Ottawa (Ontario), le 16 mars 2009
En présence de madame la juge Snider
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur est un homosexuel âgé de 24 ans qui est entré au Canada en janvier 2006. Selon ses allégations, il est né en Chine, mais a déménagé au Panama quand il avait 4 ans, retournant en Chine en 2004 pour aller habiter chez son grand-père. La demande d’asile du demandeur au Canada était d’abord fondée sur un risque de persécution en Chine et au Panama en raison de son orientation sexuelle. Le demandeur accepte à ce stade‑ci que, puisque son passeport panaméen a été obtenu illégalement, sa demande d’asile se poursuivra sur le seul fondement de ses allégations relatives à la Chine.
[2] Dans une décision datée du 9 juillet 2008, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La décision reposait sur deux conclusions principales :
(a) le demandeur n’a pas été en mesure d’établir son identité panaméenne ou chinoise;
(b) en tout état de cause, le demandeur n’a pas fourni d’éléments de preuve crédibles selon lesquels il avait été persécuté au Panama et en Chine ou le serait s’il était renvoyé au Panama ou en Chine.
[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, alléguant que les deux conclusions de la Commission sont erronées.
[4] La décision de la Commission sur ces deux questions exigeait des conclusions de fait ou, tout au plus, des conclusions mixtes de fait et de droit. La Cour peut contrôler de telles conclusions selon la norme de la décision raisonnable.
[5] L’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), soulignent l’importance d’établir l’identité du demandeur.
106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer. |
106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation. |
7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer. |
7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them. |
[6] Il incombe au demandeur de présenter des documents acceptables pour établir son identité. Cependant, s’il n’est pas en mesure de le faire, la Commission doit prendre en compte le fait que le demandeur ne peut raisonnablement justifier l’absence de tels documents et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer (Voir Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 877, [2008] A.C.F. n° 1090 (QL), au paragraphe 14).
[7] Dans la présente affaire, le demandeur n’a produit que trois documents comme preuve de son identité :
· un permis de conduire et un diplôme d’études secondaires du Panama;
· un certificat de naissance de la Chine.
[8] La Commission a conclu, en s’appuyant sur les facteurs suivants, que le demandeur n’avait pas établi son identité nationale :
· Différents documents d’identité fournis par le demandeur ont été établis à différents noms. Les documents panaméens utilisaient le nom de « Luis Yau Chang », alors que le nom du demandeur sur son certificat de naissance et le nom qui apparaît sur son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) est Huan Quan Qiu. Dans son dossier de l’interrogatoire et dans la version non modifiée de son FRP, le demandeur avait affirmé que son autre nom était Luis Yau. Quand la Commission lui a demandé pourquoi il n’avait pas précisé que son nom au complet était Luis Yau Chang, le demandeur a répondu qu’il ne le savait pas;
· Le demandeur a soutenu qu’il avait une carte d’identité nationale panaméenne en Chine, mais que son grand-père n’avait pas réussi à la retrouver;
· Le demandeur a affirmé qu’il avait un passeport panaméen, mais que l’agent qui avait organisé son voyage en Chine l’avait pris. La Commission a conclu que cette allégation était invraisemblable et non crédible étant donné les 12 ans d’éducation du demandeur et sa vaste expérience des voyages internationaux;
· Le demandeur n’a pas pu expliquer pourquoi il avait voyagé avec un faux passeport singapourien alors qu’il aurait pu voyager avec un passeport panaméen;
· Le demandeur n’a pu fournir aucun document, tel qu’un rapport de police ou un certificat de décès, pour confirmer l’allégation selon laquelle ses parents étaient décédés au Panama à la suite d’un vol qualifié violent;
· Le demandeur n’a fourni aucun effort pour obtenir un nouveau passeport et une nouvelle carte d’identité nationale malgré le peu de documents dont il disposait quant à son identité panaméenne. Le demandeur a expliqué à cet égard qu’il n’y avait pas songé parce qu’il avait un permis de conduire. La Commission n’a pas jugé cette explication crédible étant donné que le demandeur était représenté par un conseil et avait eu suffisamment de temps pour obtenir des documents d’identité acceptables;
· Le seul document d’identité chinois du demandeur était un certificat de naissance qui, selon la Commission, aurait pu être obtenu facilement de manière frauduleuse;
· La Commission a conclu que la capacité du demandeur de parler espagnol et cantonais constituait un élément insuffisant pour établir sa nationalité parce qu’il pourrait être un résident de Hong Kong ou de tout autre pays comptant une importante population chinoise.
[9] Le demandeur soutient que lorsqu’elle a examiné ses documents d’identité, la Commission a adopté une approche trop critique et inéquitable en rejetant l’authenticité de quelques documents en l’absence de toute preuve qu’ils étaient frauduleux.
[10] Comme il a été indiqué précédemment, il incombe au demandeur de produire des documents acceptables pour établir son identité. En l’espèce, le demandeur n’a produit qu’un document (un certificat de naissance) pour établir son identité en tant que citoyen chinois. Il n’a produit qu’un document d’identité avec photo (un permis de conduire), qui a été établi à un nom différent du sien, pour prouver sa citoyenneté panaméenne. Après avoir lu la transcription de l’audience, je suis convaincue que la Commission a fourni au demandeur amplement l’occasion d’expliquer pourquoi il n’avait pas d’autres documents et quelles mesures il avait prises pour s’en procurer.
[11] La Commission pouvait tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur l’incapacité du demandeur de fournir des documents importants, comme sa carte d’identité nationale ou son passeport panaméens et le certificat de décès de ses parents, et en se fondant sur son incapacité de fournir les raisons impératives pour lesquelles ces documents n’avaient pas été obtenus et présentés à la SPR.
[12] Le demandeur soulève une question particulière quant au traitement accordé par la Commission à son certificat de naissance chinois. La Commission a accordé peu d’importance au certificat de naissance, car « il est facile de s[e] procurer [en Chine] un certificat de naissance frauduleux ». Selon le demandeur, la Commission aurait dû soumettre le document à une analyse judiciaire avant de le rejeter comme document frauduleux. Je ne suis pas de cet avis. Malgré son affirmation selon laquelle il avait habité en Chine pendant deux ans, le demandeur n’avait absolument aucun autre document pour prouver son identité ou sa présence en Chine. Vu l’absence de tout document corroborant, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que le certificat de naissance, document qui pourrait facilement être frauduleux, ne prouvait pas son identité.
[13] En somme, je suis convaincue que la Commission a tiré une conclusion raisonnable en se fondant sur le nombre limité de documents d’identité produits par le demandeur et sur les problèmes de ceux qu’il avait produits.
[14] Si l’identité du demandeur n’a pas été établie, il n’est pas nécessaire d’analyser plus à fond la preuve et la demande doit être rejetée (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 296, [2006] A.C.F. nº 368 (QL), au paragraphe 8; Husein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. nº 726 (QL)). Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner la raisonnabilité de la conclusion de la Commission sur le degré de discrimination subie par le demandeur en Chine ou au Panama. Néanmoins, je soulignerai qu’après examen du dossier, je suis convaincue que la décision de la Commission sur la question de l’identité appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).
[15] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé la certification d’une question. À mon avis, aucune question ne devrait être certifiée.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3382-08
INTITULÉ : HUAN QUAN QIU c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 11 mars 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 16 mars 2009
COMPARUTIONS :
Mark Rosenblatt
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David Joseph
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mark Rosenblatt Avocat Toronto (Ontario)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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