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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091014

Dossier : IMM-1006-09

Référence : 2009 CF 1040

Winnipeg (Manitoba), le 14 octobre 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

LI FENG MEI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur est un citoyen et résident chinois âgé de 39 ans. Il a présenté une demande de résidence permanente au Canada en vertu du Programme des candidats du Manitoba. À la suite d’une enquête, le défendeur a signifié au demandeur qu’il ne répondait pas aux critères de sélection de la province. On a donné 30 jours à celui-ci pour répondre aux préoccupations de l’agent des visas. Puisqu’aucune réponse n’a été reçue après presque trois mois, la demande de résidence permanente a été rejetée. Le demandeur dépose maintenant la présente demande de contrôle judiciaire, en affirmant qu’il a envoyé une lettre de réponse à l’intérieur du délai de 30 jours.

 

LES FAITS

[2]               Le Manitoba a retenu la candidature du demandeur à la résidence permanente le 20 décembre 2007, essentiellement en raison de son expérience en tant que cuisinier de mets ethniques. Par la suite, le demandeur, son épouse et son fils ont présenté une demande de statut de résident permanent à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) le 31 décembre 2007.

 

[3]               Dans la demande, le demandeur a énoncé qu’il travaillait comme second cuisinier au Mingxing Seafood Restaurant depuis février 2007, ce qui est corroboré par une lettre de son employeur.

 

[4]               Le 20 mai 2008, CIC a effectué une visite au Mingxing Seafood Restaurant, afin de vérifier l’expérience de travail du demandeur. Les agents de CIC ont interrogé le demandeur et le chef cuisinier au sujet du travail du demandeur. Les agents ont relevé des contradictions dans les déclarations respectives des cuisiniers; ils ont aussi découvert 9 « aide‑mémoires », tous similaires au certificat de travail du demandeur et qui, selon CIC, indiquaient que le restaurant n’hésite pas à confirmer l’emploi de personnes ne travaillant pas pour lui.

 

[5]               Le 14 juillet 2008, CIC a avisé le ministère de l’Immigration du Manitoba de la situation, et a aussi envoyé une lettre au demandeur l’informant des résultats de la visite du 20 mai, ainsi que de son intention de le déclarer interdit de territoire en application des articles 16 et 40 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi). La même lettre (la lettre d’équité) lui donnait 30 jours, à compter de sa réception, pour présenter toute représentation à cet égard, y compris une preuve de travail fiable et vérifiable. 

 

[6]               Selon l’affidavit du demandeur, celui-ci a reçu la lettre en question le 1er août 2008 et a envoyé une lettre de réponse le 12 août 2008. Cet élément de preuve n’est pas contredit, et personne n’a tenté de contre-interroger le demandeur au sujet de son affidavit. Par conséquent, l’affidavit doit être considéré comme établi, et le défendeur n’a pas remis en question l’affirmation du demandeur.

 

[7]               Le 19 novembre 2008, le ministère du Travail et de l’Immigration du Manitoba a envoyé au demandeur une lettre, par laquelle il lui retirait le Certificat de désignation au motif que celui-ci avait présenté de faux documents concernant sa sélection en tant que candidat du Manitoba.

 

[8]               Le 4 janvier 2009, CIC a envoyé au demandeur une lettre, par laquelle il lui refusait un visa de résident permanent parce que le Manitoba lui avait retiré son Certificat de désignation, et parce qu’il avait fait des présentations erronées ou une réticence concernant son emploi de cuisinier chez Mingxing Seafood Restaurant.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]               L’agent renvoie d’abord à l’alinéa 40(1)a) de la Loi, selon lequel un étranger est interdit de territoire s’il, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entrainer une erreur dans l’application de la Loi. En vertu de l’alinéa 40(2)a), l’interdiction de territoire de l’étranger prévue à l’alinéa 40(1)a) court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort.

 

[10]           L’agent continue en affirmant que le demandeur avait fait une présentation erronée sur son expérience de travail en tant que cuisinier afin de répondre au critère d’expérience de travail du programme provincial de candidats. Il a explicitement déclaré que le demandeur avait la possibilité de faire mention de ses préoccupations, mais n’a pas fourni de réponse. Il a, par conséquent, conclu que le demandeur est interdit de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

 

[11]           L’agent a ensuite renvoyé aux paragraphes 15(1) et (2) de la Loi, en vertu desquels l’agent peut procéder à un contrôle dans le cadre de toute demande qui lui est présentée, contrôle qui est effectué sur la base des documents délivrés par la province en cause. L’agent était convaincu que le demandeur ne répondait pas au critère du paragraphe 15(2) de la Loi, parce que la province du Manitoba avait retiré le certificat de désignation délivré en vertu du programme provincial de candidats du Manitoba.

 

[12]           Pour ces deux motifs, l’agent a rejeté la demande, et déclaré le demandeur interdit de territoire pour une période de deux ans à compter de la date de sa lettre.

 

LA QUESTION

[13]           Les deux parties conviennent qu’il est impossible d’affirmer que la décision aurait été la même si l’agent des visas avait reçu et pris en considération la réponse du demandeur. La seule question devant être tranchée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est donc restreinte : la lettre de réponse envoyée par le demandeur devrait-elle être réputée reçue par l’agent des visas; par conséquent, la décision rendue sans égard à cette lettre constitue-t-elle une entorse à l’équité procédurale?

 

ANALYSE

[14]           Il n’est pas contesté que les questions d’équité procédurale doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49; Chrétien c. Canada (Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 802; Sketchley, c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404.

 

[15]           Il est aussi bien établi, depuis l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, de la Cour suprême du Canada, que le devoir d’équité procédurale s’applique aux décisions des décideurs administratifs lorsque leurs décisions touchent les droits, les privilèges ou les intérêts d’un individu; cependant, comme la Cour l’a mentionné sans hésitation, la teneur et les exigences de ce devoir varient selon les circonstances.

 

 

[16]           Plusieurs facteurs ont été reconnus comme pertinents dans la détermination des procédures requises par le devoir d’équité procédurale issu de la commow law, et ce, peu importe les circonstances. Ces facteurs comprennent la nature de la décision rendue ainsi que la procédure suivie, la nature du cadre législatif, l’importance de la décision pour l’individu touché, l’attente légitime de la personne contestant la décision et, finalement, le choix de la procédure par l’organisme lui-même. Compte tenu de ces facteurs, il a été décidé que le devoir d’équité est limité dans le cas des demandes de résidence permanente déposées de l’extérieur du Canada. Cette citation suivante du juge Yvon Pinard dans Fargoodarzi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 90, au paragraphe 12, illustre bien la jurisprudence :

Les décideurs administratifs ont certes un devoir d’agir équitablement envers les personnes directement visées par leurs décisions, mais le contenu de ce devoir varie selon le contexte de la décision (Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653). Si la Cour juge qu’il y a eu manquement à ce devoir, la décision doit être annulée et la question renvoyée à un nouveau décideur (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1109, [2006] A.C.F. no 1409 (C.F.) (QL)). En l’espèce, il s’agit de la décision d’une agente des visas à propos d’une demande de résidence permanente; le devoir d’agir équitablement a été jugé comme étant relativement peu rigoureux dans ce contexte, en l’absence d’un droit à la résidence permanente reconnu par la loi, du fait qu’il revient à la demanderesse d’établir son admissibilité et du fait des conséquences moins graves sur celle-ci que n’a en général la décision, en comparaison de la suppression d’un avantage et de la nécessité pour l’État de maîtriser les coûts de l’administration (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 2 C.F. 413 (C.A.)).

 

 

[17]           Dans l’affaire dont je suis saisi, certains facteurs tendent à limiter les critères du devoir d’équité. Premièrement, la nature de la décision rendue par l’agent des visas est clairement administrative. Le demandeur a tenté de prétendre que la possibilité de répondre aux doutes de l’agent fait en sorte que la décision est de nature plus formelle, mais la lettre d’équité ne modifie pas fondamentalement la nature de la décision rendue, qui est administrative et non judiciaire.

 

[18]           Le deuxième facteur qui doit être considéré est la nature du régime législatif. Il n’existe certes aucune procédure d’appel, même s’il y a toujours la possibilité de présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devant la Cour. De plus, la décision n’empêche pas le demandeur de présenter une nouvelle demande. L’avocat du demandeur a prétendu qu’une deuxième demande serait promptement rejetée, puisqu’on pourrait prétendre que le demandeur a déjà eu la possibilité de faire examiner son cas, mais il ne s’agit que de pure conjecture. En effet, le demandeur pourrait expliquer, dans sa deuxième demande, la raison pour laquelle sa première demande a été rejetée, ainsi que joindre la réponse qu’il a envoyée au premier agent des visas en tant que partie de sa deuxième demande.

 

[19]           En ce qui concerne l’importance de la décision pour l’individu touché, je désire faire les commentaires suivants. Même si une décision portant sur une demande d’asile ou une demande CH a, en temps normal, un plus grand impact sur la vie d’un demandeur qu’une demande de résidence permanente présentée de l’étranger, je suis d’accord avec le demandeur que la distinction intérieur-étranger ne devrait pas toujours être déterminante. Chaque affaire doit être examinée sur le fond, et la décision d’émigrer vers un autre pays et d’y demander la résidence permanente peut être d’une importance cruciale pour un individu. En l’espèce cependant, la Cour n’est saisie d’aucune preuve laissant croire que l’octroi de la résidence permanente était d’une importance cruciale pour le demandeur ou sa famille. Pour ce motif, la présente affaire se distingue des décisions de la Cour portant sur les demandes d’asile et les demandes CH.

 

[20]           Je suis prêt à accepter qu’une décision portant que le demandeur est interdit de territoire pour une période de deux ans en application de l’alinéa 40(1)a) rend la décision quelque peu plus importante, mais, comme l’a souligné le défendeur, cette conclusion est à double tranchant. Si le fait d’être tenu responsable d’avoir fait une déclaration erronée sur des faits pertinents avait des conséquences si graves pour le demandeur, il aurait dû prendre des mesures afin de s’assurer que sa lettre de réponse avait bel et bien été reçue par l’agent des visas. Or, le demandeur n’est jamais entré en contact avec le consulat, et n’a jamais tenté d’effectuer un suivi de sa lettre afin de s’assurer qu’elle avait bel et bien été reçue. De plus, la décision n’a pas été rendue immédiatement après l’expiration du délai de 30 jours qu’on lui a donné pour répondre, mais bien plus de trois mois après que la lettre d’équité lui eût été envoyée.

 

[21]           L’avocat du demandeur a prétendu que le défendeur aurait pu préciser le mode de transmission voulu dans la lettre d’équité. La lettre aurait pu énoncer, par exemple, que la réponse doit être reçue à l’intérieur d’un délai de trente jours, et non seulement qu’elle doit être produite dans les trente jours suivants. Le défendeur aurait pu imposer au demandeur l’obligation d’effectuer un suivi et de s’assurer que l’information a effectivement été reçue. Le fait que le défendeur ait choisi de ne pas agir ainsi a créé chez le demandeur une attente légitime que la poste régulière était un moyen de transmission acceptable.

 

[22]           Le fait qu’aucune procédure précise n’est explicitement prévue au sujet du moyen de communication approprié avec un bureau des visas constitue certainement un indice que la poste régulière est considérée comme un moyen acceptable d’envoyer des documents, mais cela ne change en rien la règle générale voulant qu’il incombe au demandeur de convaincre un agent des visas qu’il respecte les exigences de la Loi, ainsi que de son règlement d’application. Les gens qui n’ont pas la citoyenneté ou qui ne sont pas résidents permanents n’ont pas de droit d’entrée au Canada. Il incombait au demandeur, lorsque l’agent des visas lui a dit qu’il avait des motifs raisonnables de croire qu’il avait produit de fausses déclarations au sujet de son emploi et qu’il a été invité à répondre à ses préoccupations, de s’assurer que sa réponse était reçue par l’agent des visas à l’intérieur du délai de 30 jours à compter de la réception de la lettre d’équité.

 

[23]           L’avocat du demandeur a prétendu qu’il est pratiquement impossible pour un demandeur de vérifier si la lettre envoyée a bel et bien été reçue par le bureau des visas ou l’agent des visas, et que contraindre un demandeur à effectuer le suivi de ce qu’il envoie ajouterait une étape supplémentaire à un processus qui est déjà complexe. Il y a trois réponses possibles à l’argument du demandeur. La première est qu’il n’y a aucune preuve devant moi qui étaye une telle affirmation. Deuxièmement, dans le monde des télécommunications modernes, il existe plusieurs moyens, peu coûteux, de minimiser les risques de défaut d’expédition, et de s’assurer que les documents ont bel et bien été reçus par leurs destinataires, ainsi que d’en effectuer le suivi. Troisièmement, le défendeur a toujours l’option de prévoir qu’un document est réputé avoir été reçu après une période précise, comme c’est le cas pour les documents envoyés par la Section de la protection des réfugiés, la Section de l’immigration et la Section d’appel de l’immigration : voir les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, paragraphe 35(1); Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229, article 31; Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, article 36. En l’absence de telles règles, l’on ne peut présumer qu’un document envoyé est reçu, et il incombe au demandeur de s’assurer que le document a bel et bien été reçu, s’il y a un doute à ce sujet.

 

[24]           Puisque j’ai tiré cette conclusion, je suis par conséquent d’avis qu’il n’y a pas eu entorse au devoir d’équité en l’espèce, et qu’il n’y a donc pas de motifs pour annuler la décision qui fait l’objet du contrôle. L’agent des visas avait le droit de rendre une décision sur le fondement des documents qu’il avait en sa possession. Le demandeur a été mis au courant des préoccupations de l’agent, et il lui incombait d’apaiser ces préoccupations à l’intérieur du délai qui lui était donné pour le faire. Bien que malheureux, le résultat n’était pas tout à fait indépendant de la volonté du demandeur.

 

[25]           À la fin de l’audience, l’avocat du demandeur a proposé à la Cour une question à des fins de certification. L’avocat du défendeur a demandé la permission de faire des représentations au sujet de la question proposée, après avoir eu la possibilité de lire les motifs de la décision. J’ai accordé cette permission, et je donne par conséquent sept jours au demandeur, à compter de la publication des présents motifs, pour faire des représentations concernant sa question proposée à des fins de certification, ainsi que sept jours supplémentaires au défendeur pour produire une réponse.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Une ordonnance distincte sera prononcée afin de traiter de toute proposition de question à des fins de certification.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A.Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1006-09

 

INTITULÉ :                                       LI FENG MEI c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 octobre 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 14 octobre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

Nalini Reddy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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