Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2009
En présence de monsieur le juge Harrington
ENTRE :
demandeur
et
DU CANADA
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] À l’époque des faits, monsieur Challal travaillait au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVP) à titre d’analyste technique. Il a soumis sa candidature pour un autre poste à l’interne et a été invité à un examen écrit. Face à la similitude entre les réponses de M. Challal aux questions et le guide de correction, le Commissariat a référé l’affaire à la Commission de la fonction publique qui a décidé de mener une enquête en vertu de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, 2003. L’article 69 se lit comme suit :
69. La Commission peut mener une enquête si elle a des motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude dans le processus de nomination; si elle est convaincue de l’existence de la fraude, elle peut : a) révoquer la nomination ou ne pas faire la
nomination, selon le cas; b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.
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69. If it has reason to believe that fraud may have occurred in an appointment process, the Commission may investigate the appointment process and, if it is satisfied that fraud has occurred, the Commission may (a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and (b) take any corrective action that it considers appropriate.
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[2] La Commission a chargé un de ses enquêteurs de se pencher sur la question. Dans son rapport d’enquête, l’enquêteur a conclu que la preuve recueillie au cours de son enquête démontre que M. Challal a copié lors de son examen écrit et a ainsi commis une fraude dans le processus de nomination interne. La Commission a approuvé le rapport et a imposé diverses mesures correctives.
LA POSITION DES PARTIES
[3] M. Challal est d’avis que la déclaration de culpabilité était déraisonnable et devrait être rejetée. Advenant qu’elle ne soit pas rejetée, deux des mesures correctives n’auraient pas été de la compétence de la Commission ou, à défaut, seraient déraisonnables.
[4] Le Procureur général, au nom de la Commission, fait valoir qu’il est maintenant trop tard pour remettre en question la déclaration de culpabilité émise par la Commission. L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales oblige une personne touchée par une décision à en demander le contrôle judiciaire dans un délai de 30 jours de la communication de ladite décision. M. Challal ne l’a pas fait.
[5] En ce qui concerne les deux mesures correctives, le Procureur général fait valoir que celles-ci étaient bien de la compétence de la Commission et étaient raisonnables.
LA DÉCISION
[6] À mon avis, il aurait été prématuré pour M. Challal de faire une demande de contrôle judiciaire du rapport de l’enquêteur. La décision contestée est celle de la Commission d’endosser le rapport de l’enquêteur et d’imposer des mesures correctives. La demande de contrôle judiciaire a été déposée dans les délais.
[7] Cependant, je suis d’avis que la décision de la Commission d’endosser le rapport de l’enquêteur que M. Challal a commis une fraude était raisonnable. La Commission avait la compétence nécessaire pour ordonner les deux mesures correctives contestées. De plus, les deux mesures correctives étaient raisonnables.
[8] Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.
LES FAITS
[9] L’historique de la présente affaire est bien exposé dans le rapport d’enquête. Il n’est pas nécessaire d’en répéter tous les détails. En 2006, M. Challal a été embauché comme analyste technique, au niveau CS-02, à la suite d’un processus de nomination externe tenu par le CPVP. Plus tard cette année là, un poste de gestionnaire de la technologie de l’information a été créé, un poste de niveau CS-03. M. Challal a été affecté à ce poste de façon intérimaire, le temps de finaliser les documents nécessaires à la dotation du poste.
[10] La personne responsable de la correction des examens a été troublée face à l’examen de M. Challal. Les réponses de M. Challal n’étaient pas dans le même format et ne fournissaient pas le même niveau de détail que celles des autres candidats. Elles étaient, pour la plupart, les mêmes que celles qui se retrouvaient dans le guide de correction, y compris l’utilisation des majuscules et minuscules. Certaines erreurs de frappe ont été répétées.
[11] L’examen comportait neuf questions. La grille de correction énonçait la réponse à huit des neuf questions. La question neuf demandait aux candidats de préparer une présentation PowerPoint à l’attention de la haute direction. C’est la seule question que M. Challal a échouée.
[12] L’enquêteur a jugé que les réponses aux questions 7 et 8 reprenaient textuellement les éléments retrouvés dans la grille de correction.
[13] L’enquêteur a préparé un tableau dans son rapport présentant une comparaison des réponses fournies par M. Challal avec les réponses attendues de la grille de correction pour les six premières questions de l’examen. En plus de la choquante similitude du langage utilisé, la séquence des réponses aux questions 2, 3, 5 et 6 est la même que la séquence trouvée dans la grille de correction, et ce, même s’il n’y avait pas de chronologie logique aux réponses.
QUESTION |
GRILLE DE CORRECTION |
RÉPONSES DE M. CHALLAL
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Question 2 (K1.2): Name two (2) solicitation methods used to procure
IT professional services. |
1. Temporary Help Services (THS) 2. PS Online 3. Government Online (GOL) 4. Request for Proposal (RFP)- MERX |
Temporary Help Services (THS). Government Online (GOL) |
Question 3 (K1.3): Name four (4) types of contracting documents. |
1. Local Purchase Order (LPO) 2. Call-Up against a Standing Offer (form 942) 3. Services Contract 4. Memorandum of Understanding (MOU) 5. SSA 6.
PWGSC Goods Contract |
Local Purchase Order (LPO) Call-Up against a Standing Offer. Services Contract. PWGSC Goods Contact |
Question 5 (K2.2): Name three (3) key documents that should be prepared to aid in the management of a project |
1. Project Plan 2. Business Case 3. Configuration Management Plan 4. Requirement Analysis 5. Project Scope 6.
Test Plan |
1- Project Plan, 2- Configuration Management Plan, 3- Test Plan |
Question 6 (K2.3): Name two project management tools |
1. CASE tools for development 2. Prototyping tools for testing 3. MS-Project for project planning |
1- CASE tools for development, 2- MS-Project for project planning |
[14] Le guide de correction était sauvegardé dans un répertoire partagé par les employés de la Direction des ressources humaines du Commissariat. Ce répertoire « O » n’est accessible qu’aux employés de cette direction. Cependant, tous les techniciens en informatique du Commissariat, incluant M. Challal, y ont accès par défaut, puisqu’ils ont accès à tous les serveurs. De plus, il est allégué que M. Challal aurait eu une clé pour le bureau de la personne responsable de la correction de l’examen. Dans ce bureau, il y avait une copie papier de ce guide.
[15] M. Challal nie avoir accédé au répertoire « O » ou avoir eu une clé dudit bureau. Une compagnie externe a confirmé qu’il n’était pas possible de conclure définitivement que M. Challal avait accédé au répertoire « O ». Si ce dernier y avait accédé, il a été en mesure d’en enlever toute trace.
[16] Pour sa part, M. Challal a dit à l’enquêteur avoir une mémoire photographique et que toutes les questions se trouvaient sur un document de 20 pages du Conseil du Trésor. Selon l’enquêteur, ce document était en format narratif et non sous forme de points comme les réponses de la grille de correction.
[17] Bien que l’enquêteur ait accordé le bénéfice du doute à M. Challal en ce qui concerne le répertoire « O » et la clé pour accéder au bureau, ses conclusions se retrouvent aux paragraphes 37 et 40 de son rapport :
37. Ceci étant dit, je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire de prouver que M. Challal a eu accès au guide de correction, que ce soit la version électronique ou la version papier, avant de faire son examen écrit. La preuve réside plutôt dans les réponses fournies par M. Challal lors de l’examen écrit du 12 septembre 2007. Les réponses fournies par M. Challal sont en tous points semblables, majuscules et ponctuation incluses, à ce qui se retrouvait dans le guide de correction.
40. En l’absence d’une autre explication crédible, et selon la balance des probabilités, je dois conclure que M. Challal a copié de manière intentionnelle le guide de correction lorsqu’il a répondu aux questions d’examen. Ses réponses à l’examen sont une copie conforme du guide de correction, sont écrites de la même manière et reprennent les mêmes majuscules et la même présentation. De plus, la seule question échouée par M. Challal est celle pour laquelle le guide de corrections ne contenait pas de réponse attendue. Copier à un examen constitue de la fraude au sens de la définition la plus usuelle. M. Challal a copié en vue d’obtenir un avantage, soit avoir un résultant d’examen suffisamment élevé pour lui assurer la nomination au poste de CS-03 et lui procurer ainsi une promotion. Je dois conclure qu’en copiant à son examen écrit, M. Challal a commis de la fraude dans un processus de nomination, contrevenant ainsi à l’article 69 de la [Loi sur l’emploi dans la fonction publique].
[18]
La Commission a débattu
sur le rapport. Elle ne peut
pas révoquer la nomination de M. Challal parce que le CPVP a décidé d’annuler
le processus et parce que M. Challal n’avait pas été nommé au poste CS-03 avant
que la fraude soit découverte. En plus, au moment où elle a pris sa décision, M. Challal avait déjà été muté au
ministère des Affaires étrangères. Elle était aussi d’avis que, légalement, les
mesures correctives ne peuvent prendre la forme de mesures disciplinaires.
[19] Dans sa décision, la Commission a ordonné que:
i.
pour une période de trois ans suivant le 15
septemb[re] 2008, M. Challal obtienne la permission écrite de la Commission
avant d’accepter toute nomination au sein de la fonction publique fédérale.
Advenant qu’il accepte un poste au sein de la fonction publique fédérale sans
avoir préalablement obtenu une telle permission, sa nomination sera révoquée;
ii.
M. Challal n’exerce aucune responsabilité dans
la conduite d’un processus de nomination à la fonction publique pour une
période de trois ans;
iii.
M. Challal suive le cours Valeurs et éthique
dans la gouvernance de la fonction publique (D102) à l’École de la fonction
publique du Canada avant le 15 mars 2009;
iv.
la Direction des enquêtes de la Commission de la
fonction publique examine la nomination de M. Challal au poste de CS-02 au
Commissariat à la Protection de la vie privée en décembre 2006;
v.
une lettre soit envoyée à la Commissaire à la
Protection de la vie privée concernant le traitement des employés soupçonnés de
fraude;
vi.
une lettre soit envoyée à l’administrateur
général du ministère des Affaires [étrangères], l’informant de la fraude
commise par M. Challal et lui demandant de s’assurer que M. Challal possède
toutes les qualifications de la position qu’il occupe présentement, incluant la
cote de sécurité. Une copie du rapport d’enquête 2007-IPC-00286 et du Rapport
de décision 08-09-IB- 65 seront annexés à la lettre, et seront versés au
dossier personnel d’employé de M. Challal;
vii. une copie du rapport d’enquête 2007-IPC-00286 ainsi que toute information pertinente concernant M. Challal soient envoyées à la Gendarmerie royale du Canada, aux fins de l’article 133 de la [Loi sur l’emploi dans la fonction publique].
LES QUESTIONS EN LITIGE
[20] Les questions en litige sont les suivantes :
a. Le rapport d’enquête est-il une décision susceptible de contrôle judiciaire?
b. La conclusion de fraude est-elle raisonnable?
c. Est-ce que la Commission était compétente pour ordonner les deux mesures correctives suivantes ?
i. Un examen par la Direction des enquêtes de la Commission de la fonction publique de la nomination de M. Challal au poste de CS-02 au Commissariat à la Protection de la vie privée en décembre 2006;
ii. L’envoi d’une lettre à l’administrateur général du ministère des Affaires étrangères, l’informant de la fraude commise par M. Challal et lui demandant de s’assurer que M. Challal possède toutes les qualifications du poste qu’il occupe présentement, incluant la cote de sécurité. Une copie du rapport d’enquête 2007-IPC-00286 et du Rapport de décision 08-09-IB-65 seront annexés à la lettre, et seront versés au dossier personnel d’employé de M. Challal;
d. Si la Commission était compétente, est-ce que sa décision d’ordonner ces deux mesures était raisonnable?
a. Le rapport d’enquête est-il une décision susceptible de contrôle judiciaire?
[21] La Commission de la fonction publique a été établie dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, et elle existe toujours en vertu de la nouvelle Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003. Elle a le mandat d’effectuer des enquêtes et des vérifications en vertu de l’article 11 de la Loi. Elle détient un pouvoir d’enquête en vertu de l’article 66 et des articles suivants. L’article 67 autorise la Commission à enquêter sur le processus de nomination interne et à révoquer ou annuler une nomination. Dans la présente affaire, cette portion de la Loi ne s’applique pas en raison du fait que personne n’a été nommée au poste CS-03.
[22] À mon avis, le rapport de l’enquêteur n’était pas une décision de la Commission. En fait, la Loi n’indique aucunement que la Commission doit accepter les rapports de ses enquêteurs. La Commission peut accueillir, rejeter ou retourner le rapport. Il n’existe aucune raison pour laquelle une enquête par la Commission devrait être traitée différemment d’une enquête en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Bien qu’une copie du rapport ait été envoyée à M. Challal avant son adoption par la Commission, il s’ensuit que le rapport n’était pas une décision d’une commission fédérale. Dans l’alternative, s’il l’était, c’était une décision interlocutoire. Le point de vue traditionnel énoncé au paragraphe 3:4100 de l’ouvrage de Brown et Evans intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles (Toronto : Cansvasback Publishing, 2008), que j’adopte dans cette affaire, est que les cours n’examineront pas de demandes de contrôle judiciaire de décisions interlocutoires.
[23] M. Challal avait donc raison d’attendre que la Commission ratifie le rapport et adopte des mesures correctives. Prétendre le contraire aurait pour effet de boucher le calendrier de la Cour avec des questions inutiles et potentiellement spéculatives qui auraient pour conséquence de déconsidérer l'administration de la justice.
b. La conclusion de fraude est-elle raisonnable?
[24]
Les paramètres
juridiques pour la revue de la décision sous contrôle ont été établis par la
Cour suprême dans les arrêts Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9,
[2008] 1 R.C.S. 190 et F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S.
41.
[25] Selon Dunsmuir, précité, la conclusion que M. Challal aurait triché à son examen est contrôlée selon la norme de raisonnabilité. Tel qu’indiqué dans Dunsmuir, au para. 47 :
La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[26]
La décision de la
Commission peut avoir des conséquences graves pour M. Challal. Cependant, tel
que note le juge Rothstein au para. 42 de McDougall, précité,
« dans une affaire civile, nulle présomption d'innocence
ne s'applique. »
[27] La norme de preuve applicable dans ces circonstances était incertaine. Comme le juge Rothstein a souligné au para. 26 de McDougall :
Les efforts des tribunaux pour résoudre les difficultés que pose l'application de la norme de preuve civile de la prépondérance des probabilités dans une affaire où les faits reprochés au défendeur sont particulièrement graves - comme la fraude, la faute professionnelle ou le comportement criminel, en particulier l'agression sexuelle d'un mineur - ont suscité de nombreux commentaires.
[28] Après avoir résumé les différentes approches possibles dans une affaire civile ou lorsqu’un comportement ou acte moralement répréhensible est allégué, il a conclu, au para. 40 :
[N]otre Cour devrait selon moi affirmer une fois pour toutes qu'il n'existe au Canada qu'une seule norme de preuve en matière civile, celle de la prépondérance des probabilités. Le contexte constitue évidemment un élément important et le juge ne doit pas faire abstraction, lorsque les circonstances s'y prêtent, de la probabilité ou de l'improbabilité intrinsèque des faits allégués non plus que de la gravité des allégations ou de leurs conséquences. Toutefois, ces considérations ne modifient en rien la norme de preuve.
[29] Bien sûr, une loi peut modifier la norme de preuve dans une matière civile. Par exemple, dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, la question était si M. Mugesera, un résident permanent, devrait être renvoyé du Canada en raison d’un crime contre l’humanité commis à l’étranger. L’alinéa 19(1)j) de la Loi sur l’immigration, alors en vigueur, disait :
19. (1) Les personnes
suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :
[...]
j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis, à l'étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration.
La Cour conclut :
La première question que soulève l'al. 19(1)j) de la Loi sur l'immigration est celle de la norme de preuve correspondant à l'existence de "motifs raisonnables [de penser]" qu'une personne a commis un crime contre l'humanité. La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu'un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile […]
[30] Le texte de l’art. 69 de la Loi donne à la Commission le pouvoir de prendre des mesures correctives « si elle est convaincue de l’existence de la fraude […] ». Comme le démontre l’analyse de la Cour suprême dans l’arrêt McDougall, précité, ce langage reflète la norme de preuve de la prépondérance de probabilités.
[31] La tâche de l’enquêteur était de déterminer si, selon la prépondérance de probabilités, M. Challal avait commis une fraude lorsqu’il a passé son examen. La Commission, elle, devait déterminer si elle acceptait le rapport et, le cas échéant, quelles mesures correctives devraient être imposées. Les questions devant moi sont si la Commission a pris une décision raisonnable en adoptant le rapport de l’enquêteur, si elle était compétente pour imposer les mesures correctives qu’elle a ordonnées et, si elle l’était, si ces mesures étaient raisonnables.
[32] En arrivant à la conclusion qu’une fraude avait eu lieu, l’enquêteur devait se demander si, selon la prépondérance de probabilités, les similitudes entre le guide de correction et les réponses de M. Challal étaient une simple coïncidence. Elle a conclu, et c’était raisonnable pour la Commission d’adopter cette conclusion, que les similitudes ne pouvaient pas, sur une prépondérance de probabilités, être attribués à la coïncidence. La prochaine étape était d’évaluer s’il y avait une autre explication que la tricherie pour les similitudes. M. Challal dit avoir étudié à partir d’un document de 20 pages du Conseil du Trésor qui contenait tous les renseignements nécessaires et qu’il a une mémoire photographique. L’enquêteur a refusé cette explication étant donné que le document du Conseil du Trésor était dans un format complètement différent. C’était raisonnable pour la Commission d’appuyer cette conclusion.
[33] M. Challal soumet que c’était déraisonnable pour la Commission d’accepter le rapport de l’enquêteur sans demander la production des documents qu’elle a étudiés, y compris le document du Conseil du Trésor. Je ne suis pas d’accord. L’enquêteur fait partie de la Commission, et il n’y avait rien pour suggérer à la Commission qu’elle avait mal interprété la documentation dont elle disposait, y compris le document du Conseil du Trésor. En fait, M. Challal avait demandé une ordonnance de la Cour pour tous les documents considérés par l’enquêteur. La protonotaire Aronovitch a rejeté cette requête pour le motif que traditionnellement, en contrôle judiciaire, la Cour est limitée aux documents qui étaient devant le décideur, la Commission. Il y a des exceptions, par exemple, celles qui permettent à une partie de soutenir la thèse selon laquelle la décision est entachée d’un manquement à l’équité procédurale parce que le décideur aurait dû avoir accès à d'autres documents afin de parvenir à une décision adéquate : Tremblay c. Canada (Procureur général), 2005 CF 339. Rien n’empêchait M. Challal, lorsqu’il a présenté sa requête à la protonotaire, d’y joindre le document du Conseil du Trésor pour établir, par exemple, qu’il était sous forme de points et non dans le format narratif décrit par l’enquêteur.
[34] L’enquêteur a choisi la bonne norme de preuve. Ce n’est pas le rôle de cette Cour de se demander si elle serait arrivée à la même conclusion. La question est uniquement l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, tel qu’expliqué dans Dunsmuir, précité au para. 47.
[35] À mon avis, le rapport des conclusions de l’enquêteur et sa ratification par la Commission étaient raisonnables et ne devraient pas être modifiés. Comme la Cour suprême a fréquemment mis en garde les tribunaux inférieurs, par exemple dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 [« Southam »] au para. 80, les tribunaux ne devraient pas s'empresser de substituer leur propre opinion à celle du décideur original.
c) Les mesures correctives
[36] La première mesure corrective contestée est celle qui prévoit que « la Direction des enquêtes de la Commission de la fonction publique examine la nomination de M. Challal au poste de CS-02 au Commissariat à la Protection de la vie privée en décembre 2006 ».
[37] Je n’ai aucune difficulté à conclure que la Commission est compétente pour adopter cette mesure corrective. La Commission n’a pas compétence pour congédier un membre de la fonction publique sauf pour activités politiques si les conditions des articles 68, 113, 114, 115, 118 et des règlements sont satisfaites. Cependant, l’article 66 de la Loi prévoit que la Commission peut enquêter sur tout processus de nomination externe. Selon l’article 69, si la Commission a des motifs de croire qu’il y a eu fraude dans un processus de nomination, elle peut enquêter. C’est exactement ce que la Commission est en train de faire. La question est de savoir si la conclusion que le fait que M. Challal a commis une fraude dans un processus de sélection interne suggère qu’une fraude peut avoir eu lieu dans son processus de nomination externe original est raisonnable. M’appuyant sur Mugesera et Southam, précités, il serait inapproprié pour moi de modifier cette décision.
[38] Quant à l’autre mesure corrective, qui prévoit qu’« une lettre soit envoyée à l’administrateur général du ministère des Affaires [étrangères], l’informant de la fraude commise par M. Challal et lui demandant de s’assurer que M. Challal possède toutes les qualifications du poste qu’il occupe présentement, incluant la cote de sécurité. Une copie du rapport d’enquête 2007-IPC-00286 et du Rapport de décision 08-09-IB-65 seront annexés à la lettre, et seront versés au dossier personnel d’employé de M. Challal », M. Challal soutient que les pouvoirs d’enquête de la Commission sont limités aux quatre coins des articles 66 et suivants de la Loi. L’arrêt sur lequel s’appuie la Commission, Hughes v. Canada (Attorney General), 2009 FC 573, ne serait pas applicable, car il a été rendu en vertu de l’ancienne Loi. Il soumet que les articles 7.1 et 7.5 de l’ancienne Loi étaient plus larges et permettaient à la Commission de mener toute enquête sur toute matière dans sa compétence.
[39] Je ne peux accepter cette proposition. Le préambule de la Loi actuelle dit, entre autres, « qu’il demeure aussi avantageux pour le Canada de pouvoir compter sur une fonction publique vouée à l’excellence, représentative de la diversité canadienne et capable de servir la population avec intégrité et dans la langue officielle de son choix ».
[40] M. Challal n’a pas quitté la fonction publique. Il a seulement été muté au ministère des Affaires étrangères. Il est encore un fonctionnaire. Le public doit avoir confiance en ceux qui travaillent pour lui. Je ne peux pas croire que le législateur aurait voulu que quelqu’un qui a commis une fraude puisse être muté d’un ministère à un autre et obtenir ainsi l’impunité complète. Le ministère des affaires étrangères devrait avoir tous les éléments nécessaires pour juger de l’intégrité de M. Challal et déterminer si ce dernier a été réhabilité. À mon avis, ces mesures correctives étaient dans la compétence de la Commission. Elles étaient raisonnables et semblables à celle dans la décision de la Cour d’appel fédérale dans Messier c. Canada (Solliciteur général), [1985] A.C.F. no 227 (QL).
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
La demande de contrôle judiciaire de la décision 08-09-1B-65 de la Commission de la fonction publique du Canada datée du 15 septembre 2008 est rejetée avec dépens.
« Sean Harrington »
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1611-08
INTITULÉ : Abdellah Challal c. Procureur général du Canada
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : le 23 novembre 2009
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : le 7 décembre 2009
COMPARUTIONS :
Lise Leduc
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POUR LE DEMANDEUR |
Talitha A. Nabbali John Unrau
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sack Goldblatt Mitchell s.r.l. Avocats Ottawa (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |