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Cour fédérale |
Vancouver (Colombie-Britannique), le 19 novembre 2009
PRÉSENT : MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
ENTRE :
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l’égard d’une décision rendue le 6 mai 2008 par un arbitre de griefs au niveau I de la GRC, l’inspecteur Robert Bourget. Dans sa décision, l’inspecteur Bourget a conclu et statué que le dirigeant principal des Ressources humaines (DPRH) est le défendeur approprié dans le cadre du grief formulé par le demandeur relativement à son évaluation du rendement. Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que l’intervention de la Cour serait prématurée.
I. Contexte
[2] Le demandeur est un avocat qui est employé à titre de membre civil de la GRC. Il a agi pour son propre compte en l’espèce. L’objet essentiel de son grief est l’évaluation du niveau de son rendement pour l’exercice 2006-2007. Me Nixon estime que la procédure que la GRC a utilisée pour évaluer son rendement et allouer la rémunération au rendement pour l’exercice en cause est foncièrement inéquitable.
[3] Le commissaire adjoint Mole, sous-commissaire intérimaire des Ressources humaines, a rendu la décision finale sur le niveau et la prime de rendement. Pour ce faire, il s’est fondé sur l’appréciation et l’évaluation réalisées par un comité de cadres supérieurs, connu sous le nom de Comité ministériel d’examen (le CME). Le CME a jugé que le rendement de Me Nixon était « supérieur », soit un échelon plus bas que l’évaluation de rendement « exceptionnel » recommandée par son supérieur immédiat.
[4] Au moment où il a déposé son grief, le 25 juillet 2007, Me Nixon ne connaissait pas l’identité des membres du CME, de sorte qu’il ne les a pas initialement désignés comme défendeurs. Toutefois, dès le début, il a eu l’intention d’inclure les membres du CME à titre de défendeurs dans son grief et, ayant plus tard appris la composition du comité, il a soumis le nom des membres au coordonnateur des griefs pour qu’ils soient inclus comme défendeurs.
[5] Me Nixon a ensuite sollicité une ordonnance pour obliger le bureau de coordination des griefs à signifier une copie du grief à chacune des personnes qu’il avait désignées, y compris les membres du CME, à titre de défendeurs.
II. La décision contestée
[6] L’arbitre a conclu que le dirigeant principal des Ressources humaines (DPRH) est le défendeur approprié en l’espèce. Le rôle du CME consistait à analyser des évaluations du rendement et à y souscrire ou à recommander des changements, explications à l’appui, au DPRH. L’instance responsable et décideur ultime, de l’avis de l’arbitre, est le DPRH. Par conséquent, le seul défendeur approprié est le DPRH. L’arbitre a décidé qu’essentiellement une seule personne assume la responsabilité de la décision, et une seule personne est tenue de répondre de cette décision.
[7] L’arbitre a ensuite transmis le grief à la Direction des normes professionnelles et des examens externes pour qu’il y soit donné suite.
III. Question en litige
[8] La seule question consiste à décider si l’arbitre de grief au niveau I de la GRC a commis une erreur susceptible de révision pour l’un des motifs énoncés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales lorsqu’il a conclu que le DPRH est le défendeur approprié.
IV. Analyse
[9] Avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, il existait trois normes de contrôle des décisions des tribunaux; depuis, il n’y en a plus que deux : la norme de la décision correcte et la norme de la raisonnabilité. La norme de la décision manifestement déraisonnable a été assimilée dans la norme de la raisonnabilité : Laplante c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1036, [2008] A.C.F. no 1293, au paragraphe 23.
[10] Il convient de faire preuve d’une grande déférence dans l’appréciation du caractère raisonnable de la décision de l’arbitre. Celui-ci connaît bien le fonctionnement interne de la GRC ainsi que ses relations avec les employés et ses directives et, en tant qu’arbitre en relations du travail, il est spécialiste dans le domaine et mérite qu’on lui accorde respect et déférence : Smith c. Canada (Procureur général), 2009 CF 162, [2009] A.C.F. no 205, au paragraphe 14, renvoyant à l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 68; Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, [2004] A.C.S. no 2, au paragraphe 22.
[11] Le demandeur soutient que l’article 31 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada lui reconnaît le droit de présenter un grief à l’égard des actes individuels de chaque membre du CME qui a pris part à l’appréciation de son évaluation du rendement. Il allègue que l’arbitre a enfreint les règles d’équité procédurale à son endroit dans la façon dont il a tranché sa demande
pour que les membres du comité soient ajoutés à titre de défendeurs au grief, et qu’on lui a refusé le droit d’être entendu avant que la décision soit prise.
[12] Le défendeur expose pour sa part que le demandeur aura l’occasion de présenter ses arguments concernant le rôle joué par les membres du CME et la décision de ne pas les inclure comme défendeurs, à la phase 2 du processus de grief. Il pourra aussi alors se plaindre de la façon dont l’arbitre a recueilli l’information avant de prendre sa décision. Le défendeur fait remarquer que la décision de M. Bourget est une décision interlocutoire de nature procédurale. Elle ne statue sur aucun droit substantiel.
[13] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la présente demande est prématurée. Aussi ne tirerai-je aucune conclusion sur le fond même des plaintes formulées par le demandeur quant à la procédure suivie ou quant à la décision rendue par l’arbitre.
[14] Les tribunaux hésitent à intervenir dans les instances de grief tant que les demandeurs n’ont pas épuisé tous les recours qu’ils peuvent exercer dans ce processus. Comme l’a expliqué la juge Anne Mactavish dans Sherman c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2006 CF 715, [2006] A.C.F. no 912, au paragraphe 40, il en est ainsi pour un certain nombre de raisons :
[…] notamment la possibilité que l’issue de l’affaire rende la demande de Mme Sherman théorique et le risque de fragmentation du processus, de même que les frais et les retards que cela occasionnerait. L’absence d’un dossier complet au stade préliminaire et l’impossibilité qui en découle de voir quel rôle la décision a-t-elle joué, en dernière analyse, dans le règlement du litige suscitent
également des inquiétudes. Il se peut également que le tribunal ait à modifier plus tard sa décision initiale.
[15] Le demandeur assure que le cas ne deviendra pas théorique s’il a gain de cause dans son grief, car les questions qu’il a soulevées au sujet du choix des défendeurs et de la procédure suivie par l’arbitre pourraient demeurer non résolues même s’il réussit à obtenir le niveau de rendement le plus élevé. Il soutient qu’il est dans l’intérêt public que la Cour procède au contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre, étant donné qu’à son avis, elle est entachée de violations inacceptables de l’équité procédurale.
[16] Le demandeur ne reconnaît pas que l’intervention de la Cour au stade actuel du processus entraînerait un « risque de fragmentation du processus ». Il serait conjectural, dit-il, de présumer que d’autres questions susceptibles de donner lieu plus tard à un contrôle judiciaire peuvent survenir dans les étapes restantes. Je ne partage pas cet avis. Selon moi, le demandeur invite la Cour à ouvrir la porte à des interventions multiples dans la procédure de grief de la GRC avant l’issue finale de la procédure.
[17] À moins de circonstances spéciales, le principe général pose que les décisions interlocutoires ne donnent pas ouverture au contrôle judiciaire : Cannon c. Canada (Commissaire adjoint, GRC), [1998] 2 C.F. 104, [1997] A.C.F. no 1552, au paragraphe 17; Groupe G. Tremblay Syndics Inc. c. Canada (Surintendant des faillites) (1re inst.), [1997] 2 C.F. 719, [1997] A.C.F. no 294; Conseil mohawk de Kahnawake c. Jacobs, [1996] A.C.F. no 757.
[18] Il peut exister des circonstances spéciales lorsque, par exemple, la constitutionnalité du tribunal est contestée : Zundel c. Canada (Commission des droits de la personne), [2000] 4 C.F. 255, [2000] A.C.F no 678 (C.A.F.); Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 116 D.L.R. (4th) 333, [1993] A.C.F. no 934; Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites) (1re inst.), [1996] 3 C.F. 584, [1996] A.C.F. no 585, au paragraphe 17.
[19] Le demandeur invoque la décision Cannon, précitée, pour étayer la thèse selon laquelle les questions d’équité procédurale constituent des circonstances spéciales donnant ouverture au contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire. Dans l’affaire Cannon, l’arbitre avait refusé de donner suite à l’assignation à témoigner signifiée par le demandeur à l’officier poursuivant. La Cour a rejeté la demande au motif qu’il s’agissait d’une décision interlocutoire dans le cadre d’une procédure qui pouvait donner lieu à un appel devant le commissaire, et, au besoin, à un contrôle judiciaire si l’erreur procédurale était grave et si la décision rendue par le commissaire n’avait pas pour effet de la corriger. Je ne saurais interpréter les remarques du juge MacKay sur les questions d’équité procédurale, dans Cannon, comme une invitation à saisir la Cour de ces questions à un stade peu avancé de la procédure de grief.
[20] En l’espèce, la preuve indique que le demandeur aura l’occasion de présenter ses arguments sur le rôle des membres du CME et la décision de l’arbitre, à la phase 2 du processus de grief. Il sera possible de faire corriger toute erreur procédurale importante à ce stade. Dans le cas contraire, à supposer que la question ne soit pas alors devenue théorique, il sera loisible au demandeur de tenter d’obtenir réparation dans le cadre d’un contrôle judiciaire. En conséquence,
il n’existe pas de circonstances spéciales justifiant que la Cour intervienne pour réviser la décision interlocutoire de l’arbitre au stade actuel. La demande est prématurée.
[21] Le défendeur sollicite les dépens. Normalement, les dépens suivraient l’issue de la cause; cependant, en l’instance, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens, parce que le demandeur semble avoir introduit la présente demande dans l’intention de faire corriger ce qu’il estime être des lacunes dans la procédure de grief.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Chaque partie acquittera ses propres dépens.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-974-08
INTITULÉ : TIMOTHY NIXON
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 18 novembre 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 19 novembre 2009
COMPARUTIONS :
Timothy Nixon (pour son propre compte)
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Graham Stark 604-666-6266 |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Timothy Nixon (pour son propre compte) Vancouver (Colombie-Britannique)
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Graham Stark Ministère de la Justice Vancouver (Colombie-Britannique) |
POUR LE DÉFENDEUR |