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Date : 20091029

Dossier : IMM-5309-08

Référence : 2009 CF 1108

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

ROSHAN LAL SHALI

NANCY SHALI

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), vise la décision par laquelle une agente d’immigration (l’agente) a refusé, en date du 9 novembre 2008, la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que les demandeurs ont présentée de l’intérieur du Canada, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               Les demandeurs, Roshan et Nancy Shali, sont des citoyens de l’Inde qui ont demandé le statut de résident permanent de l’intérieur du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire. Leur demande se fonde sur les conditions difficiles auxquelles ils se heurteraient à leur retour en Inde en attendant le traitement de leur demande.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[3]               À l’appui de la décision défavorable, l’agente a notamment donné comme motifs que le fils des demandeurs peut les parrainer pendant qu’ils sont à l’étranger, que les demandeurs ne sont pas bien établis au Canada, que les demandeurs ont une fille et un frère qui résident en Inde et que les demandeurs peuvent engager quelqu’un pour les aider en Inde. Comme point positif, il y avait le parrainage du fils des demandeurs.

 

[4]               L’agente considérait la réunification de la famille comme un facteur, mais elle a conclu que l’expérience de voyages des demandeurs et le fait qu’ils puissent obtenir des visas de visiteur pour venir au Canada montraient qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que ces voyages continuent s’ils étaient tenus de retourner en Inde. L’agente a souligné que les demandeurs avaient déjà résidé en Inde tant chez leur frère que chez leur fille, même si les affidavits versés au dossier révèlent que cette possibilité ne s’offre plus à eux, que ce soit à l’égard du frère ou de la fille. L’agente a également souligné que, dans le passé, les demandeurs avaient engagé quelqu’un pour les aider et qu’ils pourraient continuer de le faire advenant leur renvoi en Inde.

 

[5]               Même si l’agente a reconnu que certaines difficultés attendaient le couple à leur retour en Inde, elle a conclu que ces difficultés n’étaient pas inhabituelles et injustifiées ou excessives. En outre, l’agente n’était pas convaincue que les longs délais de traitement à l’étranger justifiaient que les exigences prévues par la loi soient levées.

 

QUESTIONS

 

[6]               Les questions soulevées par les demandeurs sont les suivantes :

1)                  L’agente a-t-elle fait erreur en ne tenant pas compte des besoins affectifs des demandeurs et du soutien affectif que leur fils leur procurerait?

2)                  L’agente a-t-elle fait erreur en concluant que la présence de la fille et du frère des demandeurs en Inde était un facteur n’étayant pas une décision favorable?

3)                  L’agente a-t-elle fait erreur en ne justifiant pas, au moyen d’une analyse, pourquoi la preuve de la fille et du frère des demandeurs avait été rejetée ou ne s’était pas vu accorder plus de poids dans son évaluation?

4)                  L’agente a-t-elle fait erreur en inférant que les demandeurs pourraient obtenir une aide fiable dans le futur?

5)                  L’agente a-t-elle fait erreur en accordant trop de poids à l’expérience de voyages des demandeurs dans le passé, sans tenir compte de la situation actuelle?

6)                  L’agente a-t-elle fait erreur en affirmant que les longs délais de traitement à l’étranger ne sont pas suffisants pour justifier une dispense?

7)                  Les motifs exposés par l’agente étaient-ils suffisants pour qu’il soit satisfait à l’obligation d’équité procédurale?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[7]               L’article 25 de la Loi s’applique à la présente instance. Il est rédigé comme suit :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

 

[8]               La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale et de justice naturelle, telles que la suffisance des motifs fournis, est celle de la décision correcte. Voir Salman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 877, au paragraphe 9.

 

[9]               La norme de contrôle applicable pour déterminer s’il existait des motifs suffisants pour permettre aux demandeurs de demander la résidence permanente de l’intérieur du Canada est celle de la décision raisonnable : Barzegaran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 681, aux paragraphes 15 à 20.

 

[10]           Au paragraphe 44 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a reconnu que, même si les normes de la décision raisonnable simpliciter et de la décision manifestement déraisonnable sont différentes sur le plan théorique, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples ». Par conséquent, la Cour suprême du Canada a statué qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de raisonnabilité.

 

[11]           Lorsque la norme de la décision raisonnable est appliquée à une décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire, l’analyse se rapporte « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle ne faisait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTS

La position des demandeurs

            Les besoins affectifs n’ont pas été pris en compte

[12]           Les demandeurs soutiennent que l’agente n’a pas pris en compte leurs besoins affectifs parce qu’elle n’a fait état d’aucun facteur affectif dans son évaluation. Les demandeurs avaient présenté à l’agente une preuve de la tourmente émotive qui résulterait de leur renvoi en Inde, notamment les sentiments d’impuissance, d’inquiétude et de dépression. Les demandeurs avancent que, puisque l’agente a inscrit dans ses notes des facteurs qu’elle jugeait pertinents et que d’autres préoccupations n’ont pas été notées, les préoccupations non mentionnées doivent avoir été occultées ou jugées non pertinentes. Les demandeurs allèguent que l’agente a fait erreur en ne prenant pas en compte ces éléments d’appréciation ou en décidant qu’ils ne présentaient pas d’intérêt dans son évaluation.

 

Aucune aide accessible

[13]           Les demandeurs soutiennent que l’agente a fait erreur en décidant que la présence de leur frère et de leur fille en Inde motivait une décision défavorable. Les affidavits souscrits par le frère et la fille établissent que les demandeurs ne pourraient compter sur eux pour les aider à leur retour en Inde.

 

[14]           Les demandeurs soutiennent que l’agente aurait dû expliquer pourquoi elle n’acceptait pas la preuve qui venait à l’appui d’une décision favorable, compte tenu du fait particulièrement que les demandeurs s’appuyaient sur ces affidavits pour démontrer qu’ils devaient demeurer au Canada pour faire leur demande. Les demandeurs croient que l’agente se devait d’analyser cette preuve, mais qu’elle ne l’a pas fait. L’agente aurait dû faire une analyse suffisante pour démontrer comment elle était parvenue à sa conclusion.

 

[15]           Les demandeurs disent que les motifs exposés par l’agente dans la présente affaire étaient insuffisants. Ils invoquent la décision Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, aux paragraphes 21 et 22, pour avancer l’argument suivant lequel on ne peut s’acquitter de l’obligation de donner des motifs suffisants en répétant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par une partie et en formulant ensuite une conclusion. Le décideur doit exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ces conclusions avant de formuler sa décision. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige dans l’affaire. En outre, le raisonnement suivi par le décideur doit s’y trouver et démontrer que les facteurs pertinents ont été examinés.

 

L’agente a fait erreur en concluant que de l’aide était disponible

[16]           Les demandeurs font valoir que l’agente a fait erreur en inférant de la preuve présentée qu’il était raisonnable de croire qu’ils pourraient trouver des personnes fiables pour les aider à leur retour en Inde. Les demandeurs disent qu’il n’y a rien dans la preuve qui corrobore cette inférence. Au contraire, la preuve porte à croire que l’aide que les demandeurs ont trouvée n’était pas fiable et s’était révélé [traduction] « plus une source d’embarras qu’une aide ». Les demandeurs affirment que l’agente aurait pu tirer la conclusion inverse à partir de la même preuve.

 

L’agente a fait erreur en insistant sur l’expérience des voyages

[17]           Les demandeurs reconnaissent qu’ils obtiendraient sans doute des visas de visiteur, mais ils soutiennent que la foi que l’agente a accordée à ce facteur occulte tout l’objet de leur demande. En termes clairs, les visites annuelles au Canada des demandeurs ne suffisent plus à répondre à leurs besoins. L’agente a fait erreur en accordant beaucoup de poids et d’attention à ce facteur. Ce faisant, elle s’est fait une fausse idée de la pertinence de cette preuve.

 

L’agent a fait erreur en concluant que les longs délais de traitement ne justifiaient pas une dispense

 

[18]           Les demandeurs soutiennent que, considérés séparément, les longs délais d’attente ne justifieraient pas l’application d’une dispense prévue par la loi. Toutefois, lorsque des conditions difficiles sont alléguées, la durée du délai de traitement de la demande devrait être prise en compte. Les demandeurs affirment qu’il en va ainsi parce que, plus ils passeront de temps en Inde, plus longtemps ils devront endurer les conditions difficiles qu’ils craignent. En outre, les demandeurs font observer que, comme ils sont tous les deux en mauvaise santé, un délai de traitement plus long pourrait contribuer à aggraver leurs difficultés si leur état de santé se détériore.

 

[19]           Les demandeurs avancent que, puisque le délai de traitement de la demande leur causera des souffrances, il devrait être examiné comme un facteur pertinent. À l’appui de cette proposition, les demandeurs invoquent des décisions dans lesquelles ce principe a été pris en compte à l’égard de demandes de sursis : Harry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CANLII 16418, au paragraphe 17, et Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1161.

 

[20]           Les demandeurs affirment que, même si le contexte de ces affaires est différent, le principe est le même : le préjudice indu ou irréparable devrait être un facteur pertinent dans l’évaluation. Par conséquent, les demandeurs soutiennent que l’agente a fait erreur en concluant qu’un long délai de traitement n’était pas un élément d’appréciation pertinent.

 

            La position du défendeur

 

[21]           Le défendeur soutient que, en vertu du paragraphe 25(1), l’agente a pleins pouvoirs pour déterminer ce en quoi consistent les motifs d’ordre humanitaire et que la Cour doit faire preuve de beaucoup de retenue à l’égard de la décision.

 

[22]           De plus, le défendeur avance que la procédure d’examen des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas conçue pour éliminer toutes les difficultés, mais plutôt pour accorder une dispense en cas de « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ». Le défendeur affirme que le critère à satisfaire est très rigoureux : Irmie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 10 Imm. L.R. (3d) 206; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38. En outre, la dispense prévue au paragraphe 25(1) est une mesure d’exception fondée sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre.

 

[23]           Le défendeur soutient que, même si la situation difficile des demandeurs peut attirer la sympathie, ce seul élément n’est pas suffisant pour justifier une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Au contraire, il incombait aux demandeurs de démontrer à l’agente que les exigences prévues par la loi en vue de l’obtention d’un visa depuis l’étranger seraient à l’origine de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[24]           Le défendeur affirme que, même si la Cour aurait conclu différemment, la décision de l’agente devrait échapper au contrôle judiciaire dans la mesure où elle a examiné la preuve et est parvenue à une conclusion acceptable et justifiable.

 

La preuve qui a été examinée

 

[25]           Le défendeur affirme que le pouvoir discrétionnaire d’un agent d’immigration comprend le droit de déterminer la valeur probante accordée aux facteurs particuliers et à la preuve documentaire fournie. Rien dans la preuve en l’espèce ne donne à penser que l’agente n’a pas pris en compte les « facteurs affectifs », comme les demandeurs l’ont soutenu. L’agente n’était pas tenue de mentionner expressément qu’elle avait pris en compte les conditions difficiles des demandeurs sur le plan affectif. Au contraire, la question des besoins affectifs doit être examinée dans le cadre de l’évaluation générale des conditions difficiles devant être affrontées au retour. Si les motifs dans leur ensemble indiquent que l’agente avait bien saisi la question, la décision ne peut alors être déraisonnable : Rodriguez Quiroa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 495.

 

[26]           Dans la présente affaire, l’agente a clairement souligné qu’elle avait examiné toute l’information intéressant la demande dans son ensemble et passé en revue les motifs de dispense possibles. En outre, l’agente a également lu et pris en compte les affidavits fournis par la fille et le frère des demandeurs et elle a bien compris que ces derniers ne seraient plus en mesure de prendre soin des demandeurs. L’agente était consciente du fait que les demandeurs auraient besoin d’aide dans leur vie quotidienne.

 

[27]           Le défendeur affirme que la composante affective est inhérente à l’évaluation entreprise par l’agente dans son appréciation des [traduction] « difficultés d’avoir à vivre seuls en Inde », lesquelles, a-t-elle précisé, constituaient le motif avancé par les demandeurs dans leur demande. L’agente a de toute évidence songé à cette question au moment de prendre sa décision.

 

[28]           En ce qui a trait à la question de l’aide domestique, l’agente a reconnu que, même si certaines des personnes engagées dans le passé n’avaient pas été fiables, il était [traduction] « raisonnable de croire qu’ils pourraient trouver une personne fiable pour les aider dans leurs corvées domestiques si jamais ils étaient tenus de retourner en Inde ». Le défendeur soutient que cette conclusion n’était pas déraisonnable. Il ne peut être considéré que la présomption selon laquelle pareille aide est disponible constitue une attente irréaliste.

 

[29]           En outre, l’agente a reconnu que, même s’il se peut que les demandeurs se heurtent à des difficultés en raison de la perte de mobilité partielle de Mme Shali, ces difficultés n’étaient pas aussi graves que des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. La dispense prévue au paragraphe 25(1) est une mesure d’exception tributaire du pouvoir discrétionnaire du ministre.

 

Des motifs détaillés ne sont pas requis

 

[30]           Le défendeur conteste l’allégation selon laquelle l’agente a fait erreur en ne donnant pas de motifs détaillés sur la question de savoir pourquoi la preuve par affidavit de la fille et du frère des demandeurs ne s’était pas vu accorder plus de poids dans l’évaluation et la décision de l’agente.

 

[31]           Tandis que les demandeurs invoquent la décision Via Rail pour démontrer que des motifs détaillés sont nécessaires, le défendeur soutient que la Cour a rejeté l’application de cette décision dans le contexte d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire : Paz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 412. La décision Via Rail n’intéressait pas les décisions discrétionnaires d’un représentant du ministre, mais plutôt des décisions rendues par un tribunal administratif. Par conséquent, il n’est pas raisonnable d’exiger que les agents administratifs donnent des motifs détaillés à l’appui de leurs décisions de la même manière qu’on l’exigerait d’un tribunal administratif (voir Paz). Lorsque les notes constituent la méthode employée pour fournir des motifs, le critère de la suffisance des motifs est relativement faible (voir, par exemple, Paz au paragraphe 27, Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, dans son ensemble et Jeffrey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605, au paragraphe 15).

 

[32]           Dans ses motifs, l’agente prend acte de la preuve par affidavit fournie et explique comment cette preuve a été prise en compte dans sa décision. Bien que la présence de la fille et du frère en Inde soit mentionnée comme un facteur n’étayant pas une décision favorable, les motifs révèlent que l’agente a examiné et soupesé la preuve par affidavit au regard du renvoi en Inde des demandeurs. Par conséquent, l’agente a mis en balance le fait que les membres de la famille en Inde ne pourraient plus offrir soutien et hébergement aux demandeurs et la possibilité pour les demandeurs d’engager une aide domestique. L’agente a ensuite déterminé que les difficultés auxquelles les demandeurs se heurteraient dans ce cas ne constituaient pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[33]           Même si la fille et le frère des demandeurs ne sont plus en mesure de les héberger, cela ne signifie pas qu’il ne devrait pas être tenu compte de leur présence pour déterminer les [traduction] « facteurs touchant le pays d’origine ». Les demandeurs ont passé la majeure partie de leur temps en Inde chez leur fille ou chez leur frère. Il s’agit d’un facteur lié au pays d’origine. L’agente n’a pas fait erreur en examinant cette preuve dans les deux contextes auxquels elle s’applique.

 

Délais de traitement

 

[34]           Le défendeur soutient que les demandeurs sont en désaccord avec la valeur probante que l’agente a accordée aux délais de traitement en Inde. L’agente ne disposait d’aucune preuve sur les délais de traitement en Inde. Même si elle a tenu compte du fait qu’il y avait de « longs délais de traitement à l’étranger », l’agente est arrivée à la conclusion que, en l’espèce, il ne s’agissait pas d’un facteur suffisant pour justifier une dispense prévue par la loi.

 

[35]           Les demandeurs tentent de comparer des conditions difficiles dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avec un préjudice irréparable dans le cadre d’une requête en sursis, mais le défendeur avance que ce rapprochement n’est pas possible. La détermination d’un préjudice irréparable dans une requête en sursis dépend de l’application d’un critère « qui oblige à démontrer l’existence d’une menace sérieuse à la vie ou à la sécurité du demandeur » (Golubyev c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 395, au paragraphe 12). De toute évidence, ce n’est le cas des demandeurs.

 

[36]           En somme, le défendeur soutient que l’agente a tenu compte de tous les facteurs pertinents pour en arriver à sa décision et qu’elle n’a occulté aucun élément de preuve. En outre, l’agente a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable et elle est parvenue à une conclusion raisonnable.

 

ANALYSE

 

[37]           Les faits de la présente affaire attirent beaucoup de sympathie. Il est tout à fait raisonnable que les demandeurs, qui sont bien avancés dans la soixantaine, souhaitent rester avec leur fils au Canada et éviter les inconvénients, les conditions difficiles et la tourmente émotive qu’ils devront affronter s’ils sont obligés de retourner en Inde en attendant la décision relative à leur demande de résidence permanente. Toutefois, la sympathie et la raisonnabilité ne sont pas suffisantes pour justifier l’intervention de la Cour. Il en va ainsi parce que la procédure d’examen des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est axée sur les faits et que le Parlement a décidé que les agents chargés des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire devaient se voir conférer un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer si les demandeurs seront exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[38]           Comme le souligne le défendeur, la procédure d’examen des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas conçue pour éliminer des difficultés quelconques; la dispense n’est possible qu’en cas de « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ». Voir Owusu, au paragraphe 8; Ahmad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 646 (CanLII), au paragraphe 49. Il incombe aux demandeurs de satisfaire à ce critère et le pouvoir discrétionnaire revient au ministre et à ses représentants et non à la Cour. La Cour ne peut intervenir simplement parce qu’elle est touchée par la situation difficile des demandeurs ou même parce qu’elle serait elle-même parvenue à une conclusion différente sur les faits.

 

[39]           Les demandeurs ont soulevé plusieurs motifs pour justifier l’intervention de la Cour mais, en fin de compte, ils demandent à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve et de conclure en leur faveur. La Cour ne peut tout simplement pas faire cela.

 

Les besoins affectifs des demandeurs et le soutien affectif que leur fils leur procure n’ont pas été pris en compte

 

[40]           Les besoins affectifs mentionnés par les demandeurs comprennent la peur de vivre seuls en Inde, le sentiment d’impuissance et les inquiétudes au sujet de l’avenir et le sentiment de désespoir parce qu’ils n’ont plus personne chez qui aller en Inde, pendant que leur fils peut prendre soin d’eux au Canada.

 

[41]           Il s’agit des sentiments subjectifs des demandeurs. Ils ne concernent pas des questions médicales, quoique, évidemment, le mauvais état de santé de MmeShali les exacerbe. En fin de compte, il s’agit de craintes assez typiques liées à la séparation et elles sont traitées de manière appropriée dans la décision contestée. L’agente démontre qu’elle est parfaitement consciente de la question des besoins affectifs parce qu’elle souligne que les motifs d’ordre humanitaire avancés par les demandeurs se fondent sur les [traduction] « difficultés d’avoir à vivre seuls en Inde ».

 

[42]           La décision traite également du fondement objectif de ces sentiments et l’agente conclut à l’inexistence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives parce que :

a.       Les demandeurs peuvent engager des personnes pour les aider en Inde.

b.       Ils n’ont peut-être pas d’endroit qui les attend pour se loger dans la famille mais ils ne sont pas sans liens familiaux en Inde.

c.       Leur fils au Canada peut continuer de les soutenir en Inde pendant qu’ils attendent.

d.       Ils peuvent obtenir des visas de visiteur et rendre visite à leur fils au Canada comme ils l’ont fait dans le passé.

 

[43]           L’agente dit également qu’elle a examiné les motifs avancés par les demandeurs et il ressort clairement de la décision dans son ensemble qu’elle n’a pas occulté les motifs affectifs parce qu’ils ne se détachent pas vraiment des divers facteurs qui y sont discutés. Par exemple, le sentiment d’impuissance des demandeurs et leurs inquiétudes concernant l’avenir font partie de la réflexion de l’agente intéressant la disponibilité de l’aide en Inde, le soutien continu de leur fils et la possibilité d’obtenir des visas de visiteur.

 

[44]           Comme le juge Shore l’a souligné dans Rodriguez Quiroa c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2007 CF 495 (CanLII), au paragraphe 38 :

[…] L’agente n’était pas obligée de mentionner expressément qu’elle avait tenu compte des difficultés psychologiques évoquées par les demandeurs. Si, pris globalement, les motifs permettent de penser que l’agente a bien saisi la question, les motifs en question résisteront à un examen assez poussé et ne seront pas jugés déraisonnables.

 

Dans la présente affaire, la décision dans son ensemble révèle que l’agente avait parfaitement saisi les questions concernant les besoins affectifs et qu’elle en a tenu compte dans le cadre du processus d’appréciation.

 

            Affidavits de la fille et du frère résidant en Inde

 

[45]           L’agente n’a pas passé sous silence les affidavits de leur frère et de leur fille qui résident en Inde. Elle n’a pas tiré de conclusion rejetant la preuve contenue dans ces affidavits.

 

[46]           L’agente reconnaît que ces membres de la famille ne peuvent offrir l’hospitalité comme ils l’ont fait dans le passé, mais elle fait observer que les demandeurs peuvent engager des aides et bénéficier d’autres formes d’aide qui s’offrent à eux. Les demandeurs ont engagé des personnes pour les aider dans le passé. Le fait que ces personnes n’étaient pas fiables n’établit pas qu’il n’existe pas d’aide fiable en Inde. Dans le passé, les demandeurs ont su surmonter ces difficultés. Il va de soi alors qu’ils seront également en mesure d’obtenir une aide fiable.

 

[47]           Les motifs portant sur cette question dans la décision sont appropriés à tous égards. L’agente conclut qu’il se peut que les demandeurs ne soient pas hébergés par leur fille et leur frère, mais il existe d’autres façons de gérer leur vie pendant qu’ils attendent en Inde le résultat de la demande de résidence permanente. Les demandeurs insistent pour dire que les difficultés affectives liées à l’attente en Inde auraient dû l’emporter sur les autres facteurs en l’espèce. Toutefois, il revient à l’agente d’évaluer la valeur probante de la preuve et le raisonnement ou la conclusion de l’agente voulant que les difficultés liées à l’attente en Inde puissent être surmontées et ne constituent pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives n’a rien de déraisonnable. Les motifs et les conclusions font bien partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Inférence relative à la possibilité d’obtenir de l’aide d’une tierce personne fiable

 

[48]           Il n’y a rien de déraisonnable au sujet de cette inférence. La preuve démontrait que les demandeurs avaient engagé des aides dans le passé. Ils ont estimé que ces personnes n’étaient pas fiables mais ils ont néanmoins su surmonter ces difficultés. Rien dans la preuve ne laissait croire que les demandeurs ne pourront pas obtenir une aide fiable et convenable en Inde ou qu’ils n’en ont pas les moyens.

 

[49]           Les demandeurs affirment au paragraphe 24 de leur mémoire que : [traduction] « [i]l est allégué que l’agente aurait pu facilement tirer la conclusion inverse à partir de la même preuve » mais, évidemment, là n’est pas la question. Le pouvoir discrétionnaire revient à l’agente et, pourvu que sa décision fasse partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour ne peut pas intervenir. Voir Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

[50]           En l’espèce, il reste que les demandeurs ont obtenu de l’aide dans le passé et qu’ils n’ont présenté aucune preuve que de l’aide fiable n’est pas disponible pour eux en Inde ou qu’ils n’en ont pas les moyens. Les conclusions tirées par l’agente font partie des issues possibles acceptables.

 

Trop de poids accordé à l’expérience des voyages et situation actuelle non prise en compte

 

[51]           Les arguments avancés par les demandeurs sur cette question se rapportent tous à la valeur probante de la preuve. La valeur probante de la preuve est une question qui dépend du pouvoir discrétionnaire de l’agente. Rien ne donne à penser qu’un facteur a été occulté ou que la décision portant sur cette question ne fait pas partie des issues possibles acceptables.

 

Longs délais de traitement à l’étranger

 

[52]           Tel qu’il ressort clairement de la décision, il s’agit d’un facteur dont l’agente a tenu compte. Encore une fois, il s’agit d’une question de valeur probante et la Cour ne peut tout simplement pas intervenir parce que les demandeurs sont en désaccord avec la décision et croient que ce facteur aurait dû se voir accorder plus d’importance.

 

[53]           L’assertion des demandeurs suivant laquelle l’agente a examiné ce facteur en supposant que la période d’attente serait de deux ans n’est pas corroborée par les éléments de preuve au dossier dont l’agente disposait. Le fait qu’un analyste du gouvernement ait pu avoir inscrit la mauvaise période dans un affidavit présenté après la décision n’établit pas que l’agente s’était fait une fausse idée concernant les délais d’attente pour les demandeurs. Il n’y a pas lieu de présumer que l’agente n’a pas accepté la position des demandeurs sur les délais d’attente et de traitement en cause auxquels les demandeurs se heurteraient s’ils étaient renvoyés en Inde et qu’elle n’a pas tenu compte de ces délais pour décider s’il existait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

Conclusions

 

[54]           Il se peut bien que la Cour serait parvenue à une conclusion différente de celle de l’agente, mais je ne peux pas dire que des éléments importants ont été occultés, que les motifs sont insuffisants ou que la décision ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  que la demande est rejetée;

2.                  qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5309-08

 

INTITULÉ :                                                   ROSHAN LAL SHALI

                                                                        NANCY SHALI

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 29 octobre 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Russell Kaplan                                                              POUR LES DEMANDEURS

 

Agnieszka Zagorska                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Russell Kaplan                                                              POUR LES DEMANDEURS

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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