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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20091124

Dossier : T-1159-08

Référence : 2009 CF 1208

Montréal (Québec), le 24 novembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

ADVANCE MAGAZINE PUBLISHERS, INC.

demanderesse

et

 

WISE GOURMET INC.

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse fait appel, en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi), d’une décision du 20 mai 2008 (la décision) de Jill W. Bradbury agissant au nom du registraire des marques de commerce conformément à une délégation de pouvoir, à titre de membre de la Commission des oppositions des marques de commerce. Dans les présents motifs, le décideur sera désigné le registraire. Dans sa décision, le registraire a rejeté l’opposition d’Advance Magazine Publishers (la demanderesse) à l’enregistrement, par Wise Gourmet Inc. (la défenderesse), de la marque de commerce WISE GOURMET.

 

[2]               La demanderesse a présenté à la Cour fédérale, comme l’y autorisait le paragraphe 56(5) de la Loi, des preuves nouvelles prenant la forme de deux longs affidavits qui n’étaient pas devant le registraire. La Cour doit donc en l’espèce examiner la norme en vertu de laquelle elle doit revoir la décision du registraire compte tenu des preuves nouvelles produites.

 

Contexte

 

[3]               Le 31 décembre 2003, une demande d’enregistrement de la marque WISE GOURMET a été présentée conformément à la Loi. La demande était fondée sur le fait que cette marque avait commencé à être utilisée dès janvier 2002. Il était déclaré que la marque serait employée au Canada en liaison avec divers produits alimentaires et suppléments alimentaires, à savoir livres de cuisine, bulletins, guides de nutrition, recettes et périodiques ayant trait à la nutrition et à l’alimentation. La marque devait aussi être utilisée en liaison avec des émissions de télévision et de radio ainsi qu’avec des sites Web consacrés aux aliments santé et à l’épicerie fine, mais aussi en liaison avec des services de magasin de détail se spécialisant dans les aliments santé et l’épicerie fine et dans l’organisation d’excursion.

 

[4]               Après l’annonce de la demande à des fins d’opposition, la demanderesse a déposé une déclaration d’opposition le 22 août 2004, en invoquant plusieurs moyens qui, pour la plupart, se fondent sur le fait que, selon la demanderesse, la marque WISE GOURMET crée de la confusion avec sa marque de commerce GOURMET et une marque connexe, enregistrées conformément à la Loi sous les numéros 392,189 et 277,151. La demanderesse faisait aussi valoir que la demande d’enregistrement de la marque WISE GOURMET n’était pas conforme à la Loi.

 

[5]               Diverses preuves par affidavit et divers arguments ont été présentés au registraire par la demanderesse et la défenderesse, une audience a eu lieu devant le registraire, puis la décision fur rendue.

 

La décision contestée

 

[6]               Le registraire a rejeté l’argument du défaut d’emploi de la marque WISE GOURMET, fondé sur l’alinéa 30b) de la Loi, au motif que l’opposante (dans le présent appel, la demanderesse) n’avait pas apporté la preuve du défaut d’emploi. Le registraire a aussi rejeté, pour la même raison, le moyen d’opposition fondé sur l’inobservation de l’alinéa 30i).

 

[7]               Le reste de la décision traitait de divers moyens d’opposition axés sur la confusion entre la marque WISE GOURMET et la marque GOURMET de la demanderesse.

 

[8]               D’abord, le registraire a rejeté les moyens d’opposition fondés sur l’article 16 de la Loi, qui prévoit que, pour qu’une marque de commerce soit enregistrée, elle ne doit pas créer de la confusion à la date de sa première utilisation ou, selon le cas, à la date du dépôt de la demande d’enregistrement, avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne. Le registraire a estimé qu’il n’était pas établi que la demanderesse avait employé sa marque de commerce GOURMET avant les dates pertinentes (décision, page 5).

 

[9]               Deuxièmement, le registraire a appliqué le critère relatif à la confusion aux autres moyens d’opposition avancés contre l’enregistrement de la marque WISE GOURMET. Pour savoir s’il y avait confusion, le registraire a appliqué le critère de la première impression et du souvenir imparfait.

 

[10]           Le registraire a estimé que la marque WISE GOURMET et la marque GOURMET n’étaient pas foncièrement distinctes, puisque chacune d’elles prétend faire savoir aux gastronomes que son objet pourrait les intéresser.

 

[11]           Le registraire a également estimé que la preuve de l’emploi ou de la promotion de la marque WISE GOURMET ne permettait pas d’affirmer qu’elle avait été le moindrement révélée. S’agissant de l’emploi de la marque GOURMET, le registraire a tiré les conclusions de fait suivantes :

[traduction] Comme l’opposante n’a pas apporté la preuve qu’elle a employé ou fait connaître la marque GOURMET, il m’est impossible de conclure que la marque a été le moindrement révélée. Il est vrai que la demanderesse a prouvé jusqu’à un certain point l’emploi ou la promotion de la marque de l’opposante […], mais l’on ne sait pas dans quelle mesure les Canadiens ont pu être exposés à la marque de l’opposante (décision, page 6).

 

 

[12]           S’agissant de la durée d’emploi de chacune des marques, le registraire a conclu que la marque GOURMET avait été employée au Canada depuis au moins 1957, encore qu’il est présumé qu’il s’agissait d’un emploi de minimus.

 

[13]           Le registraire a estimé que les marchandises ou services des parties étaient apparentés et se chevauchaient. Peu de renseignements avaient été communiqués concernant les circuits commerciaux des parties, mais le registraire a jugé raisonnable de présumer que leurs circuits commerciaux pouvaient se chevaucher, en particulier en matière de publication.

 

[14]           S’agissant du niveau de ressemblance entre les deux marques, le registraire était d’avis que la première partie d’une marque de commerce était la plus révélatrice pour l’établissement d’une distinction, et il a donc conclu que [traduction] « [...] bien qu’il y ait une ressemblance assez marquée entre les deux marques, le mot WISE, par son apparence, sa sonorité et l’idée qu’il suggère, a pour effet de distinguer quelque peu la marque de la demanderesse de celle de l’opposante » (décision, page 7).

 

[15]           Le registraire n’a pu, en raison de la faiblesse de la preuve produite, se prononcer d’une manière catégorique sur l’état du marché. Cependant, il a relevé que la demanderesse avait apporté la preuve que 740 ouvrages contenant le mot Gourmet dans leurs titres, par exemple « The Country Gourmet », « Natural Gourmet », « Microwave Gourmet », « Gourmet Traveller » et maints autres titres semblables, étaient mis en vente sur la librairie canadienne en ligne www.indigo‑chapters.ca. Le registraire n’a pas accordé beaucoup de poids à cette preuve de l’existence d’autres publications, mais c’est une preuve qui a néanmoins joué un rôle d’appui dans la conclusion indépendante à laquelle est arrivé le registraire, [traduction] « … à savoir que, sans la preuve d’une réputation acquise, la marque GOURMET ne devrait avoir droit qu’à une protection très réduite, en raison de sa nature descriptive » (décision, page 8).

 

[16]           Le registraire a donc conclu que, suivant la prépondérance de la preuve, la confusion entre les deux marques n’était pas probable. Plus précisément, d’après lui, le Canadien moyen ne serait pas d’emblée amené à dire que le magazine GOURMET et les livres de cuisine, bulletins, guides de nutrition, recettes ou périodiques portant les mots WISE GOURMET et ayant trait à la nutrition et à l’alimentation partageraient la même source. En arrivant à cette conclusion générale, le registraire soulignait ce qui suit : [traduction] « Si je suis arrivé à cette conclusion générale, c’est parce que le mot courant GOURMET est précisément cela, un mot très courant, dont la signification descriptive est notoirement connue. L’opposante n’a pas prouvé qu’elle a acquis une réputation considérable dans sa marque, et il est bien établi en droit que, lorsqu’une partie adopte une marque intrinsèquement faible, des différences relativement modestes suffiront à la distinguer d’une autre marque » (décision, pages 8 et 9). Cette conclusion a aussi été appliquée à la marque déposée GOURMET Design.

 

[17]           Finalement, le registraire a, pour des raisons techniques, rejeté l’opposition, compte tenu d’un autre enregistrement, n° 576,562, de la marque GOURMET, employée en liaison avec des magazines et publications en ligne et aux fins d’un site Web.

 

[18]           S’agissant du moyen d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la marque WISE GOURMET, le registraire a rejeté ce moyen d’opposition pour absence de preuve : [traduction] « pour apporter la preuve initiale requise à l’appui de ces moyens, il suffit à l’opposante de montrer que ses marques étaient « connues, dans une certaine mesure du moins », à partir du 22 août 2005. […] Je suis d’avis que l’opposante n’a pas apporté cette preuve initiale, et je rejette donc ces moyens » (décision, pages 9 et 10).

 

La preuve additionnelle

 

[19]           Dans le présent appel, la demanderesse a déposé deux longs affidavits afin de combler les lacunes que présentait son opposition et qu’avait relevées le registraire dans sa décision.

 

[20]           L’un des affidavits provient d’une associée de l’agente de marques de la demanderesse, Marlye Monfiston, et dans cet affidavit, l’associée s’explique sur une recherche Internet effectuée le 3 décembre 2008 dans le site de la librairie canadienne en ligne www.indigo-chapters.ca, recherche qui portait sur les livres mis en vente en ligne et contenant, dans leurs titres, les mots « best of gourmet ». Les résultats montrent que plusieurs éditions de la gamme de livres « Best of Gourmet » de la demanderesse étaient effectivement mis en vente sur les services en ligne de Indigo-Chapters à la date de la recherche.

 

[21]           L’autre affidavit, daté du 17 décembre 2008, provient de Susan Bornstein, éditrice associée et responsable du marketing de Gourmet Magazine, à New York (l’affidavit Bornstein). L’affidavit Bornstein contient des renseignements qui n’ont pas été portés à la connaissance du registraire. Il s’étend sur des centaines de pages, si l’on compte ses annexes. Mme Bornstein semble occuper son poste actuel depuis 2008 seulement, mais elle a occupé un poste semblable, de 2000 à 2008, dans un autre magasine de Condé Nast. Puisqu’elle était dirigeante du magazine Gourmet et qu’elle avait donc accès aux dossiers de l’organisation, je suis d’avis qu’elle peut à juste titre fournir des renseignements sur les registres de ce magazine, ainsi que d’autres renseignements sur sa distribution et ses ventes.

 

[22]           Dans cet affidavit Bornstein, nous apprenons que le magazine Gourmet est publié chaque mois par la demanderesse par l’entremise de sa division non constituée en personne morale, Condé Nast Publications, et que ce magazine se consacre à l’art de recevoir, à l’alimentation, aux boissons, au style de vie, aux voyages, aux restaurants et à l’épicurisme en général. L’affidavit Bornstein nous apprend que le magazine Gourmet a été diffusé au Canada et aux États-Unis, sans discontinué, depuis 1957.

 

[23]           L’affidavit Bornstein contient des renseignements intéressant sur le tirage du magazine Gourmet. Le tirage moyen du magazine dépasserait largement les 700 000 exemplaires par mois aux États-Unis d’Amérique, et 20 000 exemplaires par mois au Canada. À l’appui de ces chiffres, l’affidavit Bornstein est accompagné, comme pièce D, des états non vérifiés de l’éditeur portant sur la diffusion du magazine, qui ont été communiqués, de juin 2002 à juin 2008, au Bureau de vérification des tirages. Ces états non vérifiés tendent à confirmer les tirages susdits pour la période visée, y compris un tirage bien supérieur à 20 000 exemplaires par mois au Canada, et une diffusion dans chacune des provinces.

 

[24]           L’affidavit Bornstein relève aussi que la demanderesse a publié, ou accordé l’autorisation de publier, de 1985 à 2007, la série de livres de recettes « Best of Gourmet », ainsi que d’autres livres de recettes dont les titres portent la marque « GOURMET », par exemple le « Gourmet Cookbook » publié depuis les années 50.

 

[25]           L’affidavit Bornstein précise que, jusqu’à septembre 2007, 378 000 exemplaires du « Gourmet Cookbook » avaient été vendus en Amérique du Nord, tandis que plus de 10 000 exemplaires et 30 000 exemplaires des livres de recettes « Best of Gourmet » avaient été vendus en 2006 et 2007 respectivement. Les chiffres des ventes pour le Canada seul ne sont pas mentionnés dans l’affidavit.

 

[26]           L’affidavit Bornstein donne aussi des indications sur divers sites Web de la demanderesse portant les noms www.gourmet.com et www.gourmetscoop.com, où l’on peut trouver une diversité d’articles et de renseignements sur l’alimentation et sur des sujets apparentés. Ces sites Web permettent à la demanderesse de vendre des pages d’annonces à des tiers.

 

[27]           L’affidavit Bornstein mentionne aussi que la demanderesse fait connaître son magazine par dives moyens, notamment des événements promotionnels et commerciaux en liaison avec la marque de commerce GOURMET, par exemple séminaires interactifs, dégustations de vins fins et de cocktails, démonstrations culinaires, etc., et qu’elle dépense chaque année en moyenne plus de 2 millions de dollars à de telles fins. Cependant, la répartition de ces dépenses promotionnelles entre le Canada et les États-Unis n’est pas mentionnée dans l’affidavit, ce qui donne à penser que les dépenses de promotion engagées au Canada sont au mieux proportionnelles à la diffusion de son magazine au Canada.

 

[28]           En l’espèce, la demanderesse a soumis à la Cour une quantité appréciable de preuves nouvelles, des preuves qui annulent nombre des conclusions du registraire. La demanderesse a même produit une preuve convaincante selon laquelle elle emploie sa marque GOURMET depuis de nombreuses décennies au Canada et que cet emploi est répandu partout au Canada. Les preuves nouvelles montrent de manière concluante que sa marque GOURMET est diffusée abondamment et depuis longtemps parmi les consommateurs canadiens, et qu’elle a donc acquis une certaine réputation au Canada.

 

[29]           La défenderesse n’a pas contesté les preuves nouvelles ni n’a présenté de conclusions dans le présent appel. Cependant, dans une lettre datée du 20 octobre 2009, elle a informé la Cour que le magazine Gourmet allait cesser de paraître après son numéro de novembre 2009. Comme la défenderesse n’a pas envoyé une copie de cette lettre à la demanderesse, c’est la Cour qui en a transmis une copie à la demanderesse. Lors de l’audition du présent appel, à Toronto, le 28 octobre 2009, la demanderesse a déclaré qu’elle laissait à la Cour le soin de décider de la recevabilité de la lettre; par ailleurs, l’avocat de la demanderesse a informé la Cour que sa cliente ne niait pas l’information figurant dans cette lettre.

 

[30]           Puisque cette lettre de la défenderesse n’a pas été produite sous la forme d’un affidavit, sa recevabilité comme preuve dans la présente instance pose de sérieuses difficultés. Ces difficultés sont accentuées par le fait que la défenderesse n’a pas participé au présent appel, si ce n’est par l’envoi de ladite lettre quelques jours avant l’audience, et sans même qu’elle soit transmise à la demanderesse.

 

Les positions des parties

[31]           L’argument fondamental de la demanderesse est que, compte tenu des preuves nouvelles présentées à la Cour, il est raisonnable de penser qu’il y a risque de confusion entre la marque WISE GOURMET et sa propre marque déposée, GOURMET. C’est à la défenderesse qu’il appartient d’établir qu’une confusion entre les deux marques est improbable, mais elle a néanmoins décidé de ne pas contester les preuves nouvelles produites par la demanderesse. Compte tenu que la charge de la preuve repose sur la défenderesse et qu’une confusion entre les deux marques reste probable, la demanderesse affirme que la défenderesse n’a pas droit à l’enregistrement de la marque WISE GOURMET comme marque de commerce.

 

[32]           Comme il est mentionné plus haut, la défenderesse n’a pas participé au présent appel. Elle est néanmoins fondée à faire examiner sa position en appel : Gill & Jolliffe, Fox on Canadian Law of Trade-Marks and Unfair Competition, quatrième édition, au paragraphe 6.8 (d.), page 6-34.1 de l’édition à feuilles mobiles; Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada’s Manitoba Distillery Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 1, aux pages 4 et 5. J’ai donc passé en revue les documents soumis par la demanderesse au registraire dans la procédure d’opposition, y compris les affidavits et les arguments écrits soumis en son nom.

 

[33]           La défenderesse affirmait pour l’essentiel, devant le registraire, qu’il n’y a aucun véritable caractère distinctif dans la marque GOURMET de la demanderesse, une marque qui est un mot courant largement employé. La défenderesse fait aussi valoir que l’emploi du mot WISE en liaison avec le mot GOURMET minimise toute ressemblance entre les deux marques, de telle sorte qu’il ne saurait y avoir de confusion entre les deux.

 

La norme de contrôle

[34]           Dans son arrêt récent, Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 62, la Cour suprême du Canada écrivait que, pour savoir quelle norme de contrôle appliquer dans un cas donné, il fallait suivre un processus en deux étapes : « premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle ». Il convient donc de vérifier d’abord quelle norme de contrôle, selon la jurisprudence, est la norme à appliquer aux appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi.

 

[35]           Avant l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle qui s’appliquait aux appels de ce type, ou la question principale en jeu concerne l’existence probable d’une confusion, avait été minutieusement examinée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, (2006) 49 C.P.R. (4th) 321 [l’arrêt Mattel]. Dans cette affaire, où des preuves nouvelles avaient été produites devant la Cour fédérale, mais jugées non pertinentes, c’est la norme de la décision raisonnable simpliciter qui a été retenue (au paragraphe 40) comme norme de contrôle à appliquer :

Compte tenu, en particulier, de l’expertise de la Commission et du rôle d’« appréciation » que lui impose l’art. 6 de la Loi, je suis d’avis que, malgré l’octroi d’un droit d’appel absolu, la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable.  Le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission ne commande pas la grande retenue dont il faut faire preuve, par exemple, à l’égard de l’exercice ministériel d’un pouvoir discrétionnaire, auquel s’applique habituellement la norme du caractère manifestement déraisonnable (p. ex. S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29, par. 157), mais la Commission n’est pas tenue non plus de satisfaire à la norme de la décision correcte, comme si elle tranchait une question de droit de portée générale qui peut être isolée (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 26).  Comme l’a expliqué le juge Iacobucci dans Ryan, par. 46, la norme intermédiaire (celle du caractère raisonnable) signifie qu’« [u]ne cour sera souvent obligée d’accepter qu’une décision est raisonnable même s’il est peu probable qu’elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal. »  La question est de savoir si la décision de la Commission est étayée par des motifs qui peuvent résister « à un examen assez poussé » et si elle n’est pas « manifestement erronée » : Southam, par. 56 et 60.

 

 

[36]           Bien que la question ne fut pas directement posée dans l’affaire Mattel, le juge Binnie a fait observer, au paragraphe 35, qu’une autre norme de contrôle s’appliquerait si une preuve nouvelle et pertinente était produite en appel devant la Cour fédérale :

Lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l’affaire comme s’il s’agissait d’une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., [1987] A.C.F. no 849 (QL) (C.A.)). L’article 56 laisse croire que le législateur voulait qu’il soit procédé à un réexamen complet, non seulement des questions de droit, mais aussi des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, y compris la probabilité de confusion. Voir en général Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), par. 46‑51; Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., [2000] A.C.F. no 1864 (QL) (C.A.F.), par. 4, et Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] A.C.F. no 1763 (QL) (1re inst.).

 

 

[37]           Dans un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Brasserie Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), (2000) 5 C.P.R. (4th) 180, [2000] A.C.F. n° 159 (QL), un précédent que le juge Binnie a cité et suivi dans l’arrêt Mattel, le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême) écrivait, aux paragraphes 46 et 51 :

Du fait qu’il offre l’opportunité de produire une nouvelle preuve, l’appel prévu à l’article 56 n’est pas une disposition d’appel habituelle par laquelle la cour saisie rend sa décision sur la base du dossier de la cour dont la décision fait l’objet de l’appel. Un appel régulier n’est pas interdit si aucune preuve additionnelle n’est produite, mais il n’y a aucune obligation de procéder ainsi. L’appel prévu n’est pas non plus un  procès de novo— au sens strict du terme. Ce terme renvoie habituellement à un procès qui requiert la création d’un tout nouveau dossier, comme s’il n’y avait pas eu de procès en première instance. Ainsi, dans un procès de novo, la cause doit être jugée uniquement sur la base du nouveau dossier et sans égard à la preuve présentée dans les procédures antérieures.

 

[…]

 

Je pense que l’approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald’s Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[38]           Dans l’arrêt Maison Cousin (1980) Inc. c. Cousins Submarines Inc., 2006 CAF 409, (2006) 60 C.P.R. (4th) 369, [2006] A.C.F. n° 1968 (QL) [l’arrêt Maison Cousin], une décision postérieure à l’arrêt Mattel, la Cour d’appel fédérale appelait, aux paragraphes 4 et 7, à un examen de novo en appel lorsque d’importantes preuves nouvelles sont produites devant la Cour fédérale :

L’appelante a porté cette décision en appel devant la Cour fédérale. Alertée par les commentaires du délégué du registraire quant à la faiblesse de sa preuve à l’appui de son opposition, l’appelante s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 56(5) de suppléer à la preuve au dossier. Elle y a versé de nouveaux éléments de preuve. Le juge a examiné cette nouvelle preuve sous l’angle de la norme de contrôle. Il en est venu à la conclusion qu’elle était suffisamment significative et probante, et qu’il devait appliquer la norme de la décision correcte. Ce faisant, il nous apparaît que le juge limitait ainsi indûment sa discrétion d’intervenir car, ayant constaté le caractère significatif et probant de la nouvelle preuve, il n’était plus appelé à réviser la décision du délégué du registraire, mais plutôt à décider la question au mérite à partir des éléments de preuve dont il disposait.

 

[…]

 

Le juge qui décide la question de novo peut intervenir sans qu’il ait à identifier une erreur quelconque de la part du délégué, et il n’a aucune obligation de réserve face à la décision de ce dernier. Il est appelé à décider la cause à partir des éléments de preuve dont il dispose, et des règles de droit qui s’y appliquent.

 

 

[39]           L’approche adoptée dans l’arrêt Maison Cousin a ultérieurement été suivie dans de nombreuses décisions : Shell Canada Ltée c. P.T. Sari Incofood Corp., 2008 CAF 279, (2008) 68 C.P.R. (4th) 390, [2008] A.C.F. n° 1320, au paragraphe 22; Canadian Tire Corp. c. Accessoires d’autos Nordiques Inc., 2007 CAF 367, (2007) 62 C.P.R, (4th) 436, au paragraphe 30; Curb c. Smart & Biggar, 2009 CF 47, (2009) 72 C.P.R. (4th) 176, [2009] A.C.F. n° 85 (QL), au paragraphe 7; Vêtement Multi-Wear Inc. c. Riches, Mckenzie & Herbert LLP, 2008 CF 1237, (2008) 73 C.P.R. (4th) 3, [2008] A.C.F. n° 1602, aux paragraphes 12 à 16; Guido Berlucchi & C. S.r.l. c. Brouilette Kosie Prince, 2007 CF 245, (2007) 56 C.P.R. (4th) 401, [2007] A.C.F. n° 319, au paragraphe 24.

 

[40]           Cette revue de la jurisprudence s’est révélée utile pour déterminer la norme de contrôle à appliquer, et il ne m’est donc pas nécessaire de faire une analyse relative à la norme de contrôle.

 

[41]           En l’espèce, les conclusions du registraire sur la question de la confusion ont été largement contredites par les preuves nouvelles, et en l’occurrence déterminantes, produites par la demanderesse. Le dossier ne renferme rien qui donne à penser que les conclusions du registraire étaient fautives sur la question de la confusion, dans la mesure où seule la preuve produite devant le registraire est prise en compte, mais la profondeur et l’importance des preuves nouvelles soumises par la demanderesse sont telles qu’une nouvelle décision rendue à l’issue d’une procédure de novo s’impose.

 

[42]           D’ailleurs, les moyens d’opposition fondés sur l’article 16 de la Loi ont été rejetés par le registraire au motif que la demanderesse n’avait pas établi l’emploi de sa marque GOURMET au Canada avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque WISE GOURMET par la défenderesse et avant la prétendue date de premier emploi de cette marque par la défenderesse (page 5 de la décision). Cette conclusion ne vaut plus, à la lumière des preuves nouvelles produites.

 

[43]           En ce qui concerne le critère fondamental permettant d’évaluer les risques de confusion, un critère qui prend en compte les facteurs explicitement énumérés dans la Loi, le registraire a rejeté les moyens d’opposition, principalement pour les motifs suivants : [traduction] « […] l’opposante n’a pas apporté la preuve qu’elle a employé ou fait connaître la marque GOURMET » (décision, page 6), « […] on ne sait pas dans quelle mesure les Canadiens ont pu être exposés à la marque de l’opposante » (ibid.), « […] cet emploi [de la marque de l’opposante] est présumé être seulement un emploi de minimus » (ibid.), « très peu de renseignements ont été fournis concernant les circuits commerciaux des parties […] » (ibid.), « l’opposante n’a pas prouvé qu’elle a acquis une réputation substantielle dans sa marque […] » (décision, page 8), « l’opposante n’a pas établi qu’elle a acquis une réputation substantielle en liaison avec la marque GOURMET pour ces services enregistrés [services Web] » (décision, page 9), etc. Ces conclusions ne sont plus défendables compte tenu des preuves nouvelles produites.

 

[44]           Par conséquent, je procéderai de novo à l’examen des questions soulevées dans le présent appel, en particulier la question de la confusion, étant entendu que les preuves déjà soumises au registraire font elles aussi partie du dossier que j’ai devant moi et devront être prises en compte.

 

[45]           Je procéderai à un examen des questions de novo, mais les conclusions du registraire sur les questions qui ne sont pas touchées par les preuves nouvelles produites en appel justifient néanmoins une certaine retenue, et je me référerai auxdites conclusions le cas échéant.

 

Le critère qui permet de conclure à une probable confusion

[46]           L’alinéa 12(1)d) et les paragraphes 16(1) et (3) de la Loi prévoient qu’une marque de commerce (ou, s’agissant du paragraphe 16(3) de la Loi, une marque projetée) peut être enregistrée si elle ne crée pas de la confusion avec une marque déposée ou avec une marque qui a déjà été employée au Canada ou révélée au Canada par une autre personne. Le critère légal permettant de dire s’il y a confusion ou non est énoncé aux paragraphes 6(2) et (5) de la Loi :

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de

commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both

trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

 

 

 

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the

Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trademarks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or

sound or in the ideas suggested by them.

 

 

[47]           Dans l’arrêt Mattel, précité, au paragraphe 54, la Cour suprême du Canada écrivait que toutes les circonstances de l’espèce doivent être prises en compte. Les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) ne sont pas exhaustifs et un poids différent sera accordé à différentes circonstances selon le contexte. Voir la décision Gainers Inc. c. Marchildon (1996), 66 C.P.R. (3d) 308 (C.F. 1re inst.), citée dans l’arrêt Mattel. Par ailleurs, la Cour suprême du Canada faisait aussi observer que c’est à la partie qui demande l’enregistrement d’une marque de commerce (en l’occurrence la défenderesse) de prouver, suivant la prépondérance de la preuve, qu’aucune confusion n’est susceptible de survenir : arrêt Mattel, précité, paragraphe 54.

 

[48]           Ce qu’il faut considérer, c’est « la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé […] », alors qu’il n’a « qu’un vague souvenir » d’une autre marque de commerce. Voir l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824, (2006) 49 C.P.R. (4th) 401, au paragraphe 20. La perspective d’après laquelle la probabilité d’une confusion doit être mesurée est celle d’un consommateur mythique, appelé par la Cour suprême du Canada le « consommateur ordinaire plutôt pressé », et décrit en détail dans l’arrêt Mattel, précité, aux paragraphes 56 à 58. La question principale est celle de savoir si « les consommateurs occasionnels ordinaires plutôt pressés sont susceptibles de se méprendre sur l’origine des marchandises ou des services » (arrêt Mattel, précité, paragraphe 58).

 

Application du critère réglementaire

(1)    Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

 

[49]           Je reconnais avec le registraire que ni la marque de commerce GOURMET ni la marque WISE GOURMET de la défenderesse ne présentent un caractère distinctif inhérent. Toutes deux emploient le mot courant « gourmet » (en français « gastronome »), qui est défini ainsi dans le Petit Robert : « nom personne qui apprécie le raffinement en matière de boire et de manger. Un « gastronome » est un amateur de bonne chère, et la « gastronomie » est l’art de la bonne chère (cuisine, vins, ordonnance des repas, etc.). L’emploi du mot « gourmet » est relativement courant en matière de produits alimentaires, et aucune des deux marques n’atteste donc une originalité ou imagination particulière qui lui conférerait un caractère distinctif inhérent.

 

[50]           Je reconnais aussi avec le registraire que la preuve de l’emploi et de la promotion de la marque WISE GOURMET par la défenderesse ne permet pas d’affirmer que cette marque est devenue un tant soit peu connue.

 

[51]           En fait, la principale preuve d’emploi qu’a soumise la défenderesse au registraire était un affidavit daté du 6 avril 2006, produit par Tom Abols, qui avait fait diverses recherches sur Internet au nom des représentants de la défenderesse (l’affidavit Abols). Cet affidavit parle d’une recherche sur le site Web www.wanttoknownow.com, où il est question de « Wise Gourmet » en rapport avec des cours de cuisine et des excursions éducatives. L’affidavit Abols fait également mention d’une recherche faite sur le site Web de Western Web publié par le conseil des étudiants de l’Université Western Ontario, un site où apparaît « Wise Gourmet » en liaison avec la présentation d’un exposé se rapportant à la nutrition. Cette preuve atteste effectivement un certain emploi de la marque WISE GOURMET, mais elle est loin de prouver que cette marque est devenue un tant soit peu connue.

 

[52]           Cependant, s’agissant de la marque GOURMET de la demanderesse, les preuves nouvelles produites dans le présent appel et évoquées ci-dessus démontrent d’une manière concluante qu’elle a été employée partout au Canada durant plusieurs décennies. Les preuves nouvelles démontrent aussi d’une manière concluante que la marque GOURMET fait partie depuis longtemps de l’univers du consommateur canadien et qu’elle a donc acquis une certaine réputation au Canada. Je ne crois pas cependant que la marque GOURMET de la demanderesse soit « célèbre » étant donné qu’elle n’atteint pas la reconnaissance immédiate qui est nécessaire avant qu’une marque puisse être qualifiée de célèbre.

 

[53]           La demanderesse n’a pas le droit de s’attribuer l’usage exclusif du mot « gourmet » ni de se l’approprier pour couvrir un domaine étendu (voir l’arrêt Mattel, précité, paragraphe 75), mais j’admets que, par son utilisation au fil du temps, la marque GOURMET a acquis un deuxième sens associé au magazine de la demanderesse et, à ce titre, a acquis un certain caractère distinctif dans l’édition des magazines, ainsi qu’une petite reconnaissance au Canada en raison des livres de cuisine « Best of Gourmet » et des services d’information du même nom sur Internet dans le domaine de l’alimentation.

 

(2)  La période pendant laquelle la marque de commerce a été en usage

 

[54]           Les preuves nouvelles produites en appel démontrent clairement que la marque GOURMET de la demanderesse est largement employée au Canada depuis plusieurs décennies en liaison avec le magazine et, depuis moins longtemps, en liaison avec les livres de recettes « Best of Gourmet ».

 

[55]           La marque WISE GOURMET de la défenderesse, quant à elle, n’est employée que depuis quelques années. D’ailleurs, d’après la demande révisée de la demanderesse pour l’enregistrement d’une marque, demande portant la date du 26 octobre 2004, la marque WISE GOURMET n’est employée au Canada en liaison avec l’organisation de cours de cuisine que depuis janvier 2002. Selon l’argumentation écrite présentée au registraire au nom de la défenderesse en date du 7 février 2006, au paragraphe 15, la marque WISE GOURMET est employée [traduction] « en liaison avec au moins quelques-uns des marchandises et services depuis au moins février 2006 ».

 

 

(3)  Le genre de marchandises, services ou entreprises

 

[56]           Malgré une preuve restreinte, le registraire a estimé que les marchandises et services des deux parties étaient apparentés et, à certains égards, se chevauchaient. Les preuves nouvelles produites en appel renforcent grandement cette conclusion.

 

[57]           La défenderesse affirme, dans sa « Demande révisée d’enregistrement d’une marque de commerce », portant la date du 26 octobre 2004, qu’elle a employé la marque WISE GOURMET en liaison avec [traduction] « l’organisation de cours de cuisine » et qu’elle entend l’employer en liaison avec une longue liste de produits alimentaires et de boissons, ainsi qu’en liaison avec [traduction] « des publications imprimées, à savoir livres de cuisine, bulletins, guides de nutrition, recettes, périodiques se rapportant à la nutrition et à l’alimentation ». La défenderesse déclare aussi son intention d’employer cette marque en liaison avec divers services, par exemple [traduction] « émissions de radio et de télévision; mise sur pied d’un site Web consacré aux aliments santé et à la cuisine gastronomique, aux recettes et à l’information nutritionnelle; services de magasins de détail se spécialisant dans les aliments santé et la cuisine gastronomique; organisation d’excursions ».

 

[58]           Dans ses enregistrements de marque nos 392,189 et 277,151, la demanderesse déclare que sa marque GOURMET sera employée en liaison avec des magazines.

 

[59]           Dans son enregistrement n° 576,562, la demanderesse déclarait qu’elle emploierait la marque en liaison avec [traduction] « des magazines et publications en ligne distribués en format électronique via Internet; l’exploitation d’un site Web permettant aux consommateurs de s’abonner aux magazines d’intérêt général et aux annonceurs de faire connaître leurs produits et services via Internet ». Le registraire a rejeté, pour des raisons techniques, le moyen d’opposition de la demanderesse fondé sur l’alinéa 12(1)d) et sur son enregistrement n° 576,562. Je ne vois aucune raison de modifier la conclusion du registraire au regard de cette question technique. Par conséquent, la marque portant le numéro d’enregistrement 576,562 n’a pas été prise en compte dans le présent appel pour ce qui concerne le moyen d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d).

 

[60]           Quoi qu’il en soit, l’affidavit Bornstein renferme suffisamment d’éléments qui démontrent que la demanderesse a utilisé sa marque GOURMET en liaison avec des magazines et publications en ligne, via Internet, et a exploité un site Web qui permet aux consommateurs de s’abonner aux magazines d’intérêt général et aux annonceurs de faire connaître leurs produits et services via Internet. L’affidavit Bornstein montre aussi que cette utilisation d’Internet à cette fin par la demanderesse précède l’utilisation d’Internet par la défenderesse pour faire connaître sa marque WISE GOURMET.

 

[61]           Dans l’affidavit Bornstein, il est aussi mentionné que l’emploi de la marque GOURMET s’étend également à d’autres marchandises et services tels que livres de cuisine et livres de recettes (paragraphes 3, 10 et 11 de l’affidavit), ainsi qu’à des événements commerciaux, par exemple séminaires interactifs, dégustations de vins fins et de cocktails, expériences culinaires, démonstrations culinaires et ouvrages dédicacés, dîners exclusifs, cours de cuisine privés, fins de semaine à vocation viticole ou culinaire (paragraphe 17 de l’affidavit), ainsi que services d’information et d’éducation dans le domaine de la nutrition, avis en matière d’hygiène alimentaire, recettes santé et mode de vie (paragraphe 19 de l’affidavit).

 

[62]           Il y a donc un fort chevauchement dans les marchandises et services auxquels tentent de s’identifier les deux marques. Toutes deux s’emploient à faire connaître des produits et services liés à l’alimentation. Les marchandises et services ne sont pas tous identiques, mais ils sont très comparables et visent fondamentalement les mêmes marchés et les mêmes consommateurs.

 

(4)  La nature du commerce

 

[63]           La défenderesse a donné peu de renseignements sur ses circuits commerciaux, mais elle affirme que les publications et périodiques, Internet ainsi que la radio et la télévision sont employés ou qu’ils le seront.

 

[64]           Les circuits commerciaux de la demanderesse sont clairement mentionnés dans l’affidavit Bornstein et comprennent le magazine, les publications, Internet et la télévision.

 

[65]           En l’espèce, non seulement les marchandises et services se chevauchent-ils considérablement, mais les circuits commerciaux présentent beaucoup de similitudes.

 

(5)   Le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent

 

[66]           Le registraire a conclu qu’il y avait un degré de ressemblance assez marqué entre les deux marques étant donné que la défenderesse avait intégré dans son intégralité la marque GOURMET de la demanderesse dans sa propre marque WISE GOURMET. Cependant, eu égard au principe selon lequel la première partie d’une marque est la plus pertinente pour ce qui concerne le caractère distinctif, le registraire a trouvé que le mot WISE avait pour effet de distinguer les deux marques, dans la présentation, dans le son ou dans les idées qu’elles suggèrent.

 

[67]           Il est vrai que le mot « wise » a pour effet d’établir jusqu’à un certain point une distinction entre les deux marques, dans la présentation et dans le son, mais l’idée que suggèrent les deux marques est néanmoins semblable. Le mot déterminant dans la marque WISE GOURMET est le nom « gourmet » plutôt que l’adjectif « wise ».  Le deux marques se ressemble donc effectivement et un observateur occasionnel pourrait avoir du mal à les distinguer dans leur présentation, surtout si les mots WISE GOURMET sont présentés d’une manière qui fait ressortir le deuxième d’entre eux.

 

(6) Autres circonstances

 

[68]           La défenderesse avait présenté au registraire une preuve portant sur l’existence d’une autre marque « gourmet » figurant au registre des marques de commerce, à savoir la marque THE SURREAL GOURMET enregistrée en liaison avec des tabliers et des T-shirts, ainsi qu’avec des livres de cuisine, des calendriers et des affiches, et en liaison avec des services portant sur l’art de recevoir, c’est-à-dire des programmes de télévision s’intéressant à la cuisine et aux arts culinaires. Le registraire a trouvé que cette preuve ne permettait pas de se faire une bonne idée de l’état du marché (décision, page 7).

 

[69]           En outre, à la faveur de l’affidavit Abols, la défenderesse a produit la preuve de centaines d’ouvrages mis en vente sur la librairie en ligne www.indigo-chapters.ca, ouvrage dont les titres contiennent le mot « gourmet », à savoir « Gourmet Barbecue », « Vegetarian Gourmet Cookery », « Gourmet Ireland », « Gourmet Sweets », « The Natural Gourmet », etc. Cette preuve tend certainement à démontrer d’une part que le mot « gourmet » est couramment employé dans l’édition de livres de cuisine et, d’autre part, que c’est un mot d’usage courant.

 

[70]           Comme il est mentionné plus haut, dans une lettre produite quelques jours avant l’audience, la défenderesse a informé la Cour que la demanderesse allait cesser de publier son magazine Gourmet après le numéro de novembre 2009, et qu’elle cesserait donc d’employer sa marque GOURMET en liaison avec les marchandises ou services pour lesquels elle est enregistrée au Canada, à savoir des magazines. J’ai décidé de ne pas accepter cette lettre en preuve ni le fait qu’elle tente de faire reconnaître par la Cour. Cependant, dans l’éventualité où je serais déclaré en défaut sur ce point, je m’appliquerai à expliquer pourquoi ce fait ne modifierait l’issue de la présente affaire quand bien même serait-il admis dans la preuve.

 

[71]           Dans l’arrêt qu’elle vient de rendre, Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2009 CAF 290, [2009] A.C.F. n° 1263 (QL), la Cour d’appel fédérale a donné de nouvelles indications sur les paramètres temporelles à l’intérieur desquels la question de l’existence d’une possible confusion doit être examinée. Dans cette affaire, les paramètres temporels ont été déclarés être les suivants : a) la date pertinente à retenir pour trancher la question de la confusion avec une marque existante selon l’alinéa 12(1)d) de la Loi est la date à laquelle la question est tranchée (ibid., au paragraphe 12); b) la date pertinente de l’évaluation de l’existence d’une possible confusion dans des actions en contrefaçon introduites en vertu de l’article 20 de la Loi, même si c’est en principe la date de l’audience, peut varier en fonction des faits et en fonction des actes de procédure (ibid., au paragraphe 13); c) la date pertinente à laquelle doit être évaluée la probabilité d’une confusion selon l’alinéa 16(1)a) de la Loi est celle à laquelle la défenderesse a employé la marque pour la première fois (ibid., au paragraphe 14); d) la date pertinente à laquelle doit être évaluée la probabilité d’une confusion selon le paragraphe 16(3) de la Loi est la date du dépôt de la demande d’enregistrement (ibid., aux paragraphes 15 à 18).

 

[72]           Par conséquent, la fin de la publication du magazine GOURMET ne serait pas un fait à prendre en compte aux fins de la présente instance. En effet, aux fins de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, la date pertinente serait soi la date à laquelle l’affaire est tranchée par le registraire ou par la Cour, encore qu’il subsiste une controverse sur la date à laquelle l’affaire est tranchée par la Cour. Voir l’arrêt Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes-Simmons Bedding Ltd., (1991) 37 C.P.R. (3d) 413, [1991] A.C.F. n° 546 (QL) (C.A.F.), et Gill & Jolliffe, Fox on Canadian Law of Trade-Marks and Unfair Competition, quatrième édition, au paragraphe 6.7 (d.1), aux pages 6-20.7 et 6-20.8 de l’édition à feuilles mobiles. Quoi qu’il en soit, à l’une ou l’autre de ces dates, le magazine Gourmet était diffusé au Canada.

 

[73]           Aux fins de l’alinéa 16(1)a) et du paragraphe 16(3) de la Loi, les dates pertinentes de l’évaluation de l’existence d’une possible confusion sont la date du premier emploi de la marque par l’auteur de la demande d’enregistrement ou, selon le cas, la date du dépôt de la demande d’enregistrement. À ces deux dates, les preuves nouvelles produites par la demanderesse montrent d’une manière concluante que le magazine GOURMET était largement distribué au Canada.

 

 

Dispositif

 

[74]           Il appartient à la défenderesse de démontrer, suivant la prépondérance de la preuve, qu’une confusion n’est pas susceptible de se produire. La défenderesse a eu gain de cause sur ce point devant le registraire.

 

[75]           Cependant, les importantes preuves nouvelles produites par la demanderesse ont nécessité le réexamen de novo de la question de la confusion entre la marque GOURMET et la marque WISE GOURMET. La défenderesse a choisi de ne pas contester ces preuves nouvelles ni de participer au présent appel. Puisque c’est à la défenderesse qu’il appartient de prouver qu’une confusion n’est pas susceptible de se produire en l’espèce, elle n’y est donc pas parvenue compte tenu des preuves nouvelles produites.

 

[76]           La marque GOURMET ne présente pas un caractère distinctif inhérent, mais son emploi au fil du temps par la demanderesse lui a permis d’acquérir au Canada une certaine réputation liée à son magazine et aux marchandises et services s’y rapportant. Le mot « gourmet » est un mot d’usage courant en ce qui concerne l’alimentation et les produits et services s’y rapportant, mais la demanderesse a démontré que sa marque GOURMET est devenue notoirement connue au Canada grâce à son magazine. Par ailleurs, la marque GOURMET est employée depuis longtemps au Canada, alors que la marque de la défenderesse est nouvelle sur le marché. Compte tenu que la nature des marchandises et services, ainsi que le commerce rattaché aux deux marques se chevauchent considérablement, qu’il y a un degré de ressemblance assez marqué entre les deux marques, enfin que la défenderesse s’est abstenue de présenter des preuves ou des conclusions pour contester les preuves nouvelles produites dans le présent appel par la demanderesse, je suis d’avis, suivant la prépondérance de la preuve, qu’une confusion risque de se produire entre la marque WISE GOURMET de la défenderesse et la marque déposée GOURMET de la demanderesse.

 

[77]           L’appel sera donc accueilli.

 

[78]           Eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire, il n’est pas adjugé de dépens.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.      L’appel est accueilli;

2.      La demande d’enregistrement n° 1,202,570 présentée en vertu de la Loi sur les marques de commerce pour la marque WISE GOURMET est refusée.

 

 

« Robert Mainville »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1159-08

 

 

INTITULÉ :                                       ADVANCE MAGAZINE PUBLISHERS, INC. c.

                                                            WISE GOURMET INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 OCTOBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MAINVILLE

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 24 NOVEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rohit Parekh

 

POUR LA DEMANDERESSE

Pas ce comparution

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sim, Lowman, Ashton & McKay

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Néant

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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