Ottawa (Ontario), 3 décembre 2009
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAINVILLE
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Xiping Jin (la demanderesse) qui concerne l’interprétation des instructions ministérielles données en 2008 en application de l’article 87.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) ajouté à la Loi aux termes de l’article 118 de la Loi d’exécution du budget de 2008. Les instructions ministérielles ont été publiées dans la Gazette du Canada, partie I, le 29 novembre 2008 (les instructions).
[2] Plus particulièrement, la demanderesse prie la Cour d’interpréter les termes « demandes présentées [...] par des étrangers vivant légalement au Canada depuis au moins une année à titre […] d’étudiants étrangers » qui se trouvent dans les instructions comme incluant les étrangers qui, à n’importe quel moment dans le passé, ont légalement vécu au Canada pendant au moins une année à titre d’étudiants étrangers. Cette interprétation permettrait à un étudiant étranger ayant vécu au Canada pendant au moins une année à n’importe quel moment dans le passé de bénéficier d’un traitement prioritaire de sa demande de résidence permanente à titre de travailleur qualifié (fédéral).
Historique
[3] La demanderesse a étudié au collège Knox à Toronto de septembre 2004 à août 2006. Interrompant ses études, elle a ensuite vécu en Chine jusqu’à son retour au Canada en vue de reprendre ses études en mai en 2008. Elle a poursuivi ses études au Canada de manière continue depuis mai 2008 jusqu’au moment de l’audience tenue relativement à la présente demande de contrôle judiciaire. À toutes les dates pertinentes, elle détenait un visa d’étudiant valide. Son visa d’étudiant actuel expire le 30 août 2012.
[4] En septembre 2008, la demanderesse a demandé la résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), car elle se considérait comme admissible à cette catégorie du fait qu’elle était une étudiante étrangère ayant vécu au Canada durant au moins une année. Elle a présenté sa demande au consulat général du Canada à Buffalo, dans l’état de New York.
[5] Le 17 avril 2009, la Section de l’immigration du Bureau des visas de Buffalo a avisé la demanderesse que sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) ne pouvait pas être traitée.
[6] Comptait parmi les motifs initialement invoqués par la demanderesse pour contester cette décision le fait que les instructions n’avaient pas été publiées dans la Gazette du Canada au moment de la présentation de sa demande. Cependant, lors de l’audience relative à la présente demande de contrôle judiciaire le 17 novembre 2009, la demanderesse a informé la Cour qu’elle demandait néanmoins que sa demande soit traitée en conformité avec les instructions. Par conséquent, elle a informé la Cour qu’elle retirait tout argument lié à la publication des instructions dans la Gazette du Canada après la présentation de sa demande.
[7] La demanderesse a présenté les arguments suivants :
a. les instructions ministérielles devraient être interprétées de manière à s’appliquer à sa situation puisque, au moment de la présentation de sa demande, elle avait résidé légalement au Canada pendant l’équivalent d’une année à titre d’étudiante étrangère, dans la mesure où la période pendant laquelle elle a vécu au Canada antérieurement à son congé d'études est prise en compte;
b. la décision du 17 avril 2009 qui avait été prise initialement dans son dossier était fondée sur le fait que son expérience de travail ne correspondait à aucune profession précisée dans les instructions. Comme sa demande était plutôt fondée sur son statut d’étudiante étrangère résidant légalement au Canada, la décision du 17 avril 2009 était erronée, car le refus de sa demande à titre d’étudiante étrangère n’était pas motivé. Selon la demanderesse, ce n’est qu’à l’étape du contrôle judiciaire que le défendeur a finalement donné les raisons pour lesquelles sa demande à titre d’étudiante étrangère n’avait pas été traitée.
Contexte législatif
[8] Voici les paragraphes 87.3(2) et (3) de la Loi :
(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral.
(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment en précisant l’un ou l’autre des points suivants :
a) les catégories de demandes à l’égard desquelles s’appliquent les instructions;
b) l’ordre de traitement des demandes, notamment par catégorie;
c) le nombre de demandes à traiter par an, notamment par catégorie;
d) la disposition des demandes dont celles faites de nouveau. |
(2) The processing of applications and requests is to be conducted in a manner that, in the opinion of the Minister, will best support the attainment of the immigration goals established by the Government of Canada.
(3) For the purposes of subsection (2), the Minister may give instructions with respect to the processing of applications and requests, including instructions
(a) establishing categories of applications or requests to which the instructions apply;
(b) establishing an order, by category or otherwise, for the processing of applications or requests;
(c) setting the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year; and
(d) providing for the disposition of applications and requests, including those made subsequent to the first application or request. |
[9] Ces dispositions ont été ajoutées à la Loi au moyen de l’article 118 de la Loi sur l’exécution du budget de 2008. L’article 120 de la Loi sur l’exécution du budget de 2008 prévoit que les dispositions de l’article 87.3 de la Loi ne s’appliquent qu’aux demandes faites à compter du 27 février 2008.
[10] Les instructions en question ont été données par la suite conformément à l’article 87.3 de la Loi et publiées dans la Gazette du Canada, partie I, le 29 novembre 2008. Voici un extrait pertinent de ces instructions :
Les demandes présentées par des travailleurs qualifiés (fédéral) à partir du 27 février 2008 et qui répondent aux critères suivants doivent être traitées en priorité dès leur réception :
• Demandes présentées avec une offre d’emploi réservé et demandes présentées par des étrangers vivant légalement au Canada depuis au moins une année à titre de travailleurs étrangers temporaires ou d’étudiants étrangers;
• Demandes présentées par des travailleurs qualifiés (fédéral) accompagnées d’une preuve d’expérience (note de bas de page : Au moins une année d’expérience professionnelle continue à temps plein ou l’équivalent rémunéré, au cours des dix dernières années) dans l’une ou plusieurs des catégories suivantes de la Classification nationale des professions (CNP) : [liste de catégories est prévue] […] Les demandeurs au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) qui ont présenté leur demande à partir du 27 février 2008 et qui ne remplissent pas les critères d’évaluation énumérés ci-dessus doivent être avisés, le plus rapidement possible, que leur demande ne sera pas traitée et qu’ils seront remboursés, à moins d’instructions contraires du ministre indiquant de conserver la demande. |
Federal Skilled Worker applications submitted on or after February 27, 2008, meeting the following criteria shall be placed into processing immediately upon receipt:
• Applications submitted with an offer of Arranged Employment and applications submitted by foreign nationals residing legally in Canada for at least one year as Temporary Foreign Workers or International Students;
• Applications from skilled workers with evidence of experience (footnote: At least one year of continuous full-time or equivalent paid work experience in the last ten years) under one or more of the following National Occupation Classification (NOC) categories: [list of categories is set out]
[…] Applicants to the Federal Skilled Worker Program whose applications were received on or after February 27, 2008, and which do not meet the assessment criteria described above shall be informed, in as short a time as possible, that their applications will not proceed for processing and shall be returned their processing fees, unless the Minister has otherwise instructed that applications be retained.
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Analyse
[11] Le libellé des instructions est clair en ce qui a trait aux exigences relatives à la résidence. Les mots « demandes présentées par des étrangers vivant légalement au Canada depuis au moins une année à titre de travailleurs étrangers temporaires ou d’étudiants étrangers » ne comportent aucune ambiguïté. Dans le texte anglais, le choix du temps du verbe rend tout à fait clair que le travailleur étranger temporaire ou l’étudiant étranger doit avoir vécu légalement au Canada pendant au moins une année (residing legally in Canada for at least one year) immédiatement avant la présentation de sa demande. Le texte français est également dépourvu d’ambiguïté et a la même signification : « demandes présentées par des étrangers vivant légalement au Canada depuis au moins une année à titre de travailleurs étrangers temporaires ou d’étudiants étrangers ».
[12] Lorsque dans les instructions ministérielles une période antérieure peut être prise en compte, elle est clairement précisée, par exemple dans la note de bas de page concernant les demandes des travailleurs qualifiés détenant une preuve d’expérience, laquelle prévoit clairement la reconnaissance de l’expérience dans les termes suivants : « Au moins une année d’expérience professionnelle continue à temps plein ou l’équivalent rémunéré, au cours des dix dernières années. »
[13] Voilà qui répond au premier argument de la demanderesse. La demanderesse soulève toutefois un deuxième argument plus solide.
[14] La décision du 17 avril 2009 communiquée à la demanderesse semble être une lettre type dont voici un extrait :
[traduction]
Vous n’avez pas indiqué dans votre demande que vous avez une offre d’emploi réservé ou que vous vivez au Canada depuis au moins une année à titre de travailleur étranger temporaire ou d’étudiant étranger. L’évaluation de votre demande a donc été faite en déterminant si vous avez une expérience de travail désignée dans la liste des professions admissibles en vue d’un traitement. Ces professions, que l’on identifie au moyen de codes, sont décrites dans la Classification nationale des professions (CNP). Vous pouvez accéder à la liste des professions à [adresse Internet indiquée]. La ou les professions pour laquelle vous avez de l’expérience, selon ce que vous avez indiqué, ne correspondent à aucune de celles qui figurent dans les instructions. Comme votre ou vos professions ne figurent pas dans la liste des professions admissibles, nous ne pouvons pas traiter votre demande actuellement.
[15] À la lecture de cette réponse, on voit bien pourquoi la demanderesse ne comprenait pas. Elle avait fait une demande sur le fondement de son statut d’étudiante étrangère résidant légalement au Canada et la réponse qu’elle a reçue renvoyait principalement à des exigences professionnelles qui n’étaient pas visées dans sa demande. L’utilisation malheureuse de lettres types pour répondre à des demandes qui concernent des situations de fait multiples peut facilement donner lieu à des ambiguïtés et à des malentendus. On aurait pu facilement éviter le présent litige si l’on avait donné à la demanderesse une réponse convenable et cohérente, qui lui aurait expliqué clairement les raisons pour lesquelles sa demande à titre d’étudiante étrangère ne pouvait pas être traitée. Cela n’a pas été fait.
[16] La lettre type fait état du fait que la demanderesse n’avait pas indiqué dans sa demande qu’elle avait légalement vécu au Canada durant au moins une année à titre d’étudiante étrangère. Là est la véritable raison qui a été donnée pour ne pas traiter la demande, mais on l’exprime d’une manière tellement alambiquée et ambiguë qu’il est presque impossible de comprendre la décision sans autres informations. Ce n’est là une manière de procéder ni convenable, ni raisonnable.
[17] Dans un contrôle judiciaire, la Cour doit se pencher sur l’existence de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité dans le processus de prise de décision. En l’espèce, la décision était fondée en droit, mais la communication des raisons qui la soutenaient était déficiente.
[18] Néanmoins, la présente demande de contrôle judiciaire ne résiste pas à l’examen de la réparation.
[19] À la vérité, la solution aux points en litige soulevées par la demanderesse est simplement de présenter une autre demande, laquelle, à la lumière des études qu’elle poursuit au Canada depuis plus d’un an, soit depuis mai 2008, devrait maintenant être traitée conformément aux instructions. La Cour a le pouvoir discrétionnaire de s’abstenir d’accorder réparation si l’erreur procédurale est un vice de forme et n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice : Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43. Renvoyer l’affaire au décideur sur le fondement de la demande initiale de résidence permanente n’aboutirait pas aux résultats que la demanderesse cherche à obtenir. Il est par conséquent préférable que la demanderesse présente une nouvelle demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés comme l’avocat du défendeur l’a invitée à le faire.
[20] Cependant, proposer à la demanderesse de présenter une nouvelle demande ne résout pas le malheureux problème du long délai de traitement des nouvelles demandes. À n’en pas douter, si la demanderesse avait été informée convenablement de la raison pour laquelle sa demande ne pouvait pas être traitée, elle aurait pu présenter une nouvelle demande conforme aux instructions dès mai 2009. L’avocat du défendeur a indiqué que, si la demanderesse présentait une nouvelle demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, sa nouvelle demande serait traitée de manière prioritaire (à la page 60 de la transcription de l’audience). Compte tenu du présent jugement et des motifs qui y sont exposés, la Cour s’attend à ce que le défendeur respecte son engagement.
Question certifiée
[21] La demanderesse a demandé que la question suivante soit certifiée en vue d’un appel à la Cour d’appel fédérale à titre de question grave de portée générale :
[traduction]
Comment l’agent des visas devrait-il calculer la période d’au moins une année durant laquelle un étudiant étranger a légalement vécu au Canada précédant sa demande de résidence permanente au Canada à titre de travailleur qualifié ?
[22] La demanderesse a expliqué que cette question visait notamment à déterminer si le congé estival des études ou les études doctorales à l’étranger doivent être compté dans ce calcul.
[23]
Le défendeur s’est opposé à cette question pour
la raison qu’elle ne repose pas sur le dossier de la demanderesse et qu’elle
est donc injustifiée.
[24] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la question soulevée étant injustifiée, elle ne saurait être certifiée en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi. Dans Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2009] A.C.F. no 549, au paragraphe 23, la Cour d’appel fédérale a souligné que cet alinéa ne devait pas être invoqué à la légère. L’interprétation de l’instruction ministérielle compte tenu des faits très particuliers de la présente affaire ne constitue pas une question de portée générale. De plus, la demanderesse peut se facilement prévaloir d’un autre recours, soit la présentation d’une nouvelle demande. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.
Dispositif
[25] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme,
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2658-09
INTITULÉ : XIPING JIN c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 17 novembre 2009
MOTIFS DUJUGEMENT
ET JUGEMENT: le juge Mainville
DATE DES MOTIFS : Le 3 décembre 2009
COMPARUTIONS :
Xiping Jin
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Michael Butterfield
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Néant
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POUR LA DEMANDERESSE |
JOHN H.SIMS, c.r. Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR |