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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20090717

Dossier : IMM-410-09

Référence : 2009 CF 730

Vancouver (Colombie-Britannique), le 17 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

SILVIA BECERRIL GUTIERREZ

Demanderesse

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Becerril Gutierrez est victime de violence conjugale depuis son mariage en 1976. En novembre 2006, elle s'est finalement enfuie du Mexique et, deux mois et demi plus tard, elle a demandé le statut de réfugié ici.

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu qu'elle n'avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies ou de personne ayant besoin de la protection du Canada. Le tribunal n'a pas cru qu'elle avait une crainte subjective de persécution au Mexique et, de toute manière, a conclu qu'elle disposait d'une protection adéquate de l'État. Sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire visant cette décision a été rejetée par notre Cour.

 

[3]               L’étape suivante était un examen des risques avant renvoi (ERAR) en vertu des articles 112 et suivants de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés. Bien que l'agent d'ERAR ait admis de nouveaux éléments de preuve, il a rejeté la demande au motif que la demanderesse disposait d'une protection adéquate de l'État au Mexique. En l'espèce, il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

L'argumentation de Mme Becerril Gutierrez

[4]               La demanderesse avance deux prétentions centrales. La première est que les motifs fournis sont inadéquats. Elle avait droit à un exposé des motifs qui lui aurait permis de comprendre pourquoi sa demande avait été rejetée. La deuxième est que, même si les motifs sont compréhensibles, la décision n'appartient pas aux issues possibles acceptables dans le cadre d'un contrôle judiciaire (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190,  Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] CSC 12, 304 D.L.R. (4th) 1).

 

[5]               Il faut garder à l'esprit qu'un ERAR n'est pas une nouvelle audition de la demande d'asile. Tel que signalé ci-dessus, seuls les nouveaux éléments de preuve peuvent être versés au dossier. Le fardeau de la preuve incombe à la demanderesse. Il y a présomption que l'État est en mesure de protéger une demanderesse et il n'incombe pas à l'agent d'ERAR de démontrer l'existence de la protection de l'État (Duran Mejia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 354, au paragraphe 48). Il faut lire et examiner les motifs dans leur ensemble.

 

[6]               Il y a un énoncé dans les motifs qui, s'il est considéré hors de son contexte, détonne quelque peu. En renvoyant à la demande d'asile refusée de Mme Becerril Gutierrez, l'agent d'ERAR a affirmé ce qui suit :

[traduction] Selon la SPR, « [l]a demanderesse n'a pas démontré soit que la protection de l'État n'aurait pu lui être raisonnablement assurée, ou qu'il aurait été objectivement déraisonnable de sa part pour toute autre raison de s'adresser aux autorités mexicaines ». Je ne suis pas lié par la décision de la SPR, et j'ai tranché la présente demande indépendamment de ses conclusions.

 

 

[7]               En lisant ce passage de manière isolée, on pourrait croire que l'agent d'ERAR avait l'intention de réévaluer la situation dans le pays en cause telle qu'elle existait au moment de l'audience de la SPR. Cela n'est pas l’objet d'un ERAR. Toutefois, dans le contexte, cet énoncé est favorable à la demanderesse. L'agent d'ERAR a admis qu'elle souffrait de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Bien qu'un rapport de psychologue ait été présenté à la SPR, aucune conclusion précise n'a été formulée à ce sujet; toutefois, cela veut dire que la SPR a conclu que Mme Becerril Gutierrez ne souffrait pas de TSPT. Tout cela a trait au fait que, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) original, elle a indiqué avoir demandé la protection de l'État une seule fois, en 1980. Elle a par la suite modifié le FRP de façon à signaler qu'elle avait sollicité en vain la protection de l'État en 1986 et en 2004. Étant donné que la conclusion qu'elle ne souffrait pas de TSPT était « nouvelle », l'agent d'ERAR était semble-t-il disposé à admettre qu'elle avait sollicité la protection de l'État à trois reprises, plutôt qu'une seule fois. Autrement dit, il y avait une explication raisonnable à son omission de signaler ses deuxième et troisième rencontres avec les policiers. Néanmoins, l'agent d'ERAR a également conclu que la demanderesse disposait d'une protection adéquate de l'État.

 

[8]               L'obligation de motiver une décision découle de l'équité procédurale. Les motifs qui m'ont été soumis ne sont pas un simple sommaire de la preuve suivi de conclusions. Il y a un fil de raisonnement se rapportant à la protection de l'État que l'on peut suivre aisément (R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, North c. West Region Child and Family Services Inc. 2007 CAF 96, 362 N.R. 83).

 

[9]               Passant maintenant à la deuxième question, soit celle de la protection de l'État, je suis d'avis que les conclusions de l'agent d'ERAR n'étaient pas déraisonnables. Elles appartiennent aux issues possibles acceptables (Dunsmuir et Khosa, précitées).

 

[10]           La demanderesse reproche à l'agent d'avoir présenté une analyse « optimiste ». Je ne vois pas en quoi cette prétention pourrait être fondée. L'agent s'est reporté à de la documentation très récente sur la situation dans le pays en cause, y compris la documentation soumise par la demanderesse.

 

[11]           La demanderesse soutient que la décision de la SPR était de nature prospective dans la mesure où de nouvelles lois pour contrer la violence familiale étaient entrées en vigueur au Mexique en février 2007, mais que les nouveaux éléments de preuve soumis à l'agent d'ERAR révèlent que ces lois n'ont pas porté fruit parce que les vieilles attitudes sociétales selon lesquelles la violence familiale est une affaire privée demeurent fortement ancrées. L'audience devant la SPR a eu lieu en novembre 2007, et la décision a été rendue en février 2008. Toutefois, cette décision ne contient aucun renvoi précis à la loi adoptée en février 2007 et je ne peux supposer que cette loi ait constitué un facteur dans le rejet de la demande de Mme Becerril Gutierrez.

 

[12]           Bien que la violence familiale ait été et demeure un problème sérieux au Mexique, le Mexique est une démocratie et il fallait présenter des éléments de preuve clairs et persuasifs pour réfuter la présomption de la disponibilité de la protection de l'État. La Cour d'appel fédérale a de nouveau souligné ce point dans la décision Florez Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, une affaire qui portait sur la violence familiale au Mexique avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.

 

[13]           Outre l'allégation sans fondement concernant la partialité de l'agent d'ERAR dans son analyse de la situation dans le pays en cause, le rapport d'Amnistie Internationale soumis par la demanderesse a fait l'objet d'un examen particulier. L'avocat de la demanderesse souligne que, selon ce rapport en date d'août 2008, [traduction] « les recherches d'Amnistie Internationale ont révélé que, malgré les améliorations apportées au cadre juridique dans la plupart des États, leur mise en application est souvent inadéquate, de sorte qu’elles ne se concrétisent pas en une protection efficace pour les femmes ».

 

[14]           Toutefois, à la page qui précède cette affirmation, il est reconnu que les autorités mexicaines ont pris des mesures pour sensibiliser le public à la violence contre les femmes et, une page plus loin, on peut lire ce qui suit :

[traduction] Amnistie Internationale accueille favorablement la loi générale de 2007 et les mesures législatives connexes, qui constituent un pas en avant. Il est maintenant vital de soutenir ces mesures au moyen d'un engagement politique, de ressources, de formations et de responsabilisations pour veiller à ce que les perspectives relatives à l'égalité des sexes soient intégrées de manière efficace dans les politiques et les activités des principales institutions.

 

 

 

[15]           Les prétentions de Mme Becerril Gutierrez visent un résultat, mais non les motifs de l'agent d'ERAR. La situation au Mexique peut s’être améliorée ou non depuis la décision de la SPR, mais elle ne s'est certainement pas détériorée. Voilà ce que l'agent d'ERAR devait prendre en considération.

 

[16]           L'avocat de la demanderesse a également soutenu que la décision était déraisonnable parce qu'elle n'accordait pas un poids approprié à une lettre de la fille de Mme Becerril Gutierrez, qui affirme que l’époux de cette dernière est toujours à sa recherche, le désir de vengeance au cœur, et qu'il a les moyens de la trouver n'importe où au Mexique. D'après mon interprétation, aucun poids particulier n'a été accordé à la preuve se rapportant aux prétendus amis puissants de l'époux. Quoi qu'il en soit, la question que devait trancher l'agent d'ERAR n'était pas de savoir si l'époux allait ou non poursuivre la demanderesse. En fait, la présomption est qu'il se peut fort bien que l'époux ait des intentions malveillantes, mais que l'État est en mesure de la protéger.

 

[17]           Il se peut qu'il soit difficile pour Mme Becerril Gutierrez de retourner au Mexique. Il s'agit d'une question à trancher dans le cadre d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, et non dans le cadre d'un ERAR.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'y a pas de question d'importance générale à certifier.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-410-09

 

INTITULÉ :                                       Gutierrez c. MCI

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 14 juillet 2009

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT               LE JUGE HARRINGTON

ET JUGEMENT :

 

DATE DES MOTIFS :                      le 17 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Peter Edelmann

 

POUR LA DEMANDERESSE

Mme Banafsheh Sokhansanj

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Edelmann

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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