whitesand figure également dans une RCB datée du 20 novembre 2004 signée par le chef de l’époque et trois conseillers de la bande. Cette RCB indique ce qui suit :

ATTENDU QUE :       Elton Mitchell Diabo a été accepté officiellement comme membre de la Première nation Whitesand le 4 août 1995;

 

ATTENDU QUE :       le chef et le conseil de la Première nation Whitesand ont appliqué une résolution du conseil de bande datée du 4 août 1995 confirmant l’acceptation;

 

ATTENDU QUE :       Elton Mitchell Diabo a par la suite été retiré de la liste des membres par les Mohawks de Kahnawake;

 

ATTENDU QUE :       les documents ont été reçus par les administrateurs des statuts des membres de la Première nation Whitesand pour compléter le transfert de statut de membre dans le Registre des Indiens administré par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien;

 

ATTENDU QUE :       le transfert n’a toujours pas été complété compte tenu de la perte des documents;

 

PAR CONSÉQUENT, IL EST RÉSOLU QUE :

 

le chef et le conseil de la Première nation Whitesand confirment par la présente l’acceptation d’Elton Mitchell Diabo en tant que membre de la Première nation Whitesand;

 

IL EST RÉSOLU EN OUTRE QUE :

 

le chef et le conseil de la première nation Whitesand demandent au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien d’effectuer le transfert dans le Registre des Indiens sur-le-champ.

 

APPROUVÉE ET ADOPTÉE PAR LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION WHITESAND LE 20 NOVEMBRE 2004, À THUNDER BAY, EN ONTARIO.

 

 

[6]               Le 27 juin 2005, M. Diabo a reçu un Certificat du statut d’Indien du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien indiquant qu’il était un membre de Whitesand.

 

[7]               En 2005, M. Diabo a présenté sa candidature pour devenir chef de Whitesand et a perdu contre le chef Gustafson. En mai 2006, il a été nommé au sein d’un comité dont le mandat était de conclure une entente avec Ontario Hydro pour des pertes causées par des inondations sur le territoire traditionnel de Whitesand. L’affidavit de M. Diabo indique qu’il a été retiré du comité à la suite de la décision du conseil de bande parce qu’il s’opposait aux conditions de l’entente proposées par Ontario Hydro.

 

[8]               Le 21 août 2007, M. Diabo a écrit au chef Gustafson et au conseil de bande pour leur faire part de son manque de confiance à l’égard de la façon dont ils avaient géré certaines questions, dont les négociations avec Ontario Hydro. La preuve montre clairement que M. Diabo tentait de se positionner en vue de se faire élire au conseil de bande lors des élections prévues en octobre 2007.

 

[9]               À la fin d’août 2007, le chef Gustafson et le conseil de bande ont reçu deux lettres signées par trois membres de Whitesand mettant en doute le statut de membre de M. Diabo. Selon l’affidavit du chef Gustafson, ces allégations ont fait l’objet d’une discussion lors de la réunion du conseil de bande du 28 août 2007, au cours de laquelle il a été [traduction] « décidé qu’une enquête serait effectuée concernant le transfert de M. Diabo … ». Dans cet affidavit, on ajoute que [traduction] « [s]i le transfert n’a pas été effectué correctement, le conseil de bande retirera le nom de M. Diabo de la liste des membres de la bande ». Dans son affidavit, le chef Gustafson n’indique pas exactement ce qui a été fait pour enquêter sur le statut de membre de M. Diabo, mais il fait référence à la réunion du conseil de bande du 9 septembre 2007 [traduction] « au cours de laquelle il a été décidé que le nom de M. Diabo devait être retiré de la liste des membres de la bande ». Cette décision s’appuie en partie sur le fait qu’aucun procès‑verbal ne témoignerait de la décision antérieure du conseil de bande conférant le statut de membre à M. Diabo et sur un prétendu gel des transferts de membres jamais vu auparavant. M. Diabo a témoigné qu’il n’a reçu aucun avis au sujet de cette réunion du conseil de bande et qu’il n’a pas eu l’occasion de participer au processus ayant mené à la décision du conseil de bande de retirer son nom de la liste des membres de Whitesand. Cette partie de son témoignage n’a pas été contesté.

 

[10]           La RCB datée du 24 septembre 2007, qui rend compte de la révocation du statut de membre de M. Diabo, indique ce qui suit :

ATTENDU QUE :       le chef et le conseil sont les représentants élus de la Première nation Whitesand;

 

ATTENDU QUE :       la Première nation Whitesand a un Code d’appartenance intitulé Le Code d’appartenance des Anishinabek de la bande de Whitesand (le Code) qui détermine qui peut être membre et être inscrit sur la liste des membres de la Première nation Whitesand et que ce Code a été voté et adopté par la bande, et qu’il est en vigueur à compter d’aujourd’hui et est reconnu par Affaires indiennes et du Nord canadien;

 

ATTENDU QUE :       une demande a été présentée afin que le chef et le conseil examinent le statut de membre d’Elton Mitchell Diabo, né le 25 août 1961;

 

ATTENDU QUE :       Elton Mitchell Diabo n’est pas autorisé à avoir le statut de membre, selon le Code précité;

 

ATTENDU QUE :       les chefs et les conseillers précédents n’avaient pas compétence pour adopter des résolutions du conseil appuyant l’inscription d’Elton Mitchell Diabo sur la liste des membres de la bande sans respecter le Code de la bande;

 

ATTENDU QUE :       l’article 8 du Code prévoit que [traduction] « à tout moment, la bande peut ajouter ou retirer de la liste de ses membres le nom de toute personne qui, selon les règles de la bande, a droit, ou n’a pas droit, selon le cas, d’avoir son nom inscrit sur ladite liste ».

 

PAR CONSÉQUENT, IL EST RÉSOLU QUE : le chef et le conseil annulent toute résolution du conseil de bande adoptée auparavant appuyant l’inscription d’Elton Mitchell Diabo sur la liste des membres de la bande.

 

 

 

IL EST RÉSOLU EN OUTRE QUE :  le chef et le conseil déclarent que le nom d’Elton Mitchell Diabo sera retiré de la liste des membres de la bande en vertu de l’article 8 du Code, et demandent aux Affaires indiennes et du Nord canadien de retirer son nom de la liste des membres de la bande sur-le-champ.

 

IL EST RÉSOLU EN OUTRE QUE : le chef et le conseil déclarent qu’Elton Mitchell Diabo ne doit pas se mêler des affaires de la Première nation Whitesand et de ses membres. 

 

 

[11]           M. Diabo n’a été avisé de la décision du conseil de bande de lui retirer son statut de membre qu’au moment où la RCB lui a été envoyée le 24 septembre 2007. C’est cette décision qui est visée par la demande de recours extraordinaire déposée par M. Diabo. La demande concurrente de recours extraordinaire déposée par les défendeurs porte sur la validité de la RCB de 1995 ayant conféré le statut de membre à M. Diabo. Les défendeurs font valoir que le fait que le statut de membre ait été conféré de manière illégale ou ultra vires ne peut consituer le fondement d’une demande d’équité lorsque ce statut est ultérieurement révoqué.

 

II.         Question en litige

[12]           Les défendeurs ont-ils violé l’obligation d’équité au cours du processus ayant servi à révoquer le statut de membre de Whitesand de M. Diabo et, si oui, est-ce que la réparation demandée devrait lui être refusée compte tenu du fait qu’il dispose d’une autre voie de recours approprié?

 

III.       Analyse

[13]           Aucune question n’a été soulevée dans les présentes procédures au sujet de la compétence de la Cour concernant ce litige et il est clair que la Cour a le pouvoir de trancher en l’espèce : voir Ermineskin c. Conseil de la bande d’Ermineskin (1995), 96 F.T.R. 181, 55 A.C.W.S. (3d) 888 (C.F. 1re inst.).

 

[14]           Il m’apparaît que le conseil de bande a décidé de retirer M. Diabo de la liste des membres de Whitesand en se fondant sur l’article 8.1 du Code d’appartenance des Anishinabek de la bande de Whitesand (Code d’appartenance). L’article 8.1 du Code d’appartenance prévoit ce qui suit :

8.1       La bande peut ajouter à la liste de bande tenue par elle, ou en retrancher, le nom de la personne qui, aux termes des règles d’appartenance de la bande, a ou n’a pas droit, selon le cas, à l’inclusion de son nom dans la liste.

 

 

[15]           Les défendeurs s’appuient sur une RCB datée du 6 mai 1987 qui confirme la ratification apparente du Code d’appartenance de la main du conseil de bande à une date ultérieure non précisé et sur une lettre de confirmation datée du 1er septembre 1987 du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. 

 

[16]           M. Diabo prétend que le Code d’appartenance n’a jamais été ratifié correctement par la bande et l’affidavit de l’ancien chef Ernest Wanakamik traite de cette question. Dans son affidavit, M. Diabo soutient que le Code d’appartenance n’a jamais été utilisé par la bande pour trancher des questions d’appartenance et il fait état d’un autre document constitutionnel dont le titre est The Constitution of Whitesand Reservation (Constitution de la réserve de Whitesant), qui établit selon lui les conditions pour conserver le statut de membre et le processus pour l’acquérir ou le révoquer. Les défendeurs contestent la validité de la Constitution malgré l’existence d’une lettre de l’avocat de Whitesand à l’époque, Michael McDonald, envoyée au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (tel qu’il était appelé à l’époque) disant que la Constitution [traduction] « a été déposée, acceptée et approuvée par le ministère » et qu’elle est « parfaitement conforme à la Loi sur les Indiens (Canada) sur tous les aspects ».

 

[17]           Il est inutile de dire que le Code d’appartenance et la Constitution ne sont pas compatibles sur la question de l’appartenance à la bande et il a été demandé à la Cour de décider lequel de ces documents était en vigueur à la date où la décision de révoquer le statut de membre de M. Diabo a été prise. La question principale soulevée par ces demandes consiste cependant à déterminer si cette décision constituait un manquement à l’obligation d’équité. Cette question doit être tranchée en s’appuyant sur la norme de la décision correcte : voir Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539.

 

[18]           Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas en mesure de décider si le Code d’appartenance et la Constitution avaient été adoptés en conformité avec la loi au moment où le conseil de bande a décidé de révoquer le statut de membre de M. Diabo. En ce qui concerne l’examen de la question de l’équité procédurale, je procéderai en tenant pour acquis que la prétention des défendeurs selon laquelle le Code d’appartenance fournissait un fondement constitutionnel valide pour prendre cette décision est correcte.

 

[19]           La RCB adoptée dans le but de retirer le nom de M. Diabo de la liste de la bande est un document étonnant. Dans son récit des faits, le conseil de bande a prétendu agir en conformité avec l’article 8 du Code d’appartenance qui donne à la bande le pouvoir discrétionnaire de retirer le statut de membre de toute personne qui n’a pas le droit d’être membre de Whitesand[2]. Rien dans l’article 8 du Code d’appartenance n’autorise le conseil de bande à prendre une telle décision et, de fait, ce Code assigne délibérément la prise de décisions en matière d’appartenance à trois organismes non partisans, c’est-à-dire :

a)         un comité d’appartenance;

b)         une cour d’appartenance;

c)         la bande elle-même.

 

En vertu du Code d’appartenance, seule la bande, agissant vraissemblablement en application d’une décision majoritaire prise par un conseil de bande dûment constitué, est autorisée à révoquer le statut de membre d’une personne dont le nom a été inscrit sur la liste des membres de la bande. La décision de la bande de révoquer le statut de membre d’une personne peut d’abord être contestée devant le comité d’appartenance puis devant la cour d’appartenance. Le comité d’appartenance est défini à l’article 10.1 du Code d’appartenance et est constitué de deux membres, dont un qui est nommé par le conseil de bande. L’article 12.1 du Code d’appartenance prévoit que la cour d’appartenance est composée de quatre membres – dont deux qui doivent être des Anciens de la bande. On peut supposer que l’autorité initiale chargée de la révocation du statut de membre a été assignée à l’ensemble de la bande en raison de l’importance de la décision pour la personne et pour la bande, mais aussi pour que ces questions ne soient pas mêlées aux affaires politiques de la bande.

 

[20]           La preuve selon laquelle la décision du conseil de bande de révoquer le statut de membre de M. Diabo s’appuyait sur des considérations politiques est circonstancielle, comme il fallait s’y attendre. Néanmoins, ces circonstances suggèrent que le chef et le conseil de bande essayaient de réduire M. Diabo au silence en l’empêchant de contester leur autorité et en l’empêchant de se présenter comme candidat au poste de chef. À ce sujet, il est intéressant de noter que la RCB du 24 septembre 2007 ne visait pas seulement à révoquer le statut de membre de M. Diabo, mais elle indiquait également qu’il ne devait pas [traduction] « se mêler des affaires de la Première nation Whitesand et de ses membres ». Cela a effectivement eu pour effet de proscrire toute participation de M. Diabo aux affaires de Whitesand et les répercussions ne se sont pas limitées à son statut de membre. Le moment où la décision a été rendue a également contribué à rendre très suspectes les motivations du chef et du conseil de bande, puisque la décision a été rendue seulement quelques jours avant la tenue d’une réunion pour la présentation des candidats organisée en vue d’une élection à venir dans la bande et pour laquelle M. Diabo avait l’intention de se porter candidat. Le fait que le conseil de bande, peu de temps avant la tenue d’une élection dans la bande, ait délibérément usurpé un pouvoir conféré à la bande en vertu du Code d’appartenance qu’elle se proposait d’appliquer est extrêmement suspect et présente les signes d’un conflit d’intérêts troublant.

 

[21]           La preuve de M. Diabo selon laquelle plus de 20 autres membres de la bande ont acquis leur statut dans des circonstances similaires à la sienne serait, si elle s’avérait fondée, encore plus troublante et démontrerait que M. Diabo a été ciblé, probablement en raison de son opposition aux dirigeants de la bande. De plus, cette preuve n’a pas été contestée par les défendeurs. Il n’est pas nécessaire de déterminer ce qui peut avoir poussé le conseil de bande à agir de la sorte, mais ces préoccupations démontrent que le fait d’avoir conféré le pouvoir de révoquer le statut d’un membre à l’ensemble de la bande est une mesure pleine de sagesse.

 

[22]           L’avocat des défendeurs a essayé de minimiser l’importance sur le plan juridique de la décision prise le 9 septembre 2007 par le conseil de bande dans le but de révoquer le statut de membre de M. Diabo en plaidant que la décision avait été prise beaucoup plus tôt, lors d’une réunion de la bande en 2004. Je remarque que cet argument ne figure pas dans les observations écrites des défendeurs. 

 

[23]           La preuve sur laquelle s’appuient les défendeurs au sujet de la réunion de la bande en 2004 se trouve dans les affidavits de Deborah Nodin et de Douglas Sinoway Jr., où ils affirment respectivement ce qui suit :

[traduction]

Deborah Nodin

 

7.         Plus tard, en décembre 2004, nous, le chef et le conseil, avons avisé les membres lors d’une réunion de la bande qu’il y avait un gel sur les transferts de statut. Je pense que ce gel est toujours en vigueur. Lors de cette même réunion, on a demandé à M. Diabo de quitter l’assemblée parce qu’il n’était pas membre à cette époque. Les membres de la bande qui étaient réunis ont demandé à M. Diabo de montrer un certificat de statut d’Indien de Whitesand. M. Diabo a quitté la réunion parce qu’il n’était pas en mesure de montrer le certificat qu’il disait avoir.

 

Douglas Sinoway Jr.

 

7.         Plus tard, en décembre 2004, nous, le chef et le conseil, avons avisé les membres lors d’une réunion de la bande qu’il y avait un gel sur les transferts de statut. Je pense que ce gel est toujours en vigueur. Lors de cette même réunion, on a demandé à M. Diabo de quitter l’assemblée parce qu’il n’était pas membre à cette époque et qu’il n’était pas en mesure de montrer un certificat de statut d’Indien prouvant qu’il l’était.

 

 

Aucun des affidavits des défendeurs ne fait référence à la révocation du statut de membre de M. Diabo par la bande en 2004 et, de fait, la RCB contestée indique clairement que la décision a été prise par le conseil de bande le 9 septembre 2007. On a présenté aucune preuve établissant que le statut de membre de M. Diabo a été examiné par la bande lors de cette réunion, et encore moins qu’elle avait été soumise à un vote. Tout au plus, la preuve montre que le statut de membre de M. Diabo a été contesté par quelqu’un lors d’un conseil de bande et qu’on lui a demandé de partir. L’avocat de M. Diabo a soulevé un argument important selon lequel même si M. Diabo avait été avisé que son statut de membre serait contesté lors de cette réunion (et aucune preuve n’a été présentée à cet effet), le fait qu’on lui ait demandé de quitter la réunion constitue un manquement grave à l’obligation d’équité voulant qu’il soit mis au courant de l’affaire et qu’il dispose d’une réelle possibilité d’y répondre. L’argument des défendeurs selon lequel la bande a pris la décision de révoquer le statut de membre de M. Diabo en 2004 est fallacieux et il ne sert qu’à mettre en relief les erreurs judiciaires et procédurales associées à la décision du conseil de bande de révoquer son statut de membre en 2007.

 

[24]           Il n’est pas contesté que la décision du conseil de bande de révoquer le statut de membre de M. Diabo a été prise sans qu’il en soit avisé, privant du même coup M. Diabo de l’occasion d’être entendu. Les défendeurs ont fait valoir que la façon dont ils avaient procédé n’avait rien d’illégal parce que la preuve a montré que son statut avait été acquis de manière illégitime et parce que, selon les dispositions sur l’appartenance figurant dans le Code d’appartenance, il n’aurait jamais dû pouvoir obtenir le statut de membre de toute façon puisqu’il n’en avait pas le droit.

 

[25]           La preuve figurant dans les dossiers portant sur les moyens mis en œuvre par M. Diabo pour obtenir le statut de membre de la bande manque de clarté. Les affidavits sur lesquels s’appuient les défendeurs suggèrent que des irrégularités ont peut-être été commises au cours du processus qui a été suivi. Par ailleurs, le dossier du demandeur montre que le processus mis en œuvre pour traiter la demande de M. Diabo était peut-être similaire aux autres demandes de transfert de statut ayant été traitées à l’époque. L’affidavit de M. Diabo atteste effectivement de cette question et cette preuve n’a pas été contestée directement par les défendeurs.

 

[26]           Une grande partie de la preuve des défendeurs sur cette question est rédigée dans des termes qui ne font qu’attester l’absence de souvenir ou de preuves corroborantes dans les dossiers. Cette preuve n’est pas particulièrement convaincante, principalement en raison du laxisme de la bande en matière de gouvernance et de tenue de livre. Il n’est pas entièrement clair que M. Diabo n’avait pas réussi à satisfaire aux critères nécessaires pour obtenir le statut de membre, non seulement parce qu’il n’est pas possible de savoir avec certitude si le Code d’appartenance était en vigueur à cette époque, mais aussi parce que les conditions pour devenir membre fixées par le Code d’appartenance sont sujettes à interprétation. La preuve présentée en l’espèce soulève également un doute considérable quant à savoir si les dispositions sur lesquelles les défendeurs s’appuient ont déjà été appliquées de cette façon à quelqu’un d’autre que M. Diabo. Néanmoins, la réponse à la question de savoir s’il y a eu ou non des lacunes dans le processus suivi par M. Diabo pour acquérir le statut de membre ne répond pas à la question de savoir s’il a été traité équitablement par la suite lorsque son statut a été révoqué.

 

[27]           M. Diabo a abandonné son statut de membre du conseil des Mohawks de Kahnawake dans le but d’acquérir le statut de membre de Whitesand et son nom a été ajouté à la liste des membres de Whitesand. Son statut ne pouvait pas être révoqué par simple caprice de la part de ses adversaires politiques, qui ont agi sans autorité apparente et sans l’aviser. La façon dont M. Diabo a acqui son statut de membre de Whitesand est une question qu’il avait le droit de soulever et le fait d’empêcher de le faire constitue une atteinte grave à l’obligation d’équité. La présente affaire ne ressemble pas à l’affaire Sandberg c. Conseil de la bande de la Nation crie de Norway House (2005), 2005 CF 656, 272 F.T.R. 221, dans laquelle le demandeur n’a présenté aucune preuve montrant que son nom était sur la liste de la bande ou même qu’il était un membre de la bande. Malgré cela, la juge Judith Snider a précisément indiqué au paragraphe 12 que « [L]e statut de membre ne devrait pas être accordé ou supprimé selon le bon vouloir de quelques-uns; il devrait au contraire faire l'objet d'une évaluation systématique et équitable ». Voir également Sparvier c. Bande indienne Cowessess, [1993] 3 C.F. 142, [1993] A.C.F. no 446 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 47.

 

[28]           Les défendeurs soutiennent que toutes les lacunes propres au processus décisionnel sont corrigées de la façon appropriée grâce aux mécanismes d’appel auxquels M. Diabo pouvait recourir en vertu du Code d’appartenance. Même si le conseil de bande n’avait pas compétence pour révoquer le statut de membre de M. Diabo et qu’il a violé l’obligation d’équité en ne lui accordant pas le droit d’être entendu, ces problèmes peuvent, selon eux, être examinés en détail par le comité d’appartenance en vertu de l’article 8.3 du Code d’appartenance.

 

[29]           Les défendeurs ont raison de dire que l’existence d’une autre voie de recours appropriée peut constituer une entrave à une demande de recours extraordinaire, mais cette question relève d’un pouvoir discrétionnaire. Pour décider si M. Diabo doit interjeter appel de la décision du conseil de bande, plusieurs facteurs doivent être pris en compte, y compris la nature de l’erreur alléguée, la portée du droit d’appel, la commodité de l'autre recours et la nature de la juridiction d'appel : voir Canadien Pacifique Ltée. c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, [1995] S.C.J. no 1 (QL) (C.S.C.), au paragraphe 37. 

 

[30]           En l’espèce, il existe au moins deux raisons claires et convaincantes pour lesquelles un appel devant le comité d’appartenance ne constitue pas une voie de recours appropriée. La première est que si le Code d’appartenance s’appliquait à la décision visant à révoquer le statut, cela signifie que M. Diabo a été privé du droit de voir son statut de membre examiné avec équité par la bande. Le deuxième est qu’en vertu du Code d’appartenance, le comité d’appartenance n’entend aucun appel sans tenir compte de la première décision. En vertu de l’article 8.3 du Code d’appartenance, M. Diabo doit prouver qu’il existe des motifs pour le rétablissement de son statut. En d’autres mots, M. Diabo a le fardeau de prouver que la décision de première instance a été rendue injustement et sans autorisation légitime. J’ajouterais qu’il n’y a aucune preuve à l’effet que Whitesand avait saisi le comité d’appartenance de l’affaire et, dans ces circonstances, je crains que le pouvoir de le faire repose désormais, en partie, entre les mains du conseil de bande. M. Diabo doit donc faire face à un comité d’appel composé de deux membres (un des membres étant nommé par le conseil de bande) qui n’entendent pas l’affaire de nouveau, alors qu’en l’espèce la décision de première instance aurait normalement dû être prise par toute la bande. Cette situation ressemble beaucoup à celle décrite par le juge Yves de Montigny dans l’affaire Okemow-Clark c. Nation crie de Lucky Man (2008), 2008 CF 888, 169 A.C.W.S. (3d) 1, où il a traité de la question d’un appel potentiel de la manière suivante au paragraphe 27 de ses motifs :

[…] On ne peut s'empêcher de penser que les demandeurs n'avaient d'autre choix que de s'adresser aux tribunaux : soit la liste d'appartenance a été dressée par un comité qui n'avait pas d'existence légale reconnue, soit elle l'a été par le comité de révision constitué en vertu du Code d'appartenance sans que le chef et le conseil aient au préalable été consultés. Dans un cas comme dans l'autre, la procédure suivie est entachée de nullité et les demandeurs étaient entièrement justifiés de s'adresser à la Cour pour obtenir réparation

 

 

Je suis d’accord avec les opinions exprimées ci-dessus et je rejette l’argument des défendeurs selon lequel le droit d’appel dont dispose M. Diabo constitue une voie de recours appropriée qui devrait être épuisée avant de pouvoir présenter une demande de recours extraordinaire. 

 

[31]           Comme l’atteinte à l’équité joue un rôle déterminant dans les présentes demandes, je n’ai pas à décider si la décision de révoquer le statut de membre de Whitesand de M. Diabo était régie par le Code d’appartenance ou la Constitution. Considérant les dossiers incomplets soumis à la Cour, il serait également mal avisé de trancher cette question parce que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien dispose peut-être d’une meilleure preuve, voire même d’une preuve irréfutable, concernant cette question dans ses dossiers. Il suffit de dire que l’incapacité des défendeurs à prouver facilement et de façon concluante la validité du Code d’appartenance en vertu duquel le conseil de bande avait l’intention de révoquer le statut de membre de M. Diabo suscite la méfiance envers les pratiques administratives de Whitesand ou envers sa façon de conserver les dossiers.

 

[32]           Comme je l’ai fait remarquer ci-dessus, je suis convaincu que peu importe les règles qui ont été apppliquées concernant les membres de Whitesand, le processus suivi en l’espèce par les défendeurs était gravement déficient. Par conséquent, la décision du conseil de bande de révoquer le statut de membre de Whitesand de M. Diabo, comme cela figure dans la RCB datée du 24 septembre 2007, doit être annulée et M. Diabo doit être réintégré comme membre à part entière de Whitesand. 

 

[33]           Compte tenu de la preuve présentée, je ne suis pas en position de décider si M. Diabo a acquis son statut de membre de Whitesand en conformité avec les règles ou les pratiques de la Première nation à cette époque et, en effet, la contestation soulevée par les défendeurs à l’égard de la légalité de la décision rendue plus de 12 ans auparavant ne peut être examinée aujourd’hui par la Cour. Il s’ensuit que la demande de jugement déclaratoire des défendeurs concernant les décisions antérieures doit être rejetée. J’ajouterais simplement que toute décision visant à révoquer le statut de membre de M. Diabo en fonction des irrégularités qui auraient été commises au cours du processus suivi à l’époque où il a acquis son statut nécessiterait une bien meilleure preuve que celle que les défendeurs ont présentée en l’espèce.

 

[34]           Il se pourrait bien qu’il n’existe pas de Code d’appartenance valide pour Whitesand ou que les règles d’appartenance ne soient pas compatibles avec les pratiques passées de la bande ou qu’elles ne soient pas claires. À cet égard, il serait prudent que la bande réexamine les conditions d’obtention du statut de membre au moyen d’une nouvelle consultation et d’un nouveau vote. Cela, cependant, est du ressort de la bande, et non de la Cour.

 

[35]           Les deux parties ont demandé que la question des dépens soit réglée par la présentation d’observations écrites. Je donne 10 jours à M. Diabo pour présenter ses observations sur cette question, lesquelles ne doivent pas dépasser 10 pages. Par la suite, les défendeurs auront 10 jours pour présenter les leurs, qui ne doivent pas dépasser 10 pages non plus.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR DÉCIDE que la demande d’Elton Mitchell Diabo pour le dossier nT‑1868‑07 est accueillie et que la décision du conseil de bande de la Première nation Whitesand visant à révoquer le statut de membre de M. Diabo, rendue le 9 septembre 2007 et consignée dans une résolution du conseil de bande datée du 24 septembre 2007, est annulée. 

 

LA COUR DÉCIDE ET ORDONNE EN OUTRE que les défendeurs redonnent sur‑le‑champ à Elton Mitchell Diabo son statut de membre à part entière de la Première nation Whitesand et qu’ils effectuent toutes les démarches nécessaires pour officialiser son statut auprès du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. 

 

LA COUR DÉCIDE EN OUTRE que la demande du chef Allan Gustafson agissant à titre de représentant du conseil de bande de la Première nation Whitesand et pour la première nation Whitesand est rejettée.

 

LA COUR DÉCIDE EN OUTRE que la question des dépens est réservée en attendant des observations écrites additionnelles des parties.

 

 

 

«  R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1868-07

 

INTITULÉ :                                                   Diabo

                                                                        c.

                                                                        conseil de Première nation de Whitesand, et al

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Thunder Bay (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 décembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bradley Smith

807-623-8891

 

POUR LE DEMANDEUR

Etienne Esquega

807-345-1213

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Weiler, Maloney, Nelson

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Erickson & Partners

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-2054-07

 

INTITULÉ :                                                   Gustafson

                                                                        c.

                                                                        Diabo, et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Thunder Bay (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 décembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Etienne Esquega

807-345-1213

 

POUR LES DEMANDEURS

Bradley Smith

807-623-8891

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Erickson & Partners

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Weiler, Maloney, Nelson

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 



[1]     Whitesand fait partie de la Première nation Ojibway. Elle compte plus de 1000 membres inscrits, dont la plupart habitent l’établissement d’Armstrong, en Ontario.

[2]    Cette disposition est identique au paragraphe 10(10) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5.

 

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