Cour fédérale |
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Federal Court |
IMM-2162-09
Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2009
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
ENTRE :
OMOBOLA OLUDAMI OLUWAFEMI,
OMOYEMI MOSHEBO OLUWAFEMI,
OMOTARA WURAOLA OLUWFEMI et
OMOTAYO OLABIMP OLUWAFEMI
et
CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET
DE LA PROTECTION CIVILE
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Les demandes de contrôle judiciaire visent deux décisions d’un agent d’immigration qui a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) des demanderesses en date du 19 mars 2009 et leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), en date du 18 mars 2009.
EXPOSÉ DES FAITS
Contexte
[2] Les demanderesses sont des citoyennes du Nigeria. Nkese Oluwafemi, qui est âgée de 46 ans, est la mère. Elle a quatre filles mineures qui sont également demanderesses dans la présente affaire : Omobola Oludami Oluwafemi (19 ans), Omoyemi Moshebo Oluwafemi (16 ans), Omotara Waraola Oluwafemi (14 ans) et Omotayo Olabimp Oluwafemi (10 ans).
[3] Les demanderesses sont entrées au Canada à titre de visiteuses le 7 juin 2007, par Montréal, munies de faux passeports britanniques. Elles ont demandé l’asile à Ottawa le 18 juin 2007.
[4] Le 21 juin 2008, une formation de la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a entendu la demande d’asile.
[5] La demande d’asile était fondée sur la crainte des demanderesses d’être persécutées par l’ex-concubin de la mère, Bernard Alo.
[6] Les demanderesses ont allégué que M. Alo était au début un conjoint et un beau‑père gentil, mais que son comportement avait commencé à changer après 2002. Il semble qu’il aurait interdit à la mère de travailler à l’extérieur de la maison. Les disputes avec M. Alo s’envenimaient et il s’absentait de la maison pour faire de longs voyages. Au cours d’une dispute, il aurait versé de l’huile chaude sur la cuisse de la mère et lui aurait interdit d’obtenir une assistance médicale. M. Alo a plus tard informé la mère qu’il faisait partie du Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND) et d’une secte.
[7] En mai 2007, pendant que M. Alo était absent, la mère a trouvé des armes à feu et des photos prouvant son association à des groupes de militants. L’un des amis de M. Alo a informé la mère que M. Alo était également un trafiquant de drogue et de femmes et que parfois Ombola Oludami Oluwafemi, l’aînée des enfants demanderesses, était appelée à faire des livraisons de drogue pour M. Alo. Les enfants demanderesses ont confirmé les allégations de leur mère et elles ont allégué également que M. Alo s’était livré à des attouchements déplacés sur elles et les avait menacées. La mère a communiqué avec la police qui a confisqué les armes à feu et les photos de militants. Par ailleurs, il semble que les policiers ne voulaient pas ou n’étaient pas en mesure d’arrêter M. Alo ou de l’empêcher de battre la mère sous leurs yeux pour se venger. La mère a porté plainte à la police à la suite cet événement, mais M. Alo qui se targuait d’être intouchable en raison de ses liens n’a pas été arrêté. M. Alo a ensuite menacé la mère de la tuer après cette dernière plainte.
[8] Les demanderesses se sont enfuies chez plusieurs membres de leur famille et ont ultérieurement engagé un passeur qui leur a fourni des faux passeports britanniques qu’elles ont utilisés pour entrer au Canada. Les demanderesses allèguent que, après leur départ du Nigeria, la sœur de la mère a été battue à mort par les amis de M. Alo.
[9] La Commission a jugé qu’il n’existait aucun lien entre la crainte des demanderesses et les motifs de la Convention sur les réfugiés énoncés à l’article 96 de la LIPR parce qu’il s’agissait d’une crainte de violence criminelle ou de vengeance personnelle.
[10] En évaluant la demande d’asile au regard de l’article 97 de la LIPR, la Commission a conclu que la preuve produite par les demanderesses n’était ni digne de foi ni crédible. Elle a jugé que les affidavits qui auraient été souscrits par la grand-mère de la famille demanderesse et par la sœur de la mère, à l’appui des demandes présentées par les demanderesses, comportaient des contradictions manifestes relativement à la raison pour laquelle ils avaient été produits, à la façon dont ils l’avaient été et à leur réception par les demanderesses. La Commission n’a accordé que peu d’importance ou de foi aux deux affidavits pour ces raisons et aussi parce que les demanderesses ne lui avaient pas fourni les originaux.
[11] La Commission a conclu que la preuve documentaire relative aux plaintes déposées auprès de la police semblait provenir de l’une des fabriques de documents du Nigeria.
[12] De même, la Commission n’a accordé que peu d’importance aux photos non datées qui étaient censées faire la preuve que la mère avait subi des blessures à la cuisse. La Commission a tiré une conclusion défavorable du défaut des demanderesses d’obtenir d’un médecin un rapport qui aurait confirmé que ces blessures avaient pu être causées par de l’huile chaude. Conformément aux conclusions précédentes quant à la crédibilité, la Commission a jugé que les photos ne constituaient pas une preuve digne de foi et crédible permettant d’établir que la mère avait été blessée effectivement par M. Alo.
[13] Le 14 août 2008, la Commission a rendu une décision défavorable, concluant que les demanderesses ne s’étaient pas acquittées du fardeau d’établir l’existence d’une possibilité sérieuse à l’égard d’un motif de la Convention ou que, selon toute vraisemblance, elles seraient personnellement exposées à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.
[14] Les demanderesses ont ensuite déposé, en date du 25 août 2008, une demande d’ERAR et une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[15] La demande d’ERAR s’appuyait sur le même risque que pose M. Alo à l’égard des demanderesses au Nigeria. Les demanderesses ont allégué que le Nigeria n’offrait pas une protection suffisante aux femmes et aux enfants victimes de violence fondée sur le genre. Elles ont produit des articles de presse et des documents sur la situation dans le pays, ainsi que certains documents médicaux et des photos, à l’appui de leur exposé circonstancié. Elles ont également produit deux preuves nouvelles. Premièrement, l’aînée des enfants a révélé qu’elle avait été violée par M. Alo. Deuxièmement, les demanderesses ont révélé que, depuis la décision défavorable de la Commission, la sœur de la mère avait été battue à mort par M. Alo.
[16] La décision relative à la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire s’appuyait sur les mêmes risques que ceux avancés dans la demande d’ERAR. Outre ces risques, il a été allégué que le renvoi au Nigeria n’était pas une décision tenant compte de l’intérêt supérieur des enfants demanderesses parce qu’elles risquaient d’être exposées à des mauvais traitements de la part de M. Alo qui pourrait empêcher la famille de demander des visas de résidente permanente à partir du Nigeria. Les demanderesses ont avancé que M. Alo pourrait empêcher l’aînée d’aller à l’université et tenter de l’utiliser pour faire de la prostitution et le trafic de la drogue. Les demanderesses ont soutenu que leur renvoi se traduirait par la rupture de nombreux liens sociaux et communautaires qu’elles avaient tissés au Canada et par la perte de l’emploi actuel de la mère.
[17] L’agent d’immigration a rendu la décision concernant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 18 mars 2009 et la décision concernant l’ERAR le 19 mars 2009.
Décisions faisant l’objet du contrôle judiciaire
Décision concernant l’ERAR
[18] L’agent d’immigration mentionne à la page 4 de la décision que les risques invoqués par les demanderesses se fondent sur les mêmes allégations formulées devant la Commission. Il a jugé que les demanderesses n’avaient pas produit de preuve documentaire objective corroborant l’allégation suivant laquelle l’aînée des enfants avait été violée ou exposée à un trafic par M. Alo.
[19] L’agent d’immigration a examiné l’article de journal qui était censé faire état du meurtre de la sœur de la mère. Il avait des doutes sur l’authenticité de cet article étant donné qu’aucun exemplaire du journal n’avait été fourni, qu’aucun autre document n’avait été produit pour prouver le meurtre de la sœur et que l’article en question parlait de la demanderesse adulte, mais non des autres sœurs et de la mère de la victime qui vivaient au Nigeria.
[20] L’agent d’immigration a dit que, même si l’incident dont il était question dans l’article de journal s’était réellement produit, l’idée voulant que M. Alo puisse faire du mal à la famille demanderesse dans le futur était hypothétique. Il s’est dit d’avis que l’article, s’il était véridique, démontrait que la police nigériane avait agi comme elle se devait en arrêtant M. Alo et en faisant enquête sur les allégations.
[21] L’agent d’immigration a examiné la preuve médicale et les photos qui visaient à démontrer l’étendue des blessures subies par la mère et il était d’avis que ces blessures étaient réelles. Toutefois, il a jugé que la preuve médicale ne permettait pas d’établir que ces blessures avaient été infligées par M. Alo.
[22] L’agent d’immigration a examiné minutieusement les documents et les articles de presse sur la situation dans ce pays, mais il a estimé qu’ils n’indiquaient pas que les demanderesses faisaient face à un risque personnalisé. Il a souligné que les services policiers et le système de justice du Nigeria n’étaient pas parfaits mais qu’ils étaient néanmoins suffisants pour établir une démocratie. Il a aussi souligné que les demanderesses n’avaient pas prouvé de façon claire et convaincante l’absence de protection offerte par l’État.
[23] L’agent d’immigration a affirmé que la situation générale dans le pays n’avait pas changé, en ce qui concerne les demanderesses, depuis la tenue de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés. La demande d’ERAR a par conséquent été rejetée.
Décision concernant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire
[24] Cette décision s’appuie sur la même preuve objective que celle dont il a été fait état dans la décision concernant l’ERAR. L’agent d’immigration a conclu que les demanderesses ne seraient pas exposées à un préjudice indu si elles se prévalaient de la protection offerte par le Nigeria. Il a constaté que la preuve au dossier n’établissait pas que M. Alo est actuellement à la recherche des demanderesses.
[25] L’agent d’immigration a estimé qu’aucun des liens personnels que les demanderesses avaient tissés au Canada leur causerait un préjudice indu advenant leur renvoi au Nigeria. Il y a normalement rupture des liens de travail, d’amitié et de collectivité dans les situations de renvoi et, en l’absence d’une preuve suffisante de conséquences négatives importantes qui constitueraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, la rupture de ces liens ne pourrait être considérée comme un facteur valide déterminant dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[26] L’agent d’immigration a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et il a jugé que les enfants demanderesses ne seraient pas exposées à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elles devaient se réinstaller au Nigeria parce qu’elles y ont grandi et qu’elles y fréquentaient des écoles privées.
[27] L’agent d’immigration a déterminé que le degré d’établissement des demanderesses au Canada ne dépassait pas ce que l’on observe normalement chez les demandeurs d’asile qui sont au Canada depuis un an et demi. Les demanderesses étaient toutes engagées dans une forme quelconque de travail bénévole ou d’emploi dans leur milieu. Rien n’indique que les demanderesses se sont intégrées au point où leur renvoi entraînerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives que la LIPR n’a pas prévues.
[28] Par ailleurs, les demanderesses avaient des liens familiaux au Nigeria et elles y ont vécu, étudié et travaillé dans un passé non lointain. Les demanderesses connaissent bien la culture et la société nigérianes.
[29] L’agent d’immigration a reconnu que le Canada pouvait offrir un cadre de vie plus agréable que le Nigeria, mais la différence relative au caractère agréable n’est pas un facteur déterminant dans l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[30] La demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a par conséquent été rejetée.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES
[31] L’article 25 de la LIPR confère au ministre le pouvoir d’exempter un demandeur d’asile d’une ou de plusieurs des obligations prévues par la LIPR s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire le justifient. Cet article est rédigé comme suit :
25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient. |
25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations. |
[32] Le paragraphe 112(1) de la LIPR permet aux personnes visées par une mesure de renvoi de demander la protection du ministre. Cette disposition est rédigée en ces termes :
112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1). … |
112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1). … |
[33] En vertu de l’alinéa 113a) de la LIPR, qui suit, celui qui demande un ERAR ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande d’asile.
113. Il est disposé de la demande comme il suit :
a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet; … |
113. Consideration of an application for protection shall be as follows:
(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection; … |
[34] Le paragraphe 161(2) de la LIPR exige que le demandeur désigne la nouvelle preuve.
… (2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas.
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… (2) A person who makes written submissions must identify the evidence presented that meets the requirements of paragraph 113(a) of the Act and indicate how that evidence relates to them. |
QUESTIONS EN LITIGE
[35] La seule question en litige dans la présente demande intéresse le caractère raisonnable des décisions concernant l’ERAR et la demande fondée sur les motifs d’ordre humanitaire.
NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE
[36] Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 62, que la première étape de l’analyse de la norme de contrôle applicable est celle où la cour « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (voir également Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53).
[37] Récemment, dans Kisana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, le juge Nadon de la Cour d’appel fédérale a soutenu, au paragraphe 18, que la norme de contrôle applicable à une décision d’un agent d’immigration concernant des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable.
[38] Cette affaire intéresse l’importance relative attribuée à la preuve, l’interprétation et l’appréciation de cette preuve, ainsi que la question de savoir si l’agent avait bien considéré toute la preuve pour parvenir à sa décision. Il est évident que, par suite des arrêts Dunsmuir et Khosa, ces questions doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. (Voir également les décisions que j’ai rendues dans Pathmanathan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 885; Lionel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 236; Christopher c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 964; Ramanathan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 843; Erdogu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 407, [2008] A.C.F. no 546 (QL), le juge Mandamin.)
[39] Dans l’examen de la décision de la Commission selon la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attardera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59).
ANALYSE
La suffisance de la preuve des demanderesses et son appréciation
[40] Les demanderesses soutiennent que l’agent d’immigration a fait plusieurs erreurs en exigeant une preuve plus objective que ce que l’on pouvait raisonnablement espérer qu’elles produisent.
[41] Premièrement, les demanderesses soutiennent que l’agent d’immigration a fait erreur en exigeant une preuve documentaire objective pour corroborer le fait que l’aînée des enfants, Omobola, avait été violée ou exposée à un trafic par M. Alo. En ce qui a trait à la révélation faite par Omobola relativement au viol dont elle aurait été victime, les demanderesses prétendent que l’agent d’immigration n’a pas suivi les directives de la Commission concernant la persécution fondée sur le sexe.
[42] Deuxièmement, les demanderesses font valoir que l’agent d’immigration a fait erreur en tirant une conclusion défavorable de leur défaut de produire un exemplaire du journal qui faisait état du meurtre de la sœur de la mère. Troisièmement, il aurait aussi commis une erreur en exigeant que les demanderesses produisent un certificat de décès ou le rapport de la police sur la mort de la sœur de la mère. Quatrièmement, elles prétendent qu’il a fait une autre erreur en exigeant qu’elles fournissent une preuve documentaire objective corroborant que M. Alo continue de les chercher. Cinquièmement, l’agent d’immigration aurait aussi fait erreur en concluant que la lettre écrite par l’infirmière autorisée Laura Kollenberg ne renforçait pas l’allégation de difficultés éprouvées par la mère.
[43] La Cour a statué que l’ERAR ne constitue pas une occasion de débattre à nouveau d’une demande d’asile dont le demandeur a été débouté mais plutôt une occasion de prouver l’existence d’une situation soulevant un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui n’a pas été examiné par la Commission (voir les décisions que j’ai rendues dans Kaybaki c. Canda (Solliciteur général), 2004 CF 32, 128 A.C.W.S. (3d) 784; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 774, au paragraphe 18). L’agent d’immigration qui examine une demande d’ERAR doit prendre acte de la décision de la Commission de rejeter la demande d’asile « à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance » (Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, 370 N.R. 344, la juge Sharlow, au paragraphe 13).
[44] Les demanderesses en l’espèce soulèvent les mêmes risques qui avaient été soulevés devant la Commission qui a rejeté leurs demandes parce qu’il a été jugé que leur preuve n’était ni digne de foi ni crédible.
[45] Compte tenu des conclusions défavorables tirées par la Commission quant à la crédibilité, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent d’immigration d’exiger une preuve documentaire objective pour corroborer les risques auxquels, de l’avis des demanderesses, elles seraient exposées advenant leur renvoi au Nigeria.
[46] La preuve produite par les demanderesses pour démontrer les difficultés auxquelles elles devraient faire face était ambigüe dans le cadre de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La Cour peut ajouter foi aux affirmations selon lesquelles les demanderesses croient sincèrement qu’elles se heurteront à des difficultés à leur retour au Nigeria. Toutefois, il leur incombait de prouver toute allégation sur laquelle s’appuie leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, le juge Evans, au paragraphe 5).
[47] La preuve des demanderesses, si elle avait été jugée crédible, aurait pu permettre d’établir des difficultés passées, mais non des difficultés auxquelles les demanderesses ou leur famille se heurtent actuellement ou se heurteront dans l’avenir. Il était donc loisible à l’agent d’immigration de conclure que la preuve présentée par les demanderesses n’établissait pas l’existence probable de difficultés en raison du harcèlement exercé par M. Alo.
[48] En ce qui a trait aux allégations de viol de la fille aînée par M. Alo, la Cour est d’avis qu’il était raisonnablement loisible à l’agent d’immigration d’exiger une preuve documentaire objective. Rien n’empêchait les demanderesses de présenter un rapport psychologique qui aurait permis à l’agent de procéder à un examen « attentif et compatissant » (Fernandez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 232, le juge Hughes, au paragraphe 5). Contrairement à la mère, la fille aînée n’a même pas fait état de l’allégation de viol dans sa propre demande d’ERAR. Cette omission mine la vraisemblance de cette allégation de « dernière minute » qui, en tout état de cause, aurait dû être soumise à la Section de la protection des réfugiés. Il ne s’agit pas d’une preuve nouvelle et la fille en aurait fait part à sa mère avant si l’allégation avait été vraie.
[49] La Cour est d’avis qu’il était raisonnable de la part de l’agent d’immigration de conclure que la preuve présentée tant pour la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que pour l’ERAR ne démontrait pas que les demanderesses seraient exposées à un risque ou à des difficultés dans l’avenir. C’est donc à bon droit que l’agent d’immigration a conclu que les demanderesses n’avaient pas réussi à s’acquitter du fardeau de la preuve qui leur incombait.
Intérêt supérieur des enfants
[50] Les demanderesses soutiennent que l’agent d’immigration ne s’est pas montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants. L’agent d’immigration aurait commis une erreur en limitant l’analyse de l’intérêt supérieur à la possibilité de fréquenter des écoles privées au Nigeria. Sur la question des études, il aurait tenu pour acquis que la mère pourrait payer les frais de scolarité, même si, dans son formulaire de renseignements personnels, elle avait indiqué que M. Alo était celui qui payait les frais de scolarité des enfants.
[51] L’agent d’immigration se livre à un examen détaillé de la situation de chacune des enfants, en soulignant leur niveau d’instruction et leur succès au Canada. Il affirme que les demanderesses n’ont pas allégué de difficultés particulières autres que le risque que représentait M. Alo. Il était raisonnablement loisible à l’agent de tirer cette conclusion. Le dossier ne révèle aucune autre allégation de difficultés, mis à part le risque posé par M. Alo, dont il a été discuté précédemment, et fait état des craintes concernant l’éducation des enfants que l’agent a évaluées.
[52] L’agent a tenu compte du vécu des enfants au Nigeria et c’est à juste titre qu’il a établi que rien n’expliquait pourquoi elles ne seraient pas en mesure de réintégrer la vie qu’elles avaient déjà menée, advenant leur renvoi. Il s’est exprimé en ces termes :
[traduction]
Les observations indiquent que les enfants de la demanderesse principale ont fréquenté les institutions Pampers Private School et Jewels International School lorsqu’elles vivaient au Nigeria et l’allégation qui m’est présentée précise que les enfants ne seraient pas en mesure de retourner à ces établissements d’enseignement privés.
[53] L’agent a justifié sa conclusion en s’appuyant sur les faits suivants :
[traduction]
Les observations indiquent que les langues maternelles des enfants sont l’anglais et l’efik et qu’elles parlent couramment les deux langues; les enfants ont grandi dans la culture nigériane. Il est souligné qu’elles étaient d’âge scolaire lorsqu’elles sont arrivées au Canada et qu’elles avaient fréquenté des écoles privées dans leur pays d’origine. Il est raisonnable de croire qu’elles connaissent bien la société nigériane et que les ajustements pour se réinstaller au Nigeria seraient minimaux.
[54] À mon avis, l’agent a fait une analyse raisonnable avant d’en arriver à la conclusion que l’intérêt supérieur des enfants en l’espèce ne laissait pas voir des difficultés qui n’avaient pas été envisagées par la LIPR, advenant le renvoi des demanderesses au Nigeria. La preuve révèle que la mère est une infirmière diplômée en mesure de prodiguer des soins à ses enfants au Nigeria. Le fait de ne pas pouvoir inscrire les enfants à l’école privée au Nigeria ne constitue pas une difficulté justifiant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ou une demande d’ERAR.
[55] Ce motif de révision ne peut donc pas être retenu.
Protection offerte par l’État
[56] Les demanderesses affirment que l’agent d’immigration a fait erreur en concluant qu’il existe une protection étatique suffisante au Nigeria et que les demanderesses n’avaient pas présenté une preuve démontrant de façon claire et convaincante qu’elles avaient fait des efforts raisonnables pour se prévaloir de cette protection. Les demanderesses reconnaissent que l’agent a apprécié la différence entre le critère des difficultés applicable à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et celui applicable à une demande d’ERAR. Elles allèguent que l’agent ne s’est pas penché dans ses motifs sur la question de savoir si le fait que M. Alo était à leur recherche les exposerait à des difficultés (Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1263, le juge Pinard, au paragraphe 20).
[57] Les demanderesses avancent que la conclusion relative à l’existence d’une protection étatique suffisante à laquelle elles auraient pu avoir accès par l’intermédiaire des forces de police du Nigéria, de l’unité d’enquête criminelle et de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) est contredite par la conclusion que l’agent a tirée en affirmant que la preuve documentaire révélait que les forces de police du Nigeria agissaient en toute impunité et que la CNDH n’a pas le pouvoir d’intervenir dans des cas comme celui en l’espèce.
[58] Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a maintenu que le régime de protection des réfugiés est une forme de « protection auxiliaire » destinée seulement aux personnes dont le pays d’origine n’offre pas de protection à ses citoyens.
[59] De plus, la Cour a conclu que, à moins d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État est en mesure d’assurer la protection de ses citoyens. La présomption d’existence de la protection étatique peut être réfutée mais, pour y arriver, le demandeur d’asile doit prouver de « façon claire et convaincante » que l’État est incapable d’offrir cette protection. Pareille preuve peut comprendre le témoignage de personnes qui se trouvent dans une situation semblable et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées ou le propre témoignage du demandeur d’asile sur des incidents antérieurs à l’égard desquels la protection étatique ne s’est pas manifestée (voir Ward, précité, aux pages 724 et 725).
[60] Dans Kadenko, précité, la Cour d’appel fédérale a affirmé que, pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État, les demandeurs d’asile doivent faire des « efforts raisonnables » pour obtenir cette protection et que le fardeau de preuve qui leur incombe s’alourdit si l’État en question est démocratique.
[61] Par conséquent, les demanderesses devaient présenter une preuve pertinente et digne de foi ayant une valeur probante suffisante pour convaincre le juge des faits, suivant la prépondérance des probabilités, que la protection offerte par l’État est insuffisante.
[62] Dans la présente affaire, l’agent a conclu que la mère a communiqué avec la police à deux occasions, une fois après avoir découvert les armes à feu de M. Alo et une autre fois lorsque M. Alo l’a battue sous les yeux de la police. La police locale est intervenue une troisième fois auprès de la famille des demanderesses au moment où M. Olo aurait assassiné la sœur de la mère. Dans ce dernier cas, l’agent a jugé que la police avait agi de manière appropriée.
[63] Il est évident que la protection offerte au Nigeria n’est pas parfaite. L’agent a reconnu cet état de fait en procédant à un examen approfondi d’une quantité volumineuse de renseignements sur la situation dans ce pays. Toutefois, il n’y a pas lieu que la protection offerte par l’État soit parfaite; tout ce qu’il faut c’est qu’elle soit suffisante.
[64] À mon avis, c’est à juste titre que l’agent a conclu que les demanderesses ne s’étaient pas acquittées du fardeau de la preuve qui leur incombait. La preuve de la protection offerte par l’État en l’espèce est mixte. La police a fait enquête sur les allégations des demanderesses et il semble qu’elle aurait arrêté M. Alo au moins une fois.
[65] Il était raisonnablement loisible à l’agent, après avoir soupesé la preuve sur les conditions dans le pays d’origine au regard de la preuve présentée par les demanderesses, de conclure qu’elles pouvaient bénéficier d’une protection suffisante dans leur pays d’origine et qu’elles ne seraient pas exposées à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elles se prévalaient de cette protection.
QUESTION CERTIFIÉE
[66] Les deux parties ont informé la Cour que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vue d’un appel. La Cour souscrit à cette opinion.
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIERS : IMM-2161-09
IMM-2162-09
INTITULÉ : NKESE
OLAWUNMI ET AL.
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AL.
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 6 octobre 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE KELEN
DATE DES MOTIFS : Le 15 octobre 2009
COMPARUTIONS :
Silvia Valdman Luis Alberto Vasquez
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POUR LES DEMANDERESSES |
Korinda McLaine
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Silvia Valdman Avocate Immigration Law Office
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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