Cour fédérale
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Federal Court
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Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2009
En présence de monsieur le juge Boivin
ENTRE :
et
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit d’une requête déposée par le demandeur en vertu de l’article 51(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 pour interjeter appel de la décision rendue à l’issue du réexamen par la protonotaire Tabib le 1er mai 2009.
[2] Le demandeur avait déposé une requête en date du 16 mars 2009 aux termes du paragraphe 397(1) demandant le réexamen de l’ordonnance délivrée par la protonotaire Tabib en date du 10 mars 2009, qui a été rejetée le 1er mai 2009.
Contexte factuel
[3] Le demandeur a commencé à travailler pour le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) en novembre 2001 à titre d’agent de recherche au sein du groupe d’optique; son superviseur était le Dr Chander Grover. Le 17 juillet 2004, le demandeur a été congédié par le CNRC.
[4] Le 13 août 2004, le demandeur a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) à l’encontre du CNRC (plainte no 20041119) (qui fait l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans le dossier de la Cour T-137-08). En octobre 2004, le demandeur a également déposé une plainte devant la CCDP visant personnellement le défendeur (plainte no 20041427) (qui fait l’objet de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire).
[5] Le 21 décembre 2007, aux termes du sous-alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C,, 1985, c. H-6, la CCDP a rejeté la plainte au motif que les éléments de preuve n’appuyaient pas l’allégation du demandeur selon laquelle le défendeur l’a harcelé en raison de son origine nationale. Le demandeur a soumis une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision le 24 janvier 2008, ce qui a donné lieu à la présente demande.
[6] L’affidavit du demandeur assermenté le 23 juin 2008 ne comprenait pas le rapport de l’enquêteur de la CCDP dans le cadre de la plainte no 20041427 ni la décision de la CCDP faisant l’objet du contrôle.
[7] Le mémoire des faits et du droit du demandeur daté du 16 octobre 2008 faisait amplement référence au rapport d’enquête no 20041427, mais le rapport de l’enquêteur a été omis du dossier de demande.
[8] Dans une ordonnance délivrée le 1er décembre 2008, la Cour a autorisé le demandeur à inclure le rapport d’enquête no 20041427 de la CCDP dans son dossier de demande; le 15 décembre 2008, le demandeur a déposé ce dossier de demande, qui comprenait le rapport d’enquête no 20041427.
[9] Dans son mémoire des faits et du droit déposé le 2 février 2009, le défendeur a fait valoir que de nombreuses déclarations et allégations dans le mémoire des faits et du droit du demandeur daté du 16 octobre 2008 n’étaient pas appuyées par les éléments de preuve au dossier.
[10] Le 12 février 2009, le demandeur a déposé un dossier de requête sollicitant l’autorisation de déposer devant la Cour des éléments de preuve tirés d’autres procédures, dont une procédure portant sur une plainte d’un autre employé du CNRC à l’encontre du défendeur, ainsi qu’une référence au rapport d’enquête no 20041119 de la CCDP figurant dans la requête et concernant une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne déposée par le demandeur à l’encontre de son employeur, le CNRC; toutefois, les éléments de preuve supplémentaires proposés n’ont pas été inclus ou expliqués dans le bref dossier de requête.
[11] Le 10 mars 2009, la protonotaire Tabib a rejeté la requête, indiquant que le rapport de la CCDP invoqué figurait déjà dans le dossier de demande du demandeur. La protonotaire Tabib a également refusé la requête du demandeur sollicitant l’autorisation de déposer des nouveaux éléments de preuve pour les motifs suivants :
Pour que cette requête soit accueillie, le demandeur doit convaincre la Cour que les éléments de preuve qu’il compte produire n’étaient pas disponibles auparavant, pourraient aider la Cour à trancher les questions dont elle est saisie, serviraient l’intérêt de la justice et ne causerait pas de préjudice au défendeur. Aucun de ces facteurs n’est abordé ni même établi dans le dossier de requête du demandeur. La requête du demandeur est donc rejetée.
[12] Le demandeur a déposé une requête en réexamen, faisant valoir que la protonotaire a commis une erreur en interprétant mal les documents qu’il désirait ajouter au dossier. Le demandeur cherchait à ajouter le dossier d’enquête no 20041119 de la CCDP, qui se rapportait à sa plainte à l’encontre du CNRC (dossier de la Cour T-137-08), et non le dossier d’enquête no 20041427 de la CCDP, qui concernait la décision faisant l’objet du contrôle dans la présente demande et qui figurait déjà au dossier. Le demandeur a également cherché à inclure de nouveaux éléments de preuve dans la requête en réexamen afin d’expliquer pourquoi sa requête initiale était déficiente.
[13] Le 1er mai 2009, le protonotaire Tabib a rejeté la requête en réexamen du demandeur. La protonotaire Tabib reconnaît qu’elle a mal interprété la référence du demandeur au rapport de la CCDP, mais après avoir examiné de nouveau l’affaire, elle a conclu que cela n’avait pas influé sur les résultats.
Thèses des parties
[14] Le demandeur soutient que puisque les questions soulevées sont déterminantes pour l’issue du présent litige et que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par la protonotaire Tabib était fondé sur une mauvaise appréciation des faits, le critère justifiant un examen de novo de la décision d’un protonotaire dans cet appel est satisfait (Canada c. Aqua-Gem Investment Ltd., [1993] 2 CF 425, 149 N.R. 273 (C.A.F.) (Aqua-Gem Investments Ltd.), conf. par Z.I. Pompey Industrie c. EDU-Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 SRCS 450 (Z.I. Pompey); Merck & Co. c. Apotex Inc. 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459, au paragraphe 19).
[15] Le demandeur ajoute qu’il devrait être autorisé à soumettre un affidavit complémentaire en vertu de l’article 312, puisqu’il satisfait aux exigences établies dans Larson-Radok v. Canada (M.N.R.), 2000 D.T.C. 6322, 97 A.C.W.S. (3d) 23.
[16] Le défendeur fait valoir que l’article 397(1) permet de corriger certaines erreurs commises par la Cour, mais qu’il ne vise pas à remédier à une erreur commise par une partie qui omet de porter une affaire à l’attention de la Cour (Dupont Canada Inc. c. Canada, 2002 CAF 307, 293 N.R. 178, au paragraphe 10; Abbud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 223, 155 A.C.W.S. (3d) 939, au paragraphe 10).
[17] Le défendeur soutient que l’inclusion des documents lui causerait un préjudice important puisqu’il pourrait entraîner une reprise du processus de demande depuis le début, ce qui nécessiterait de nouveaux affidavits et un nouvel exposé des arguments, et ainsi de suite. Le demandeur n’a soumis cette série de requêtes pour déposer de nouveaux éléments de preuve qu’après que des erreurs potentielles dans son dossier aient été décelées dans le mémoire des faits et du droit du défendeur.
Analyse
[18] Le pouvoir discrétionnaire de la Cour de permettre le dépôt de documents additionnels devrait être exercé avec une grande circonspection. Une liste des facteurs est fournie dans la décision Deigan c. Canada (Industrie), (1999), 168 F.T.R. 277, [1999] A.C.F. no 304 (QL) (prot.), au paragraphe 3, conf. par (1999), 165 F.T.R. 121, 88 A.C.W.S. (3d) 288 (T.D.) :
Les nouvelles Règles de la Cour fédérale permettent le dépôt d’un affidavit et d’un dossier supplémentaires; cependant, cela ne doit être permis que dans un nombre restreint de cas et dans des circonstances exceptionnelles : en faisant autrement, on violerait l’esprit de l’instance de contrôle judiciaire, qui a été conçue en vue d’accorder rapidement une réparation par l’entremise d’une procédure sommaire. Bien que le critère général applicable au dépôt de tels documents supplémentaires soit de savoir si le fait de déposer de tels documents sera dans l’intérêt de la justice, aidera la Cour, et ne causera pas de préjudice grave à la partie adverse, il importe aussi que les affidavits complémentaires ne traitent pas d’une preuve qui aurait pu être présentée avant et qu’ils ne retardent pas indûment les procédures.
[19] Le critère déterminant la norme de contrôle à appliquer aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires a été établi par la Cour d’appel fédérale dans la décision Aqua-Gem Investments Ltd., précitée. Ce critère a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans la décision Z.I. Pompey, précitée, et a été a ensuite été reformulé dans les termes suivants par la Cour d’appel fédérale dans la décision Merck Co. c. Apotex Inc., précitée, au paragraphe 19 :
Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.
[20] Après examen des éléments de preuve, la Cour estime que les questions soulevées dans la requête n’ont pas une influence déterminante sur les issues finales. Dans son ordonnance datée du 1er mai 2009, la protonotaire Tabib a souligné que lorsque le demandeur a déposé son affidavit initial, il était au fait de l’existence du rapport qu’il cherche maintenant à déposer au motif qu’il considère ce rapport comme pertinent. En outre, elle n’était pas convaincue de la pertinente et de l’utilité alléguées du document dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire. La protonotaire Tabib estimait également que la demande du demandeur n’était pas dans l’intérêt de la justice.
[21] La Cour n’est pas convaincue que le rapport d’enquête no 20041119 de la CCDP, qui porte sur une autre plainte devant la CCDP, devrait être inclus dans la demande de contrôle judiciaire portant sur le rapport d’enquête n‑ 20041427 de la CCDP.
[22] En outre, les explications et les arguments du demandeur n’ont pas convaincu la Cour relativement à la question à savoir pourquoi les documents n’ont pas été introduits plus tôt et comment le dépôt de ces documents sera dans l’intérêt de la justice, aidera la Cour, et ne causera pas de préjudice grave à la partie adverse à ce stade de la procédure (Mazhero c. Canada (Conseil canadien des relations industrielles), 2002 CAF 295, 292 N.R. 187, au paragraphe 5).
[23] La Cour ne trouve aucun motif pour conclure que l’ordonnance de la protonotaire Tabib était manifestement erronée ou fondée sur une mauvaise appréciation des faits dans l’affaire qui nous occupe.
[24] La requête du demandeur est rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la requête du demandeur soit rejetée avec dépens. Les dépens, sous la forme d’un montant forfaitaire de 500 $, doivent être payés au défendeur dans les 20 jours suivant la date de la présente ordonnance.
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-136-08
INTITULÉ : YURI BOIKO c. CHANDER P. GROVER
LIEU DE L’AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 22 SEPTEMBRE 2009
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE BOIVIN
DATE DES MOTIFS : LE 24 SEPTEMBRE 2009
COMPARUTIONS :
Yuri Boiko
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Paul Champ
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pour son propre compte
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Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.
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