Montréal (Québec), le 31 juillet 2009
En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé
ENTRE :
demanderesse
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction
[1] La demanderesse sollicite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), le contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 décembre 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR), lui refusant la qualité de réfugiée et celle de personne à protéger, rejetant en conséquence sa demande d’asile, au motif principal que la demanderesse n’avait pas démontré que la protection de son pays d’origine était inadéquate.
II. Faits
[2] Citoyenne de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, la demanderesse allègue avoir été violée et abusée sexuellement par son beau-père à trois reprises entre décembre 1996 et janvier 1997.
[3] Elle soutient avoir tenté sans succès de s’en plaindre à sa mère, avant d’aller, en mai 1997, confier les problèmes que lui avait causés son beau-père à une religieuse, directrice de l’école qu’elle fréquentait.
[4] La demanderesse déclare être retournée vivre chez sa mère en décembre 2002. Après avoir été battue par son beau-père, et sur les conseils de sa mère, la demanderesse partit vivre chez une amie dans un village voisin. La demanderesse aurait été menacée à cinq ou six reprises par son beau-père, après avoir demandé l’intervention du pasteur de son église pour tenter de régler les problèmes familiaux.
[5] Après avoir occupé quelques emplois et craignant toujours son beau-père, la demanderesse quitte son pays le 11 septembre 2004 pour rejoindre au Canada la sœur d’une amie. Elle demande la protection du Canada le 29 novembre 2006.
III. Décision attaquée
[6] Tenant compte de la présomption selon laquelle l’État est capable de protéger ses citoyens, la SPR conclut que la demanderesse « n’a pas démontré avec des éléments de preuve clairs et convaincants, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est inadéquate et que par conséquent, elle n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. »
IV. Question en litige
[7] La décision de la SPR concernant la protection de l’État était-elle déraisonnable? En effet, l’a-t-elle fondée sur des conclusions de droit erronées ou sur des conclusions de fait qu’elle a tirées de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?
V. Analyse
Norme de contrôle judiciaire
[8] La décision du tribunal est fondée sur la capacité présumée de l’État de Saint-Vincent-et-les-Grenadines d’assurer à la demanderesse la protection nécessaire; selon la SPR, elle n’a pas produit de preuve suffisamment claire et convaincante de nature à la réfuter.
[9] Le présent recours soulève donc des questions mixtes de fait et de droit; est donc applicable la norme de la décision raisonnable, telle que définie par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). La SPR bénéficie d’une expertise dans le domaine où s’exerce sa compétence; en conséquence, la Cour doit faire preuve de déférence envers elle à l’égard de sa décision et éviter d’intervenir sans motif valable (Dunsmuir, précité; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12).
[10] Vu cette norme, la Cour, dans le cadre de la présente demande de révision judiciaire, ne peut intervenir de la manière souhaitée par la demanderesse : Mme Dean, en effet, invite la Cour à réexaminer la preuve et donc de retenir sa thèse. La Cour doit se borner à vérifier si la décision attaquée parait raisonnable, au regard des faits révélés par la preuve et du droit pertinent.
Les motifs de la SPR concernant la protection assurée par l’État n’étaient pas déraisonnables
[11] La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse de la réalité de la protection assurée par l’État. Elle souligne que la SPR devait se pencher sur les motifs pour lesquels la demanderesse n’a pas demandé la protection de son pays.
[12] La demanderesse déclare n’avoir jamais porté plainte aux autorités de son pays en raison de l’entente conclue à cet effet entre ses parents et la directrice de son école; de plus, ayant été menacée de mort par son beau-père, elle craignait sa réaction et ne voulait pas mettre sa mère en danger, d’autant plus que, selon elle, une plainte n’aurait donné aucun résultat.
[13] La SPR souligne qu’il était pour la demanderesse « objectivement raisonnable […] de demander la protection de l’État, compte tenu de la preuve documentaire » et « que les raisons invoquées pour ne pas porter plainte ne constitu[ai]ent pas des preuves claires et convaincantes du caractère inadéquat de la protection de l’État, mais [étaient] plutôt des réticences subjectives ».
[14] Lors des événements, la demanderesse était âgée de treize ans. Son beau-père l’avait menacée de mort si elle le dénonçait; et lorsqu’elle a trouvé le courage d’en parler à sa mère, celle-ci ne l’a pas crue et ne l’a pas aidée. La seule personne à pouvoir l’aider, soit la directrice de son école, ne l’a pas encouragée à porter plainte; au contraire, celle-ci s’est engagée envers les parents de la demanderesse à garder le silence en échange de la tutelle de fait qu’elle consentait à exercer sur la demanderesse.
[15] Dans un tel contexte, et compte tenu du jeune âge de la demanderesse lors des évènements de 1996-1997, il était peut-être déraisonnable de conclure que, à cette époque, elle aurait dû porter plainte contre son beau-père, et ce d’autant plus qu’il l’avait menacée de mort et que sa mère était toujours avec lui et subissait ses violences.
[16] Toutefois, la demanderesse a pris de l’âge depuis. Et lorsqu’à la fin de ses études en 2002 elle est retournée vivre avec sa mère et son beau-père, elle n’était plus la fillette d’autrefois, mais bien une jeune femme capable de prendre ses propres décisions. Aussi, et suite à de nouvelles avances et menaces du beau-père, et sur les conseils de sa mère, elle décide de déménager chez une amie où elle habitera jusqu’à son départ pour le Canada en septembre 2004.
[17] Or, malgré les allégations de menaces et de crainte pour la sécurité de sa mère, son frère et sa sœur en raison de l’influence dont était censé jouir son beau-père en tant que producteur et trafiquant de drogue, la demanderesse n’a jamais porté plainte aux autorités, avant de quitter Saint-Vincent-et-les-Grenadines pour venir demander l’asile au Canada.
[18] L’octroi d’une protection internationale ne doit être qu’une mesure auxiliaire de dernier recours. Par conséquent, la SPR était en droit de présumer qu’un État étranger était capable de protéger ses ressortissants. Le fardeau incombait à la demanderesse d’établir, par une preuve claire et convaincante, l’incapacité de son pays d’origine de la protéger. En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer qu’il est capable de protéger ses citoyens (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 725-726; Mendivil c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 167 N.R. 91, 95 (C.A.F.); Roble c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 169 N.R. 125, 130 (C.A.F.); Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.) (QL), paragraphes 6-7).
[19] La SPR a pesé la preuve documentaire avant de conclure que la protection assurée par l’État de Saint-Vincent-et-les-Grenadines était adéquate. Elle a de plus examiné les raisons pour lesquelles la demanderesse n’a jamais porté plainte à la police suite aux agressions de son beau-père, mais ne les a pas trouvées satisfaisantes. La SPR a conclu que les explications de la demanderesse ne constituaient pas des preuves claires et convaincantes du caractère inadéquat de la protection de l’État.
[20] Lorsque le demandeur d’asile provient d’un État démocratique, comme Saint-Vincent-et-les-Grenadines, il lui est d’autant plus impératif de rechercher d’abord la protection de cet État. En conséquence, il doit démontrer avoir épuisé tous les recours raisonnables ouverts dans son pays pour obtenir la protection nécessaire des autorités nationales, avant de songer à rechercher la protection d’un pays étranger (Kadenko c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.F.) (QL)). Or, en l’occurrence, la demanderesse a beau invoquer les évènements remontant à sa jeunesse, pour se justifier de ne pas avoir demandé la protection de son pays, rien cependant ne l'empêchait de réclamer cette protection lors des évènements survenus à l’âge adulte, avant de choisir de quitter pour le Canada.
[21] En l’espèce, la demanderesse n’a pas établi l’« effondrement complet de l’appareil étatique » de son pays d’origine. Comme l’a souligné à juste titre la SPR, la demanderesse n’a fait état que de réticences subjectives pour ne pas porter plainte, sans toutefois démontrer un refus ou un défaut de protection de l’État.
[22] Par ailleurs, la SPR s’est fondée sur une preuve documentaire objective indiquant que l’État est doté d’un appareil judiciaire indépendant qui applique la loi dans les cas de violence conjugale et de violence contre des mineurs. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son opinion à celle de la SPR, un tribunal administratif spécialisé possédant toute l’expertise nécessaire pour analyser la preuve et tirer les conclusions qui s’imposent.
[23] Dans les circonstances, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que la demanderesse n’avait pas établi, alors qu’il lui incombait de le faire, qu’elle ne serait pas protégée par Saint-Vincent-et-les-Grenadines, si elle y rentrait. L’exception du paragraphe 108(4) de la Loi qu’elle invoque dans son mémoire ne la conforte pas dans sa thèse, puisque la demanderesse pouvait et peut encore réclamer la protection de son pays.
[24] Le fait que la demanderesse puisse éprouver de la difficulté à trouver un endroit où habiter ne peut justifier l’intervention de la Cour. En fait, la demanderesse a plusieurs frères et sœurs qui habitent toujours à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, sans exclure ses ami(e)s et sa famille qui pourraient lui venir en aide advenant son retour.
[25] La SPR pouvait légitimement accorder plus de poids à la preuve documentaire à laquelle elle réfère dans sa décision, qu’au témoignage moins objectif de la demanderesse, et dire si les explications de la demanderesse étaient satisfaisantes ou pas (Zhou c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) (QL); Adu c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 114 (C.A.F.) (QL)).
VI. Conclusion
[26] La demanderesse n’a donc pas réussi à convaincre la Cour que la SPR a fondé sa décision sur des conclusions de droit erronées ou des conclusions de fait qu’elle a tirées de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve produits par la demanderesse. La décision de la SPR est entièrement raisonnable, tant sur le plan des faits que du droit.
[27] Aucune question importante de portée générale n’a été proposée ou mérite de l’être. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.
JUGEMENT
PAR CES MOTIFS, LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.
« Maurice E. Lagacé »
Juge suppléant
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-155-09
INTITULÉ : GILDA OUSTRID A DEAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 8 juillet 2009
DATE DES MOTIFS : le 31 juillet 2009
COMPARUTIONS :
Serge Silawo
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POUR LA DEMANDERESSE
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Sylviane Roy |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Serge Silawo Montréal (Québec)
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POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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