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Date :  20091015

Dossier :  IMM-1965-09

Référence :  2009 CF 1036

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

BASSAM CHWAH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la loi) d’une décision en date du 17 février 2009 rendue par le premier secrétaire à l’ambassade du Canada à Damas, en Syrie (l’agent de visa), rejetant la demande de résidence permanente du demandeur au motif qu’il est interdit de territoire du fait de son appartenance à une organisation qui aurait commis des actes terroristes prévus à l’alinéa 34(1)f) de la loi.

 

 

Le contexte factuel

[2]               Le demandeur est un citoyen libanais né le 10 septembre 1976 qui est membre du parti politique des Forces libanaises depuis 1992.

 

[3]               Les Forces libanaises sont un parti politique libanais et une ancienne milice chrétienne qui ont joué un rôle dans la guerre civile qui a eu lieu au Liban de 1975 à 1990. Suite à la fin de la guerre civile en 1990, le mouvement s’est transformé en parti politique avant d’être interdit en 1994. Par la suite, leurs activités politiques ont été limitées par le gouvernement pro-syrien jusqu’au retrait des troupes syriennes en 2005. Aujourd’hui, les Forces libanaises sont un parti politique représenté au Parlement libanais.

 

[4]               Le demandeur a joint la cellule étudiante du parti des Forces libanaises en 1992 et il s’est impliqué dans les activités politiques et sociales jusqu’en 1994. Comme les activités des Forces libanaises ont été limitées par le gouvernement pro-syrien en place en 1994, sa participation a elle aussi été très limitée jusqu’en 2004. Il est toutefois demeuré membre de ce parti.

 

[5]               De 1999 à 2001, alors qu’il vivait à Chicago aux États-Unis, le demandeur s’est aussi impliqué au sein du groupe des Forces libanaises formé dans cette ville. Pendant son séjour au Canada de 2004 à 2007, le demandeur s’est impliqué dans les activités politiques et sociales du parti des Forces libanaises légalement formé au Canada.

 

[6]               Lorsqu’il était au Canada, le demandeur a rencontré Ruba Haidar, une citoyenne canadienne, et ils se sont mariés le 25 mai 2006.

 

[7]               En avril 2007, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente à l’extérieur du pays parrainée par son épouse. La demande de parrainage a été acceptée mais la demande de résidence permanente du demandeur fut refusée en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la loi.

 

[8]               À Damas, en Syrie, le demandeur a été interrogé par l’agent de visa sur ses activités politiques au sein des Forces libanaises. Dans sa décision en date du 17 février 2009, l’agent de visa a décidé que le demandeur ne répondait pas aux exigences requises pour la délivrance d’un visa de résident permanent. L’agent a conclu que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la loi car il était un membre du parti des Forces libanaises depuis 1992 et, selon lui, le parti des Forces libanaises est une organisation qui est ou qui a été impliquée avec le terrorisme. Conséquemment, le demandeur est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la loi.

 

[9]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire de cette décision.

 

La décision contestée

[10]           L’agent de visa a conclu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur est inadmissible en vertu du paragraphe 34(1) de la loi pour des raisons de sécurité. Plus précisément, l’agent a conclu que le demandeur s’est décrit à plusieurs reprises comme étant membre du parti des Forces libanaises. Le parti est une organisation qui est ou s’est livrée au terrorisme. En conséquence, le demandeur est inadmissible en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la loi.

 

Les questions en litige

[11]           Les questions suivantes se posent en l’espèce:

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent de visa?

2.         Est-ce que l’agent de visa a erré en concluant que le demandeur était interdit du territoire canadien en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la loi?

3.         Est-ce que l’agent de visa a erré en ne motivant pas sa décision?

4.         Est-ce que l’agent de visa a violé l’équité procédurale en n’avisant pas le demandeur de l’exemption prévue au paragraphe 34(2) de la loi?

 

La législation pertinente

[12]           Les articles suivants de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 sont pertinents à la présente instance:

Sécurité

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

Exception

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

Security

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

(c) engaging in terrorism;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

Exception

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

Restriction du droit d’appel

64. (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

No appeal for inadmissibility

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

 

L’analyse

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent de visa?

[13]           Le demandeur et le défendeur soumettent que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent de visa est la norme de la décision raisonnable. En effet, à la suite de la décision de la Cour suprême dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2003 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour fédérale applique la norme de contrôle de la décision raisonnable aux décisions d’agent de visa (Odicho c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1039, 75 Imm. L.R. (3d) 45; Mukamutara c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 451, 166 A.C.W.S. (3d) 954).

 

[14]           Ainsi, dans son rôle, l’agent de visa doit apprécier la preuve présentée et il jouit d’une grande discrétion dans la prise de sa décision.

 

[15]           Toutefois, l’insuffisance de motifs dans la décision de l’agent a cependant trait à l’équité procédurale et la norme de la décision correcte s’applique (Fetherston c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 111, 332 N.R. 113; Sketchley c. Canada (Procureur général, 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392).

 

 

 

2.         Est-ce que l’agent de visa a erré en concluant que le demandeur était interdit du territoire canadien en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la loi?

[16]           Selon le demandeur, l’agent de visa a commis une erreur lorsqu’il a décidé que le parti des Forces libanaises était visé par l’alinéa 34(1)f) de la loi au motif qu’il s’agissait d’une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)c) de la loi.

 

[17]           Une conclusion selon laquelle une organisation a commis des actes terroristes doit reposer sur une base factuelle (Sivakumar c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433, 163 N.R. 197 (C.A.)) et le demandeur soutient que l’agent de visa ne soulève aucune preuve ou renseignement quelconque pour conclure que le parti des Forces libanaises est ou a été impliqué dans des actes de terrorisme depuis sa formation en 1990 ou depuis que le demandeur en est membre en 1992. La décision portant sur la question de savoir si l’organisation à laquelle appartenait le demandeur a commis ou commet des actes de terrorisme doit être étayée par des motifs capables de résister à un examen assez poussé (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56).

 

[18]           De son côté, le défendeur souligne que l’alinéa 34(1)f) de la loi emporte une interdiction sur le territoire canadien pour toute personne qui est membre d’une organisation qui, il y a des motifs raisonnables de croire, est ou a été l’auteur d’actes d’espionnage, l’auteur de subversion contre une institution démocratique, l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par force, ou l’auteur d’actes de terrorisme.

 

[19]           En l’espèce, le défendeur allègue que pendant son entrevue avec l’agent de visa le 3 février 2009 à Damas en Syrie, le demandeur a admis être un membre des Forces libanaises depuis 1992. De plus, le demandeur a avoué que dans le passé, les Forces libanaises avaient utilisé des armes pour accomplir leurs objectifs et se sont déjà livrées au terrorisme pour atteindre leurs buts.

 

[20]           Ainsi, selon le défendeur, compte tenu du libellé de l’alinéa 34(1)f) de la loi, la décision de l’agent de visa à l’effet qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les Forces libanaises se sont livrées au terrorisme, et le demandeur, en tant que membre de cette organisation, est interdit de territoire canadien, était raisonnable dans les circonstances.

 

[21]           Je suis d’avis que l’agent de visa a erré en concluant que le demandeur était interdit du territoire canadien en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la loi. Plus particulièrement, l’agent a erré dans son analyse de la nature de l’organisation de laquelle le demandeur fait partie, soit le parti des Forces libanaises.

 

[22]           La décision de l’agent est laconique et celui-ci n’a fait référence à aucun élément de preuve qui démontre que cette organisation au sens de l’alinéa 34(1)(f) de la loi a pris part ou participe à des actes terroristes depuis la dissolution de la milice en 1990 ou depuis que le demandeur en est devenu membre en 1992 :

 

Specifically, you have consistently described yourself on several occasions as a member of the Lebanese Forces Party (LFP) since 1992. The LFP is an organization that is or has engaged in terrorism.

As a result, you are inadmissible to Canada pursuant to section 34(1)(f) of the Act. I am therefore refusing your application.

 

 

[23]           Tel qu’expliqué par le demandeur, et le défendeur n’a pas nié cette allégation, cette organisation qui était une milice chrétienne entre 1975 et 1990 a été dissoute à la fin de la guerre civile. À partir de 1990, le mouvement s’est transformé en parti politique avant d’être interdit en 1994. Par la suite, leurs activités politiques ont été limitées par le gouvernement pro-syrien jusqu’au retrait des troupes syriennes en 2005.

 

[24]           La Cour estime que l’agent a commis une erreur en omettant de se livrer à une analyse du rôle de l’organisation précédant 1990 et celui postérieurement à 1990. En effet, nous sommes ici en présence d’une organisation qui a subi une transformation en 1990 après la guerre civile au moment où la milice chrétienne a été dissoute. La preuve au dossier démontre que le demandeur a joint les rangs des Forces libanaises en 1992 postérieurement à cette transformation, et donc postérieurement à la dissolution de la milice chrétienne. Rappelons  également que la transformation de cette organisation s’est poursuivie et a pris la forme d’une représentation à titre de parti politique au Parlement libanais. Or, la décision de l’agent n’aborde pas cette question dans le cadre de son analyse.

 

[25]           Par ailleurs, l’agent de visa n’a fait référence à aucun acte ou élément de preuve dans sa décision qui démontre que le demandeur aurait participé ou aurait été complice d’actes terroristes commis par l’organisation (Sadakah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) 2005 CF 1494, 151 A.C.W.S. (3d) 90, au paragraphe 22).

 

[26]           Le dossier ne contient aucune preuve que cette organisation ait perpétré des actes terroristes depuis le moment où le demandeur en est devenu membre et ce jusqu’à ce jour. Quant à la participation du demandeur, il faut également noter qu’au moment où la milice chrétienne était active, soit entre 1975 et 1990, ce dernier n’était qu’un jeune enfant et, au surplus, la preuve au dossier démontre qu’il n’a jamais été impliqué dans le parti des Forces libanaises à cette époque.

 

[27]           Conséquemment, la décision de l’agent doit être cassée au motif qu’il n’a pas analysé la nature de l’organisation en cause, ce qui a entraîné un examen de la participation du demandeur en fonction d’une norme inappropriée (Sadakah, au paragraphe 24).

 

[28]           Pour les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question d’importance générale n’a été présentée par les parties et ce dossier n’en contient aucune.

 

[29]           Compte tenu de la conclusion relativement à cette question en litige, cette Cour n’a pas à statuer sur les autres questions.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est renvoyé pour réexamen par un agent différent. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1965-09

 

INTITULÉ :                                       Bassam Chwah v. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 octobre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Nicole Goulet

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Talitha Nabbali

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nicole Goulet, avocate

Gatineau, Qc

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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