Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), ce 30e jour d’octobre 2009
En présence de l’honorable juge Pinard
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
Demandeur
et
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « SAI ») présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi). Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le Ministre) conteste l’octroi par la SAI, dans une décision rendue le ou vers le 20 mars 2009, d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dont faisait l’objet Oscar Bladimir Mendoza Reyes (le défendeur).
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[2] Le défendeur est un citoyen salvadorien. Il arrivé au Canada en 1994, à l’âge de dix ans.
[3] Il a été condamné pour agression armée et méfait devant le Tribunal de la Jeunesse le 18 février 2002. Il a été condamné pour vol de moins de 5 000 $ le 5 juin 2002 devant un tribunal pour adultes. Il a été condamné pour omission de se conformer à un engagement et pour avoir fait défaut de se conformer à une décision du Tribunal de la Jeunesse le 11 juillet 2002. Il a été condamné pour possession d’arme dans un dessein dangereux le 1er mai 2003.
[4] Suite à cette dernière condamnation, un rapport d’interdiction de territoire à été préparé en vertu de l’article 44 de la Loi et une mesure de renvoi a été prononcée contre le défendeur le 23 juillet 2003 en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Le défendeur a fait appel de cette décision, invoquant les motifs d’ordre humanitaire. Entre-temps, il a été condamné pour bris de probation et bris d’un engagement en juin 2004, et à nouveau en novembre de la même année.
[5] Cependant, le 9 décembre 2004, la SAI lui a accordé un sursis à la mesure de renvoi pour une période de quatre ans, sur une recommandation conjointe des avocats du défendeur et du Ministre. Ce sursis était assorti de conditions, y compris celle de ne pas commettre d’infractions criminelles.
[6] Le défendeur a plaidé coupable à une accusation de possession simple de cocaïne en décembre 2005. Le Ministre a alors demandé la révision du sursis.
[7] Le sursis a été révisé le 16 mars 2006. La SAI a maintenu le terme et les conditions du sursis. En effet, le défendeur n’avait pas été informé du fait que l’accusation de possession simple de cocaïne n’avait pas été écartée par un plaidoyer de culpabilité pour bris de conditions en juin 2004. Dès qu’il a été mis au fait de sa situation réelle, il en a informé le Ministre et a plaidé coupable. La SAI a donc considéré qu’il n’y avait pas eu de bris de conditions dont le sursis était assorti. De plus, elle a tenu compte du fait que le défendeur occupait un emploi stable et avait même était promu par son employeur, de sa situation familiale stable, et du fait qu’il suivait des études secondaires à temps partiel et une thérapie pour régler ses problèmes antérieurs avec l’alcool.
[8] Le défendeur a été accusé de conduite avec facultés affaiblies et de refus de fournir un échantillon d’haleine en mai 2008.
[9] Il a omis de se présenter aux autorités d’immigration, conformément aux conditions dont était assorti le sursis, en juin 2008 et en décembre de la même année.
[10] Le défendeur a été trouvé coupable de voies de faits et de vol en octobre 2008.
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[11] La décision dont le Ministre demande maintenant la révision est la révision finale du sursis accordé au défendeur en 2004. Prévue pour le 9 décembre 2008, elle a finalement eu lieu le 17 mars 2009. Il est à noter que la décision a été rendue oralement.
[12] La SAI a constaté que « [t]out semblait bien aller entre 2004 et 2007 », mais que suite à la rupture du défendeur avec sa conjointe, les problèmes de celui-ci ont recommencé. Le tribunal a pris en compte le fait que le défendeur n’avait qu’« une condamnation sur plusieurs chefs [d’accusation] qui vous vise (sic) », ainsi que le soutien dont bénéficie le défendeur de la part de sa famille.
[13] La SAI a noté que les infractions que le défendeur a ou aurait commises en 2007 et 2008 ne sont pas aussi graves que celle suite à laquelle la mesure de renvoi a été prononcée en 2003, mais a rappelé qu’une condition essentielle du sursis était que le défendeur ne commette aucune infraction, peu importe la gravité de celle-ci. Le tribunal s’est aussi dit préoccupé par l’accusation de conduite avec facultés affaiblies et par les mensonges du défendeur concernant sa consommation d’alcool.
[14] Le tribunal a, néanmoins, rejeté la demande d’annulation du sursis présentée par le Ministre et a plutôt prolongé le sursis jusqu’au 17 mars 2011, avec examen provisoire à être tenu le ou vers le 17 mars 2010.
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[15] Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :
3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :
h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;
i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;
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3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are:
(h) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society; (i) to promote international justice and security by fostering respect for human rights and by denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks;
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36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :
a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;
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36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for
(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;
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44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.
(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.
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44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.
(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.
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45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes : d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.
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45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions: (d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.
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63. (3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.
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63. (3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.
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68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. (2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu’elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l’immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d’office ou sur demande.
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68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case. (2) Where the Immigration Appeal Division stays the removal order (a) it shall impose any condition that is prescribed and may impose any condition that it considers necessary; (b) all conditions imposed by the Immigration Division are cancelled; (c) it may vary or cancel any non-prescribed condition imposed under paragraph (a); and (d) it may cancel the stay, on application or on its own initiative.
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[16] S’appuyant sur l’arrêt Ivanov c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 2 R.C.F. 502 (C.A.F.), le Ministre soutient que les critères énoncés par la SAI dans Ribic c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 D.S.A.I. no 4 (QL), s’appliquent tant à l’octroi d’un sursis qu’à une révision subséquente de ce dernier.
[17] Ces critères, résumés par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 3 de l’arrêt Ivanov, sont :
· la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation;
· les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure;
· la période passée au Canada et le degré d’établissement du demandeur au Canada;
· la famille qu’il a au pays et les bouleversements que l’expulsion du demandeur occasionnerait pour cette famille;
· le soutien dont bénéficie le demandeur, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité;
· l’importance des difficultés que causerait au demandeur le retour dans son pays de nationalité (ce facteur est parfois appelé celui des « difficultés à l’étranger »).
[18] Selon le Ministre, la SAI « a ignoré complètement » ces critères. Le Ministre soutient que le défaut de mentionner ces critères expressément constitue une erreur susceptible de révision par cette Cour. Il cite à cet égard l’arrêt de cette Cour dans Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Stephenson, [2008] 4 R.C.F. 351, où la juge Eleanor Dawson a écrit, au paragraphe 32 :
Vu que la Section a omis de mentionner expressément les facteurs énoncés dans Ribic ou d’examiner les questions abordées précédemment au paragraphe 30, et vu qu’elle ne disposait d’aucune preuve démontrant que les facteurs d’ordre humanitaire subsistaient, [. . .] elle a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’ensemble des circonstances en l’espèce lorsqu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire. . . .
[19] Toujours selon le Ministre, le tribunal a non seulement omis de mentionner les critères de Ribic mais n’en a tout simplement pas tenu compte dans sa décision.
[20] En l’espèce, il n’est pas nécessaire de décider si le tribunal doit absolument réciter les critères de Ribic dans sa décision. On peut, tout au moins, se demander si l’exiger ne serait pas faire preuve de formalisme injustifié à l’égard d’un tribunal administratif. Ce qui est important, c’est que le tribunal tienne effectivement compte de ces facteurs dans sa décision.
[21] En l’espèce, la SAI a tenu compte d’une partie de ces facteurs, notamment de la gravité des infractions commises par le défendeur et de sa situation familiale.
[22] De plus, je suis d’avis que l’argument du Ministre à l’effet que le seul fait de ne pas mentionner les difficultés à l’étranger suffit à invalider la décision du tribunal n’est pas justifié lorsque le tribunal décide, sur la base de tous les autres facteurs, d’octroyer un sursis. L’examen de ce dernier facteur devient alors sans pertinence et invalider les décisions de la SAI sur cette base serait absurde. Dans l’affaire Ivanov, ci-dessus, c’est au renvoi de l’intimé que la SAI avait conclu sans examiner les difficultés auxquelles celui-ci serait confronté en cas de retour dans son pays de nationalité.
[23] Par contre, il est vrai, comme le soutient le Ministre, que la SAI a négligé certains autres facteurs, dont notamment les chances de réhabilitation du défendeur et son degré d’établissement au Canada.
[24] Le Ministre soutient que la SAI a « fait complètement abstraction de la preuve présentée » et que ses conclusions étaient contraires à cette preuve et aux témoignages que le tribunal a entendus.
[25] Le Ministre conteste ce qu’il considère être la « conclusion » de la SAI au sujet des rendez-vous manqués par le défendeur.
[26] Le Ministre soutient que le tribunal a omis de prendre en compte le fait que le défendeur a « commis cinq infractions criminelles à caractère violent ainsi que de multiples bris de conditions » dont le tribunal aurait, d’ailleurs, reconnu la gravité. De plus, selon le Ministre, le défendeur n’a pas expliqué ou atténué les infractions qu’il a commises, et le tribunal n’avait donc aucune raison de lui accorder une autre chance.
[27] Le Ministre soutient également que la SAI « a clairement sous-estimé la gravité du problème de consommation d’alcool » du défendeur, problème auquel auraient contribué « l’assentiment et le concours » de la famille de celui-ci. Le Ministre note que le tribunal a reconnu que le défendeur a menti au sujet de sa consommation d’alcool.
[28] Finalement, le Ministre soutient que la SAI a ignoré la déclaration solennelle de Nathalie Bélanger (pièce « P » de l’affidavit d’Hélène Exantus, Dossier du demandeur, à la page 100), affirmant que le défendeur a omis d’informer les autorités d’immigration du fait que des accusations criminelles (conduite avec facultés affaiblies, refus de fournir un échantillon d’haleine, vol et voies de faits) avaient été portées contre lui.
[29] En conclusion, le Ministre cite le juge Michael Phelan qui, dans Canada (ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Udo, 79 Imm. L.R. (3d) 303, au paragraphe 17, a écrit :
Dans ce contexte, l’octroi d’un sursis additionnel équivaudrait à tolérer les antécédents criminels de M. Udo ainsi que son indifférence permanente à l’égard de son obligation de respecter les conditions des ordonnances d’immigration. Ce serait se moquer des citoyens canadiens qui respectent les lois, notamment les immigrants, que d’appuyer cette décision de la SAI.
[30] Les conclusions que la SAI tire en appliquant – ne serait-ce qu’implicitement – les critères de Ribic, ci-dessus, sont des conclusions de fait. Elles ne sont susceptibles de révision que si elles sont déraisonnables. La décision de la SAI doit être justifiée de façon transparente et intelligible, en plus d’appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).
[31] En l’espèce, la décision de la SAI est peu transparente et difficilement intelligible. Il n’est pas du tout clair pourquoi, alors qu’elle a reconnu la gravité des infractions commises par le défendeur et des accusations portées contre lui (même s’il ne s’agit évidemment pas de « cinq infractions criminelles à caractère violent »), l’absence de justification des bris de conditions et la persistance du problème d’alcool du défendeur, le tribunal a tout de même décidé de maintenir le sursis. Si le tribunal avait expliqué quels facteurs atténuants ont, dans son esprit, contrebalancé ces circonstances accablantes, il n’appartiendrait pas à la Cour de substituer sa pondération à celle du tribunal. Cependant, le tribunal ne l’a pas fait. Sa décision ne saurait donc pas être considérée comme raisonnable et doit être annulée.
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[32] Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est retournée devant la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié différemment constituée pour une nouvelle révision du sursis du défendeur.
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le ou vers le 20 mars 2009 par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « SAI ») est accueillie. L’affaire est retournée devant la SAI différemment constituée pour une nouvelle révision du sursis du défendeur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1677-09
INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. OSCAR BLADIMIR MENDOZA REYES
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 15 octobre 2009
ET JUGEMENT : Le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 30 octobre 2009
COMPARUTIONS :
Me Émilie Tremblay POUR LE DEMANDEUR
M. Oscar Bladimir Mendoza Reyes LE DÉFENDEUR EN SON PROPRE NOM
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John H. Sims, c.r. POUR LE DEMANDEUR
Sous-procureur général du Canada
LE DÉFENDEUR EN SON PROPRE NOM