Calgary (Alberta), le 14 octobre 2009
En présence de monsieur le juge Mosley
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1]
Il
s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72
de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001,
ch. 27 (la LIPR), portant sur la décision rendue le 2 mars 2009 par un agent des visas du
Haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, qui a statué que le demandeur
n’avait pas satisfait aux exigences d’obtention d’un permis de travail
temporaire. Voici mes motifs pour lesquels la demande doit être accueillie et
l’affaire doit faire l’objet d’un nouvel examen par un autre agent des visas.
Contexte
[2] Jithin Stephen Thomas, le demandeur, est un citoyen indien âgé de 20 ans qui travaille actuellement en tant qu’aide-mécanicien à Palai, en Inde.
[3] Le service de recrutement de travailleurs étrangers de Service Canada à Vancouver (Colombie-Britannique) a rendu un avis relatif au marché du travail (l’AMT) favorable qui confirmait une offre d’emploi d’aide-mécanicien à Surrey, en Colombie-Britannique, transmise au demandeur. En février 2009, le demandeur a présenté une demande de permis de travail temporaire afin de pouvoir accepter l’offre d’emploi.
Décision faisant l’objet du contrôle
[4] En mars 2009, l’agent des visas a rejeté la demande au motif que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était bien établi en Inde et qu’il y retournerait à la fin de sa période de séjour autorisée, en raison des meilleures conditions de travail et des incitatifs économiques considérables à demeurer au Canada.
[5] Le demandeur n’a pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas avant que la lettre de refus ne lui soit communiquée.
[6] En ce qui concerne les documents du demandeur portant sur la copropriété d’une terre en Inde, l’agent des visas a conclu que le demandeur n’avait pas indiqué dans sa demande si la terre générait un quelconque revenu. L’agent a mentionné qu’un séjour prolongé au Canada n’aurait
aucune répercussion sur la valeur de la propriété. L’agent a aussi conclu que la mère et le frère du demandeur s’occuperaient de la propriété en l’absence du demandeur, étant donné qu’ils en sont copropriétaires.
[7] L’agent des visas n’était pas convaincu, selon la prépondérance de la preuve, que le demandeur serait un résident temporaire authentique au Canada, ni qu’il quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisé. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur répondait aux critères de l’alinéa 200(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).
Question en litige
[8] La seule question en litige est de savoir si l’agent des visas a commis une erreur susceptible de contrôle pour l’un des motifs prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.
Analyse
[9] La Cour a statué dans plusieurs décisions que Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, n’avait pas modifié l’état du droit en ce qui concerne les conclusions de fait assujetties à la restriction prévue à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales : De Medeiros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 386, [2008] A.C.F. no 509; Obeid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 503, [2008] A.C.F. no 633; Naumets c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de
l’Immigration), 2008 CF 522, [2008] A.C.F. no 655. Il a aussi été statué qu’une décision administrative portant sur des questions de fait est révisable selon la norme de la décision raisonnable : Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, [2008] A.C.F. no 515.
[10] L’analyse fortement axée sur les faits et l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas sont essentiels à son rôle de juge des faits. Il s’ensuit que ses conclusions doivent faire l’objet d’une importante déférence de la part de la cour qui procède au contrôle. Les conclusions de fait d’un agent des visas doivent être maintenues, à moins que le raisonnement de celui-ci soit vicié et que la décision qui s’ensuit n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.
[11] Dans un cas comme celui-ci, il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus suivi par l’agent des visas et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. no 12, au paragraphe 59.
[12] Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il affirme qu’il incombe au demandeur de fournir suffisamment d’informations à l’agent des visas pour que ce dernier puisse rendre une décision quant au respect des critères du programme. L’équité n’exigeait pas que l’agent accorde une entrevue au demandeur, afin que celui-ci puisse répondre aux questions qui pourraient découler des
pièces qu’il a fournies. L’agent avait le droit de rendre une décision après avoir examiné la demande, telle qu’elle lui a été présentée.
[13] Cependant, pour parvenir à une décision appartenant aux issues possibles et acceptables sur l’établissement insuffisant du demandeur en Inde, l’agent des visas devait examiner et analyser la preuve pertinente sur cette question : Minhas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 696, [2009] A.C.F. no 867. En l’espèce, la preuve révélait que le demandeur était copropriétaire, avec sa mère et son frère, de trois terrains dont la valeur estimée était considérable selon une évaluation professionnelle. Au moins une de ces propriétés était occupée par un locataire. Il n’est pas mentionné dans les notes au dossier que l’agent ait évalué la valeur correspondante des immeubles du demandeur en dollars canadiens, ainsi que les répercussions que cela aurait pu avoir sur la qualité de vie du demandeur dans son pays natal. Le manque d’information concernant le revenu tiré des propriétés était un facteur à prendre en considération, mais n’était pas décisif.
[14] En l’espèce, l’omission de l’agent des visas de tenir comptes des propriétés détenues par le demandeur et de l’évaluation de celles-ci conduit à l’inférence que l’agent des visas est parvenu à une conclusion de fait erronée, sans égard à la preuve. Comme il a été mentionné dans Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 17, « plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" ».
[15] Il est aussi difficile de comprendre pourquoi l’agent a conclu que le demandeur avait besoin d’une maîtrise modérée de la langue anglaise pour effectuer le travail, alors que cela n’était pas mentionné comme une exigence dans le contrat d’emploi. De plus, la preuve révèle qu’il s’était inscrit à deux cours de langue anglaise à l’école secondaire. La décision n’explique pas pourquoi l’agent croyait que cela était insuffisant.
[16] L’omission par l’agent des visas de tenir compte des biens immobiliers du demandeur en Inde et le poids excessif accordé au critère de la langue constituent des conclusions de fait erronées tirées sans égard à la preuve. Le processus était vicié, et la décision qui en résulte n’appartient pas aux issues possibles et acceptables : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.
[17] Le raisonnement adopté par l’agent des visas et sa décision ne cadraient pas bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité. Par conséquent, la Cour peut intervenir en l’espèce : Khosa, précité, au paragraphe 59.
[18] Aucune question grave de portée générale n’a été proposée à des fins de certification.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande est accueillie. La décision datée du 2 mars 2009, par laquelle l’agent des visas a refusé un permis de travail au demandeur, est annulée et renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.
Juge
Traduction certifiée conforme
Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1676-09
INTITULÉ : JITHIN STEPHEN THOMAS c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Calgary (Alberta)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 octobre 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le juge Mosley
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 14 octobre 2009
COMPARUTIONS :
Michael Sherritt POUR LE DEMANDEUR
Camille Audain POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sherritt Greene POUR LE DEMANDEUR
Calgary (Alberta)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada