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Date : 20090818

Dossiers : IMM­434­09

IMM­437­09

Référence : 2009 CF 837

Winnipeg (Manitoba), le 18 août 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

Dossier : IMM­434­09

ENTRE :

SAMAYEH GROOHI

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

Dossier : IMM­437­09

ET ENTRE :

 

FATEMEH GROOHI

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demanderesses dans les dossiers IMM­434­09 et IMM­437­09, Samayeh Groohi et Fatemeh Groohi respectivement, sont des sœurs dont les demandes de visa de résident temporaire ont été rejetées par une agente des visas de l’ambassade du Canada à Téhéran, le même jour et pour les mêmes motifs. Elles demandaient des visas afin de rendre visite à leur frère au Canada. Elles demandent le contrôle judiciaire de ces décisions défavorables.

 

[2]               Bien que certains faits soient propres à chaque demanderesse, toutes deux ont été entendues ensemble et les mêmes arguments de droit ont été avancés par l’avocat des deux demanderesses et l’avocate du défendeur. Par conséquent, les présents motifs s’appliquent aux deux demandes et seront versés au dossier de la Cour IMM­434­09 ainsi qu’au dossier IMM­437­09.

 

Le contexte

[3]               Les demanderesses sont des citoyennes de l’Iran. Samayeh Groohi est une femme mariée âgée de 25 ans qui travaille comme ergothérapeute dans une clinique privée à Téhéran. Sa sœur cadette, Fatemeh Groohi, en est à sa quatrième année d’étude en architecture à Hamedan. Elle a 22 ans. Leur frère, Bahram Groohi est médecin et pratique au Manitoba. Il est un réfugié au sens de la Convention et a le statut de résident permanent au Canada. Il a signé des affidavits à l’appui de la demande de chacune de ses sœurs.

 

[4]               Bahram Groohi a invité à l’origine ses sœurs et ses parents à lui rendre visite à Winnipeg en 2007. Il a communiqué avec l’ambassade du Canada à Téhéran pour signaler qu’il acceptait de prendre en charge sur les plans financier et médical les membres de sa famille pour la durée prévue de leur visite. Les deux sœurs, de même que leurs parents, ont présenté des demandes de visa. Les parents ont reçu leurs visas de visiteur, mais les sœurs ne les ont pas obtenus.

 

[5]               Les demandes de visa des sœurs ont été rejetées pour la première fois le 31 juillet 2007, au motif que, selon l’agente des visas, les deux sœurs avaient [traduction] « de faibles liens » avec l’Iran et étaient incapables de montrer qu’elles quitteraient le Canada à la fin de leur séjour autorisé. La brève décision de l’agente, qui était identique dans les deux cas, était rédigée ainsi :

[traduction]

LA DEMANDERESSE N’EST PAS ÉTABLIE PROFESSIONNELLEMENT, PERSONNELLEMENT, FINANCIÈREMENT. AUCUN VÉRITABLE LIEN AVEC L’IRAN.

 

JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE LA DEMANDERESSE EST UNE VÉRITABLE RÉSIDENTE TEMPORAIRE. DEMANDE REJETÉE.

 

[6]               Les sœurs ont demandé le contrôle judiciaire de ces décisions défavorables, demandes qui ont été accueillies avec le consentement des parties par Mme la juge Layden­Stevenson, [traduction] « après que l’avocat du défendeur a informé la Cour que la conclusion de l’agent des visas selon laquelle les demanderesses avaient de faibles liens avec l’Iran ne pouvait pas être étayée par les motifs présentés » (dossiers de la Cour IMM­4035­07 et IMM­4037­07). Les deux demandes de visa ont été renvoyées à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[7]               Les demandes ont été rouvertes le 23 décembre 2008. Selon les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) dans les dossiers certifiés, les demandes ont été rejetées encore une fois, le jour même.

 

[8]               Les notes du STIDI portant sur Sameyeh Groohi sont rédigées ainsi :

[traduction]

 

SELON LES RENSEIGNEMENTS AU DOSSIER, LA DP S’EST RENDUE UNE FOIS EN AZERBAÏDJAN. AUCUN ANTÉCÉDENT DE VOYAGE PERTINENT. A L’INTENTION DE RENDRE VISITE À SON FRÈRE AU CANADA POUR TROIS MOIS. SELON LE SSOBL, L’HÔTE EST ENTRÉ AU CANADA COMME RÉFUGIÉ. LA DP EST MARIÉE. PAS D’ENFANT. ACCOMPAGNÉE DE SA SŒUR. UN FRÈRE SUR TROIS AU CANADA. LA DP A PEU DE LIENS FAMILIAUX EN IRAN.

 

SELON LES RENSEIGNEMENTS AU DOSSIER, LA DP EST THÉRAPEUTE DANS UNE CLINIQUE PRIVÉE.

 

SELON LES RENSEIGNEMENTS AU DOSSIER, L’ÉPOUX A LE MÊME EMPLOI.

 

SELON LES RENSEIGNEMENTS AU DOSSIER, LA DP ET SON ÉPOUX GAGNENT 500 $ PAR MOIS À LA CLINIQUE PRIVÉE. L’ÉPOUX SEMBLE AVOIR UN DEUXIÈME EMPLOI PAYÉ ÉGALEMENT 500 $ PAR MOIS – IL SEMBLE QUE LA DP ET SON ÉPOUX ONT UN REVENU ANNUEL D’ENVIRON 18 000 $. SELON LE RELEVÉ BANCAIRE AU DOSSIER, LA DP A PEU D’ÉCONOMIES ET ELLE A OUVERT SON COMPTE DE BANQUE UNE SEMAINE AVANT DE DEMANDER SON VRT.

 

LA DP A UN REVENU MODESTE ET PEU D’ÉCONOMIES.

 

LA DP ET SON ÉPOUX NE SEMBLENT PAS BIEN ÉTABLIS FINANCIÈREMENT EN IRAN.

 

LA DP A PEU DE LIENS PROFESSIONNELS ET FINANCIERS AVEC L’IRAN.

 

[9]               Les notes du STIDI portant sur Fatemeh Groohi sont rédigées ainsi :

[traduction]

 

AUCUN ANTÉCÉDENT DE VOYAGE APPARENT.

 

A L’INTENTION DE RENDRE VISITE À SON FRÈRE AU CANADA POUR TROIS MOIS.

 

L’HÔTE EST ENTRÉ AU CANADA COMME RÉFUGIÉ.

 

LA DP EST CÉLIBATAIRE. ACCOMPAGNÉE DE SA SŒUR. UN FÈRE SUR TROIS AU CANADA.

 

LA DP A PEU DE LIENS FAMILIAUX EN IRAN.

 

LA DP EST ÉTUDIANTE. LA DP EST SANS EMPLOI. LA DP N’A PAS DE REVENU.

 

LA DP HABITE CHEZ SES PARENTS. ELLE NE SEMBLE PAS AVOIR DE BIENS.

 

LA DP A PEU D’ÉCONOMIES – LE RELEVÉ BANCAIRE MONTRE QUE LES CRÉDITS N’ÉGALENT PAS LES DÉBITS.

 

LA DP N’A AUCUN LIEN PROFESSIONNEL OU FINANCIER AVEC L’IRAN.

[traduction]

 

[10]           Dans les deux cas, les notes du STIDI se terminent par la remarque suivante :

[traduction]

SELON LES RENSEIGNEMENTS AU DOSSIER, LA DP NE M’A PAS CONVAINCUE QU’ELLE EST UNE VISITEUSE TEMPORAIRE DE BONNE FOI, QU’ELLE QUITTERA LE CANADA LE TEMPS VENU ET QU’ELLE EST SUFFISAMMENT ÉTABLIE DE MANIÈRE À AVOIR DES RAISONS ET DES LIENS L’ENCOURAGEANT À REVENIR PAR LA SUITE EN IRAN.

 

[11]           Les deux sœurs ont reçu des lettres types datées du 23 décembre 2008 dans lesquelles il était précisé que l’agente des visas avait tiré sa conclusion après avoir pris en considération les antécédents de voyage des demanderesses, leurs liens familiaux AU Canada et le pays de résidence, leur situation d’emploi habituelle, leurs biens personnels et leur situation financière.

 

Les questions en litige

[12]           L’avocat des demanderesses a soulevé six questions dans le cadre des présentes demandes : l’agente n’aurait pas pris en considération la double intention de l’article 22 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi); les demanderesses s’attendaient légitimement à ce que l’agente des visas prenne en considération les facteurs en faveur de la demande de même que ceux qui ne l’étaient pas, attente qui n’aurait pas été satisfaite; la décision de l’agente des visas aurait été discriminatoire, car elle était fondée sur la situation de famille, l’état matrimonial et la richesse; l’agente des visas n’aurait pas tenu compte de l’objectif de la Loi de favoriser le rapprochement des familles; l’agente des visas, parce qu’elle avait tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, aurait été tenue de mener une entrevue en personne avec les demanderesses; le jugement sur consentement rendu précédemment à propos des deux demanderesses ferait en sorte que, selon le principe de la chose jugée, l’agente des visas ne pouvait pas conclure que les demanderesses n’avaient pas de liens suffisamment forts avec l’Iran. Les demanderesses soutiennent de plus que les décisions sont abusives et arbitraires compte tenu des faits dont disposait l’agente des visas et, par conséquent, ne sont pas raisonnables.

 

[13]           À mon avis, il n’est pas nécessaire de trancher les six questions de droit soulevées par les demanderesses. J’ai conclu que les deux décisions sont déraisonnables et que toutes deux doivent être annulées.

 

Analyse

[14]           Les présentes demandes doivent être accueillies pour la simple raison que l’agente des visas n’a pas procédé à une véritable analyse de la preuve. Il est bien établi en droit que le simple fait d’énumérer une série de facteurs et d’énoncer une conclusion ne suffit généralement pas à satisfaire le critère de la raisonnabilité, la raison étant qu’il est impossible pour la cour de révision d’examiner et d’évaluer le fil des idées ou la logique du décideur. C’est précisément la lacune qui se dégage des dossiers en l’espèce.

 

[15]           L’absence de tout raisonnement est d’autant plus étonnante vu les antécédents des présentes demandes de visa de résident temporaire. On aurait pu s’attendre à ce que l’agente des visas fasse preuve d’un peu moins d’indifférence dans le traitement des demandes étant donné que celles­‑ci avaient déjà été renvoyées sur consentement pour un nouvel examen. En outre, on peut déduire du silence de l’agente des visas qu’elle n’a jamais pris la peine de vérifier le contenu des ordonnances de la Cour. Si elle l’avait fait, elle aurait su que, dans les deux cas, une conclusion selon laquelle les liens avec l’Iran étaient faibles n’était pas soutenue par les motifs exposés. Elle aurait pu penser à fournir des motifs plus détaillés en conséquence. Quoi qu’il en soit, elle ne l’a pas fait. D’ailleurs, j’ai beaucoup de mal à affirmer que l’agente des visas a présenté le moindre motif valable.

 

[16]           Je souscris tout à fait à la proposition selon laquelle la décision d’un agent des visas sur la question de savoir si un demandeur l’a convaincu qu’il ne prolongerait pas indûment son séjour au Canada ne nécessite pas une analyse longue et détaillée. Cependant, lorsque l’agent conclut, comme en l’espèce, que le demandeur ne l’a pas convaincu de ce fait essentiel, le demandeur a le droit de connaître les faits que l’agent a pris en considération, le poids qu’il a accordé à ces faits ainsi que le raisonnement ayant permis à l’agent de conclure que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve. Les décisions en l’espèce ne comportent presque aucune explication du raisonnement qu’a suivi l’agente. Un exemple permet d’illustrer ce fait.

 

[17]           L’agente a conclu que les deux demanderesses avaient [traduction] « peu de liens familiaux avec l’Iran » (non souligné dans l’original). Le père, la mère, la sœur ainsi que deux des frères des demanderesses habitent en Iran. Une des sœurs a un mari qui habite en Iran, tandis que l’autre sœur habite chez ses parents. Le seul membre de leur famille immédiate qui n’habite pas en Iran est le frère qui habite au Canada et qui espère voir ses sœurs lui rendre visite à Winnipeg. L’agente des visas ne présente aucun raisonnement montrant à la Cour comment elle a pu conclure, à partir de ces faits, que les demanderesses avaient [traduction] « peu de » liens familiaux en Iran. Au contraire, si une conclusion doit être tirée de ces faits, c’est qu’elles ont peu de liens familiaux au Canada.

 

[18]           Je suis également d’avis que l’agente des visas a pris en considération des facteurs non pertinents. Si l’agente avait présenté un certain raisonnement, on aurait pu voir pourquoi elle avait cru que ces facteurs étaient pertinents. Puisqu’elle ne l’a pas fait, la Cour ne peut que conclure, à partir de la décision, que ces facteurs n’étaient pas utiles pour répondre aux questions que devait trancher l’agente. Dans chaque décision, il apparaît clairement au moins une fois qu’un fait non pertinent a été pris en considération.

 

[19]           En ce qui concerne la sœur mariée, Samayeh Groohi, l’agente des visas a affirmé que son époux [traduction] « ne sembl[e] pas bien établ[i] financièrement en Iran » mais n’a aucunement expliqué en quoi ce fait est pertinent. L’agente était­elle d’avis que la demanderesse pourrait choisir de ne pas retourner auprès de son époux après sa visite parce qu’il n’était pas très riche? Le cas échéant, c’est une conclusion tirée sans preuve et c’est un point de vue stéréotypé du mariage entre personnes qui ne roulent pas sur l’or.

 

[20]           De manière semblable, des éléments de preuve non pertinents ont été pris en considération dans l’examen de la demande de Fatemeh Groohi. L’agente a noté qu’elle a peu d’économies, puis a fait remarquer que son [traduction] « relevé bancaire montre que les crédits n’égalent pas les débits ». Le document en question de la Bank Melli Iran (Banque nationale d’Iran) est un rapport sur un certificat de placement portant intérêts à court terme de la demanderesse. Il montre des « crédits » de 63 932 716 rials du 17 août 2006 au 2 juillet 2007 et des débits de 29 390 000 rials pour la même période, ce qui laisse un solde de 34 542 716 rials.

 

[21]           L’exactitude du calcul mathématique du solde de ce compte – et il s’agit d’un solde positif – ne pose pas problème. Ce que révèle le document, c’est que la demanderesse a déposé plus d’argent qu’elle en a retiré pendant la période en cause. J’aurais cru qu’il s’agissait d’un facteur favorable. Le seul fait pertinent pouvant être tiré de ce document est que la demanderesse a des biens. Je ne peux m’empêcher de penser que l’agente a tout bonnement mal compris ce document, mais sans explication montrant pourquoi elle a cru bon de prendre note que les crédits et les débits n’étaient pas égaux, la demanderesse et la Cour en sont réduites aux conjectures.

 

[22]           Par conséquent, ces décisions sont tout simplement déraisonnables, comme l’a défini la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9. Les décisions sont annulées, et les demandes de visa de résident temporaire sont renvoyées à un autre agent qui n’a joué aucun rôle dans les demandes en cause en l’espèce pour nouvel examen. Compte tenu des circonstances, l’examen doit se faire le plus rapidement possible après avoir donné aux demanderesses l’occasion de présenter tout autre renseignement qu’elles jugent approprié. Cette mesure se justifie par le temps qui s’est écoulé depuis la présentation des premières demandes. Aucune question n’est certifiée.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      Les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers IMM­434­09 et IMM­437­09 sont accueillies.

2.      Les demandes de visa de résident temporaire des demanderesses sont renvoyées à un autre agent des visas qui n’a joué aucun rôle dans les demandes en cause en l’espèce pour nouvel examen, lequel se fera dès que possible après que les demanderesses auront eu l’occasion de présenter tout autre renseignement qu’elles jugent approprié.

3.      Aucune question n’est certifiée.

                                                                                                                     « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM­434­09

 

INTITULÉ :                                       SAMAYEH GROOHI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

DOSSIER :                                        IMM­437­09

 

INTITULÉ :                                       FATAMEH GROOHI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 AOÛT 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 AOÛT 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

Nalini Reddy

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

John Sims, c.r.

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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