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Cour fédérale

 

 

 

 

Federal Court


                                                                                                                      Date : 20090727

Dossier : IMM-4338-08

Référence : 2009 CF 749

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2009

En présence de l’honorable Frederick E. Gibson

 

 

ENTRE :

Y. Z.

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction

[1]               Les présents motifs font suite à l’audition d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent) par laquelle l’agent a conclu ce qui suit :

[traduction]

Vu l’ensemble de la preuve, j’estime que le demandeur n’a aucune crédibilité. Je conclus que le récit du demandeur a été fabriqué pour établir le fondement de sa demande d’asile et constitue une tentative de déjouer le système de détermination du statut de réfugié du Canada. Pour les mêmes motifs que ceux qui m’ont fait conclure à la non-crédibilité du demandeur, j’estime également que le demandeur n’est pas exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution [dans l’État dont il a la nationalité] et qu’il n’est guère probable qu’il [ou elle] soit exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[...]

 

Après examen minutieux de tous les éléments de preuve, la présente demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est rejetée.

 

                                                            [Titre omis; parties entre crochets modifiées.]

La décision faisant l’objet du présent contrôle est datée du 22 avril 2008 et a été communiquée au demandeur le 1er octobre 2008.

 

Question préliminaire

[2]               À la fin de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour et l’avocat du demandeur ont discuté de la question de savoir s’il conviendrait et s’il serait dans le meilleur intérêt de la justice de supprimer des présents motifs et de l’ordonnance en découlant tous les éléments permettant d’identifier le demandeur ainsi que l’État dont il (ou elle) a la nationalité (ci‑après l’« État d’origine » du demandeur), qui faisait autrefois partie de l’Union soviétique, compte tenu du rôle que le demandeur dit avoir joué en tant que membre des forces armées soviétiques, puis russes, de 1980 à 1996, et de l’incidence que ce rôle a eu, et peut encore avoir, s’il est contraint de quitter le Canada et qu’il s’avère que son récit est véridique et ne constitue pas une fabrication comme l’a estimé l’agent.

 

[3]               L’avocat du demandeur a insisté pour que les présents motifs et ordonnance soient « épurés ». Le fondement de la préoccupation qu’il a exprimée pour le compte du demandeur ressortira à l’examen des paragraphes subséquents des présents motifs. Après avoir consulté son client, l’avocat du défendeur a informé la Cour que le défendeur ne s’opposait pas à la suppression de l’identité du demandeur dans les motifs et ordonnance publiés.

 

[4]               Dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances)[1], le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a écrit ceci au paragraphe 53 de ses motifs :

Pour appliquer aux droits et intérêts en jeu en l’espèce l’analyse de Dagenais et des arrêts subséquents précités, il convient d’énoncer de la façon suivante les conditions applicables à une ordonnance de confidentialité dans un cas comme l’espèce :

 

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

 

a)      elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

 

b)      ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

 

 

[5]               Après avoir appliqué le critère susmentionné aux faits et allégations de l’espèce, compte tenu notamment de la position adoptée par l’avocat du défendeur, je suis convaincu que les effets bénéfiques de la suppression, des présents motifs, des éléments permettant d’identifier le demandeur et l’État d’origine de celui‑ci l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires. Par conséquent, sans requête officielle à la Cour, le demandeur est désigné par les seules lettres « Y. Z. » dans l’intitulé des présents motifs et dans l’ordonnance en découlant, les éléments permettant d’identifier son État d’origine ont été supprimés et les autres modifications corrélatives ont été apportées dans l’ensemble des motifs.

 

[6]               Des pronoms masculins seront utilisés dans le reste des présents motifs, et ce, uniquement pour des raisons de commodité et de lisibilité; ce procédé n’est pas censé refléter le sexe du demandeur.

 

Contexte

[7]               Le demandeur allègue être né et avoir été élevé dans l’une des républiques qui composaient l’Union des républiques socialistes soviétiques. Né au début de 1962, il est âgé de 47 ans. Il allègue que, en 1980, il s’est engagé dans les forces armées de l’ancienne Union soviétique et s’est entraîné et a servi comme agent de sécurité militaire, d’abord dans l’armée soviétique, puis dans l’armée russe, jusqu’à son renvoi pour raisons médicales en 1996. Il allègue que, au moment de son renvoi, il s’était engagé envers l’armée russe à ne pas dépasser les limites géographiques de l’ancienne Union soviétique pendant une période de 10 ans.

 

[8]               Après son renvoi, le demandeur allègue être revenu chez lui et à son épouse dans son État d’origine où il est devenu connu du service de sécurité de cet État. Il allègue avoir été à plusieurs reprises convoqué pour interrogatoire par ce service, vu ses antécédents dans les forces armées soviétiques, puis russes. Il allègue également que, en tant qu’entrepreneur dans son État d’origine, il a fait l’objet d’une violente extorsion de la part de membres du milieu criminel. Il dit craindre de devoir faire face aux mêmes menaces à sa sécurité et à son bien‑être s’il est contraint de retourner dans son État d’origine.

 

[9]               Le demandeur a obtenu un visa de visiteur et est arrivé au Canada le 12 septembre 1998. Son visa de visiteur était valide jusqu’au 13 mars 1999. Il a prolongé indûment son séjour et, à ce moment‑là, voire même avant, il s’est rendu compte qu’il manquait à son engagement envers l’armée russe de ne pas déménager au‑delà des limites géographiques de l’ancienne Union soviétique. Pour ce motif, il dit craindre les autorités russes.

 

[10]           Le 26 septembre 2000, le demandeur a déposé une demande d’asile. Pour une raison quelconque – le demandeur prétend que c’était en raison de l’inconduite du représentant qui a déposé sa demande – il n’a pas été donné suite à la demande. Le désistement a été prononcé le 5 juin 2002. Le demandeur n’a eu connaissance du prononcé du désistement qu’à la fin de 2004.

 

[11]           La demande d’examen des risques avant renvoi du demandeur, qui a donné lieu à la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire, a été déposée le 7 novembre 2007. Elle a par la suite été étoffée, notamment, par une « déclaration d’expert » et une évaluation psychologique.

 

[12]           La « déclaration d’expert »[2], datée du 17 décembre 2007, a été fournie par Peter H. Solomon, Jr., qui décrit ainsi son expertise :

[traduction]

a.       Je suis professeur au Département de science politique, je fais l’objet d’une nomination conjointe à la Faculté de droit et au Centre de criminologie et je suis membre du Centre des études européennes, russes et eurasiennes, tout cela à l’Université de Toronto. Je suis un spécialiste du gouvernement et du droit soviétiques et postsoviétiques depuis quarante ans. Mon expérience comprend un séjour d’un an à la Faculté de droit de l’Université d’État de Moscou ainsi que plusieurs voyages de recherche en Russie à titre d’invité de l’Institut de l’État et du droit de Moscou et une participation à certains projets de réforme judiciaire, tant en Russie qu’en [l’État d’origine du demandeur], que j’ai visité à plusieurs reprises au cours des deux dernières années. Ma recherche a surtout porté sur les tribunaux, la justice pénale et l’application de la loi en URSS et dans les États qui lui ont succédé, y compris [l’État d’origine du demandeur].

 

b.      Comme preuve additionnelle de ma capacité d’émettre une opinion d’expert sur la question, vous trouverez ci‑joint mon curriculum vitæ. Veuillez prendre note que je parle couramment le russe et que je suis de près les journaux populaires et les revues juridiques de Russie et de [l’État d’origine du demandeur] rédigés en russe, tant sur support papier qu’électronique. Je suis bien au fait de la demande de [le demandeur] visant à obtenir l’autorisation de rester au Canada sur la base d’un examen des risques avant renvoi.

 

[...]

 

[13]           L’évaluation psychologique[3] a été fournie par Gerald M. Devins, Ph. D., Psych. C., qui se décrit comme un psychologue consultant et clinicien.

 

[14]           Le Dr Devins écrit ceci :

[traduction]

Je possède un doctorat en psychologie clinique et je suis un psychologue agréé pratiquant en Ontario. J’exerce en cabinet privé depuis 1982. Je suis également professeur de psychiatrie et de psychologie à l’Université de Toronto, chef de la recherche en oncologie psychosociale et soins palliatifs à l’University Health Network, chercheur principal à l’Ontario Cancer Institute et chercheur principal et sous‑chef de la division des sciences du comportement et de la santé au Toronto General Research Institute. Je suis rédacteur adjoint de deux journaux scientifiques, à savoir Assessment et le Journal of Psychosomatic Research, et je suis membre du comité de rédaction de plusieurs autres. Mes travaux de recherche portent principalement sur le stress, les mécanismes d’adaptation et les facteurs culturels pouvant déterminer l’impact psychosocial de la maladie. Quant aux honneurs, j’ai notamment été reconnu comme membre des Sociétés canadienne et américaine de psychologie et reçu des récompenses du Programme national de recherche et de développement en matière de santé (Santé Canada, 1985-1995), du Conseil de recherches médicales du Canada (1986-2001) et des Instituts de recherche en santé du Canada (2001-2006).

[...]

 

 

[15]           Sous la rubrique « TEST DE COMPORTEMENT ET VALIDITÉ DES DONNÉES DE L’ENTREVUE », le Dr Devins dit ceci :

[traduction]

[Le demandeur] a collaboré pleinement. Il [ou elle] a regardé l’intervieweur dans les yeux et répondu sans détour aux questions. Il [ou elle] avait des poches sous les yeux. L’entrevue a été stressante pour [le demandeur]. Son visage était congestionné et il [ou elle] l’essuyait avec la paume de sa main gauche. Il [ou elle] était assis tranquille et se tenait immobile. Il [ou elle] a soupiré à plusieurs reprises tout au long de l’entrevue. Il [ou elle] était en proie à des retours en arrière et à un désespoir émotif (« ce qui s’accompagne d’un sentiment d’impuissance »). Il [ou elle] s’est mis[e] à avoir mal à la tête. Ses problèmes de concentration l’empêchaient de fixer son attention. Les réponses [du demandeur] étaient crédibles et cohérentes en soi. Le comportement non verbal et les émotions manifestées étaient compatibles avec les thèmes présentés en réponse aux questions. Je crois que l’information qu’il [ou elle] a fournie était valide et fiable. Les expériences [du demandeur] dans son État d’origine ont été traumatisantes. Les répercussions négatives persistent. Sa détresse s’est intensifiée après qu’il [ou elle] eut appris que sa demande d’asile avait fait l’objet d’un désistement.

                                                   [Parties entre crochets modifiées.]

 

 

[16]           Enfin, le Dr Devins conclut ceci sous la rubrique « IMPRESSION CLINIQUE » :

[traduction]

[Le demandeur] répond aux critères diagnostiques du trouble dépressif majeur de gravité moyenne (296.22) énoncés dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (4e éd., DSM-IV) publié par l’Association américaine de psychiatrie. Il [ou elle] présente d’importants symptômes de réaction au stress (p. ex., hyperexcitation, idéation importune). Il [ou elle] a besoin d’un traitement administré par un professionnel de la santé mentale. Son état peut s’améliorer avec des soins appropriés et la garantie d’une protection contre la menace d’expulsion. S’il [ou elle] n’a pas gain de cause, ses symptômes s’intensifieront et sa souffrance ira en augmentant.

                                                     [Parties entre crochets modifiées.]

 

 

 

Décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[17]           Le 17 avril 2008, l’agent a eu une entrevue de deux heures avec le demandeur. Le demandeur était accompagné d’un avocat. Un interprète était également présent pendant toute la durée de l’entrevue. Au début de l’entrevue, l’avocat du demandeur a rappelé à l’agent l’existence du rapport psychologique qui lui avait été soumis et a souligné la difficulté du demandeur à se rappeler les dates et les détails.

 

[18]           Dans les « notes au dossier » qui l’ont amené(e) à tirer la conclusion citée au début des présents motifs, l’agent a écrit ceci :

[traduction]

Une audience a été tenue le 17 avril 2008. Dès le début de l’audience, il a été reconnu que la question déterminante était celle de la crédibilité. Le rôle joué par le demandeur dans l’armée russe était intimement lié à la question de la crédibilité et faisait partie intégrante de l’appréciation de la véracité de son affirmation voulant que, parce qu’il [ou elle] était dans l’armée russe, il [ou elle] avait eu accès à des renseignements sensibles et classifiés qui le [ou la] mettraient en danger à son retour dans son État d’origine.

 

J’arrive à une conclusion générale d’absence de crédibilité. J’ai donc déterminé que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’a pas établi qu’il avait raison de craindre d’être persécuté en [son État d’origine]. J’ai de bonnes raisons d’arriver à cette conclusion vu les embellissements, incohérences, contradictions et invraisemblances qui sont ressortis du témoignage du demandeur et pour lesquels ce dernier n’a pu fournir aucune explication satisfaisante.

[...]

J’ai eu l’occasion d’observer le comportement du demandeur et la façon dont il [ou elle] a répondu aux questions pendant deux heures. Son témoignage était particulièrement évasif et ponctué de réponses sans rapport avec les questions, même simples. Il [ou elle] répétait souvent les mêmes réponses à des questions différentes. Le témoignage du demandeur était flou et ambigu. J’ai tenu compte du fait que le comportement d’un demandeur ne doit pas constituer le seul critère d’appréciation de la crédibilité. Il n’en demeure pas moins que, lorsqu’il est examiné à la lumière de conclusions déterminantes en matière de crédibilité, le comportement peut permettre de déceler un manque de vérité dans le récit qui est donné. J’adopte ici l’approche de la Cour fédérale, qui a statué que le comportement peut figurer parmi les facteurs dont le juge des faits peut tenir compte pour apprécier la crédibilité d’un témoin. Dans l’arrêt Wen, la Cour d’appel fédérale a dit en partie ce qui suit :

 

[...] pour conclure à la non‑crédibilité de l’appelante, la Section du statut s’est également fondée sur le fait que les réponses formulées par l’appelante étaient [traduction] « équivoques » et « évasives ». La Cour, qui n’a pas à sa disposition les éléments dont pouvaient disposer les juges du fait, n’a pas à s’immiscer dans l’appréciation que ceux‑ci ont porté sur le comportement ou l’attitude de telle et telle personne.

 

Je ne crois pas que le récit du demandeur voulant qu’il [ou elle] soit recherché par les forces [de sécurité] ou des membres du milieu criminel en [l’État d’origine du demandeur] soit crédible. J’estime que le demandeur a fabriqué certains éléments de sa déclaration pour renforcer sa demande d’asile.

          [Une partie du texte omise; parties entre crochets modifiées.]

 

 

L’arrêt Wen dont il est question dans l’extrait précité est en fait l’arrêt Wen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[4].

 

 

 

[19]           Après avoir exposé de façon détaillée ses préoccupations en matière de crédibilité, l’agent a pris connaissance de la « déclaration d’expert » et de l’évaluation psychologique dont il (ou elle) était saisi(e). L’agent a écrit ceci :

[traduction]

Au soutien de la demande d’ERAR, l’avocat a produit un volumineux paquet de documents comprenant les observations rédigées par Peter H. Solomon Jr., ... et Gerald N. Devins ... . J’accepte l’expertise du professeur Solomon et du Dr Devins. Cependant, j’estime qu’ils ne sont pas des experts quant à la situation personnelle du demandeur. De plus, ils se sont fondés sur le témoignage du demandeur, que j’ai jugé non crédible, comme nous l’avons vu plus haut. En outre, j’estime que leurs observations ne neutralisent pas mes conclusions quant à la crédibilité du demandeur. L’avocat a également produit un paquet de documents médiatiques décrivant les conditions qui prévalent tant en Russie qu’en [l’État d’origine du demandeur]. Bien que ces documents soient très instructifs, j’estime que l’information qu’ils contiennent ne dit rien sur la situation personnelle du demandeur. De plus, je considère que les documents sont de nature générale et ne se rapportent pas au demandeur en particulier, et aucune observation n’a été faite quant à la valeur de ces documents par rapport à la situation personnelle du demandeur. Ni le demandeur ni son avocat n’a fourni de preuve suffisante de l’existence d’un risque personnalisé. À cet égard, je m’inspire de la décision récente dans l’affaire Kaba c. Canada :

 

Contrairement aux prétentions du demandeur, la preuve documentaire sur un pays est insuffisante pour justifier une évaluation des risques de retour positive puisque le risque doit être personnel :

 

[...] Ceci étant dit, l’appréciation du risque que pourrait courir le demandeur d’être persécuté s’il devait être retourné dans son pays doit être personnalisé. Ce n’est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l’on doit nécessairement en déduire un risque pour un individu donné.

 

Après l’audience, l’avocat a produit des documents additionnels visant à expliquer les contradictions entre la déclaration écrite du demandeur et les renseignements révélés lors de son témoignage à l’audience. J’ai consciencieusement examiné les observations de l’avocat. Je ne considère pas que ces dernières font obstacle à mes conclusions en matière de crédibilité. Le demandeur a eu amplement l’occasion, au cours de l’audience qui a duré deux heures, de donner plus de détails sur tous les aspects de sa demande d’asile.

        [Note de bas de page omise; parties entre crochets modifiées.]

 

 

 

La référence de l’affaire Kaba c. Canada susmentionnée, qui est une affaire dont la Cour a été saisie, est indiquée ci‑dessous[5].

 

[20]           À la fin de l’audience devant l’agent, l’avocat du demandeur a demandé qu’on lui donne l’occasion de poser des questions à son client en « réinterrogatoire » pour clarifier certains aspects de l’entrevue à l’égard desquels il y avait eu, selon lui, de la confusion ou un malentendu. Sa demande a été refusée. Cela étant dit, l’avocat a eu une brève occasion de soumettre des documents consécutifs à l’audience au soutien de la demande du demandeur. Comme l’a indiqué l’agent dans l’extrait précité, l’avocat a saisi l’occasion qui lui était offerte et les documents consécutifs à l’audience ont été pris en compte par l’agent.

 

Questions en litige

[21]           Dans un protocole d’entente additionnel déposé au nom du demandeur, l’avocat a décrit les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire, ainsi que la norme de contrôle applicable, de la façon suivante :

a)                  L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en comprenant mal la nature et la pertinence du rapport psychologique, et en omettant d’en tenir compte dans son appréciation du témoignage du demandeur?

 

b)                  L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en tirant des conclusions en matière de crédibilité et de plausibilité sans tenir compte de la preuve et/ou en l’absence de preuve?

 

c)                  L’agent a‑t‑il fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’il (ou elle) a tirées de façon déraisonnable, abusive ou arbitraire ou de mauvaise foi ou sans tenir compte de la preuve dont il (ou elle) disposait?

 

d)                  L’agent a‑t‑il rendu une décision déraisonnable?

 

J’estime que les deuxième et troisième questions en litige tirées du protocole d’entente additionnel du demandeur peuvent être incorporées dans la quatrième de ces questions.

 

Analyse

            a) La norme de contrôle

[22]           Sauf en ce qui concerne les questions de droit pur et d’équité, il est maintenant bien établi, et cela n’a pas été contesté par les avocats dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, que la norme de contrôle applicable à une décision qui, comme celle ici en cause, fait ressortir une conclusion d’absence totale de crédibilité du demandeur dans le cadre d’une demande d’examen des risques avant renvoi, est celle de la « décision raisonnable », qui commande une grande déférence à l’égard du décideur et de son appréciation de la preuve dont il dispose. Il est également bien établi que le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La Cour suprême du Canada a récemment précisé, dans l’arrêt Khosa[6], qu’il peut exister plus d’une issue raisonnable et que l’important, c’est que le processus et l’issue en cause démontrent une justification, une transparence et une intelligibilité et que, s’il est satisfait au critère susmentionné, la cour de révision se garde d’y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

[23]           Après un examen complet et attentif de l’ensemble des documents soumis à la Cour dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, j’estime qu’aucune question de droit pur ou d’équité procédurale n’est en cause en l’espèce.

 

b) Mauvaise compréhension de la nature et de la pertinence du rapport psychologique et omission d’en tenir compte dans l’appréciation du témoignage du demandeur

 

[24]           Sur ce point, l’avocat du demandeur s’est fortement appuyé sur la décision Hassan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[7], dans laquelle le juge Evans, qui siégeait alors à la Cour, a écrit ceci aux paragraphes 19 à 22 de ses motifs :

En l’espèce, comme je l’ai indiqué, la crédibilité du témoignage du demandeur était un élément crucial pour la décision du tribunal. Celui‑ci a expliqué sa conclusion en invoquant les contradictions contenues dans le témoignage du demandeur ainsi que les réponses confuses et hésitantes qu’il a données aux questions posées. En fait, après avoir lu la transcription, je peux confirmer que le témoignage du demandeur était parfois tout à fait incohérent.

 

Cependant, en tirant sa conclusion, le tribunal ne s’est pas attardé dans ses motifs sur le contenu du rapport médical qui lui avait été soumis. À mon avis, ce rapport était à la fois convaincant et pertinent pour la conclusion sur la crédibilité. Les lacunes du témoignage du demandeur qui ont amené le tribunal à conclure que ce témoignage n’était pas digne de foi sont aussi compatibles avec les problèmes psychiatriques et autres dont, suivant le rapport, M. Hassan souffre, le traitement qu’il reçoit pour ceux‑ci et les résultats des tests que lui a fait passer le psychologue.

 

Je ne veux pas que l’on pense que j’affirme que, compte tenu du rapport médical, il était déraisonnable pour le tribunal de conclure à l’absence de crédibilité. Pas du tout. J’affirme plutôt que les motifs de la décision auraient dû clairement indiquer qu’en évaluant la crédibilité du demandeur, le tribunal a examiné explicitement le contenu de son rapport.

 

Certes, le tribunal a dit dans l’introduction de ses motifs qu’il avait examiné les divers éléments de preuve dont il avait été saisi, notamment le rapport médical présenté au nom du demandeur. Toutefois, étant donné la force persuasive de ce rapport, sa pertinence pour la conclusion du tribunal quant à l’absence de crédibilité et l’importance primordiale de la crédibilité pour la décision, la Section du statut de réfugié aurait dû aller plus loin. Elle devait expliquer comment elle s’en était servie pour en arriver à conclure à l’absence de crédibilité : [...].

 

                                  [Non souligné dans l’original; citation omise.]

 

 

 

[25]           À la lecture des motifs de l’agent, je suis convaincu que ce dernier « ... a examiné explicitement le contenu ... [du rapport du Dr Devins qui lui avait été soumis] ». Ce rapport ne faisait aucune allusion au traitement que le demandeur recevait ou aux résultats de tests que le psychologue lui aurait fait passer. Il ne semble plutôt s’agir que d’un rapport rédigé à la suite d’un unique entretien avec le demandeur et de la revue d’un « exposé circonstancié » fourni par l’avocat. Le rapport a été expressément abordé, non pas au début des motifs de l’agent, mais au beau milieu de ceux‑ci. J’estime qu’il y a lieu d’établir une distinction nette d’avec la décision Hassan.

 

[26]           L’avocat du demandeur s’est en outre appuyé sur la décision Yilmaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[8], dans laquelle mon collègue, le juge Russell, a écrit ceci aux paragraphes 79 et 80 de ses motifs :

Néanmoins, dans son évaluation du 22 août 2002, le Dr Devins souligne clairement que le demandeur affiche des symptômes qui [traduction] « confirment que ses expériences en Turquie ont été traumatisantes et continuent d’avoir des effets néfastes sur lui ». La remarque la plus convaincante du Dr Devins est peut‑être l’allusion qu’il a faite à différents [traduction] « problèmes cognitifs qui, » selon lui, [traduction] « sont des conséquences courantes de la désorganisation causée par le stress traumatique ». Le Dr Devins affirme clairement que ces problèmes cognitifs [traduction] « traduisent la gravité des symptômes chroniques de réaction au stress du demandeur. Ils n’indiquent pas une tentative d’éluder une question ou d’embrouiller les choses ».

 

Dans sa décision, la commissaire « n’accepte pas le diagnostic résultant » parce qu’elle « n’accepte pas que les incidents ont réellement eu lieu ». À mon avis, compte tenu des doutes déjà exprimés au sujet du diagnostic final du Dr Devins et de la façon dont celui‑ci a été établi, la commissaire aurait pu le rejeter pour des raisons valides. Cependant, la seule raison qu’elle invoque pour rejeter ce diagnostic, c’est le fait qu’elle ne croyait pas que les événements avaient réellement eu lieu. À mon sens, elle ne tient nullement compte de ce que le demandeur cherchait à démontrer en soumettant une évaluation psychologique consécutive à l’audience. De toute évidence, la commissaire a fermé les yeux devant les [traduction] « problèmes cognitifs » mentionnés dans l’évaluation et la possibilité qu’ils expliquent les difficultés évidentes que le demandeur a éprouvées à préparer un exposé circonstancié convaincant.

 

Ici encore, j’estime qu’il y a lieu d’établir une distinction d’avec la décision susmentionnée.

 

[27]           De plus, en l’espèce, l’agent n’a pas « [d]e toute évidence [...] fermé les yeux devant les “problèmes cognitifs” mentionnés dans l’évaluation ... ». Ayant été saisi(e) de l’évaluation, l’agent indique dans les motifs de sa décision avoir gardé l’évaluation à l’esprit et en avoir tenu compte, mais avoir choisi d’exercer son propre jugement compte tenu non seulement du comportement du demandeur lors de l’audience, mais aussi des embellissements, incohérences, contradictions et invraisemblances qui sont ressortis du témoignage du demandeur, et pour lesquels ce dernier n’a pu fournir aucune explication satisfaisante et l’agent n’a pu trouver aucune explication satisfaisante dans le rapport du Dr Devins.

 

[28]           Enfin, sur ce point, l’avocat a attiré l’attention de la Cour sur l’arrêt C.A. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[9], dans lequel mon collègue, le juge Teitelbaum, s’exprime ainsi au paragraphe 12 de ses motifs :

L’appréciation par la Commission de la crédibilité en l’espèce est liée à son examen de la preuve psychologique et médicale. Certes, il ne s’agit pas du cas d’un tribunal « faisant abstraction » du témoignage comme ce fut le cas dans l’affaire Galindo c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration […]. La Commission a effectivement fait état de la preuve médicale du TSPT. Toutefois, elle n’a pas donné à ce témoignage le poids ou la reconnaissance appropriés concernant la question cruciale de la crédibilité. De l’aveu de tous, il est présumé qu’un décideur tient compte de tous les éléments de preuve produits, et qu’il n’est nullement besoin de faire explicitement état de chaque élément de preuve : (Hassan c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration)) […]. Toutefois, en l’espèce, la Commission a mal caractérisé la preuve médicale parce qu’elle n’a pas souligné les effets du TSPT sur la crédibilité du requérant lorsque celle‑ci était le pivot de sa décision.

                                                                            [Citations omises.]

 

Eu égard aux circonstances de la présente affaire, je suis convaincu que l’agent a adéquatement et explicitement expliqué pourquoi il (ou elle) a donné la priorité à sa propre appréciation de la crédibilité du demandeur malgré l’opinion d’expert du Dr Devins dont il (ou elle) disposait.

 

[29]           L’avocat du défendeur a fait référence à la décision Garay Moscol et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[10], dans laquelle mon collègue, le juge Martineau, a écrit ceci au paragraphe 10 de ses motifs :

La jurisprudence souligne que la SPR doit tenir compte du fait que la condition psychologique dans laquelle se trouve un demandeur d’asile peut quelquefois expliquer les omissions dans son récit au point d’entrée ou le manque de détails ou la confusion quant aux dates pouvant apparaître lors de son témoignage, d’où la responsabilité d’examiner la portée générale d’un rapport psychologique avant de conclure trop hâtivement qu’un demandeur d’asile n’est pas crédible […]. Mais encore faut‑il qu’il soit démontré à la satisfaction de la Cour qu’il existe un certain lieu de connexité entre les « erreurs cognitives auxquelles le rapport psychologique fait référence » […] et les contradictions ou les omissions relevées par la SPR dans la décision attaquée. Considérant l’ensemble du dossier, incluant le contenu du rapport psychologique en question, je ne crois pas que le simple défaut de la SPR de commenter dans sa décision l’état psychologique de la demanderesse constitue en l’espèce une erreur de droit qui justifie ici l’annulation de la décision rendue et le renvoi de l’affaire à la SPR pour une nouvelle évaluation de la preuve.

                                                                             [Citations omises.]

 

 

[30]           Ici encore, selon les circonstances de la présente affaire, l’agent n’a pas simplement omis de commenter dans sa décision l’état psychologique du demandeur et le rapport Devins. L’agent a bel et bien fait état du rapport qui lui avait été soumis et, j’en suis convaincu, raisonnablement expliqué pourquoi il (ou elle) l’a rejeté au profit de sa propre appréciation du témoignage et du comportement du demandeur devant lui (ou elle).

 

[31]           Par conséquent, je suis convaincu que le demandeur ne peut tout simplement pas avoir gain de cause pour ce motif selon la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

c)  Était‑il raisonnablement loisible à l’agent de rendre la décision faisant l’objet du présent contrôle?

[32]           Je suis convaincu, en résumé, qu’il faut répondre oui à cette question. Ce n’est peut‑être pas la décision qu’un autre agent ou la Cour aurait rendue en présence de la preuve très favorable qui avait été soumise à l’agent. Cela étant dit, si cette preuve est jugée non crédible, pour des motifs valables et suffisants adéquatement expliqués, comme ce fut le cas, j’en suis convaincu, en l’espèce, il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation de la preuve du demandeur et, plus particulièrement, de sa crédibilité, à celle de l’agent qui a eu la possibilité d’observer le demandeur et d’entendre son témoignage au cours d’une longue entrevue. Rien ne me permet de conclure que l’agent a fait fi ou omis de tenir suffisamment compte d’un quelconque élément de la preuve qui lui avait été soumise.

 

Conclusion

[33]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[34]           Une copie non signée des présents motifs et de la présente ordonnance a été remise à l’avance aux avocats à seule fin de leur permettre de formuler des observations sur les mesures prises pour supprimer l’identité du demandeur et de son État d’origine.

 

Certification d’une question

[35]           À la fin de l’audience, les avocats ont été informés de la conclusion de la Cour voulant que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucun des avocats n’a recommandé la certification d’une question. La Cour est elle‑même convaincue que la décision faisant l’objet du présent contrôle est fondée sur les faits uniques de la présente affaire et qu’aucune question grave de portée générale qui permettrait de trancher un appel à l’égard de sa conclusion n’est soulevée en l’espèce. Aucune question ne sera donc certifiée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE :

1.                  De la propre initiative de la Cour, l’intitulé de la présente cause est remplacé par celui figurant dans les présents motifs d’ordonnance et ordonnance.

 

2.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

3.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« Frederick E. Gibson »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B.

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4338-08

 

INTITULÉ :                                       Y. Z. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 juin 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE GIBSON (J.S.)

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 juillet 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brouwer

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontrario)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1]               [2002] 2 R.C.S. 522.

[2]               Dossier du tribunal, volume 1, pages 96 à 103.

[3]               Dossier du tribunal, volume 1, pages 104 à 108.

[4]               (1994), 48 A.C.W.S. (3d) 1000; [1994] A.C.F. no 907 (QL) (C.A.F.).

[5]               160 A.C.W.S. (3d) 524; 2007 CF 647.

[6]               Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 C.S.C. 12, au paragraphe 59.

[7]               (1999), 174 F.T.R. 288; 91 A.C.W.S. (3d) 450 (C.F.).

[8]               2003 CF 1498, 38 Imm. L.R. (3d) 289.

[9]               [1997] A.C.F. no 1082 (QL), 19 août 1997.

[10]             2008 C.F. 657 (CanLII, 26 mai 2008).

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