Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2009
En présence de l’honorable Louis S. Tannenbaum
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que le demandeur, M. Guang Yuan Han, n’était pas un réfugié ni une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).
Le contexte factuel
[2] Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine. Il est marié et a deux enfants. Après la naissance de son deuxième enfant en 2005, le demandeur a remarqué que son épouse semblait avoir changé : elle était impatiente et colérique, et elle quittait fréquemment le domicile familial. Par conséquent, le demandeur et son épouse se querellaient souvent.
[3] Le demandeur a raconté les tensions qu’il y avait dans son mariage à son ami, Yong Gang Li. Celui‑ci lui a offert de l’espoir sous la forme d’enseignements chrétiens au sujet de Dieu et de Jésus‑Christ, et il lui a aussi expliqué le rôle que la prière pourrait jouer dans sa vie. Le demandeur a commencé à prier quotidiennement pour sa femme et pour lui‑même. Il a rencontré Yong Gang Li à deux autres reprises au cours des quelques mois qui ont suivi et a continué à faire sa prière journalière. Il a remarqué un changement dans sa capacité de réagir à la situation de son foyer, de même que certains changements positifs chez son épouse. À partir du dernier dimanche d’octobre 2005, Guang Yuan Han a commencé à fréquenter une maison‑église clandestine.
[4] L’église avait dix membres, dont le demandeur. Les offices religieux avaient lieu dans les résidences de quelques‑uns des membres. Deux membres agissaient à titre de guetteurs, et on avait indiqué au demandeur les itinéraires pour fuir en cas de descente. Les membres se réunissaient pour étudier la Bible et prier, et le tout se terminait par une annonce quant au lieu et au moment où aurait lieu le prochain office. Il arrivait qu’un pasteur se présente pour procéder aux baptêmes et à la Sainte Communion. Le demandeur fut baptisé le premier dimanche de mai 2006. Guang Yuan Han a parlé à quelques personnes de confiance de sa nouvelle religion. Il en a parlé pour la première fois à son épouse en février 2006.
[5] Le 29 octobre 2006, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a effectué une descente à l’église clandestine où était le demandeur. Celui‑ci a réussi à s’enfuir à pied et a pris deux taxis distincts pour se rendre chez un ami, où il s’est caché. Quelques jours plus tard, le 1er novembre 2006, le demandeur a appris que trois membres, y compris l’hôte de l’office religieux, avaient été appréhendés par le BSP. Lors de l’audience relative au statut de réfugié, le demandeur a fait remarquer que l’hôte avait été condamné à trois ans d’emprisonnement, et que les deux autres ont tous les deux été condamnés à deux ans et demi.
[6] Le 31 octobre 2006, le demandeur a appris que le BSP s’était rendu chez lui dans le but de l’arrêter. Ils ont fouillé la maison et informé son épouse qu’il était recherché pour avoir violé des règlements relatifs à la religion et troublé l’ordre social. Depuis ce temps, le BSP est retourné chez lui à plusieurs reprises; le 26 décembre 2006, ils ont montré à l’épouse du demandeur le mandat d’arrestation qui avait été délivré à l’encontre de celui‑ci.
[7] Le 5 novembre 2006, le demandeur a obtenu un faux passeport. Il est arrivé au Canada le 8 décembre 2006 et a présenté une demande d’asile le 11 décembre 2006. Le 17 décembre 2006, il s’est rendu pour la première fois à la Toronto Evangelical Holystone Church of America; il la fréquente et y fait du bénévolat chaque semaine depuis lors.
La décision contestée
[8] L’audience relative au statut de réfugié du demandeur s’est tenue le 3 octobre 2008. Trois commissaires – Stephen Rudin (président de l’audience), Walter Kawun, et Cynthia Summers – ont conclu à l’unanimité que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96 de la LIPR ni une personne à protéger au sens des alinéas 97(1)a) ou b) de la LIPR.
[9] La Commission a considéré que la question déterminante était de savoir si, « compte tenu de son appartenance à une église chrétienne clandestine, le demandeur d’asile sera victime de persécution et sera arrêté et emprisonné par les autorités s’il retourne en Chine » (décision de la Commission, à la page 3). Le tribunal a conclu que, bien que le demandeur ait établi qu’il était un chrétien pratiquant, tant en Chine qu’au Canada, il ne s’était pas libéré du fardeau de démontrer « l’existence d’une possibilité sérieuse d’être persécuté s’il retournait en Chine » (décision de la Commission, à la page 3).
[10] La Commission a tiré plusieurs conclusions de fait, lesquelles ont abouti au rejet de la demande d’asile du demandeur. Premièrement, la Commission a fait remarquer l’absence de preuve documentaire, à l’appui du témoignage du demandeur, selon laquelle le BSP avait délivré un mandat d’arrestation contre lui; elle a cependant conclu que le demandeur ne courait pas le risque d’être arrêté et emprisonné (décision de la Commission, à la page 4). Deuxièmement, la Commission a fait référence à de la preuve documentaire mentionnant que les descentes du BSP visaient en particulier les églises en pleine croissance, et non pas les réunions de prière et les groupes d’étude de la Bible entre parents et amis dans les maisons privées. La Commission a conclu qu’une petite maison‑église n’attirait pas l’attention des autorités et qu’il n’y avait pas eu de descente à l’église (décision de la Commission, à la page 5). Troisièmement, la Commission a conclu que, bien que quelques rapports laissent entendre que les églises « patriotiques » ou « enregistrées » en Chine étaient l’objet d’interférence dans les décisions doctrinales et étaient obligées de placer le Parti communiste chinois devant Dieu, il n’y avait eu aucune vérification directe de ces rapports. La Commission a toutefois conclu que le demandeur serait en mesure de pratiquer sa religion dans une église enregistrée s’il était renvoyé en Chine (décision de la Commission, à la page 6).
[11] Le tribunal a conclu en reconnaissant « qu’il y a des chrétiens qui sont persécutés en République populaire de Chine; il comprend la crainte subjective de persécution du demandeur d’asile. Toutefois, dans la situation particulière du demandeur d’asile, la preuve documentaire n’étaye pas l’existence d’une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté du fait de ses croyances religieuses. Le tribunal accorde plus de valeur à la preuve documentaire qu’au témoignage du demandeur d’asile, étant donné que les éléments de preuve documentaire ont été recueillis auprès de diverses sources qui n’ont aucun intérêt personnel quant au résultat de l’audience » (décision de la Commission, à la page 6).
La question en litige
[12] Bien que chaque partie relève différentes conclusions factuelles précises de la décision de la Commission, de façon générale, la seule question soulevée par le demandeur et le défendeur est de savoir si la décision de la Commission est raisonnable.
[13] Les conclusions de fait, y compris les conclusions quant à la crédibilité, sont assujetties à la norme de contrôle de la raisonnabilité. La Cour ne modifiera pas les conclusions de la Commission, à moins qu’elles aient été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Commission disposait (Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d); Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46). Pour être raisonnable, une décision doit être justifiée, transparente et intelligible, et appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).
La position du demandeur
[14] Le demandeur fait valoir que la Commission a fait abstraction des éléments de preuve qui appuyaient sa position. Plus particulièrement, le demandeur soutient qu’il y avait de la preuve documentaire dans le dossier qui signalait que les membres des maison‑églises, et non seulement les pasteurs ou les membres des églises en pleine croissance, étaient aussi arrêtés, détenus et battus. Le demandeur souligne également que la Commission a par erreur fait remarquer qu’il était du Heilongjiang et qu’elle a fondé ses conclusions sur les rapports provenant de cette région. Toutefois, bien que le demandeur soit né dans le Heilongjiang, les faits qu’il décrit se sont produits à Tianjing. Le demandeur fait valoir que l’analyse de la Commission est erronée, puisqu’elle a fait référence à des informations provenant de la mauvaise province.
[15] Le demandeur fait aussi référence à des renseignements différents au sujet du mandat d’arrestation qui a été montré à son épouse. Il affirme que, bien que les autorités laissent parfois une copie d’un mandat d’arrestation aux membres de la famille de la personne visée, ce n’est pas nécessairement la pratique courante. En fait, la preuve documentaire signalait des différences importantes selon les régions.
[16] Le demandeur fait également valoir que la conclusion de la Commission selon laquelle il pouvait pratiquer sa religion dans une église enregistrée est déraisonnable. Le demandeur fait référence à des éléments de preuve qui indiquent que les pasteurs dans les églises enregistrées doivent subir des [traduction] « tests de fiabilité politique », ce qui implique que les pasteurs doivent adhérer aux politiques du gouvernement dans leur prédication. Le demandeur conclut que le fait de mélanger la doctrine du Parti communiste avec la foi chrétienne est inacceptable et ne constitue pas la liberté de religion.
La position du défendeur
[17] Le défendeur soutient, de façon générale, que la Commission a effectué un important examen de la preuve documentaire. Le défendeur fait remarquer que, dans l’arrêt Khosa, la Cour suprême du Canada a observé qu’il était inacceptable pour une cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Khosa, précité, au paragraphe 61). Le défendeur fait en outre valoir que la Commission a raisonnablement conclu que la preuve du demandeur au sujet de la probabilité de persécution et des circonstances entourant le mandat d’arrestation ainsi que la référence de la Commission à la mauvaise province n’étaient pas pertinentes à l’égard de l’issue.
[18] Le défendeur ajoute que la Commission pouvait raisonnablement exiger des éléments de preuve additionnels à l’appui du témoignage du demandeur, dès que sa crédibilité était remise en question, et il défend la proposition de la Commission selon laquelle faire ses dévotions dans une des églises enregistrées n’équivalait pas à de la persécution à l’égard du demandeur. Le défendeur maintient que la norme invoquée par le demandeur pour mesurer la liberté de religion est inapplicable, puisque la Charte canadienne des droits et libertés ne régit pas la situation en Chine.
Analyse
[19] Certaines des questions soulevées par les parties sont, je crois, sans conséquence. Par exemple, la référence au Heilongjiang plutôt qu’à Tianjing n’est pas pertinente, en particulier du fait que nul ne conteste que la persécution de chrétiens soit pire à Tianjing. Toutefois, le traitement par la Commission de la question éternellement difficile de la crédibilité m’amène à conclure à contrecœur que la décision de la Commission n’avait pas de fondement raisonnable et qu’elle est donc susceptible de contrôle.
[20] Premièrement, bien que la Commission n’ait jamais tiré explicitement de conclusion quant à la crédibilité, une appréciation défavorable de la crédibilité du demandeur sous‑tend l’ensemble de ses conclusions factuelles essentielles. Il existe une présomption que le témoignage d’un demandeur d’asile est véridique à moins qu’il y ait un motif d’en douter (Maldonado c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.)). En outre, la Commission doit donner des motifs lorsqu’elle préfère la preuve documentaire au témoignage d’un demandeur (Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 411 (C.A.)); elle doit aussi clairement le déclarer lorsqu’elle conclut qu’un demandeur n’est pas crédible, et fournir les motifs à cet égard (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (C.A.)).
[21] En l’espèce, la Commission n’a jamais expressément déclaré qu’elle concluait que le témoignage du demandeur n’était pas crédible, mais elle rejette son récit de la descente à la maison‑église, l’existence d’un mandat d’arrestation contre lui et son témoignage selon lequel trois autres membres ont été condamnés à une peine d’emprisonnement pour leur appartenance à la maison‑église et/ou leur participation à ses activités. Le motif invoqué par la Commission pour rejeter le témoignage du demandeur est qu’elle préfère la preuve documentaire, puisque ses sources n’ont « aucun intérêt personnel quant au résultat de l’audience » (décision de la Commission, à la page 6). Bien qu’il s’agisse d’un supposé « motif » pour rejeter le témoignage du demandeur, c’en est un que la Cour a à maintes reprises considéré comme constituant une erreur susceptible de contrôle. Comme l’a souligné la juge Snider dans la décision Coitinho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 FC 1037, cela « revient à dire qu’on devrait toujours privilégier la preuve documentaire aux dépens de la preuve présentée par le demandeur d’asile parce que ce dernier a un intérêt dans l’issue de l’audience. Si on l’acceptait, ce raisonnement aurait pour effet de toujours écarter la preuve soumise par un demandeur d’asile » (au paragraphe 7) (voir aussi Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1336, aux paragraphes 54 à 59).
[22] Deuxièmement, la Cour d’appel fédérale a à plusieurs reprises décidé que la crainte d’un demandeur d’asile d’être persécuté devait avoir un fondement subjectif et objectif (p. ex., Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] A.C.F. no 601). Lorsque la Commission estime qu’un demandeur n’est pas crédible, il s’ensuit naturellement que sa demande est rejetée sur la base de l’absence de crainte subjective de persécution (à moins qu’il y ait un fondement objectif à la crainte, dans quel cas un demandeur particulièrement brave ou téméraire ne sera pas puni du fait de l’absence de crainte subjective (Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 1049 (C.A.)). En l’espèce, la Commission n’a pas spécifiquement fait mention de la crainte objective de persécution, mais elle l’a implicitement rejetée comme non fondée. En ce qui concerne la crainte subjective, toutefois, la Commission la reconnaît et la « comprend » (décision de la Commission, à la page 6). Un tel résultat est extrêmement bizarre, étant donné la conclusion (encore une fois implicite) de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas de crédibilité.
Conclusion
[23] Les conclusions quant à la crédibilité, en particulier lorsqu’elles sont déterminantes à l’égard de l’issue, comme elles l’étaient en l’espèce, doivent être formulées explicitement. Les conclusions de la Commission à cet égard manquaient de transparence et, de ce fait, remettent en question le caractère raisonnable de la décision en entier. En outre, la Commission était pleinement justifiée de s’appuyer sur la preuve documentaire qui lui avait été fournie, mais la Cour a précisément donné l’avertissement qu’il ne fallait pas rejeter la preuve des demandeurs d’asile sur le fondement que d’autres éléments de preuve lui sont préférés du fait qu’ils proviennent de sources désintéressées. Agir ainsi constitue une erreur susceptible de révision.
[24] J’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire et renverrai l’affaire à la Commission pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée en vue de la certification et aucune n’est certifiée.
« Louis S. Tannenbaum »
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Juriste-traducteur
JURISPRUDENCE CONSULTÉE PAR LA COUR
1. Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F.)
2. R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (C.S.C.)
3. Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47 (CanLII)
4. Zhu c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 1066
5. Song c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 1321
6. Muthiyansa c. Canada (M.C.I.), 2001 CFPI 17
7. Dundar c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 1026
8. Amarapala c. Canada (M.C.I.), 2004 CF 12
9. Irripugge c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 29
10. Fosu c. Canada (M.E.I.) (1994), 90 F.T.R. 182
11. Bin c. Canada (M.C.I.), 2001 CFPI 1246
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-440-09
INTITULÉ : GUANG YUAN HAN c. M.C.I.
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 16 JUILLET 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : L’HONORABLE LOUIS S. TANNENBAUM
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : LE 1er OCTOBRE 2009
COMPARUTIONS :
Hart A. Kaminker
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POUR LE DEMANDEUR |
Manuel Mendelzon
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hart A. Kaminker Avocat
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |