Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2009
En présence de monsieur le juge Barnes
ENTRE :
demanderesse
défenderesse
et
LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Banque Royale du Canada (la RBC) conteste en l’espèce la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de déférer la plainte de Mme Meera Bhagwat (la plaignante) au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal). La RBC soutient que cette décision a été prise en violation des principes de justice naturelle et d’équité procédurale et qu’elle est par ailleurs déraisonnable.
a. Le contexte
[2] La plaignante est une employée de la RBC et elle affirme avoir été victime de discrimination en milieu de travail. Pendant son enquête, la Commission a demandé à un certain nombre d’employés de la RBC de participer à des entrevues. L’avocate externe de la RBC a répondu à cette demande et elle a demandé l’autorisation d’assister aux entrevues. Dans une lettre du 11 avril 2008, la Commission a rejeté la demande de l’avocate de la RBC pour les motifs suivants :
[traduction]
Pour ce qui a trait au processus de traitement des plaintes, la Commission doit procéder à des enquêtes rigoureuses et équitables qui respectent les règles de l’équité procédurale. Suivant l’équité procédurale, les parties doivent connaître le fond de la preuve présentée à la Commission et doivent avoir une occasion adéquate de connaître la preuve contre laquelle elles doivent se défendre, de la réfuter et de présenter leur propre position.
En ce qui concerne les entrevues, la Commission estime que l’équité procédurale n’exige pas ni n’autorise systématiquement la présence d’un représentant du plaignant ou du mis en cause à une entrevue. Rien ne donne à penser que l’une ou l’autre des parties serait lésée ou que les conditions relatives à l’équité procédurale ne seraient pas respectées si aucun représentant de l’une ou l’autre des parties n’était présent lors de l’entrevue avec les témoins. Les renseignements recueillis au cours de l’entrevue figurent dans le rapport d’enquête; les deux parties ont donc l’occasion de faire des commentaires lorsque le rapport leur est présenté.
Il est extrêmement important que la Commission s’assure qu’un témoin puisse s’exprimer librement au cours d’une entrevue. La présence d’un représentant de l’une ou l’autre des parties pourrait avoir un effet paralysant sur le témoin et ainsi empêcher la Commission de recueillir tous les renseignements pertinents. La Commission sait par expérience par exemple que peu d’employés, sont à l’aise de s’opposer à la présence de représentants de leur employeur; la politique de la Commission épargne donc ce fardeau au témoin.
Par conséquent, une demande qu’un représentant du mis en cause ou du plaignant soit présent au cours de l’interrogatoire des témoins sera rejetée. Il peut y avoir une exception si le témoin est interrogé dans le but de clarifier la politique d’un mis en cause ou si le tiers est le représentant personnel ou l’avocat du témoin. Dans ces circonstances, le tiers sera présent à titre d’observateur seulement.
En conclusion, votre demande de participer aux entrevues des témoins dans le cadre de la plainte déposée par Mme Meera Bhagwat est rejetée. M. Parekh reprendra sous peu son enquête, et je suis convaincu que vous continuerez de fournir votre entière coopération dans la présente affaire.
[3] Il s’ensuivit un autre échange de lettres, mais la Commission a toujours refusé de permettre à l’avocate de la RBC d’assister aux entrevues de témoins envisagées. La RBC a refusé que ses deux témoins principaux participent à l’entrevue si son avocate ne pouvait pas y assister, et ce, malgré un avertissement explicite de la Commission, selon lequel la Commission continuerait son enquête même si elle ne disposait pas de leur témoignage. Il ne fait également aucun doute en l’espèce que les deux employés souhaitaient également que l’avocate de la RBC assiste à l’entrevue.
[4] Le 29 août 2008, l’enquêteur de la Commission a recommandé qu’il soit donné suite à une partie de la plainte parce qu’il était incapable de mener une enquête approfondie et exhaustive quant aux questions liées à la crédibilité. La RBC a répondu à cette recommandation en affirmant que son refus de laisser participer ses employés aux entrevues sans la présence de son avocate était fondé en
droit. Malgré cette réponse, le 12 novembre 2008, la Commission, pour les motifs qui suivent, a décidé de déférer l’ensemble de la plainte au Tribunal :
[traduction]
Il y a de nombreux faits contestés dans la présente affaire, et nombre d’entre eux portent sur la crédibilité de la plaignante et de son gestionnaire. En outre, les déclarations de plusieurs autres témoins pourraient également être pertinentes quant à l’issue de la présente plainte, car ces témoins pourraient fournir des éclaircissements sur la relation de travail entre la plaignante et son superviseur ainsi que sur la situation qui avait cours dans le milieu de travail à ce moment‑là.
La Commission a noté que la mise en cause avait refusé de respecter la politique de la Commission portant sur la présence de tiers lors des entrevues et qu’elle n’avait pas permis à l’enquêteur d’interroger le gestionnaire et tous les autres témoins qu’elle emploie actuellement. Par conséquent, l’enquêteur a été incapable de mener une enquête approfondie et exhaustive.
Vu qu’il reste des questions non résolues liées à la crédibilité, lesquelles ne peuvent pas être tranchées par la Commission; vu que la mise en cause ne coopère pas à l’enquête, en refusant que l’enquêteur interroge les témoins clés sans qu’elle soit présente; vu l’ensemble des circonstances de la plainte, la Commission est convaincue qu’il est justifié que le Tribunal instruise la plainte.
II. Les questions en litige
[5] a) La Commission a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité en refusant de mener les entrevues des employés en présence de l’avocate de la RBC?
b) La décision de la Commission de déférer l’ensemble de la plainte au Tribunal était‑elle fondée sur des motifs adéquats et était‑elle déraisonnable?
III. Analyse
[6] La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale soulevées en l’espèce est la décision correcte et celle applicable au fond de la décision de la Commission est la raisonnabilité, norme appelant la retenue : voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, paragraphes 40 à 57.
[7] La Commission a fondé son rejet de la demande de la RBC sur l’application de sa politique sur la procédure, dont les parties pertinentes mentionnent ce qui suit :
6.6.3.2 La présence de tiers lors des entrevues
En général, la question de la présence d’un tiers au cours d’une entrevue se pose dans les cas suivants :
i. un témoin désire la présence d’une personne accompagnante ou d’un conseiller;
ii. un mis en cause désire que son représentant ou conseiller juridique représente les cadres qui s’expriment en son nom, ou désire qu’un représentant accompagne un employé pour expliquer les politiques de l’entreprise;
iii. un mis en cause désire que son représentant ou conseiller juridique assiste à toutes les entrevues avec les employés actuels ou antérieurs qui seront interviewés, ou qu’il y soit présent à titre d’observateur.
En règle générale, les tiers sont exclus des entrevues de témoins. Cette règle existe afin que les témoins se sentent à l’aise de s’exprimer en toute franchise et librement. Il faut donc refuser toutes les demandes d’un mis en cause qui souhaite que son représentant ou son conseiller juridique soit présent à toutes les entrevues avec les employés, ou les observe.
Des exceptions à cette règle générale sont admises dans les quatre cas ci-dessous :
Situation A :
· le témoin est un gestionnaire ou un employé du mis en cause contre qui une plainte a également été déposée et on prétend que son comportement est discriminatoire;
· l’individu (qui est également mis en cause) demande la présence d’un tiers (son propre conseiller juridique ou le représentant ou conseiller juridique du mis en cause).
Situation B :
· le témoin est un représentant de la direction qu’on interroge sur une politique du mis en cause;
· le témoin consent à la présence d’un représentant du mis en cause;
· l’enquêteur est persuadé que cet accord est donné volontairement.
Situation C :
· le témoin demande qu’un conseiller (p. ex. : le délégué syndical, un parent, un conseiller personnel, un ami, etc.), autre que le conseiller juridique ou le représentant du mis en cause soit présent;
· l’enquêteur est persuadé que la demande est faite volontairement;
· le conseiller n’est pas une partie à la plainte, ou a peu de chances d’être interrogé comme témoin ou de s’opposer aux intérêts du plaignant ou du témoin.
Situation D :
· le témoin demande qu’un représentant du mis en cause ou un conseiller juridique du mis en cause soit présent;
· la situation est prévue dans un règlement adopté en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Les conditions dans lesquelles se déroule une entrevue, y compris le lieu de la rencontre, la méthode d’entrevue (au téléphone ou en personne) et la présence possible de tiers devraient aider à accroître la capacité du témoin à répondre ouvertement aux questions de l’enquêteur. Lorsqu’un tiers est autorisé à assister, il ne doit nuire d’aucune manière au processus d’entrevue. […]
[8] La RBC soutient que la Commission a commis une erreur en rejetant sa demande visant à ce que ses employés soient représentés par son avocate lors des entrevues envisagées avec l’enquêteur. Selon la RBC, ce rejet constitue un manquement à l’équité procédurale parce que, en tant que société mise en cause et malgré la politique susmentionnée, elle possède un droit fondamental à un avocat pendant un processus qui pourrait porter atteinte à ses droits et à sa réputation et parce que la politique de la Commission fait une distinction inéquitable et injuste entre les particuliers mis en cause et les sociétés mises en cause. Elle allègue également que la politique de la Commission n’a pas été appliquée de façon cohérente dans le passé et que l’omission de la Commission de lui fournir une version complète de sa politique était inéquitable parce que les renseignements manquants refermaient une exception qui aurait autorisé la présence de son avocate lors des entrevues.
[9] Je ne suis pas d’accord avec la RBC pour dire qu’elle avait le droit que son avocate assiste aux entrevues de ses employées ou que la Commission a manqué à quelque obligation d’équité.
[10] La RBC a admis qu’elle ne pouvait pas, en droit, imposer la présence de son avocate lors de l’entrevue si un témoin s’y opposait. Ce n’est que pour le cas où un employé appelé à témoigner demande la participation de l’avocate de la RBC que la RBC revendique ce droit. Étant donné que la RBC a été désignée comme mise en cause, la position de la Commission viole une règle d’équité vu les droits de la RBC en tant que société. Ce que plaide en fait la RBC c’est que ses employés devraient pouvoir choisir leur avocat sans que la Commission puisse s’y opposer. La revendication par la RBC du droit de se protéger ne peut pas être acceptée parce que, dans le contexte d’une enquête préliminaire, ni ses droits ni ceux de ces employés ne comprennent quelque droit que ce soit d’être représenté dans une plus grande mesure que ce que prévoient les politiques de la Commission.
[11] L’arrêt Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, [1987] A.C.S. no 7 (QL) (C.S.C.), renferme une analyse exhaustive du droit à un avocat comme principe d’équité procédurale. La Cour suprême a établi dans cet arrêt que l’équité est une notion souple et que son contenu varie selon la nature de l’enquête et les conséquences qu’elle peut avoir pour les individus en cause. Elle a établi que, à l’étape de la cueillette de renseignements et tant que les conclusions de l’enquêteur ne sont pas rendues publiques, il peut ne pas être nécessaire d’accorder tous les droits relatifs à la représentation par avocat ou à la participation. La Cour suprême a estimé que les tribunaux ne devraient pas être enclins à intervenir à cette étape et qu’ils devraient être en faveur du droit de l’enquêteur de contrôler son propre processus. Ces principes généraux ont ensuite été appliqués dans l’affaire Nova Scotia (Human Rights Commission) c. MacDonald (1999), 180 N.S.R. (2d) 379, 94 A.C.W.S. (3d) 333 (C.S.N.‑É.), dans laquelle la décision rendue par la Commission des droits de la personne d’exclure l’avocat du mis en cause d’une entrevue d’un témoin a été contestée. Dans cette affaire, tout comme en l’espèce, il avait été permis au témoin d’obtenir les services d’un avocat indépendant, mais non les services de l’avocat de l’une ou l’autre des parties. Après un examen exhaustif de la jurisprudence et de la loi, le juge Jack Davison a confirmé la décision de la Commission des droits de la personne pour les motifs suivants :
[traduction]
23 Si l’on tient compte de ces principes, il est inconcevable, à mon avis, que le législateur ait eu l’intention qu’un témoin décide de la procédure que la Commission doit suivre dans sa recherche des faits. C’est la Commission qui doit établir la façon dont les renseignements doivent être fournis suivant l’alinéa 30a).
24 Laisser entendre qu’un témoin pourrait simplement rédiger une déclaration ou répondre à un interrogatoire prédéfini ne tient aucunement compte de l’obligation de diligence de la Commission en ce qui concerne l’exhaustivité de ses enquêtes. La procédure doit être souple, et l’entrevue donne l’occasion à la Commission, au moyen de questions supplémentaires, de réagir et de donner suite à tout renseignement donné par le témoin.
25 À mon avis, la prétention de M. Duplak – selon laquelle l’alinéa 30a) exige seulement que M. MacDonald fournisse des renseignements de la façon qu’il estime convenable ou bien que cet alinéa donne à penser que M. MacDonald peut les fournir par déclaration écrite ou lors d’un interrogatoire écrit – fait en sorte qu’il prête aux termes de la Loi le « sens le plus étroit que peuvent avoir les termes qui y sont employés », pour reprendre les mots du juge MacIntyre dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears (précité), et cela ne tient pas compte des réparations prévues par la Loi.
26 À mon avis, le refus de M. Ian MacDonald de participer à une entrevue à moins que M. Duplak soit présent constitue un refus de fournir des renseignements aux termes du paragraphe 31(1) et, en vertu du paragraphe 31(2), une ordonnance peut être rendue obligeant M. Ian MacDonald à participer à l’entrevue et lui permettant, s’il le souhaite, d’être accompagné d’un avocat totalement indépendant de l’espèce. Autrement dit, la réparation sollicitée dans l’avis introductif d’instance daté du 29 septembre 1999 sera accordée.
27 En ce qui concerne la réparation sollicitée dans l’avis introductif d’instance du 27 octobre 1999, elle semble être une demande faite en des termes généraux, et il était peut-être superflu d’y mentionner que la Commission peut adopter sa propre procédure pour établir les faits pertinents tant et aussi longtemps qu’elle respecte la Loi. Je n’accorde pas la réparation sollicitée dans l’avis introductif d’instance daté du 27 octobre 1999.
Je souscris à cette analyse du droit et je ne peux trouver de raison sur le plan des faits ou du droit pour distinguer l’affaire MacDonald de la présente affaire. En particulier, je rejette la prétention que la Cour ne devrait pas tenir compte de la décision MacDonald, précitée, parce que la RBC, en application du paragraphe 65(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, est responsable du fait d’autrui, à savoir des actions de ses employés, et que, par conséquent, ses droits procéduraux à l’étape de l’enquête sont élargis. La responsabilité d’une société mise en cause ne peut être établie qu’au regard du poids de la preuve présentée au Tribunal. Le fait qu’un témoin puisse faire une déclaration préliminaire ne prive pas le mis en cause de tout l’éventail des droits procéduraux auxquels il a droit lors de l’instruction.
[12] Je suis d’accord avec l’avocate de la RBC pour dire qu’il y a des volets de la politique de la Commission portant sur la participation d’un avocat à l’étape de l’enquête qui semblent quelque peu incohérents ou vagues.
[13] Par exemple, en ce qui concerne la situation C, on peut se demander si un employé appelé à témoigner se verrait nier le droit à un avocat, et ce, même si l’avocat envisagé n’était pas aussi l’avocat de l’employeur mis en cause. Cette directive ne mentionne pas que les avocats ne peuvent pas participer à l’entrevue dans de telles circonstances, et je ne peux penser à aucune raison valable pour refuser une telle représentation par avocat si l’on en fait la demande. En fait, l’avocat de la Commission a mentionné que, selon cette directive, il était possible d’être représenté par un avocat indépendant. Cependant, la situation C ne s’applique pas en l’espèce, car les témoins ont insisté pour que l’avocate de la RBC soit présente et, à la suite du refus de la Commission, aucune demande de représentation par un avocat indépendant ou d’une autre forme d’aide n’a été présentée.
[14] De façon semblable, si la Commission craint que la présence de l’employeur ou de son avocat puisse faire en sorte qu’un employé soit mal à l’aise ou que cette présence puisse nuire à une discussion franche et libre, il est quelque peu incohérent que la politique permette à un employé désigné mis en cause d’être représenté par l’avocat de son employeur. Les mêmes risques sont présents dans les deux cas. Cependant, l’avocat de la Commission a justifié cette distinction en affirmant qu’il s’agissait d’une façon d’essayer de mettre en balance les intérêts divergents dans une situation où l’employé, en tant que partie désignée, était personnellement exposé à un risque.
[15] La seule explication qui vienne à l’esprit quant à l’intransigeance dont a fait preuve la Commission dans son approche est que la Commission doit avoir une position ferme dans l’ensemble des situations, y compris celles où la présence de l’employeur pourrait ne pas être aussi anodine qu’en l’espèce. Je pense qu’il s’agit d’une préoccupation légitime parce que, par sa participation à l’entrevue, l’employeur ou son avocat pourrait exercer sur l’employé des pressions, délibérément ou non, dont l’enquêteur pourrait ne pas se rendre compte et qui pourraient influer défavorablement sur l’issue de l’affaire. Même si les lignes directrices prévoient bien que l’enquêteur, dans certaines situations, puisse évaluer le caractère volontaire d’une telle demande, cette évaluation ne sera jamais parfaite, et permettre davantage d’exceptions pourrait mener à un autre type de problèmes, notamment à des plaintes d’employeurs portant sur le caractère arbitraire des décisions. En outre, le fait que la Commission n’ait pas appliqué de façon constante ses lignes directrices dans le passé n’a aucune importance sur le plan juridique en l’espèce, car une nouvelle politique prévoyant l’application rigoureuse des lignes directrices a été adoptée. Il devrait par contre être compris qu’une application non constante de la politique sur la procédure pourrait mener à une contestation pour manquement à l’équité fondée sur les attentes raisonnables d’une partie.
[16] Bien que les lignes directrices de la Commission soient particulièrement tranchées dans une situation comme en l’espèce, j’estime que leur application dans la présente affaire n’a entraîné aucune iniquité procédurale. Je doute que la common law prévoie une obligation d’équité en faveur d’un témoin qui n’est pas partie à l’instance et qui participe à une entrevue volontaire à l’étape de l’enquête menée dans le cadre d’une plainte et prévue à l’article 43 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, H‑6. En général, un témoin non‑partie à l’instance qui est obligé de témoigner n’a le droit d’être représenté par un avocat distinct que s’il risque de s’incriminer ou si ses droits fondamentaux pourraient être violés : voir Vapour Canada Ltd. c. MacDonald (no 2) (1971), [1971] C.F. 465, 22 D.L.R. (3d) 607 (C.F. 1re inst.). Même s’il existait bel et bien une obligation d’équité, les droits plutôt généreux accordés aux employés par la situation C respecteraient certainement cette obligation. On peut, bien entendu, se demander s’il est absolument nécessaire d’interdire de façon générale qu’un témoin soit représenté par l’avocat de l’employeur si le témoin en fait la demande. Cependant, cette interdiction appartient raisonnablement à l’éventail des décisions d’ordre procédural que peut prendre un décideur qui fixe sa propre procédure.
[17] La RBC prétend que la Commission avait l’obligation de l’informer de la situation D, laquelle constitue une exception à sa politique. Selon la RBC, cette directive autorise l’avocat du mis en cause à participer à l’entrevue si le témoin en fait la demande.
[18] La situation D de la politique de la Commission est ainsi rédigée :
Situation D :
· le témoin demande qu’un représentant du mis en cause ou un conseiller juridique du mis en cause soit présent;
· la situation est prévue dans un règlement adopté en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
[19] La prétention de la RBC se fonde sur une interprétation disjonctive des deux points ci‑dessus, laquelle interprétation s’appuie, du moins en apparence, sur l’absence d’élément conjonctif entre les deux points.
[20] Bien que la situation D ait été mal rédigée, le contexte révèle que les deux points doivent être interprétés de façon conjonctive. Toute autre interprétation rendrait complètement inopérante la situation C, qui interdit expressément que le conseiller juridique du mis en cause agisse en tant que conseiller. Il ne faut pas s’étonner que de telles politiques ou lignes directrices ne respectent pas les normes grammaticales auxquelles on pourrait s’attendre d’un texte réglementaire et elles ne devraient pas être interprétées aussi rigoureusement que le prétend la RBC.
[21] La RBC soutient également que la décision de la Commission de traiter la plainte dans son ensemble (malgré la recommandation de l’enquêteur de s’en tenir à une partie seulement) n’est pas fondée sur des motifs adéquats et est par ailleurs déraisonnable. Je ne suis pas d’accord.
[22] La Commission a, à juste titre, conclu que le manque de coopération de la RBC à l’étape de l’enquête justifiait qu’elle défère la plainte au Tribunal. La RBC a pris une position insoutenable quant à ses témoins. Même si la décision de ne pas permettre l’interrogation des témoins semble avoir été prise de bonne foi, la RBC a néanmoins pris le risque que son refus de coopérer lui nuise. Une partie peut difficilement s’attendre à ce que sa situation soit renforcée par sa décision d’empêcher l’interrogation des témoins, surtout si les témoins en question sont les auteurs allégués de la discrimination en cause dans la plainte. Dans les circonstances, de nombreuses allégations de la plaignante n’ont pas été contestées devant la Commission, et la conclusion selon laquelle une audience complète était nécessaire pour que le Tribunal puisse trancher l’ensemble des questions de crédibilité en suspend ne constituait pas une erreur.
IV. Les dépens
[23] Les parties n’ont pas demandé l’adjudication des dépens et, par conséquent, aucuns dépens ne seront accordés.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée, sans dépens.
« R. L. Barnes »
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1978-08
INTITULÉ : RBC
c.
BHAGWAT
c.
CCDP
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 2 SEPTEMBRE 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 21 OCTOBRE 2009
COMPARUTIONS :
Richard Charney 416-216-1867 Emily Sternberg 416-216-1915
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POUR LA DEMANDERESSE |
Daniel Poulin 613-947-6399
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POUR L’INTERVENANTE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ogilvy Renault LLP Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
Meera Bhagwat Mississauga (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE |
Commission canadienne des droits de la personne Ottawa (Ontario) |
POUR L’INTERVENANTE |