Cour fédérale |
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Federal Court |
Toronto (Ontario), le 15 octobre 2009
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente demande porte sur un citoyen chinois qui conteste une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), laquelle a rejeté sa demande d’asile présentée au motif qu’il est un Chinois de confession chrétienne.
[2] Pour appuyer sa demande, le demandeur a affirmé dans son témoignage devant la SPR qu’il était membre d’une maison-église en Chine et qu’il pratiquait sa foi chrétienne de cette manière afin d’éviter d’être découvert. Le 12 novembre 2006, la maison-église a fait l’objet d’une descente et le demandeur, ainsi que les autres fidèles, ont pris fuite.
[3] Le dossier dont est saisi la SPR contient une preuve documentaire qui démontre que la pratique de la religion chrétienne fait l’objet de surveillance à travers de la Chine, et que les gens de confession chrétienne risquent d’être arrêtés et interrogés.
[4] La SPR est parvenue à la conclusion cruciale suivante en rendant sa décision :
Le tribunal reconnaît que des chrétiens sont effectivement persécutés en Chine et il comprend la crainte de persécution du demandeur d’asile. Cependant, dans la situation particulière du demandeur d’asile, la preuve documentaire n’étaie pas la thèse selon laquelle il serait exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté à cause de ses croyances religieuses.
(Décision de la SPR, page 4)
[5] La SPR a donc rejeté la demande du demandeur en raison d’une conclusion d’invraisemblance; il était peu vraisemblable que la descente se soit produite de la manière dont l’a relaté le demandeur. Pour étayer cette conclusion, le SPR a énoncé ce qui suit :
La documentation révèle que le traitement des maisons-églises varie d’une région à l’autre. La preuve documentaire indique que les réunions de prière et les séances d’étude de la Bible entre amis et parents dans des résidences privées ne font pas l’objet de descentes. Les maisons-églises éprouvent des problèmes lorsque le nombre de leurs membres s’accroît, et le demandeur d’asile a affirmé que le nombre de membres de la maison-église qu’il fréquentait n’avait jamais dépassé onze personnes.
Le demandeur d’asile a affirmé que, bien qu’il ait recruté un nouveau membre de la maison-église, il se décrivait comme un membre de l’église, il ne jouait aucun rôle de direction, et les messes n’avaient jamais été célébrées chez lui. La preuve documentaire indique que, bien que des membres aient été arrêtés, les policiers ont concentré leurs efforts d’arrestation et de sanction sur les leaders d’églises et des chrétiens bien en vue. En 2006, les agents du [BSP] ont détenu des leaders de maisons-églises pendant de longues périodes, tandis qu’ils ont relâché des membres peu après les avoir interrogés sur place. On rapporte aussi une baisse du nombre d’arrestations de chrétiens membres de maisons-églises en Chine en 2006 par rapport à l’année précédente. Parmi les arrestations documentées de chrétiens membres de maisons-églises, la majorité visait des leaders.
(Décision de la SPR, pages 3 et 4)
[6] Le critère à satisfaire pour tirer une conclusion d’invraisemblance est énoncé par le juge Muldoon dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1131, au paragraphe 7 :
Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur.
[Non souligné dans l’original.]
[7] J’estime que la conclusion d’invraisemblance tirée par la SPR ne répond pas au critère de Valtchev parce que, selon la preuve au dossier, les actes dont a été victime de demandeur ne débordent pas du cadre de ce dont on peut s’attendre, selon la prépondérance de la preuve. Plus précisément, les événements qu’a vécus le demandeur à la maison-église se produisent de temps à autres et à différents endroits, et ce ne sont pas que les leaders qui sont victimes de persécution, sous la forme d’arrestation et de détention. Il s’ensuit, à mon avis, que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que « la preuve documentaire n’étaie pas la thèse selon laquelle [le demandeur] serait exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté à cause de ses croyances religieuses » (Décision de la SPR, pages 4 et 5).
[8] De plus, compte tenu des circonstances de la demande d’asile, je conclus que la volonté de la SPR de faire fi du témoignage du demandeur parce que la preuve « documentaire » est présumée être plus fiable est injustifiée. À ce sujet, le juge Tannenbaum déclare ce qui suit dans Han c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] A.C.F. no 978, au paragraphe 21 :
[traduction]
La raison déclarée pour expliquer le rejet de la preuve du demandeur est qu’elle lui préfère la preuve documentaire, puisque cette dernière n’a « aucun intérêt personnel dans l’issue de la décision » (décision de la Commission, page 5). Même si cela constitue censément un motif de rejet de la demande, la Cour a conclu, à maintes reprises, qu’il s’agissait une erreur susceptible de contrôle. Comme l’a souligné la juge Snider dans Cointinho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1037, « [c]ela revient à dire qu'on devrait toujours privilégier la preuve documentaire aux dépens de la preuve présentée par le demandeur d'asile parce que ce dernier a un intérêt dans l'issue de l'audience. Si on acceptait ce raisonnement, cela aurait pour effet de toujours écarter la preuve soumise par un demandeur d'asile » (paragraphe 7) (voir aussi Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1336, aux paragraphes 54 à 59).
[9]
Par
conséquent, je conclus que la décision de la SPR est entachée d’une erreur
susceptible de contrôle.
ORDONNANCE
Par conséquent, j’annule la décision faisant l’objet du contrôle et je renvoie l’affaire à tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.
Il n’y a pas de question à certifier.
« Douglas R. Campbell »
Traduction certifiée conforme
Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1847-09
INTITULÉ : GUANG XI JIN c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 15 octobre 2009
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Le juge Campbell
DATE DES MOTIFS
ET DE L’ORDONNANCE : Le 15 octobre 2009
COMPARUTIONS :
Donna Habsha |
POUR LE DEMANDEUR
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Marcia Pritzker Schmitt |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hart A. Kaminker Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |