Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2009
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
demandeur
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
(corrections concernant 3 erreurs typographiques - la, faux et Lit)
I. Au préalable
[1] Quelles sont les limites de la Cour fédérale au niveau de ses opinions face à l’évaluation de la crédibilité formulée par un tribunal de première instance? Comme réitéré par le juge Yves de Montigny dans A.M. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 579, 139 A.C.W.S. (3d) 153 :
[17] La Commission a relevé un certain nombre d'invraisemblances et de contradictions dans la preuve présentée par la demanderesse et en a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité. L'avocat de la demanderesse a tenté de présenter à la Cour les mêmes arguments qui avaient été auparavant soumis à la Commission et il lui a demandé essentiellement de réévaluer la preuve de manière à en tirer une conclusion différente. Il est cependant bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits à celle de la Commission, qui voit et entend les témoins et qui a également les connaissances spécialisées pour évaluer la preuve ayant trait aux faits qui relèvent de son champ d'expertise (Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F.)). Comme l'a dit ma collègue la juge Snider dans Sinan c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 188 :
Les demandeurs ont avancé d'autres explications possibles quant à plusieurs des conclusions de la Commission. Lorsque la norme de contrôle est, comme en l'espèce, celle du caractère manifestement déraisonnable, il ne suffit pas de présenter un autre raisonnement - même dans le cas où il peut s'agir d'une explication raisonnable Ce que les demandeurs doivent faire, c'est souligner une conclusion de la Commission qui n'est aucunement étayée par la preuve. Les demandeurs ne m'ont pas convaincu que l'une ou l'autre des conclusions les plus importantes étaient manifestement déraisonnables. Je ne peux conclure que la décision dans son ensemble était manifestement déraisonnable.
II. Nature de la procédure judiciaire
[2] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 16 février 2009, selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR).
III. Faits
[3] Le demandeur, monsieur Shiwinder Singh, est un joueur de Kabbadi, un sport populaire en Inde. Les documents déposés démontrent qu’il est un très bon joueur de ce sport, car, pour les derniers quatre ans, il jouait avec une équipe en Inde. Son habilité a été reconnue et il a été envoyé deux fois au Royaume-Uni pour participer dans des tournois. En 2006, il a été sélectionné pour venir au Canada pour participer à des tournois. Comme pour les autres joueurs, un visa lui a été accordé et il est arrivé au Canada le 12 mai 2006. Au Canada, monsieur Shiwinder Singh a joué quelques matchs de Kabbadi, mais sa performance n’était pas à la hauteur. Lorsque les organisateurs du tour l’ont prévenu qu’il serait renvoyé en Inde, monsieur Shiwinder Singh a voyagé de Toronto à Montréal où il a réclamé le statut de réfugié.
[4] Sa demande d’asile est fondée sur le harcèlement de sa famille et l’emprisonnement dont il prétend avoir été victime en Inde. Au contraire, c’est l’histoire de son frère qui est à l’origine des troubles allégués. Monsieur Shiwinder Singh allègue que son frère a été arrêté par la police en septembre 2005, car on le soupçonnait d’avoir des liens avec des militants. Selon monsieur Shiwinder Singh, il a rencontré un avocat le 6 mars 2006 pour faire libérer son frère, qui est toujours détenu, puisque la Cour a refusé de le libérer sous cautionnement. Le 9 mars 2006, la police a procédé à l’arrestation de monsieur Shiwinder Singh. On l’accuse d’avoir des liens avec des militants et de faire de fausses plaintes contre la police. On le détient deux jours durant lesquels monsieur Shiwinder Singh allègue qu’il aurait été battu et torturé.
IV. La décision faisant l’objet de la demande
[5] La décision de la Commission est fondée sur l’absence de crédibilité de monsieur Shiwinder Singh. Pour tirer cette conclusion, la Commission s’est appuyée sur des contradictions et invraisemblances relevées dans la preuve testimoniale et documentaire dont elle a fait une analyse. Les conclusions tirées par la Commission, qui sont pertinentes à cette application, sont les suivants :
a. Le demandeur allègue que son frère est emprisonné parce qu’on le soupçonne d’avoir des liens avec des militants, mais la pièce R-5, déposée par monsieur Shiwinder Singh, est une copie d’un procès qui expose que son frère a été arrêté pour avoir été en possession d’une arme à feu et pour avoir participé à un vol à main armée. L’allégation de monsieur Shiwinder Singh, que sa famille a conduit son frère au poste de police, est contredite par la pièce R-5 qui démontre que c’était la police qui l’a arrêté. La Commission n’a pas cru que, lors de son arrestation, monsieur Shiwinder Singh aurait été mis à nu, battu et torturé par la police car il n’en fait pas mention pendant sa demande d’asile.
b. Finalement, la Commission a trouvé que monsieur Shiwinder Singh a été incapable de donner à la Commission la date de son arrestation; il disait que c’était en février 2005, en mars, en février 2006, et enfin en mars 2006.
V. Question en litige
[6] La Commission a-t-elle erré en concluant que le demandeur n’était pas crédible?
VI. Norme de contrôle
[7] Les questions de crédibilité sont des questions de fait qui requièrent une déférence dictée par la norme de la décision raisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.) au par. 4; A.M., ci-dessus, au par. 14).
VII. Analyse
Contradiction entre les documents et le témoignage du demandeur
[8] La pièce R-4 est un arrêt d’une cour de l’Inde. Il mentionne le cas d’un vol à main armée commis par certaines personnes dont le frère de monsieur Shiwinder Singh était un des voleurs. Selon l’arrêt, le vol à main armée s’est déroulé le 1er septembre 2005. Le frère de monsieur Shiwinder Singh a été identifié comme l’un des voleurs même s’il s’est échappé avant d’être arrêté avec les autres voleurs (Dossier certifié aux pp. 255 à 256).
[9] La pièce R-5 est un autre arrêt d’une cour de l’Inde. Cet arrêt mentionne que la police a arrêté le frère de monsieur Shiwinder Singh, le 5 septembre 2005, soit quelques jours après le vol à main armée, pour avoir été en possession d’un pistolet et de cartouches, en violation de la Loi sur les armes (Dossier certifié à la p. 265).
[10] Monsieur Shiwinder Singh accuse la Commission de ne pas comprendre que les accusations contenues dans les pièces R-4 et R-5 sont fausses. Selon son affidavit et témoignage, il a prétendu que la police a porté de fausses accusations contre son frère parce que son frère était un travailleur social qui a critiqué la police, les autorités, et, également, que son frère était associé avec des militants.
[11] La Commission n’a pas cru que ce sont des fausses accusations faites par la police parce qu’il y avait des témoins qui connaissaient son frère et l’ont reconnu comme étant un des agresseurs. Monsieur Shiwinder Singh n’a offert aucune preuve à l’effet que les accusations et convictions de son frère étaient fausses. La Commission pouvait tenir compte de l’absence de corroboration d’éléments fondamentaux de la revendication et de l’absence d’explication satisfaisante du demandeur relativement au défaut de produire ces documents (A.M., ci-dessus, aux par. 19 à 20; Amarapala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 12, 128 A.C.W.S. (3d) 358 au par. 10.)
[12] Comme la Commission était justifiée d’apprécier la crédibilité de monsieur Shiwinder Singh en s’appuyant sur des critères tels la rationalité et le sens commun (Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (QL) (C.A.F.)), il était raisonnable de tirer la conclusion de non-crédibilité du fait que les documents déposés par monsieur Shiwinder Singh contredisent son témoignage. En espèce, par exemple, l’allégation de monsieur Shiwinder Singh que c’était sa famille qui a conduit son frère au poste de police est contredite par la pièce R-5, qui démontre plutôt que c’était la police qui l’a arrêté. L’appréciation de l’authenticité et de la valeur probante des documents produits par un demandeur d’asile fait partie intégrante du pouvoir d’appréciation des éléments de preuve qui est conféré par le législateur au tribunal spécialisé qui est la Commission (Mahendran c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 134 N.R. 316, 14 Imm. L.R. (2d) 30 (C.A.F.)). Compte tenu de la preuve documentaire laquelle consiste des arrêts de la cour en Inde, il était loisible à la Commission d’apprécier la valeur probante de ces documents et de donner plus de poids à ces documents qu’au témoignage contradictoire de monsieur Shiwinder Singh.
[13] Il est vrai que la Commission a erronément interchangé les pièces R-4 et R-5 dans sa décision, au paragraphe 7, où il y a eu mention que la pièce R-5 a démontre que le frère de monsieur Shiwinder Singh a été arrêté pour avoir participé à un vol à main armée. C’est la pièce R-4, et non pas la pièce R-5, qui démontre que le frère de monsieur Shiwinder Singh a été arrêté pour avoir été en possession d’une arme à feu; donc, même s’il était arrêté pour la possession d’une arme feu, il a aussi été condamné pour le vol à main armée. Lu dans son intégrité et dans son contexte, il est clair que la Commission connaissait la différence entre les deux documents et que cette ereur n’a pas d’incidence sur les conclusions de crédibilité ou de fait. Les deux documents, individuellement ou en combinaison, contredisent les allégations de monsieur Shiwinder Singh quant à l’histoire de son frère.
[14] Comme les conclusions de la crédibilité de monsieur Shiwinder Singh, quant à l’histoire de son frère, peuvent aussi s’étendre à tous les éléments de preuve liés à son témoignage (Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238, 21 A.C.W.S. (3d) 1350 (C.A.F.)), il était loisible pour la Commission de mettre en doute les raisons données pour justifier la détention de monsieur Shiwinder Singh par la police.
Omission de faire mention qu’il fût victime de torture
[15] De l’entrevue avec un agent d’immigration, le 27 juin 2008, les notes révèlent que monsieur Shiwinder Singh n’a pas mentionné avoir été mis à nu et torturé. En même temps, monsieur Shiwinder Singh a mentionné avoir été torturé dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) (Dossier certifié à la p. 21) qui a été complété avant l’entrevue avec l’agent d’immigration. Au cours de l’audience devant la Commission, monsieur Shiwinder Singh a été confronté concernant cette omission. La Commission a apprécié les explications de monsieur Shiwinder Singh selon lesquelles il était instruit de répondre seulement aux questions demandées et que l’agent d’immigration ne lui a pas laissé le temps de raconter toute son histoire.
[16] Dans l’arrêt Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 82 A.C.W.S. (3d) 142, [1998] A.C.F. no 1144 (QL) (C.F.), la Cour a reconnu qu’un demandeur peut omettre certains faits mineurs de son FRP, mais les incidents significatifs qui sont au nœud d’une revendication doivent y être mentionnés (également, Munwar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1351, 134 A.C.W.S. (3d) 301 aux par. 17 à 19). Sur l’étude de la preuve par cette Cour, il est clair que l’agent d’immigration a explicitement demandé à monsieur Shiwinder Singh s’il était victime de violence en Inde; auquel question il a répondu dans la négative (Dossier certifié aux pp. 208 et 209). Le seul fait de mentionner sur un FRP qu’on a été battu et torturé par la police n’est pas suffisant en soi-même pour le démontrer sans éléments spécifiques à son égard. En espèce, monsieur Shiwinder Singh n’a pas produit de preuve à l’égard de son hospitalisation après les tortures alléguées et il a dit à l’agent d’immigration qu’il n’était pas victime de violence en Inde. Il appartient à la Commission, à titre de tribunal spécialisé, d’apprécier le témoignage du demandeur d’asile et d’évaluer la crédibilité de ses affirmations dans le contexte de l’ensemble de la preuve (Aguebor, ci-dessus); donc, il était loisible pour la Commission de tirer une conclusion de non-crédibilité à l’égard de l’omission de monsieur Shiwinder Singh de mentionner des allégations de torture dans son entrevue avec l’agent d’immigration.
VII. Conclusion
[17] La Commission a raisonnablement interprété les documents déposés par monsieur Shiwinder Singh; donc, les conclusions de la Commission concernant sa crédibilité étaient, en fait et en droit, raisonnables.
[18] Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;
2. Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1182-09
INTITULÉ : SHIWINDER SINGH
c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 26 août 2009
DATE DES MOTIFS : le 10 septembre 2009
COMPARUTIONS :
Me Michel Le Brun
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POUR LE DEMANDEUR |
Me Lisa Maziade
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MICHEL LE BRUN, avocat Montréal (Québec)
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POUR LE DEMANDEUR |
JOHN H. SIMS, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |