Date : 20090324
Référence : 2009 CF 312
Ottawa (Ontario), le 24 mars 2009
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
et
LE MINISTRE DES RESSOURCES
HUMAINES ET
DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La demanderesse a sollicité l’autorisation d’interjeter appel d’une décision du tribunal de révision constitué en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (la Loi), auprès de la Commission d’appel des pensions. Dans une décision du 15 août 2008, un membre de la Commission a refusé l’autorisation. La demanderesse conteste ce refus, et demande que sa demande d’autorisation soit soumise à un membre différent de la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Contexte
[2] Mme Roy a 60 ans et un niveau d’études d’une 11e année. Bien qu’elle ait eu une formation de coiffeuse, elle a occupé des emplois divers : concierge, serveuse et cuisinière, par exemple. Elle a demandé pour la première fois des prestations d’invalidité du RPC en août 2002, alléguant qu’elle était incapable de satisfaire aux exigences de son travail de concierge à cause de douleurs attribuables à l’ostéoarthrite et de son incapacité de saisir des objets. Cette demande a été rejetée par Développement des ressources humaines Canada (DRHC) en novembre 2002 parce que l’invalidité de Mme Roy n’était pas assez grave ni prolongée pour justifier le versement des prestations et qu’elle était toujours en mesure de faire un certain type de travail. Mme Roy n’a pas porté cette décision en appel.
[3] Quatre ans plus tard, en juin 2006, Mme Roy a présenté une nouvelle demande de prestations d’invalidité. Entre‑temps, elle n’avait travaillé que brièvement, ses tentatives de reprise du travail n’ayant pas été fructueuses. Sa période de travail la plus récente, chez Tim Hortons, n’a duré que 30 jours et s’est terminée le 31 mars 2005. Le principal problème médical qui, selon elle, l’a empêchée de travailler est une forte douleur aux mains, bien qu’elle ait également d’autres malaises et troubles. Pour avoir droit aux prestations d’invalidité, elle devait établir qu’elle était invalide au sens de l’alinéa 42(2)a) de la Loi, qui exige que l’invalidité soit à la fois grave et prolongée. La Loi dispose que l’invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie.
[4] DRHC a rejeté la demande de 2006 en décembre de la même année. La décision a été prise après que le ministère eut, à la demande de Mme Roy, réexaminé et confirmé la décision initiale selon laquelle la demanderesse n’était pas invalide aux sens de la Loi.
[5] Mme Roy a interjeté appel de ce refus auprès du Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. L’appel a été entendu en février 2008.
[6] Dans sa décision, le tribunal de révision a conclu que Mme Roy avait suffisamment cotisé au RPC pour avoir droit à une pension d’invalidité si son invalidité s’était déclarée avant la fin de sa « période minimale d’admissibilité » (PMA) en février 2005 et si cette invalidité était à la fois grave et prolongée. Le tribunal a ensuite examiné la description faite par Mme Roy de son invalidité et de ses conséquences. À cet égard, elle a déclaré dans son témoignage que, même si elle voulait travailler et avait essayé de le faire, ses douleurs aux mains l’empêchaient de faire des travaux de nettoyage ou de cuisine. Même comme deuxième cuisinière, elle avait du mal à peler des pommes de terre. Elle a dit qu’elle pensait ne pas pouvoir travailler dans un commerce de détail car elle ne pouvait rien soulever. Le tribunal a pris note des éléments médicaux présentés à l’appui de sa demande. L’élément le plus ancien à cet égard est un diagnostic de 2002 de [traduction] « douleur grave au pouce et à la main – arthrite » et une image diagnostique de la même période révélant [traduction] « des modifications dégénératives peu prononcées des articulations interphalangiennes distales du deuxième au cinquième doigt », mais [traduction] « aucun signe d’arthropathie inflammatoire ou érosive ». Le tribunal a également signalé une opinion exprimée en 2007 par le Dr Murray Mitchell selon laquelle Mme Roy serait [traduction] « une candidate idéale pour l’arthroplastie des articulations carpo‑métacarpiennes aux pouces ».
[7] Après avoir étudié les observations de Mme Roy et du ministre, et notamment la thèse du ministre voulant qu’il n’y ait pas assez d’éléments médicaux pour qu’on puisse conclure à la « gravité » de l’invalidité, le tribunal a défini en ces termes la question dont il était saisi : [traduction] « Mme Roy souffrait‑elle, selon toute vraisemblance, d’une invalidité grave et prolongée? » Il a conclu par la négative, signalant des incohérences dans le témoignage de Mme Roy au sujet de l’aggravation ou de la stabilité de la douleur au fil des ans, le peu d’efforts qu’elle a faits pour trouver un emploi différent, le fait qu’elle n’a pas opté pour la chirurgie, et l’adoption d’une attitude que le tribunal a décrite par l’expression [traduction] « je ne suis pas capable ».
[8] Mme Roy a déposé dans les délais à la Commission une demande d’autorisation d’interjeter appel et un avis d’appel. Elle a produit deux autres documents médicaux à l’appui de sa demande, documents qui n’avaient pas été soumis antérieurement au tribunal. Il s’agissait de notes cliniques portant sur la période de janvier 2000 à février 2005 et d’une lettre du Dr Raymond, médecin de famille de la demanderesse.
[9] Par sa décision du 15 août 2008, le membre désigné en vertu du paragraphe 83(2.1) de la Loi a rejeté la demande d’autorisation et affirmé :
[traduction] L’appelante ne semble pas avoir une cause défendable, au vu des éléments de preuve produits à l’audience. Il n’y a pas de preuve tangible ni de preuve médicale pour appuyer la demande. J’approuve la décision du tribunal. La demande est rejetée.
Questions
[10] La demanderesse fait valoir, en s’appuyant sur la décision Callihoo c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 612, qu’un contrôle d’une décision d’un membre de la Commission d’appel des pensions refusant l’autorisation d’interjeter appel soulève deux questions :
a) la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c’est‑à‑dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d’être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;
b) la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d’appréciation des faits au moment de déterminer s’il s’agit d’une demande ayant des chances sérieuses d’être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n’a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une question sérieuse est soulevée et elle justifie d’accorder l’autorisation.
La demanderesse soutient que le membre désigné de la Commission a commis des erreurs sur ces deux plans.
Analyse
Application du bon critère
[11] La demanderesse soutient que le membre de la Commission n’a pas appliqué le bon critère. Selon elle, au lieu d’essayer de voir si elle avait présenté une cause défendable, il a évalué le fond de sa demande, comme le montre le fait qu’il a dit : [traduction] « Il n’y a pas de preuve tangible ni de preuve médicale pour appuyer la demande. » Les parties conviennent que la « demande » dont il est question dans cette déclaration est la demande d’autorisation d’en appeler, et non la demande principale de prestations d’invalidité.
[12] La décision Callihoo établit que le membre appelé à se prononcer sur une demande d’autorisation ne doit pas évaluer le fond de la demande de prestations d’invalidité. Il est illogique que le membre n’évalue pas le fond de la demande d’autorisation, car c’est précisément la tâche qui lui a été confiée. Ainsi, étant convenu que la « demande » à laquelle le membre de la Commission se reporte est la demande d’autorisation d’en appeler, le fait qu’il dise qu’il n’y a aucune preuve qui appuie la demande d’autorisation n’indique en rien qu’il a évalué la demande principale de prestations. Ce fait montre plutôt qu’il a considéré les éléments de preuve produits à l’appui de la demande d’autorisation et qu’il en a conclu que rien ne prouvait que la demande présentait une cause défendable. En conséquence, le membre n’a pas commis d’erreur, comme la demanderesse l’allègue, en n’appliquant pas le bon critère.
Appréciation des faits
[13] L’erreur de fait alléguée par la demanderesse est que le membre de la Commission n’aurait pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve, qui, soutient‑elle, appuient sa thèse selon laquelle elle souffrait d’une invalidité pendant la PMA.
[14] Il n’est pas contesté que la décision de refuser l’autorisation puisse faire l’objet d’un contrôle de son caractère raisonnable. Toutefois, le défendeur soutient que le décideur a droit à un degré élevé de déférence. Il maintient que le membre de la Commission a appliqué le bon critère (« S’agit‑il d’une cause défendable? ») et que la seule existence de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés au tribunal de révision ne voulait pas dire, en soi, qu’il était justifié d’accorder l’autorisation. Selon le défendeur, les nouveaux éléments de preuve n’ajoutent rien ou presque rien à ceux qui avaient déjà été présentés au tribunal de révision : les notes cliniques produites par la demanderesse contiennent une information identique à celle qui se trouvait dans les rapports soumis au tribunal de révision, et les affirmations du Dr Raymond, dans son rapport de 2008, ne sont pas corroborées par les éléments médicaux soumis au tribunal de révision. Dans ces circonstances, dit le défendeur, le membre de la Commission n’était pas tenu de signaler expressément les deux nouveaux documents, puisqu’ils ne revêtaient aucune importance.
[15] Dans la décision Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252, la juge Reed fait observer que, lorsque de nouvelles preuves sont déposées à l’appui de la demande d’autorisation d’en appeler auprès de la Commission d’appel des pensions, il faut se demander si ces preuves soulèvent un doute véritable quant à savoir si le tribunal serait parvenu à la même décision s’il avait été saisi de ces preuves. En l’espèce, le membre de la Commission ne fait pas expressément référence aux nouvelles preuves. Le défendeur est d’avis qu’il faut présumer qu’il en a tenu compte, étant donné que la Commission elle‑même a sollicité les éléments de preuve et qu’ils sont arrivés avant que la décision ne soit rendue, et il ajoute que le membre de la Commission n’était aucunement tenu de signaler expressément les éléments examinés ni de les commenter, à moins qu’il ne s’agisse de preuves claires et convaincantes laissant entrevoir la possibilité d’une conclusion différente de celle qui avait été tirée.
[16] Je suis d’accord avec le défendeur et j’adopte l’observation que le juge Linden, de la Cour d’appel fédérale, a formulée dans l’arrêt Litke c. Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement social), 2008 CAF 366 :
Bien qu’une décision soit déraisonnable si la Commission ne tient pas compte d’éléments de preuve pertinents [...], il est clair que celle‑ci n’est pas tenue de mentionner [...] ni d’analyser chaque élément de preuve dont elle est saisie.
En l’espèce, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les nouveaux éléments de preuve produits par la demanderesse ne revêtaient pas un caractère probant important au point qu’on s’attende à ce que le membre de la Commission explique expressément pourquoi ils ne suffisaient pas à établir que la cause était défendable. Le tribunal de révision et la Commission disposaient déjà des opinions et documents antérieurs du Dr Raymond, et les nouveaux documents n’ajoutaient rien d’important au dossier dont le tribunal de révision avait été saisi. En outre, comme le défendeur l’a fait remarquer, la lettre établie en 2008 par le Dr Raymond était contraire, à certains égards, à d’autres éléments de preuve dont la Commission était saisie et elle semblait être davantage une défense de sa patiente plutôt que l’expression d’une opinion médicale objective. Ce point de vue est corroboré par le fait que la lettre la plus récente ne dit pas un mot de la chirurgie qui a été recommandée à un moment donné, mais qui n’a pas eu lieu, ni du fait que la demanderesse n’a pas suivi de traitements de physiothérapie, qui avaient également été recommandés. Le médecin ne dit pas quel serait son état médical si elle avait eu cette chirurgie et/ou pris ces traitements. En l’absence de ces éléments, il était raisonnable que le membre chargé de la révision conclue qu’il n’y avait pas de [traduction] « preuve tangible » à l’appui de la demande d’autorisation.
[17] Je ne puis conclure que les énoncés des notes cliniques et de la lettre de 2008 présentent sous un jour nettement différent la preuve médicale dont le tribunal de révision a été saisi. Les notes cliniques n’ajoutent rien d’important aux rapports du Dr Raymond en date du 2 février 2006 et du 2 juillet 2002, dans lesquels il signale les fortes douleurs aux mains de la demanderesse, énonce son diagnostic d’arthrite et conclut en disant que le pronostic est sombre.
[18] Le Dr Raymond écrit dans sa lettre de 2008 que la demanderesse souffre [traduction] « d’une inflammation aux articulations qui l’empêche de faire quelque travail que ce soit ». Ce rapport, daté de 2008, dit que ces problèmes étaient présents en 2005. Il faut comparer cette déclaration à la preuve soumise au tribunal, soit une image radiologique de 2006 qui ne montre [traduction] « aucun signe d’arthropathie érosive, de fracture, de luxation ni de difformité en flexion » et une image diagnostique de 2002 qui fait ressortir [traduction] « des modifications dégénératives peu prononcées des articulations interphalangiennes distales du deuxième au cinquième doigt », mais [traduction] « aucun signe d’arthropathie inflammatoire ou érosive ». Comme il a été signalé, le rapport du Dr Raymond n’a guère de valeur probante car il ne traite pas expressément des preuves médicales antérieures. En conséquence, cela suffit à satisfaire au critère de la décision Kerth. Il n’y a aucun doute véritable au sujet de la possibilité que la décision du tribunal de révision ait pu être différente; il n’y a donc pas de cause défendable. Pour ces motifs, la présente demande est rejetée.
[19] Les deux parties conviennent que chacune assumera ses propres dépens relativement à la présente demande.
JUGEMENT
1. La demande est rejetée.
2. Avec l’accord des parties, il n’y a aucune ordonnance quant aux dépens.
« Russel W. Zinn »
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL. M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1498‑08
INTITULÉ : MONIQUE ROY c.
LE MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES
LIEU DE L’AUDIENCE : Timmins (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 mars 2009
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 24 mars 2009
COMPARUTIONS :
Celeste Courville |
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James Gray |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Wallbridge, Wallbridge Avocats Timmins (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |