Federal Court |
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Cour fédérale |
Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2009
En présence de madame la juge Snider
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. L’historique
[1] M. Arora Ramesh sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 16 février 2009 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que la mère de M. Ramesh était interdite de territoire au Canada pour motifs sanitaires, et qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales.
[2] À l’origine du présent contrôle judiciaire, il y a eu la demande de parrainage présentée par M. Ramesh, un résident du Canada, pour la venue au Canada en provenance de l’Inde de ses parents. M. Madan Lal Kharbanda, tel qu’il était requis, a déposé une « demande de résidence permanente au Canada », dans laquelle il désignait son épouse, Mme Kamla Rani Kharbanda (la mère de M. Ramesh), comme « membre de la famille ».
[3] Mme Kharbanda a été examinée par un neurologue dans le cadre du processus de demande. Le neurologue a établi comme diagnostic que Mme Kharbanda était atteinte de la maladie de Parkinson. Un médecin agréé a conclu (pour le compte du défendeur) que l’état de santé de Mme Kharbanda risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé. M. Kharbanda a été informé de cet avis médical, et on lui a donné l’occasion de produire des éléments de preuve additionnels. La famille a répliqué en mettant en cause le diagnostic de maladie de Parkinson et en demandant la prise en compte de considérations humanitaires. Dans une décision datée du 30 avril 2007, un agent des visas a informé M. Kharbanda qu’après examen des observations de ce dernier, il avait décidé d’entériner l’avis médical et de rejeter la demande de résidence permanente.
[4] M. Ramesh a interjeté appel de la décision de la SAI. Des observations ont été présentées relativement au diagnostic médical et aux considérations humanitaires et une audience a été tenue. Comme il a déjà été mentionné, la SAI a rejeté l’appel.
II. Les questions en litige
[5] Trois questions sont soulevées dans le cadre de la présente demande.
1. La SAI a-t-elle commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve selon lesquels Mme Kharbanda n’avait pas la maladie de Parkinson?
2. Aux fins de l’évaluation des considérations humanitaires, la Commission a-t-elle omis de prendre en compte la preuve concernant les obligations culturelles du demandeur envers ses parents?
3. La Commission a-t-elle commis une erreur en ne prenant pas en considération la preuve quant au fait qu’il était peu probable que l’état de Mme Kharbanda entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada?
III. Les dispositions législatives applicables
[6] À titre de résident permanent du Canada, M. Ramesh peut parrainer les « membres de la famille » (selon la définition du paragraphe 1(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés D.O.R.S./2002-227 (le Règlement)) pour leur venue au Canada. Toutefois, chaque personne visée par la demande de parrainage doit satisfaire aux conditions d’entrée prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). On a statué que Mme Kharbanda était interdite de territoire au Canada en application du paragraphe 38(1) de la LIPR, qui prévoit ce qui suit : « Emporte […] interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger […] risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé ». Certaines expressions utilisées au paragraphe 38(1) sont définies à l’article 1 du Règlement. Les définitions des expressions « fardeau excessif », « services de santé » et « services sociaux » figurent à l’annexe A des présents motifs.
[7] M. Ramesh pouvait, en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR, interjeter appel devant la SAI de la décision de l’agent des visas. La SAI a un plus large mandat que l’agent des visas. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le paragraphe 67(1) de la LIPR permet à la SAI de faire droit à l’appel sur preuve que la décision attaquée est « erronée en droit, en fait ou en droit et en fait » (alinéa 67(1)a)), ou qu’il y a des motifs d’ordre humanitaire « justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales » (alinéa 67(1)c)). M. Ramesh a présenté des observations à la fois quant au caractère juste de la décision et quant aux motifs d’ordre humanitaire.
IV. L’analyse
[8] J’estime que c’est de manière raisonnable que la SAI a conclu que le diagnostic de maladie de Parkinson n’était pas erroné. Il était raisonnable pour la SAI de préférer la déposition du neurologue du défendeur à celle du médecin de famille et du neurologue de Mme Kharbanda. Les médecins du demandeur étaient d’avis que celle-ci était atteinte de « tremblement essentiel bénin ». Je reconnais que la SAI était saisie d’une preuve documentaire démontrant que le « tremblement essentiel » est une affection pouvant être moins grave que la maladie de Parkinson. Toutefois, bien qu’ils aient eu l’occasion de réfuter directement le diagnostic du neurologue du défendeur, les médecins de Mme Kharbanda ne l’ont pas fait. En l’absence d’une preuve médicale directe (la déposition, par exemple, d’un autre neurologue) où il aurait été déclaré sans équivoque que Mme Kharbanda n’avait pas la maladie de Parkinson, la Commission n’a pas commis d’erreur en préférant la déposition claire et digne de foi du neurologue du défendeur.
[9] De même, je ne suis pas convaincue que la Commission ait évalué erronément les motifs d’ordre humanitaire. La Commission a bel et bien pris en compte les observations du demandeur au sujet de ses obligations culturelles envers ses parents. Après appréciation de l’ensemble de la preuve dont elle était saisie, la SAI a conclu que « les facteurs d’ordre humanitaire [étaient] insuffisants pour justifier la prise de mesures spéciales ». Compte tenu de la retenue judiciaire qu’appelle la décision de la SAI (se reporter, par exemple, à Khosa c. Canada, 2009 CSC 12, 304 D.L.R. (4th) 1, paragraphe 58, et à Vashishat c. Canada, 2008 CF 1346, 337 F.T.R. 283, paragraphe 18), je ne vois aucune raison d’intervenir à l’égard de cette question.
[10] Un autre élément de l’analyse de la SAI, toutefois, m’amène à accueillir la présente demande. Il s’agit de la question de savoir si la SAI a bien pris en compte la preuve liée aux coûts que pourrait devoir engager le système de santé public canadien.
[11] Après avoir conclu dans sa décision que Mme Kharbanda était atteinte de la maladie du Parkinson, le médecin agréé a formulé l’avis suivant :
[traduction]
L’évolution naturelle de cette affection est telle qu’il est raisonnable de s’attendre à une détérioration progressive qui exigera un traitement continu par des spécialistes. Au fur et à mesure de l’évolution de sa maladie, elle aura besoin de plus en plus d’aide pour ses activités quotidiennes, y compris pour l’alimentation, l’hygiène personnelle, l’habillage, pour se mettre au lit et en sortir et pour assurer ses déplacements. Elle aura besoin de soins à domicile et de soutien infirmier à domicile et, au fur et à mesure que son état se détériorera, elle aura probablement besoin de soins en établissement dans un centre de soins infirmiers.
[12] La situation étant ainsi décrite, le médecin agréé a conclu que l’état de santé de Mme Kharbanda [traduction] « risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé ». La SAI semble avoir conclu sur la foi de cette déclaration que Mme Kharbanda constituerait un fardeau excessif pour le système public de soins de santé. Ce n’était toutefois pas là, selon moi, ce qu’a dit le médecin. La plupart des services décrits comme pouvant être requis par Mme Kharbanda semblent de l’ordre de services sociaux plutôt que de l’ordre des services de santé. On peut obtenir dans le secteur privé tant des soins à domicile continus que des soins – éventuellement – dans un centre de soins infirmiers. Bref, l’avis formulé par le médecin agréé était que Mme Kharbanda aura besoin du type de soins qu’on peut vraisemblablement obtenir par voie privée. Or, le demandeur a abordé directement la question en produisant la lettre d’une personne ayant offert de dispenser de tels « soins personnels ». La SAI semble pourtant avoir fait abstraction de cette lettre, et elle a émis des commentaires généraux sur les coûts des soins dispensés aux personnes atteintes de la maladie de Parkinson. Elle n’a procédé à aucune évaluation de la situation particulière éventuelle de Mme Kharbanda et de sa famille.
[13] Dans l’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706, la Cour suprême a conclu (paragraphe 54) que les médecins agréés devaient déterminer le fardeau probable pour les services sociaux, et non pas la simple admissibilité à ces services. En l’espèce tout comme dans Hilewitz, la capacité et la volonté de la famille « de réduire le fardeau […] pour les fonds publics […] sont des éléments pertinents » (Hilewitz, précité, paragraphe 61). Dans l’affaire dont je suis saisie, on n’a procédé à aucune analyse en ce sens. Quoique Mme Kharbanda pourrait avoir besoin de soins à domicile du type de ceux fournis par les services sociaux financés par l’état canadien, sa famille pourrait vraisemblablement ne pas rechercher l’accès à de tels services. La capacité et la volonté de M. Ramesh d’acquitter une partie des coûts des services sociaux requis étaient des éléments pertinents qui, en l’espèce, n’ont pas été pris en compte par la SAI.
[14] Selon le défendeur, Hilewitz est un précédent dont on peut s’écarter dans la présente affaire, car il s’agissait alors de parents d’un enfant ayant une déficience développementale qui avaient pris d’importantes dispositions pour l’obtention des soins requis. Je ne vois pas comment on peut ainsi distinguer les deux affaires. Les soins requis pour l’enfant en cause dans Hilewitz étaient, quant à leur degré et à leur type, d’une grande complexité et comportant de multiples facettes. Les soins envisageables pour Mme Kharbanda dans un avenir prévisible, pour leur part, se résumeraient à des soins à domicile. M. Ramesh a présenté une preuve, sous forme de lettre d’un prestataire de services, affirmant qu’il se procurerait à ses frais de tels soins à domicile.
[15] Je ne dis pas que la SAI aurait dû conclure que l’état de Mme Kharbanda n’entraînerait pas un fardeau excessif pour les services sociaux ou les services de santé du Canada. Il se pourrait bien que les soins de santé soient une importante composante des soins requis, ou que M. Ramesh ne puisse acquitter les frais des soins à domicile nécessaires. Au vu du dossier dont je suis saisie, je ne puis tout simplement pas constater la moindre reconnaissance ou analyse quant au type de soins déclarés être requis par le médecin agréé, ni quant à la capacité de M. Ramesh de « réduire le fardeau […] pour les fonds publics ». Tel qu’il a été statué par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, le caractère raisonnable examiné par la cour de révision tient non seulement à l’issue, mais aussi « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (précité, paragraphe 47). En l’espèce, la décision ne satisfaisait pas à cette norme.
V. Conclusion
[16] Je vais accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Dans les présents motifs, j’ai jugé raisonnable l’avis du médecin agréé selon lequel Mme Kharbanda était atteinte de la maladie de Parkinson. Dans le processus à venir en vue de la prise d’une nouvelle décision, toutefois, je m’attends à ce qu’on fournisse au demandeur l’occasion de présenter une nouvelle preuve médicale quant au caractère raisonnable de ce diagnostic.
[17] Pendant l’audience, j’ai omis de demander aux avocats s’ils souhaitaient proposer la certification d’une question de portée générale. Par conséquent, les parties disposeront d’un délai de sept jours civils à compter de la date des présents motifs du jugement pour informer la Cour s’ils proposent une question en vue de sa certification, puis d’un délai additionnel de sept jours pour répondre à toute question proposée.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAI est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.
2. Les parties disposeront d’un délai de sept jours à compter de la date des présents motifs du jugement pour proposer une question de portée générale en vue de sa certification, puis d’un délai additionnel de sept jours pour répondre à toute question proposée.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1290-09
INTITULÉ : RAMESH ARORA c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 30 septembre 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 13 octobre 2009
COMPARUTIONS :
Dov Maierovitz
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POUR LE DEMANDEUR |
Ladan Shahrooz |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gertler, Etienne LLP Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |