Cour fédérale
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Federal Court
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Référence : 2009 CF 1179
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 18 novembre 2009
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
et ALZA CORPORATION
et
et NOVOPHARM LIMITED
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit d’un appel interjeté par Novopharm Limited (Novopharm) à l’encontre d’une décision du 29 octobre 2009 d’une protonotaire responsable de la gestion de l’instance. L’appel a été entendu le 16 novembre 2009 au début de l’audience de la présente procédure qui concerne une demande d’ordonnance en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Novopharm pour le produit qu’elle propose. Après la plaidoirie, j’ai indiqué que l’appel était accueilli et que les motifs suivraient. Voici les motifs et l’ordonnance formelle.
[2] Le Dr Quinn, un témoin expert des demanderesses, a souscrit un affidavit dans lequel il fait l’affirmation suivante au paragraphe 92 :
[traduction]
Dans le même ordre d’idées, j’ai souvent affirmé que l’importance sur le plan clinique du besoin de concentrations plasmatiques ascendantes en raison d’un éventuel effet secondaire de tolérance aiguë est théorique, car elle n’a pas été quantifiée. C’est aussi simplement un commentaire sur le problème d’une incapacité à faire des tests éthiques pour prouver rigoureusement une telle importance. Il n’en demeure pas moins que les psychiatres reconnaissent généralement que la formulation précédente de RITALIN SR® a créé une tolérance aiguë et que la formulation CONCERTA® plus récente à dose d’une fois par jour en raison de sa concentration plasmatique ascendante prolongée qui résout ou règle ce problème. À ce sujet, je note que le groupe britannique de psychiatres pour enfants et adolescents accepte le concept de tolérance aiguë au méthylphénidate (http://www.rcpsyh.ac.uk) (sic).
[3] On reconnaît que le site Web cité par le Dr Quinn est celui du Royal College of Psychiatrists au Royaume‑Uni (le Collège). Aucune page Web précise de ce site n’est indiquée comme pièce à l’affidavit du Dr Quinn. Ce dernier n’a pas été contre‑interrogé sur le paragraphe 92 de son affidavit et on ne lui a pas posé de questions au sujet du site Web qu’il a mentionné.
[4] Lorsque les demanderesses procédaient au contre‑interrogatoire du Dr Kutcher, un témoin expert de Novopharm, elles lui ont posé des questions au sujet du paragraphe 92 de l’affidavit du Dr Quinn et lui ont présenté particulièrement deux pages du site Web du Collège. Le Dr Kutcher a déclaré qu’il ne pouvait ni identifier les pages ni confirmer leur authenticité, puisqu’ils ne les avaient pas vues. Les pages ont été désignées comme pièce A aux fins d’identification seulement. Les demanderesses ont également posé des questions au Dr McCracken, un autre témoin expert de Novopharm, au sujet du paragraphe 92 de l’affidavit du Dr Quinn. Il a répondu qu’il n’avait pas consulté le site Web parce qu’il ne voyait pas la pertinence [traduction] « d’un groupe de psychiatres œuvrant dans la communauté qui se prononcent sur quelque chose que je crois établi par des preuves scientifiques. »
[5] Les demanderesses ont déposé leur dossier de demande, qui comprend la pièce A marqué à des fins d’identification sur le contre‑interrogatoire du Dr Kutcher. Novopharm s’est opposée et a présenté une requête devant la protonotaire chargée de la gestion de l’instance pour demander une ordonnance radiant les pages Web du dossier, en plus de toute référence s’y rapportant. À cet égard, on a remarqué que les demanderesses se reportent à la pièce A au paragraphe 95 de leur mémoire de fait et du droit dans lequel ils soutiennent ce qui suit :
[traduction]
Le Dr Quinn souligne que le site Web du Royal College of Psychiatrists du Royaume‑Uni comprend un manuel de formation qui fait explicitement référence à l’article de « tolérance aiguë » de Swanson qui est également cité dans la monographie de produit de Novopharm. En se fondant sur ce pouvoir, l’Association recommande que la tolérance aiguë au méthylphénidate soit réglementée par l’utilisation de concentrations plasmatiques de méthylphénidate ascendante prolongée de CONCERTA® .
[6] Les demanderesses se sont opposées à la requête et ont présenté une requête incidente en vue de signifier et de déposer l’affidavit de Marie Mutchler, dans lequel sont jointes, à tire de pièce, des pages Web qui étaient identifiées comme pièce A dans le contre‑interrogatoire du Dr Kutcher.
[7] La savante protonotaire a conclu que la pièce A dans le contre‑interrogatoire du Dr Kutcher n’avait pas été produite en preuve. Aucun appel n’a été interjeté par les demanderesses de cette conclusion et je souscris au dispositif qu’elle propose sur cette question qui se lit comme suit :
[traduction]
Je suis convaincue que les deux pages Web n’ont pas été convenablement soumises en preuve. Elles n’ont pas été incluses dans les affidavits et les pièces documentaires déposées par les demanderesses conformément à l’article 306 des Règles, et elles n’ont été ni identifiées ni authentifiées par un témoin en contre‑interrogatoire. La référence au domaine ou à la page d’accueil du Royal College of Psychiatrists au Royaume‑Uni par le Dr Quinn au paragraphe 92 de son affidavit ne donne pas une référence adéquate ou complète à la source appropriée. En fournissant l’adresse Web du domaine ou de la page d’accueil sans le reste du chemin d’accès ou de l’adresse contenue dans l’URL complète de la page précise aurait pour effet que le site entier et que tout son contenu deviennent des « preuves » dans une procédure, ce qui ne peut pas être vraiment le cas. De plus, et en tout état de cause, une partie adverse n’est pas obligée d’aller à la chasse pour essayer de découvrir la preuve en espérant avoir raison de trouver ce qui pourrait être mentionné dans un affidavit.
[8] La protonotaire a fait droit à la requête des demanderesses et a permis le dépôt tardif de l’affidavit de Marie Mutchler, une commis au bureau des avocats des demanderesses, et les deux pages Web jointes comme pièces. Par conséquent, la protonotaire a conclu que [traduction] « la décision relative à la requête de Novopharm visant à supprimer les deux pages Web et leur mention du dossier des demanderesses est devenue théorique par la décision relative à la requête des demanderesses visant à obtenir les deux pages Web comme preuve additionnelle au moyen de l’affidavit de Mme Mutchler. »
[9] Le critère en vertu du paragraphe 84(2) des Règles pour accorder le dépôt de preuve après avoir contre‑interrogé les déposants de l’autre partie est le même que celui de l’article 312 des Règles : Pfizer Canada Inc. c. RhoxalPharma Inc. [2006] 36 C.P.R. (4e) 550 (C.F.). Comme l’a correctement observé la protonotaire, il peut être permis de déposer des preuves complémentaires, mais seulement si quatre exigences sont respectées. Les trois premières exigences ne sont pas pertinentes; toutefois, la quatrième tel qu’elle l’a énoncée est [traduction] « la question de savoir si les autres éléments de preuves étaient disponibles ou s’il n’était pas prévu auparavant qu’ils seraient pertinents ». La Cour d’appel dans Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein, 2002 CAF 503, au paragraphe 9, a énoncé que cette exigence est incluse parce que la règle permettant le dépôt d’éléments de preuve additionnels est « […] une partie ne peut se servir de la règle […] pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible […] ».
[10] La protonotaire a conclu, et les parties y ont convenu, que les demanderesses avaient accès aux deux pages Web en question avant le contre‑interrogatoire.
[11] La protonotaire déclare que, même si les pages Web étaient disponibles, [traduction] « il semble que les demanderesses pourraient avoir cru à tort qu’elles les avaient correctement citées avec l’adresse Web à la page d’accueil du Royal College of Psychiatrists, en soulignant que le site possède une fonction de recherche efficace ». Je peux seulement conclure que la protonotaire était d’avis qu’en raison de cette opinion erronée, les demanderesses n’auraient pas pu avoir anticipé que ces pages étaient pertinentes à une date antérieure; autrement, la quatrième condition n’était pas respectée et l’ordonnance permettant le dépôt tardif d’éléments de preuve n’aurait pas dû être rendue.
[12] J’ai conclu que la protonotaire a agi sur la base d’une mauvaise compréhension des faits ou a commis une erreur de droit dans l’application de la quatrième condition du critère. Pour conclure qu’une partie demandant l’autorisation de déposer des éléments de preuve additionnels ne pouvait pas prévoir que la preuve qu’elle veut maintenant présenter était pertinente, il faut prendre cette décision en examinant les circonstances telles qu’elles existaient lorsque la partie demandant la permission a déposé pour la première fois ses preuves. La question est de savoir si la partie requérante savait ou aurait dû savoir à ce moment que la preuve était pertinente. En l’espèce, les demanderesses savent que, quand elles avaient déposé leurs éléments de preuve que ces pages étaient pertinentes, elles étaient indirectement citées dans un affidavit qu’elles avaient déposé. Les demanderesses ont tenté, sans succès, de s’aider elles‑mêmes en présentant ces pages comme éléments de preuve par les experts de Novopharm, mais elles n’ont pas été en mesure de le faire. Elles ne peuvent pas maintenant présenter des éléments de preuve qui leur étaient disponibles et dont elles connaissaient la pertinente lorsque le Dr Quinn a signé son affidavit; la décision de le permettre serait de permettre aux demanderesses de scinder leur preuve.
[13] Novopharm a également formulé des observations selon lesquelles la preuve qui devait être présentée par Mme Mutchler était une preuve par ouï‑dire et que la Cour ne pouvait aucunement savoir qu’il s’agissait des pages auxquelles le Dr Quinn faisait référence dans son affidavit ou qu’elles constituaient toutes les pages du Collège sur la question en litige ou qu’elles reflètent l’opinion du Collège. Il a également été ajouté qu’il n’y a pas eu la possibilité de contre‑interroger le Dr Quinn sur ces [traduction] « nouveaux » éléments de preuve. Les demanderesses soutiennent que la Cour avait été ne mesure d’accorder le poids qu’elle jugeait approprié aux pages après qu’elles aient été admises en preuve.
[14] Je partage l’avis de Novopharm selon lequel la soi‑disant preuve, qui est maintenant déposée par un commis et non par un expert qui l’invoque, constitue du ouï‑dire et que, si elle avait été autorisée, je ne lui aurais accordé aucun poids pour les motifs avancés par Novopharm, surtout parce qu’elle n’avait pas la possibilité de procéder au contre‑interrogatoire sur cette preuve.
[15] Les demanderesses soutiennent que Novopharm a eu une possibilité de procéder au contre‑interrogatoire du Dr Quinn au paragraphe 92 de son affidavit (et par déduction de ces pages), mais qu’elle ne lui a posé aucune question ayant trait au paragraphe 92. À mon avis, il est fallacieux de la part des demanderesses de suggérer que Novopharm a eu des occasions valables de procéder au contre‑interrogatoire sur les deux pages précises d’un site Web lorsqu’il est seulement mention de la page d’accueil et non des pages précises invoquées. Les demanderesses ont peut‑être tenté de dissimuler les deux pages dans la page d’accueil plutôt que de les joindre à titre de pièce à l’affidavit, ce qui aurait été la procédure à suivre, ou qu’elles ont simplement omis d’être plus précises au moment de rédiger l’affidavit de leur expert. Peu importe, elles sont liées par les choix qu’elles ont faits et ne peuvent pas produire cette preuve aussi tardivement.
[16] Par conséquent, l’appel est accueilli et, compte tenu de la requête originale de Novopharm de nouveau, il est accordé.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
la pièce A au contre‑interrogatoire du Dr Stanley L. Kutcher et que l’affidavit de Marie Mutchler soient radiés du dossier de la demande;
le paragraphe 95 du mémoire des faits et du droit des demanderesses soit radié, tout comme toute autre référence aux pages Web dans le dossier des demanderesses;
Novopharm se voit accorder les dépens de l’appel et de la requête ci‑dessous.
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑780‑08
INTITULÉ : JANSSEN‑ORTHO INC. et ALZA CORPORATION c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ et NOVOPHARM LIMITED
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : DU 16 AU 19 NOVEMBRE 2009
DATE DES MOTIFS : LE 18 NOVEMBRE 2009
COMPARUTIONS :
M. Neil Belmore POUR LES DEMANDERESSES
Mme Lindsay Neidrauer
M. Greg Beach
Mme Marian Wolanski
M. Jonathan Stainsby POUR LA DÉFENDERESSE
M. Julian Worsley NOVOPHARM
M. Andrew Skodyn
Aucune POUR LE DÉFENDEUR
MINISTRE DE LA SANTÉ
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Belmore McIntosh Neidrauer LLP POUR LES DEMANDERESSES
Toronto (Ontario)
Heenan Blaikie LLP POUR LA DÉFENDERESSE
Toronto (Ontario) NOVOPHARM
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous‑procureur général du Canada MINISTRE DE LA SANTÉ