Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 8 juin 2009
En présence de madame la juge Dawson
ENTRE :
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et
SCOTT BARKER, ROBERT A. BELL, KIRSTEN CARRIER,
ANGELA CHIN, MASON COOKE, MANDY DHUDWAL, DANIELLE
GETZIE, DANIEL GREENHALGH, ALISON HAYCOCK,
BRIANNA HEWSON, CHRISTINE HOOPER, DAVID JOHNSON,
LAURA KEBLE, LAURA KNIGHT, WILLIAM MACRAE, DAVID ROBERTS,
JESSICA SHUM, TRENT VAN HELVOIRT,
JEFFREY WICHARUK
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Il a été jugé que M. Hughes, le demandeur, n’était pas qualifié en vue d'être inscrit dans un répertoire de candidats préqualifiés pour être nommés à des postes d’inspecteur des douanes PM‑02 à l’aéroport international de Vancouver, dans le district Metro Vancouver et dans le district Pacific Highway (le répertoire, à Vancouver). Par conséquent, M. Hughes a déposé auprès de la Commission de la fonction publique (la Commission), en vertu de l’ancienne Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑331 (la Loi), une plainte au sujet du répertoire, à Vancouver. Une enquête a ensuite été effectuée conformément à l’article 7.1 de la Loi. L’enquêteur a conclu que la plainte était fondée, et ce, pour deux raisons :
1. Le processus de sélection n’avait pas été effectué conformément au principe du mérite, parce que deux des qualifications que le gestionnaire recruteur avait établies au départ n’avaient jamais été évaluées.
2. Le jury de sélection n’avait pas appliqué ses propres directives lorsqu’il s’était agi de vérifier si les exposés écrits des candidats avaient été reçus à temps, de sorte qu’il était possible que des candidats qui auraient dû être éliminés du processus de sélection aient été nommés.
[2] Il a été jugé qu’à d’autres égards, la plainte n’était pas fondée.
[3] L’article 7.5 de la Loi confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de prendre, selon les résultats de l’enquête, « les mesures de redressement qu’elle juge indiquées ». La Commission a retenu les conclusions de l’enquêteur et elle a ordonné la prise de mesures de redressement. Dans ces mesures, il était tenu compte du fait qu’au cours du processus de sélection, le poste d’inspecteur des douanes PM‑02 avait fait l’objet d’une reclassification nationale et qu’il était désormais classifié en tant que poste d’agent des services frontaliers PM‑03. La Commission a ordonné la prise des mesures de redressement suivantes :
[traduction]
· que [l'Agence des services frontaliers du Canada] fournisse à la Commission la preuve de l'évaluation, au moment de la reclassification, des qualifications des employés actuels qui ont été nommés à l'aide du répertoire de candidats préqualifiés et dont les postes, qui étaient auparavant des postes d'inspecteur des douanes PM‑02, ont été reclassifiés pour devenir des postes d'agent des services frontaliers PM‑03. Cette preuve doit être fournie au vice‑président de la Direction générale des enquêtes, Commission de la fonction publique, dans les trente (30) jours qui suivront la date du présent compte rendu de décision;
· que la nomination des personnes qui ne sont pas jugées qualifiées soit au besoin révoquée dans les soixante (60) jours qui suivront la date du présent compte rendu de décision.
[4] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.
Le contexte factuel
[5] Le processus de sélection a été annoncé au mois de juin 2003; il s’agissait d’un concours public. À ce moment‑là, Services frontaliers Canada faisait partie de l’Agence des douanes et du revenu du Canada et la Loi ne s’appliquait pas à la dotation des postes de ce service. Le 12 décembre 2003, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a été établie en tant que ministère au sein de la fonction publique. Depuis lors, toutes les nominations sont assujetties à la Loi.
[6] Plus de 2 000 personnes ont demandé à être inscrites au répertoire, à Vancouver.
[7] Les candidats qui satisfaisaient aux exigences en matière d’études et d’expérience ont été invités à se présenter au test écrit d’inspecteur des douanes, dans le cadre duquel cinq facteurs différents étaient évalués. On a ensuite demandé aux candidats qui avaient réussi le test d’effectuer un exercice écrit intitulé : « Portfolio de compétences ». Si les réponses écrites d’un candidat répondaient aux critères établis, celui‑ci était invité à une entrevue aux fins de l’évaluation de la compétence : « Communication interactive efficace ». Les candidats qui satisfaisaient à cette norme de compétence étaient ensuite invités à une seconde entrevue, au cours de laquelle sept compétences étaient évaluées.
[8] M. Hughes a demandé à être inscrit au répertoire, à Vancouver. Il avait déjà réussi, lors de processus de sélection à des postes d’inspecteur des douanes, et il avait été inscrit aux répertoires à l’égard de ces concours. M. Hughes avait été embauché, pendant l’été, en 2002, en 2003 et en 2004, à titre d’inspecteur des douanes au port de traversiers de Victoria.
[9] M. Hughes a réussi les étapes initiales du processus de sélection et il a été invité à une seconde entrevue. Lors de cette entrevue, il a été jugé qu’il n’était pas qualifié en ce qui concerne les compétences : « Contrôle des situations difficiles » et « Confiance en soi ».
[10] Vingt‑deux candidats ont été reçus à toutes les étapes du processus de sélection; ils ont été inscrits au répertoire, à Vancouver, lequel a été établi le 22 juin 2004. Vingt candidats ont été nommés, au moyen de ce processus, à des postes d’une durée indéterminée. Un candidat a refusé une offre. Un candidat a été nommé à un poste d’inspecteur des douanes, à Victoria, en Colombie‑Britannique, au moyen d’un processus de sélection différent. Le répertoire, à Vancouver, a été épuisé le 7 janvier 2005.
[11] Dans la plainte qu’il a présentée devant l’enquêteur, M. Hughes a avancé un certain nombre d’allégations. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, deux motifs de plainte ont été jugés fondés. L’enquêteur a conclu que les autres allégations étaient dénuées de fondement. Il s’agissait des allégations suivantes :
· Le jury de sélection avait un parti pris contre M. Hughes.
· M. Hughes avait été jugé non qualifié, d’une façon irrégulière, à l'égard des compétences : « Contrôle des situations difficiles » et « Confiance en soi ».
[12] Comme il en a ci‑dessus été fait mention, après que le processus de sélection eut été annoncé, mais avant que le répertoire, à Vancouver, eût été établi, le poste d’inspecteur des douanes PM‑02 a fait l’objet d’une reclassification nationale et a été classifié en tant que poste d’agent des services frontaliers PM‑03. M. Hughes affirme que, le 21 février 2007, la classification du poste et le groupe y afférent ont de nouveau été changés, le poste devenant un poste FB‑03 par suite d’une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique.
[13] L’enquêteur a rendu sa décision le 31 mai 2006. M. Hughes, l’ASFC et les défendeurs individuels ont eu la possibilité de soumettre à la Commission des observations au sujet des mesures de redressement qu’il convenait de prendre.
[14] Le 13 juin 2007, la Commission a présenté un compte rendu de décision, par lequel elle retenait les conclusions de l’enquêteur et ordonnait le prise des mesures de redressement susmentionnées.
La décision de la Commission
[15] Les motifs de la Commission étaient brefs :
[traduction]
MOTIFS AFFÉRENTS AU COMPTE RENDU DE DÉCISION 07‑06‑IB‑41
Le poste d'inspecteur des douanes PM‑02 a fait l'objet d'une reclassification nationale au mois d'octobre 2004 pour devenir un poste d'agent des services frontaliers PM‑03. Les normes de compétence PM‑03 comprenaient les deux qualifications initialement établies par le gestionnaire recruteur (Sens de l'exécution de la loi et Professionnalisme) ainsi que les trois qualifications non énoncées dans l'avis de concours (Contrôle des situations difficiles, Prise de décisions et Confiance en soi). Lors de la reclassification, l'Agence des services frontaliers du Canada (l'ASFC) a évalué chacune des cinq (5) qualifications en question dans tous les processus de sélection. Le sens de l'exécution de la loi et le professionnalisme font partie de l'évaluation préliminaire effectuée localement, alors que les trois autres font partie d'un stage d'évaluation et de formation de treize semaines au Centre d'apprentissage de l'ASFC, à Rigaud (Québec).
Les normes de compétence pour le poste d'agent des services frontaliers existent maintenant uniquement au niveau PM‑03. Il est raisonnable de conclure que chaque employé a été jugé pleinement qualifié lors de la reclassification. Cela veut dire qu'il aurait été satisfait au principe du mérite. Pour ces motifs, la Commission cherche à vérifier si les employés qui ont été nommés à l'aide du répertoire des candidats préqualifiés et dont les postes ont été reclassifiés pour devenir des postes PM‑03 ont été évalués lors de la reclassification. À ce stade, il serait superflu et inutile d'exiger que l'ASFC réévalue les qualifications pour un poste d'un niveau (PM‑02) qui n'existe plus.
Si les employés touchés par cette mesure de redressement ont vu leur nomination révoquée, l'administrateur général pourra les réévaluer et les nommer de nouveau en tirant parti de la souplesse qu'offre la Loi sur l'emploi dans la fonction publique actuelle, L.R.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13, dans sa forme modifiée, selon laquelle la norme applicable est que la personne qui doit être nommée possède les qualifications essentielles. Un tel processus ne donnerait pas lieu à une mesure de redressement utile et ne constituerait qu'une démarche administrative.
En ce qui concerne la situation du plaignant lui‑même, il n'a pas obtenu la note de passage pour deux des qualifications évaluées : Contrôle des situations difficiles et Confiance en soi. L'enquête n'a révélé aucun parti pris de la part du jury de sélection. Le plaignant a depuis lors eu la possibilité d'être évalué pour le poste d'agent des services frontaliers PM‑03 et il a de nouveau été jugé non qualifié, de sorte qu'aucune mesure supplémentaire n'a à être prise.
En arrivant à sa décision, la Commission a également tenu compte du fait qu'à cause du taux de rotation élevé des titulaires de ces postes, l'ASFC doit régulièrement mener des processus de nomination en vue de renforcer ses effectifs dans plusieurs régions du Canada. Des possibilités d'emploi continueront à exister pour les personnes qui veulent se porter de nouveau candidates à l'avenir.
Enfin, en ce qui concerne une question distincte, étant donné que les résultats de l'enquête montrent clairement qu'il n'est pas possible de déterminer, du moins avec un certain degré de certitude, si un portfolio de compétences particulier a été soumis en retard par un des candidats, aucune mesure supplémentaire ne sera prise à cet égard.
Les questions en litige
[16] Dans son mémoire initial des faits et du droit, M. Hughes énumère les questions en litige :
1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en permettant à des personnes embauchées en violation de la Loi, qui n’étaient pas qualifiées pour occuper le poste, à conserver leur emploi au moyen d’un processus de reclassification distinct indépendant pour un poste d’agent des services frontaliers FB‑03, plutôt qu'un poste d’inspecteur des douanes PM‑02?
2. La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de révision en ne tenant pas compte des examens écrits reçus en retard et en omettant d’annuler le concours au complet?
3. La décision de la Commission était‑elle conforme au principe du mérite, au droit contractuel ainsi qu’à la Loi et à son règlement d’application?
4. La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en ne permettant pas au demandeur et aux autres candidats non reçus de participer à la réévaluation prévue par les dispositions transitoires de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22?
5. La Commission a‑t‑elle omis de prendre en compte la décision qui avait été rendue sur la plainte, à Victoria, selon laquelle les répertoires de candidats à des postes d’inspecteur des douanes PM‑02 ne pouvaient pas être utilisés pour la dotation de postes d’agent des services frontaliers PM‑03 en ce qui concerne les contrats d’emploi du mois d’octobre 2004 et du mois de janvier 2005?
6. La Commission a‑t‑elle omis de tenir compte des irrégularités commises lors de l’embauche d’un candidat particulier?
7. En tardant à enquêter et à prendre des mesures de redressement, tout en permettant aux défendeurs individuels de conserver leur emploi tant que des mesures de redressement ne seraient pas prises, la Commission a‑t‑elle accordé un avantage indu aux défendeurs individuels?
8. La Commission aurait‑elle dû ordonner à l’ASFC d’épuiser le répertoire, à Victoria, rétroactivement au mois de juin 2004, pour les postes, à Vancouver, compte tenu du fait que l’enquête, à Vancouver, montrait qu’aucun des candidats n’avait été évalué d’une façon régulière et que le demandeur et 13 autres candidats étaient inscrits dans un répertoire plus ancien de candidats préqualifiés, à Victoria?
[17] Dans son mémoire supplémentaire des faits et du droit, M. Hughes énumère les questions en litige comme suit :
1. Étant donné les délais injustifiés et les erreurs commises par la Commission, du mois d’octobre 2004 au mois de juillet 2005, et le fait que la Commission a longuement tardé à ordonner la prise de mesures de redressement, entre le mois de juin 2006 et le mois de juin 2007, ces mesures de redressement devraient‑elles être annulées?
2. La Commission aurait‑elle dû omettre de tenir compte de la recommandation que l’enquêteur avait faite au sujet des mesures de redressement?
3. L’exclusion de 39 candidats qui ont d’une façon irrégulière été jugés non qualifiés, tout en permettant à 18 candidats embauchés d’une façon irrégulière d’obtenir des promotions, constitue‑t‑elle une violation du principe du mérite?
4. Certains employés de la Commission avaient‑ils un parti pris ou ont‑ils violé le principe du mérite en excluant le demandeur lorsque des mesures de redressement ont été prises, au mois de février 2006, et ce, même si le demandeur avait été inclus lorsque des mesures de redressement avaient été prises entre le mois de septembre 2005 et le mois de janvier 2006?
5. La Commission a‑t‑elle appliqué d’une façon erronée les décisions qu’elle a citées, et plus précisément la décision McAuliffe?
6. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte des notes de passage du demandeur, lors des concours qui avaient eu lieu à Victoria, en 2003 et en 2004?
7. Le fait que le conciliateur a déclaré d’une façon inexacte que le demandeur n’était pas inscrit au répertoire a‑t‑il amené la Commission à ordonner la prise de mesures de redressement erronées?
8. Étant donné l’importance de la non‑divulgation d’une agression sexuelle et d’un abus de confiance allégués auxquels se serait livré un candidat reçu, devrait‑il être ordonné à la Commission de réexaminer les mesures de redressement à prendre à l’égard de ce candidat, maintenant que cet incident est connu?
[18] Je formulerai les questions en litige comme suit :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission?
2. Les mesures de redressement ordonnées par la Commission doivent‑elles être annulées en raison d’un délai injustifié?
3. Certains employés de la Commission avaient‑ils un parti pris contre M. Hughes?
4. Les mesures de redressement ordonnées par la Commission étaient‑elles raisonnables?
La norme de contrôle
[19] Les deuxième et troisième questions se rapportent à la justice naturelle et à l’équité procédurale, de sorte que l’analyse relative à la norme de contrôle ne s’applique pas. Voir Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100. Il appartient à la Cour de décider, sans faire preuve de déférence envers le décideur, s’il a été satisfait aux exigences de la justice naturelle et de l’équité procédurale.
[20] Quant à l’autre question, la Cour est tenue de déterminer si la jurisprudence a déjà établi d’une façon satisfaisante le degré de déférence à accorder en ce qui concerne une catégorie particulière de questions. Ce n’est que si cette démarche s’avère infructueuse qu’il faut procéder à une analyse relative à la norme de contrôle. Voir : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 62.
[21] On n’a cité aucune décision portant sur le degré de déférence à accorder à la Commission lorsqu’elle exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré à l’article 7.5 de la Loi. Il faut donc analyser les facteurs requis afin de déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer. Ces facteurs sont notamment les suivants :
1. l’existence ou l’inexistence d’une clause privative;
2. la raison d’être de la Commission suivant l’interprétation de sa loi habilitante;
3. la nature de la question en cause;
4. l’expertise de la Commission.
[22] Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent être déterminants. Voir : Dunsmuir, au paragraphe 64.
[23] En l’espèce, les facteurs déterminants sont les suivants : la nature du régime administratif établi par la Loi et l’expertise reconnue de la Commission.
[24] La Cour a reconnu que la Commission est chargée de surveiller la fonction publique et de mettre en œuvre la Loi. Voir : Harquail c. Canada (Commission de la fonction publique) (2004), 264 F.T.R. 181, au paragraphe 28. La Loi a pour but d’assurer la bonne administration de la fonction publique et d’en protéger l’intégrité. Voir : Harquail, au paragraphe 29.
[25] Un élément clé de la Loi est l’exigence, au paragraphe 10(1), selon laquelle « [l]es nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d’une sélection fondée sur le mérite, selon ce qui détermine la Commission ». L’article 7.1 de la Loi permet à la Commission d’effectuer des enquêtes sur toute question relevant de sa compétence. L’article 7.5 de la Loi autorise la Commission à prendre, selon les résultats de l’enquête « les mesures de redressement qu’elle juge indiquées ». Ce pouvoir discrétionnaire est plus étendu que celui qui est conféré à la Commission au paragraphe 21(3) de la Loi, qui permet à la Commission de « prendre toute mesure qu’elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité » dans le processus de sélection.
[26] La portée du pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission, auquel vient s’ajouter un régime de la fonction publique « distinct et particulier » dans le cadre duquel la Commission possède une expertise, permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer aux décisions de la Commission. Voir : Dunsmuir, au paragraphe 55. Par conséquent, la décision de la Commission doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité.
L’application de la norme de contrôle
Les mesures de redressement ordonnées par la Commission doivent‑elles être annulées en raison d'un délai injustifié?
[27] M. Hughes affirme que les mesures de redressement doivent être annulées, compte tenu des [traduction] « délais injustifiés et des erreurs commises par [la Commission] du mois d’octobre 2004 au mois de juillet 2005 et du fait que la Commission a longuement tardé à ordonner la prise de mesures de redressement, entre le mois de juin 2006 et le mois de juin 2007 ».
[28] À l’appui de cet argument, M. Hughes a présenté la preuve suivante :
· On lui a assuré qu’il faut au plus trois mois pour prendre les mesures de redressement. M. Hughes a subi un stress émotionnel et financier à cause du temps qu’il a fallu à la Commission pour appliquer ces mesures.
· Au mois de juillet 2006, la Commission a remis aux intéressés une ébauche des mesures de redressement envisagées. Après avoir reçu des observations de M. Hughes et de l’ASFC, la Commission a fourni une nouvelle ébauche, le 20 septembre 2006. Par la suite, M. Hughes n’a reçu aucune communication de la Commission pendant plusieurs mois.
· Les délais de la Commission ont énormément stressé et mécontenté M. Hughes. Il a déposé une plainte fondée sur les normes de service auprès du président de la Commission.
· Les documents que M. Hughes a reçus de la Commission montrent que cette dernière a tardé à maintes reprises, par suite de ses propres erreurs, à faire avancer le dossier. Il y a eu un délai inutile de neuf mois à l’étape de l’enquête et un autre délai de neuf ou dix mois à l’étape de la prise de mesures de redressement.
[29] Je note au départ que M. Hughes se plaint d’importants délais, et ce, depuis le moment où il a initialement tenté de déposer une plainte, notamment à l’étape de l’enquête. La présente demande de contrôle judiciaire se rapporte uniquement à la décision que la Commission a prise le 13 juin 2007 au sujet des mesures de redressement. L’article 7.5 de la Loi exige qu’une telle décision soit prise selon les résultats de l’enquête. Dans ce cas‑ci, l’enquête a pris fin le 31 mai 2006 seulement. Par conséquent, la période pertinente, pour ce qui est du délai, va du 31 mai 2006 au 13 juin 2007. La Commission ne pouvait rien faire au sujet des mesures de redressement proposées tant qu’elle n’avait pas reçu le rapport de l’enquêteur.
[30] Selon moi, les dates pertinentes et la suite des événements sont les suivants :
1. 31 mai 2006 : L’enquêteur présente son rapport.
2. 26 juin 2006 : M. Hughes soumet ses observations au sujet des mesures de redressement.
3. 21 juillet 2006 : L’ASFC soumet ses observations au sujet des mesures de redressement.
4. 31 juillet 2006 : M. Hughes remet sa réponse aux observations de l’ASFC.
5. 31 juillet 2006 : L’ASFC soumet ses observations finales.
6. 17 août 2006 : Le conciliateur prépare une ébauche concernant les mesures de redressement envisagées. Il propose notamment que la candidature de tous les candidats, reçus ou non, soit réexaminée afin de déterminer si l’omission d’évaluer les deux qualifications entraînait leur exclusion définitive.
7. 20 septembre 2006 : Le conciliateur remet l’ébauche à M. Hughes et à l’ASFC pour commentaires. Il demande également à l’ASFC d’aviser les personnes susceptibles d’être touchées par les mesures de redressement.
8. 6 octobre 2006 : M. Hughes fait savoir au conciliateur que l’ébauche indique un parti pris. Des commentaires plus détaillés sont fournis le 10 octobre 2006.
9. 22 décembre 2006 : Le directeur intérimaire de la Direction générale des enquêtes, Opérations régionales, de la Commission (le directeur intérimaire) prend en charge l’étape de la conciliation.
10. 16 février 2007 : La Commission avise M. Hughes et l’ASFC qu’elle envisage la prise de mesures de redressement différentes de celles qu’elle a déjà proposées. La Commission donne aux parties la possibilité de faire des commentaires sur les nouvelles mesures de redressement proposées. En fait, l’ébauche dit que [traduction] « la Commission a décidé de ne pas prendre de mesures de redressement dans ce cas‑ci ».
11. 16 mars 2007 : L’ASFC déclare être satisfaite des mesures de redressement proposées.
12. 30 mars 2007 : M. Hughes donne une longue réponse, dans laquelle il déclare s’opposer avec véhémence aux nouvelles mesures de redressement proposées. Dans sa réponse, M. Hughes fait savoir qu’il entend modifier la plainte qu’il a déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en vue de constituer la Commission comme partie et qu’il envisage de constituer la Commission comme partie dans les poursuites civiles qu’il a engagées contre l’ASFC.
13. 30 mai 2007 : Une note d’information est préparée à l’intention du président de la Commission. Il y est recommandé que la Commission ordonne la prise des mesures de redressement (mesures qu’elle a finalement adoptées).
14. 13 juin 2007 : La Commission fait connaître sa décision.
[31] En droit, les principes de justice naturelle et l’obligation d’agir équitablement comprennent le droit à une audience équitable. Il est possible de remédier sur le plan du droit à un délai injustifié, dans les procédures administratives, qui compromet l’équité de l’audience. Voir : Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 102.
[32] En l’espèce, la présentation de la preuve a pris fin à l’étape de l’enquête. Il n’est pas invoqué que le délai a compromis la capacité de M. Hughes de présenter sa cause, parce que les témoins étaient décédés ou que les souvenirs s’étaient estompés. Il n’est pas invoqué que le délai a entraîné ce type d’iniquité.
[33] Toutefois, il y a d’autres types de préjudices que celui qui compromet l’équité du procès. Un délai inacceptable peut constituer un abus de procédure, même lorsque l’équité de l’audience n’a pas été compromise. Toutefois, les cas de ce genre sont exceptionnels et rares sont les longs délais qui satisfont à ce critère préliminaire. Pour constituer un abus de procédure, le délai doit être manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice sérieux. Autrement dit, le délai ne constitue pas en soi un abus de procédure. La partie qui invoque le délai doit établir que le délai était « inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause ». Voir Blencoe, aux paragraphes 115 et 121.
[34] En l’espèce, les délais ne satisfont pas au critère préliminaire, et ce, notamment pour les raisons ci‑après énoncées.
[35] Premièrement, la Commission faisait face à une situation relativement complexe. L’ASFC a été réorganisée, de façon que les nominations soient effectuées conformément aux dispositions de la Loi. Au mois d’octobre 2004, les postes PM‑02 ont été reclassifiés à l’échelle nationale et sont devenus des postes PM‑03. Par suite de la reclassification, les qualifications du poste ont changé. Comme l’enquêteur l’a dit : [traduction] « Il n’est plus possible de réévaluer les candidats au poste, à Vancouver, étant donné que le poste a été reclassifié et que les qualifications ont changé. » La complexité de la situation explique dans une certaine mesure le temps qu’il a fallu à la Commission. Cela explique également le nombre de fois où M. Hughes et d’autres intéressés se sont vu donner la possibilité de répondre à l'égard des mesures de redressement proposées.
[36] Deuxièmement, l’enquêteur a conclu que les allégations de déclarations irrégulières selon lesquelles M. Hughes n’était pas qualifié et les allégations de parti pris étaient dénuées de fondement. Par la suite, il a été conclu que M. Hughes n’était pas qualifié pour occuper le poste d’agent des services frontaliers PM‑03 (un poste de niveau d’entrée). Dans ces conditions, il est difficile de voir comment M. Hughes a subi un préjudice du fait qu’il a fallu du temps à la Commission pour arriver à sa décision au sujet des mesures de redressement. Compte tenu du rapport de l’enquêteur, M. Hughes aurait pu espérer, au mieux, que la Commission ordonne sa réévaluation. Toutefois, M. Hughes avait déjà échoué dans le cadre du processus de sélection pour le poste PM‑03, et le poste PM‑02 n’existait plus.
[37] À cela vient s’ajouter le fait que la note d’information préparée pour le président de la Commission, et les motifs de la Commission, disent [traduction] qu' « à cause du taux de rotation élevé des titulaires de ces postes, l'ASFC doit régulièrement mener des processus de nomination en vue de renforcer ses effectifs dans plusieurs régions du Canada. Des possibilités d'emploi continueront à exister pour les personnes qui veulent se porter de nouveau candidates à l'avenir ». Cette conclusion, qui est essentiellement une conclusion de fait, n’est pas contestée. L’existence de ces possibilités éventuelles empêche de conclure à l’existence d’un préjudice. Cela étant, aucun abus de procédure attribuable au délai n’est établi.
[38] Eu égard à ces faits, M. Hughes n’a pas établi que le délai était oppressif au point de vicier les procédures.
Certains employés de la Commission avaient‑ils un parti pris contre M. Hughes?
[39] Dans son dossier supplémentaire, M. Hughes soulève la question du parti pris dont il a ci‑dessus été fait mention au paragraphe 17. Plus précisément, il se demande si un parti pris a amené les employés de la Commission à l’exclure des mesures de redressement proposées au mois de février 2006, alors qu’il avait initialement été inclus. Dans les observations écrites qu’il a soumises à l’appui, M. Hughes déclare :
[traduction]
26. L’employé [de la Commission] qui était responsable de la plupart des délais était [le directeur intérimaire]. Les erreurs commises par son unité et les erreurs qu’il a commises l’ont‑ils amené à se montrer partial à l’endroit du demandeur? Le demandeur s’est adressé à la Cour fédérale à maintes reprises par suite du délai et il a déposé de nombreuses plaintes contre [la Commission] en invoquant le délai et l’incompétence.
27. Étant donné la façon dont il s'est occupé du dossier, [le directeur intérimaire] n’aurait pas dû être en cause à l’étape de la prise des mesures de redressement.
[40] M. Hughes n’a soumis aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation de parti pris. Il se fonde sur des déductions qu’il tire de son interprétation des documents dont la Cour est saisie.
[41] Le critère applicable en cas de partialité entraînant inhabilité ou de partialité redoutée consiste à se poser la question suivante : une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, le décideur ne rendrait pas une décision juste (consciemment ou non)? Voir : Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, au paragraphe 74. Les tribunaux administratifs sont réputés être impartiaux. La charge de démontrer l’existence d’un parti pris, ou une crainte de partialité, repose sur la personne qui l’allègue. Une probabilité réelle de partialité doit être démontrée. Un simple soupçon est insuffisant. Voir : R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 112; Arthur c. Canada (Procureur général) (2001), 283 N.R. 346, au paragraphe 8 (C.A.F.).
[42] J’ai examiné les pièces qui étaient jointes aux affidavits de M. Hughes et de Mme Charbonneau. La preuve qui y figurait est loin d’établir la partialité, réelle ou perçue. Le fait que les mesures de redressement proposées ont été modifiées en vue de supprimer la mesure voulant que la candidature de toute personne soit réexaminée n’établit pas en soi une perception de partialité. Le motif de cette suppression est expliqué d’une façon crédible dans la note d’information et dans les motifs de la Commission.
[43] Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer dans l’arrêt Lo c. Canada (Comité d’appel de la Commission de la fonction publique) (1997), 222 N.R. 393, au paragraphe 16, le mécanisme d’appel énoncé à l’article 21 de la Loi est un mécanisme de portée restreinte. Il ne confère pas à l’appelant le droit d’être nommé dans le cas où son appel est accueilli. L’appelant ne peut réclamer davantage que l’intégrité de l’application du principe du mérite. La Cour d’appel a cité le passage suivant en l’approuvant :
Suivant l’article 10 de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, « les nominations à des postes de la fonction publique... doivent être faites... selon une sélection établie au mérite ». La tenue d’un concours est un des moyens que prévoit la loi pour atteindre cet objectif de la sélection au mérite. Or, il est important de voir que c’est également dans le but d’assurer le respect du principe de la sélection au mérite que l’article 21 accorde un droit d’appel aux candidats qui n’ont pas été reçus à un concours. Lorsqu’un candidat malheureux exerce ce droit, il n’attaque pas la décision qui l’a déclaré non qualifié, il appelle, comme le dit l’article 21, de la nomination qui a été faite ou qui est sur le point d’être faite en conséquence du concours. Si l’article 21 prévoit un droit d’appel, ce n’est donc pas pour protéger les droits de l’appelant, c’est pour empêcher qu’une nomination soit faite au mépris du principe de la sélection au mérite. Tel était le but que, à mon avis, le législateur avait en vue en édictant l’article 21, il m’apparaît clair qu’un comité nommé en vertu de cet article n’agit pas irrégulièrement si, constatant qu’un concours a été tenu dans des conditions telles qu’on puisse douter qu’il permette de juger du mérite des candidats, il décide qu’aucune nomination ne devra être faite suite à ce concours. [Non souligné dans l’original.]
[44] Ces remarques s’appliquent à une plainte fondée sur l’article 7.1 de la Loi. Cela veut dire que le dépôt d’une plainte par M. Hughes ne lui donnait pas droit à une réparation personnelle. Il s’ensuit que l’absence de réparation personnelle n’établit pas en soi une crainte de partialité.
Les mesures de redressement ordonnées par la Commission étaient‑elles raisonnables?
[45] Un examen effectué selon la norme de la raisonnabilité exige une analyse des qualités qui rendent une décision raisonnable. Ces qualités comprennent l’énoncé des motifs et le résultat. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir : Dunsmuir, paragraphe 47.
[46] Comme il en a été fait mention ci‑dessus au paragraphe 21, il y a fort peu de décisions portant sur les pouvoirs conférés à la Commission en vertu de l’article 7.5 de la Loi.
[47] Les pouvoirs conférés à la Commission en vertu du paragraphe 21(3) ont fait l’objet de remarques de la part de la Cour. Il a été conclu que cette disposition empêchait la Commission de corriger un vice du processus de sélection attaqué. Voir : Lo, au paragraphe 14. Le pouvoir discrétionnaire que possède la Commission en vertu de l’article 7.5 de la Loi est plus étendu, en ce sens que la Commission peut prendre les mesures de redressement qu’elle « juge indiquées ».
[48] En ce qui concerne la raisonnabilité de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire par la Commission, il est important de comprendre la nature des erreurs constatées par l’enquêteur.
[49] La première erreur se rapportait à la façon dont les qualifications aux fins de la sélection avaient été évaluées. Deux des qualifications étaient : « Sens de l'exécution de la loi » et « Professionnalisme ». L’enquêteur a conclu que le « Sens de l'exécution de la loi » avait été évalué au moyen de la nouvelle compétence : « Contrôle des situations difficiles ». Le « Professionnalisme » avait été évalué au moyen des nouvelles compétences « Confiance en soi » et « Prise de décisions ». Ces trois compétences ont été considérées comme des qualifications par elles‑mêmes. Toutefois, les nouvelles qualifications étaient différentes des qualifications qu’elles remplaçaient. Par conséquent, les membres du jury de sélection, en substituant les nouvelles compétences aux qualifications initiales établies par le gestionnaire recruteur, ont changé les qualifications du poste. Les nouvelles compétences ne démontraient pas les capacités d’un candidat quant au « Sens de l'exécution de la loi » ou au « Professionnalisme ».
[50] La Commission a conclu qu’en fait, lorsque le poste d’inspecteur des douanes PM‑02 avait été reclassifié, les normes de compétences PM‑03 comprenaient les compétences suivantes : « Sens de l'exécution de la loi », « Professionnalisme », « Contrôle des situations difficiles », « Prise de décisions » et « Confiance en soi ». Lors de la reclassification, l’ASFC a évalué chaque qualification dans le cadre du processus de sélection. La Commission a ensuite jugé qu’il était raisonnable de conclure que chaque employé avait été jugé qualifié lors de la reclassification. Cela satisfaisait au principe du mérite. Pour plus de prudence, la Commission a demandé, en tant que mesure de redressement, que l’ASFC en fournisse la preuve dans un délai de 30 jours. La nomination de candidats jugés non qualifiés serait révoquée.
[51] À mon avis, la conclusion selon laquelle il aurait été satisfait au principe du mérite, lorsque le poste PM‑02 a été reclassifié, était étayée par la preuve; elle est transparente et justifiée. Il s’agit d’une décision qu’il était raisonnablement loisible à la Commission de prendre, étant donné en particulier que, dans le cas où les nominations auraient été révoquées, les titulaires auraient pu être de nouveau nommés en vertu de l’article 73 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique actuelle, L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13, si la Commission croyait qu’ils possédaient les qualifications essentielles au travail à accomplir.
[52] La conclusion tirée par la Commission était également raisonnable puisque, comme l’enquêteur l’a fait remarquer, une réévaluation de tous les candidats n’était plus possible étant donné que le poste avait été reclassifié selon des qualifications différentes. Bref, il ne servait à rien de réévaluer les qualifications applicables à un poste PM‑02 qui n’existait plus.
[53] La Commission s’est ensuite penchée sur la situation personnelle de M. Hughes. L’enquêteur n'avait pu constater aucun parti pris ni rien qui puisse vicier la conclusion tirée par le jury de sélection, selon laquelle M. Hughes avait été jugé non qualifié d’une façon régulière, compte tenu des qualifications : « Contrôle des situations difficiles » et « Confiance en soi ». Par la suite, dans le cadre d’un autre processus de sélection, M. Hughes a été jugé non qualifié pour occuper le poste d’agent des services frontaliers PM‑03. Il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure qu’aucune autre mesure de redressement n’était nécessaire en ce qui concerne M. Hughes.
[54] En ce qui concerne M. Hughes et tous les autres candidats non reçus, la Commission a noté que des processus de nomination étaient régulièrement effectués pour ce poste d’entrée, de sorte que des possibilités d’emploi continuaient à exister si quelqu’un voulait présenter de nouveau sa candidature. Étant donné qu’il était futile de réévaluer tous les candidats pour un poste qui n’existait plus, il ne s’agissait pas d’une conclusion déraisonnable.
[55] La seconde irrégularité que l’enquêteur a décelée dans le cadre du processus de sélection se rapportait au fait qu’il était possible que les candidats qui avaient tardé à soumettre leur portfolio de compétences et qui, pour ce motif, auraient dû être éliminés du processus de sélection aient fait l’objet d’une nomination.
[56] Le portfolio de compétences des candidats devait être reçu au plus tard le 23 février 2004. Or, le jury de sélection a accepté à tort des portfolios estampillés le 23 février 2004 ou auparavant, même s’ils avaient été reçus après le 23 février 2004. L’enquêteur a conclu qu’étant donné que les enveloppes n’avaient pas été conservées, on ne pouvait savoir si certains portfolios étaient arrivés après la date limite.
[57] La Commission n’a pas pris d’autres mesures à cet égard, parce qu’il n’était pas possible de savoir quels portfolios avaient été soumis après la date limite. À mon avis, il ne s’agissait pas d’une conclusion déraisonnable.
[58] Je reconnais que la Commission aurait pu révoquer toutes les nominations en se fondant sur ce motif. Indépendamment du fait que la révocation de la nomination d’un candidat dont le portfolio a été soumis en temps opportun est une mesure sévère, en vertu de la nouvelle législation (qui est entrée en vigueur avant que l’enquêteur présente son rapport), les personnes dont la nomination était révoquée auraient pu faire l’objet d’une nouvelle nomination, dans la mesure où elles possédaient les qualifications essentielles au travail à accomplir. En outre, le fait qu’un candidat n’était pas éliminé par suite du dépôt tardif de son portfolio ne devrait pas vraiment causer de préjudice aux autres. Il s’agissait ici de l’inscription dans un répertoire de candidats préqualifiés pour un poste de niveau d’entrée et des processus de nomination étaient régulièrement effectués pour ce poste. Cela est différent du cas dans lequel on procède à une évaluation du mérite relatif, où le fait qu’une personne est titulaire d’un poste empêche une autre personne d’obtenir ce poste.
[59] J’ai tenu compte de toutes les questions que M. Hughes avait soulevées. Compte tenu de l’analyse qui précède, je n'ai pas à traiter de chaque question. Toutefois, j’aimerais m’arrêter expressément à certains points soulevés par M. Hughes.
[60] Premièrement, M. Hughes affirme que les candidats reçus ont bénéficié d’un avantage, parce qu’il leur a été permis de travailler et, en outre, d’obtenir des reclassifications auxquelles ils n’avaient pas droit. M. Hughes invoque l’arrêt Still c. M.R.N., [1998] 1 C.F. 549 (C.A.), et fait valoir [traduction] qu’« un contrat d’emploi illégal est nul ab initio », de sorte que les candidats reçus [traduction] « ne devraient pas pouvoir tirer profit d’un contrat illégal ».
[61] Toutefois, l’arrêt Still n’étaye pas cette thèse (voir les paragraphes 41 à 48 de l’arrêt). En outre, dans une décision antérieure, Murray c. Canada (Commission de la fonction publique), [1987] A.C.F. no 473, la Cour d’appel fédérale avait rejeté la thèse selon laquelle les nominations à la fonction publique qui sont effectuées en violation du principe du mérite sont nulles ab initio. Pareilles nominations sont simplement annulables. La Cour a dit : « Tant que la nomination n'est pas annulée, le titulaire occupe légalement son poste et a le droit et l'obligation d'exercer ses fonctions et de percevoir le traitement qui s'y rattache. »
[62] Deuxièmement, M. Hughes soutient que la Commission aurait dû ordonner à l’ASFC d’épuiser un autre répertoire de candidats préqualifiés, celui de Victoria, parce que 13 autres personnes et lui‑même étaient inscrits dans un répertoire plus ancien, à Victoria.
[63] Toutefois, le répertoire, à Victoria, avait été établi afin de doter l’ancien poste d’inspecteur des douanes PM‑02. Or, les fonctions et responsabilités ont changé lorsque le poste a été reclassifié pour devenir un poste d’agent des services frontaliers PM‑03. (Ainsi, les agents des services frontaliers procèdent à des contrôles secondaires aux points d’entrée et sont autorisés par délégation à refuser à une personne l’entrée au Canada. Les inspecteurs des douanes ne possèdent pas pareil pouvoir.) L’ASFC ne pouvait pas utiliser le répertoire au niveau PM‑02 pour embaucher une personne au niveau PM‑03, parce que les personnes inscrites dans ce répertoire n’avaient pas démontré qu’elles possédaient les qualifications requises pour les nouvelles fonctions et responsabilités.
[64] Troisièmement, M. Hughes fait valoir que l’ASFC n’a pas divulgué à la Commission que des allégations d’agression sexuelle et d’abus de confiance dont elle avait connaissance avaient été faites contre un candidat reçu. Il affirme que la prise de mesures de redressement différentes aurait été ordonnée si la chose avait été connue.
[65] Je ne suis pas d’accord. De telles allégations ne sont pas pertinentes lorsque la Commission exerce un pouvoir discrétionnaire. Une inconduite subséquente ne change rien à l’évaluation initiale des qualifications d’un candidat.
[66] Quatrièmement, dans un courriel interne daté du 9 février 2007, le directeur intérimaire a mentionné la décision rendue par la Cour dans l’affaire McAuliffe c. Canada (Procureur général) (1997), 128 F.T.R. 39. M. Hughes affirme que la Commission a appliqué cette décision d’une façon erronée lorsqu'elle a modifié les mesures de redressement.
[67] Dans la décision McAuliffe, le juge Dubé était saisi de deux questions : l’équité procédurale et l’application du principe du mérite. La Commission a suivi avec raison la conclusion que la Cour avait tirée au sujet de l’équité procédurale en informant les intéressés qu’elle envisageait de prendre des mesures de redressement différentes et en donnant à ceux‑ci la possibilité de faire des commentaires au sujet des nouvelles mesures proposées. Toutefois, M. Hughes se fonde sur les conclusions que la Cour a tirées au sujet du principe du mérite.
[68] À mon avis, M. Hughes se trompe en invoquant cette décision. Dans l’affaire McAuliffe, c’était la création de listes d’admissibilité qui était en litige. Les candidats sont inscrits sur des listes d’admissibilité par ordre de mérite. Voir : paragraphe 17(1) de la Loi et Gariepy c. Canada (Administrateur de la Cour fédérale), [1989] 2 C.F. 353 (1re inst.).
[69] Par contre, un répertoire de candidats préqualifiés est composé d’un groupe de personnes qui ont été évaluées et qui sont réputées être également qualifiées pour être embauchées à des postes similaires du même niveau professionnel. Voir : article 1 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (2000) DORS/2000‑80. Les remarques que la Cour a faites au sujet du mérite relatif ne s’appliquent donc pas.
[70] Enfin, M. Hughes soutient que la Commission aurait dû suivre la recommandation que l’enquêteur avait faite au sujet des mesures de redressement.
[71] À mon avis, l’article 7.5 de la Loi prévoit clairement qu’il appartient à la Commission d’ordonner la prise des mesures de redressement qu’elle juge indiquées. Cela étant, la Commission n’est pas tenue de donner suite aux recommandations de l’enquêteur. Cet avis est étayé dans l’ouvrage intitulé : Employment in the Federal Public Service (Emploi dans la fonction publique fédérale), de Renée Caron, feuilles mobiles (Aurora, Ont. : Canada Law Book, 2006). Au paragraphe 6:3740, l’auteure dit ce qui suit :
[traduction]
Le rôle de l'enquêteur consiste essentiellement à constater, d'une façon informelle, les faits et à en rendre compte. Une fois l'étape de la constatation des faits achevée, l'enquêteur fait rapport à la Commission. De son côté, la Commission peut prendre les mesures de redressement qu'elle juge indiquées, ou ordonner à l'administrateur général de prendre pareilles mesures. Il importe de noter que la Loi ne prévoit pas que la Commission doit prendre des mesures de redressement ou ordonner la prise de mesures de redressement; la Commission « peut » plutôt prendre de telles mesures ou ordonner la prise de telles mesures. De plus, les mesures de redressement à prendre sont celles que la Commission juge indiquées. Par conséquent, la Commission n'est pas strictement liée par les recommandations de l'enquêteur. [Non souligné dans l’original; renvois omis.]
Conclusion
[72] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Compte tenu du temps qu’il a fallu à la Commission pour arriver à sa conclusion au sujet des mesures de redressement, il convient selon moi que chaque partie supporte ses propres frais. Aucuns dépens ne sont adjugés.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Réviseur
1. La Loi a depuis lors été abrogée, mais les parties s’entendent pour dire que les dispositions de la Loi continuent à s’appliquer en l’espèce. Je suis d’accord. Voir : dispositions transitoires de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique actuelle, L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13, ou projet de loi C‑25, Loi modernisant le régime de l’emploi et des relations de travail dans la fonction publique, modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur le Centre canadien de gestion et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, 2e sess., 37e lég., 2003, cl. 72 (sanctionné le 7 novembre 2003).
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1167-07
INTITULÉ : CHRIS HUGHES c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et
SCOTT BARKER ET AL.
LIEU DE L’AUDIENCE : VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 8 AVRIL 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS : LE 8 JUIN 2009
COMPARUTIONS :
Le demandeur |
POUR SON PROPRE COMPTE
|
Graham Stark
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POUR LES DÉFENDEURS
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Le demandeur
|
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LES DÉFENDEURS
|