Toronto (Ontario), le 29 juillet 2009
En présence de madame la juge Mactavish
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Myung Soon Lee sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable d’une agente d’ERAR. À la conclusion de l’audience, j’ai avisé les parties que la demande de contrôle judiciaire serait accueillie, car j’estimais que la décision faisant l’objet du contrôle a été obtenue d’une manière inéquitable sur le plan de la procédure, et qu’il n’était pas manifeste que le résultat de l’affaire aurait été le même s’il n’y avait pas eu d’entorse à l’équité procédurale. Voici les motifs pour lesquels j’en viens à cette conclusion.
Contexte
[2] Mme Lee est une citoyenne de la République de Corée. L’agente d’ERAR a accepté sa prétention qu’elle avait souffert pendant 20 ans de grave violence physique et psychologique aux mains de son mari, mais a conclu que la Corée du Sud avait mis en place des mécanismes afin de protéger les victimes de violence familiale.
[3] Mme Lee a fourni à l’agente d’ERAR plusieurs séries d’observations détaillées à l’appui de sa demande. Sa trousse d’observations initiales incluait une lettre d’accompagnement, qui dressait une liste des documents inclus dans ladite trousse. L’une de ces pièces jointes était décrite comme étant [traduction] « la trousse des Conditions en Corée du Sud : la violence à l’endroit des femmes ».
[4] La trousse contenait aussi 15 pages d’observations écrites. Le premier paragraphe de ces observations faisait explicitement référence à la preuve documentaire qui avait été fournie concernant la situation des victimes de violence familiale en Corée du Sud. On y retrouve environ 25 mentions additionnelles des informations sur les conditions dans le pays contenues dans les observations.
[5] Aucune des 55 pages d’informations sur les conditions dans le pays qui ont été présentées par Mme Lee à l’appui de sa demande d’ERAR n’était incluse dans le dossier certifié du tribunal. Il est maintenant admis par le défendeur que l’agente d’ERAR n’avait jamais été saisie de cette pièce et qu’il y a eu entorse à l’équité procédurale à ce sujet.
[6] L’avocat du défendeur prétend toutefois que l’information sur les conditions dans le pays présentée par Mme Lee était antérieure à l’information sur laquelle l’agente d’ERAR s’est fondée. Même si les données antérieures avaient été produites devant l’agente, le défendeur affirme qu’il aurait été raisonnable de la part de l’agente d’ERAR d’avoir opté pour l’information la plus récente au sujet de la possibilité pour les victimes de violence familiale de se prévaloir de la protection de l’État. Par conséquent, l’issue de la demande aurait inévitablement été la même, et il n’y aurait rien à gagner à renvoyer l’affaire pour nouvelle décision.
Analyse
[7] Lorsqu’il y a eu entorse à la justice naturelle ou manquement à l’équité procédurale dans le processus décisionnel, une nouvelle audience sera, en temps normal, nécessaire. Cependant, il y a une exception à cette règle.
[8] L’exception, c’est qu’un tribunal peut faire fi de l’entorse à la justice naturelle et à l’équité procédurale [traduction] « lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir » : voir Mobil Oil Canada Ltd. et al. c. Office Canada—Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, au paragraphe 53. Voir aussi Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F).
[9] Je suis d’accord avec le défendeur que, comme une évaluation des risques tient d’une analyse prospective, l’information la plus récente concernant les conditions dans un pays précis sera, en temps normal, la plus probante. Cependant, je ne puis accepter que l’information manquante en l’espèce n’était pas pertinente quant à la demande de Mme Lee et n’aurait pas pu changer le résultat de sa demande d’ERAR.
[10] Dans son analyse, l’agente a admis qu’il y avait eu de graves problèmes de violence familiale en Corée du Sud dans le passé. Cependant, après avoir examiné l’information sur les conditions dans le pays dont elle disposait, y compris des pièces telles que le Rapport du Département d’État des États-Unis de 2006, l’agente a conclu [traduction] « que le gouvernement coréen avait apporté des changements positifs » à cet égard et que le comportement des policiers vis‑à‑vis des victimes de violence familiale « s’était remarquablement amélioré » depuis 2004.
[11] En effet, la thèse générale de la décision est que peu importe les problèmes ayant pu survenir dans le passé, la situation des victimes de violence familiale en Corée du Sud s’est améliorée de manière significative au cours des dernières années.
[12] Le Rapport du Département d’État des États-Unis de 2006 indique que près de 50 % des Sud-Coréennes étaient victimes de violence familiale. Par contraste, le Rapport du Département d’État de 2005 qu’a présenté Mme Lee et qui n’a pas été pris en considération par l’agente d’ERAR, indique que la violence familiale sévissait dans 30 % des foyers sud-coréens. À première vue, cet élément de preuve semble indiquer que la violence familiale est loin d’être en régression en Corée du Sud, et qu’elle a plutôt augmenté de manière marquée au cours des dernières années. Cela pourrait aussi peut-être indiquer que les mesures prises pour combattre le problème de la violence familiale en Corée du Sud ne fonctionnaient pas. S’il avait été accepté, cet élément de preuve aurait manifestement eu de l’importance pour la demande de Mme Lee.
[13] Au vu de l’exemple ci-dessus, je ne suis pas convaincu que la preuve qui n’a pas été prise en considération par l’agente d’ERAR ne revêtait clairement pas d’importance pour la demande, ou qu’elle n’en aurait pas influencé le résultat. Par conséquent, je suis d’avis que l’affaire doit être renvoyée pour nouvelle évaluation.
[14] Avant de conclure, je voudrais aussi mentionner que, compte tenu des mentions répétées de l’information sur les conditions dans le pays dans les observations écrites de Mme Lee, le fait que l’agente d’ERAR n’ait apparemment pas remarqué que la trousse d’information était absente soulève aussi des doutes quant à l’attention globale portée à cette demande.
Conclusion
[15] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
Certification
[16] Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et il n’y en a aucune en l’espèce.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’ERAR pour nouvelle décision.
2. Aucune question grave d’importance générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Maxime Deslippes, LL.B., B.A.Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-530-09
INTITULÉ : MYUNG SOON LEE c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 29 juillet 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : La juge Mactavish
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 29 juillet 2009
COMPARUTIONS :
Carol Simone Dahan
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POUR LE DEMANDEUR |
Ada Mok
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Carol Simone Dahan Bureau du droit des réfugiés Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR |