Ottawa (Ontario), le 8 juin 2009
En présence de madame la juge Dawson
ENTRE :
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] M. Hughes, le demandeur, n’a pas été retenu lors d’un concours public visant le poste d’agent des services frontaliers des Douanes (PM-03) au sein de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC); ces agents peuvent être appelés à travailler à divers endroits en Colombie‑Britannique et au Yukon. M. Hughes a donc déposé une plainte en vertu de l’ancienne Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-331 (la Loi). M. Hughes allègue que le principe du mérite n’a pas été appliqué dans le processus de sélection. En particulier, il allègue que la note que le jury de sélection lui a accordée était déraisonnable et incohérente en ce qui concerne l’évaluation d’un des facteurs liés aux capacités : la communication interactive efficace (la CIE). Il allègue également que le jury de sélection a commis une erreur en omettant de tenir compte d’un certain nombre d’évaluations du rendement dont il avait fait l’objet lors d’emplois précédents et qu’il avait données au jury de sélection à la fin de son entrevue.
[2] En réponse à la plainte de M. Hughes, une enquête a été menée en vertu de l’article 7.1 de la Loi. L’enquêteuse a conclu que la plainte de M. Hughes n’était pas fondée.
[3] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de l’enquêteuse, M. Hughes allègue que :
1. l’enquêteuse a commis une erreur de droit en n’ordonnant pas à l’ASFC de divulguer la version non expurgée des notes d’entrevue rédigées par des membres du jury de sélection dans le cadre de l’évaluation de candidats qui ont été retenus, lesquelles notes constituaient l’échantillon lors de l’enquête;
2. l’enquêteuse a commis une erreur en ne concluant pas que le jury de sélection qui l’avait interviewé avait fait preuve de partialité à son égard;
3. l’enquêteuse a fait preuve de partialité à son égard, comme en témoigne l’hostilité de l’enquêteuse envers lui;
4. l’enquêteuse a commis une erreur en ne concluant pas que l’évaluation du jury de sélection dont il a fait l’objet n’était pas raisonnable.
[4] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée parce que M. Hughes n’a pas établi que l’enquêteuse avait manqué d’une façon quelconque à l’équité procédurale, qu’elle avait fait preuve de partialité ou qu’elle avait commis quelque erreur susceptible de contrôle que ce soit.
Le contexte factuel
[5] Le processus de sélection portait le numéro 2005-BSF-OC-PAC-1001. Les candidats qui respectaient les exigences de sélection de base ont été invités à participer à un examen écrit pour le poste d’inspecteur des douanes. M. Hughes a réussi cet examen écrit, et M. Hughes ainsi que 707 autres candidats retenus ont par la suite été invités à des entrevues.
[6] Les entrevues ont été tenues afin d’évaluer trois facteurs liés aux capacités : la CIE, le comportement axé sur l’exécution de la loi et le professionnalisme. Afin de poursuivre le processus, les candidats devaient obtenir la note minimale de 70 points pour chacun des facteurs liés aux capacités. Les personnes interrogées commençaient avec 70 points, puis se voyaient soustraire ou ajouter des points selon leurs réponses aux questions posées.
[7] L’entrevue de M. Hughes a eu lieu le 21 avril 2005. Les deux membres du jury de sélection qui l’ont évalué étaient Mme Catherine Black et M. Steve Cronin. M. Hughes a réussi à obtenir la note minimale, 70 points, en ce qui concerne le comportement axé sur l’exécution de la loi et le professionnalisme. Cependant, il n’a reçu que 55 points en ce qui concerne la CIE. M. Hughes n’a donc pas réussi à obtenir la note minimale pour être admissible au poste.
[8] Au cours de l’enquête portant sur sa plainte, M. Hughes a reçu des documents portant sur son évaluation effectuée par le jury de sélection.
[9] L’ASFC a accepté de fournir à M. Hughes les documents suivants portant sur le processus de sélection :
a. la liste d’admissibilité;
b. l’évaluation de la CIE de dix candidats retenus;
c. la grille de correction de l’évaluation de la CIE.
[10] Dans un courriel ultérieur, l’enquêteuse a énoncé les exigences relatives à la divulgation et a noté que [traduction] « toute divulgation doit être conforme aux exigences relatives à la vie privée et [que] la protection des renseignements personnels doit constituer un facteur prédominant ».
[11] M. Hughes a confirmé avoir reçu la divulgation de l’ASFC dans un courriel daté du 10 août 2006 qu’il a envoyé à l’enquêteuse. M. Hughes a noté que l’échantillon des évaluations de la CIE n’était [traduction] « d’aucune utilité ». Il a également plaidé que l’évaluation de la CIE constituait une évaluation globale et que l’ASFC ne pouvait donc pas retrancher de façon arbitraire des renseignements se trouvant dans les notes d’entrevue et qui, selon l’ASFC, ne portaient pas sur une question visant la CEI. Il a demandé que l’enquêteuse ordonne à l’ASFC de lui envoyer de nouveau l’ensemble des notes d’entrevue constituant l’échantillon dans une version non expurgée. Il a conclu en affirmant que [traduction] « [s]i cela n’est pas fait, je demanderai qu’un nouvel enquêteur prenne le dossier en charge en raison de la partialité à mon égard et du favoritisme dont fait l’objet l’organisation ».
[12] L’enquête a été menée au moyen d’une réunion d’instruction qui a commencé le 29 août 2006 et qui s’est poursuivie le 2 novembre 2006 puis le 8 février 2007. Lors de ces réunions, l’enquêteuse a entendu le témoignage de M. Hughes, de Mme Catherine Black et de M. Steve Cronin, ainsi que celui de M. Mark Northcote (le président du jury de sélection ) et de M. Nuvin Runghen (un membre du jury de sélection qui avait interviewé un certain nombre de candidats retenus).
La décision de l’enquêteuse
[13] Dans une décision rendue le 20 avril 2007, l’enquêteuse a conclu que la plainte n’était pas fondée.
[14] Après avoir fait état des allégations, de la procédure suivie ainsi que d’un résumé des témoignages entendus lors de la réunion d’instruction, l’enquêteuse a fourni son analyse. Elle a commencé par citer l’arrêt Blagdon c. Commission de la Fonction publique et al., [1976] 1 C.F. 615, page 623 (C.A.F.), pour établir que la seule règle générale qui s’applique au jury de sélection est que la sélection doit être fondée sur le mérite et que le mérite ne peut pas être réduit à une équation mathématique. Dans bien des cas, il s’agit d’une affaire d’opinion.
[15] L’enquêteuse a par la suite cité le paragraphe 6 de la décision Scarizzi c. Marinaki (1994), 87 F.T.R. 66, rendue par le juge Rothstein, où il est mentionné que, lors de l’examen d’une décision d’un jury de sélection, « [c]e n’est que lorsqu’un jury de sélection se fait une opinion à laquelle aucune personne raisonnable ne pourrait arriver qu’un comité d’appel peut modifier sa décision ». Par conséquent, l’enquêteuse, dans son analyse, a mis l’accent sur [traduction] « l’examen des décisions prises par le jury de sélection afin de déterminer si ces décisions sont entachées d’une erreur parce qu’elles sont, par exemple, déraisonnables, incohérentes ou illogiques ».
[16] L’enquêteuse a conclu que rien dans la preuve n’appuyait l’allégation de M. Hughes, selon laquelle il n’avait pas été évalué de la même façon que les autres candidats. En outre, elle n’a trouvé aucune erreur dans la méthode d’évaluation du jury de sélection, à savoir accorder au départ 70 points à tous les candidats puis ajouter ou soustraire des points selon leur rendement. Les documents et les témoignages des membres du jury de sélection corroborent l’évaluation définitive des candidats.
[17] L’enquêteuse a conclu que rien ne donnait à penser que le jury de sélection connaissait les problèmes juridiques préalables entre M. Hughes et l’organisation ou que, comme l’allègue M. Hughes, le président du jury de sélection avait mentionné ces problèmes juridiques aux membres du jury de sélection.
[18] L’enquêteuse a conclu que le jury de sélection avait expliqué les points soustraits lors de l’entrevue en raison de la performance de M. Hughes et que la note qui lui avait été accordée était raisonnable étant donné sa performance le jour de l’entrevue.
[19] L’enquêteuse ne souscrit pas à l’allégation de M. Hughes, selon laquelle le jury de sélection était tenu d’utiliser ses évaluations du rendement effectuées par l’organisation comme des indicateurs révélant qu’il était qualifié pour le poste. L’enquêteuse a affirmé que ce n’était pas son rôle de déterminer quels outils elle aurait utilisés si on lui avait confié la tâche d’effectuer l’évaluation et que son objectif était plutôt d’examiner si les actions et les conclusions du jury de sélection étaient viables du point de vue de la raisonnabilité : Ratelle c. Canada (Commission de la fonction publique, Direction des appels) (1975), 12 N.R. 85 (C.A.F.). Elle a établi une distinction entre l’espèce et la décision Canada (Procureur général) c. Bates, [1997] 3 C.F. 132, rendue par la Cour et sur laquelle M. Hughes s’était fondé. L’enquêteuse a conclu que, à première vue, il n’y avait rien de déraisonnable dans la décision du jury de sélection d’évaluer la CIE par une entrevue menée au moyen de questions et réponses. En outre, l’enquêteuse a conclu que, si le jury de sélection avait permis à M. Hughes de faire valoir ses évaluations du rendement dans son évaluation, il y aurait eu un risque d’accorder un avantage indu à M. Hughes.
[20] En conclusion, l’enquêteuse a conclu que la preuve n’établissait pas que M. Hughes avait été évalué de façon non raisonnable ou traité différemment ou bien que le jury de sélection aurait dû en faire davantage dans son évaluation.
Les questions en litige
[21] J’ai énoncé au paragraphe 3, ci‑dessus, les questions en litige soulevées par M. Hughes. Pour faire en sorte que toutes les questions en litige soulevées par M. Hughes soient adéquatement examinées, je formule les questions en litige de la façon suivante :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
2. L’enquêteuse a‑t‑elle manqué aux exigences de justice naturelle et d’équité procédurale en refusant d’ordonner à l’ASFC de divulguer les notes non expurgées du jury de sélection, lesquelles portaient sur l’évaluation des candidats retenus constituant l’échantillon?
3. Existe‑t‑il une crainte raisonnable de partialité de la part de l’enquêteuse à l’égard de M. Hughes?
4. L’enquêteuse a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le jury de sélection n’avait pas fait preuve de partialité à l’égard de M. Hughes?
5. L’enquêteuse a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le jury de sélection n’était pas tenu de prendre en considération les évaluations du rendement de M. Hughes?
6. L’enquêteuse a-t-elle commis une erreur en concluant que la note de M. Hughes concernant la CIE était raisonnable?
La norme de contrôle
[22] M. Hughes n’a présenté aucune observation au sujet de la norme de contrôle. L’avocat du procureur général a allégué que la norme applicable à l’ensemble des questions autres que celles portant sur l’équité procédurale et la justice naturelle était la raisonnabilité.
[23] La deuxième et la troisième question en litige formulées cidessus portent sur la justice naturelle et l’équité procédurale et, par conséquent, l’analyse relative à la norme de contrôle ne s’applique pas à ces questions. Voir : Syndicat Canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, paragraphe 100. Il incombe à la Cour de déterminer, sans accorder de déférence au décideur, si les exigences relatives à la justice naturelle et à l’équité procédurale ont été respectées.
[24] En ce qui concerne les autres questions en litige, je dois vérifier si la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. Ce n’est que si cette vérification se révèle infructueuse qu’il sera nécessaire d’effectuer une analyse relative à la norme de contrôle. Voir : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 62.
[25] À mon avis la jurisprudence a déterminé la norme de contrôle d’une manière satisfaisante, et ce, malgré qu’elle ait été établie avant l’arrêt Dunsmuir.
[26] Au paragraphe 17 de la décision Moussa c. Canada (Commission de la fonction publique), [2007] A.C.F. no 1148 (C.F.), la Cour a conclu que lorsque des conclusions de fait tirées par l’enquêteur étaient contestées, la norme de contrôle applicable était semblable à la décision manifestement déraisonnable. La norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est la raisonnabilité.
[27] Dans la décision Oriji c. Canada (Procureur général) (2004), 252 F.T.R. 95, confirmée (2005) 344 N.R. 229 (C.A.F.), la Cour a mené une analyse pragmatique et fonctionnelle et a conclu que la décision raisonnable simpliciter était la norme applicable à des questions telles que de savoir si l’enquêteur a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait eu aucune offre d’emploi, si une nomination prioritaire n’avait pas été accordée et si une personne avait été nommée à un poste de façon intérimaire de façon appropriée. Toutes ces questions constituent des questions mixtes de fait et de droit. Si des questions de droit peuvent être inférées des conclusions de fait de l’enquêteur, alors la norme applicable par la Cour est la décision correcte. Voir le paragraphe 19 ainsi que les paragraphes 21 à 25.
[28] Les questions en litige nos 4, 5 et 6 – c’estàdire la question de savoir si l’enquêteuse a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait eu aucune partialité de la part du jury de sélection, si le jury de sélection était tenu de prendre en considération les évaluations du rendement du demandeur et si la note du demandeur concernant la CIE était raisonnable – constituent des questions mixtes de fait et de droit ou bien des questions de fait. À mon avis, selon la jurisprudence mentionnée cidessus, la norme applicable à ces questions en litige est la raisonnabilité.
[29] Dans le cadre de l’examen fondé sur la raisonnabilité, on se demande si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir : Dunsmuir, paragraphe 47.
Application de la norme de contrôle
L’enquêteuse a‑t‑elle manqué aux exigences de justice naturelle et d’équité procédurale en refusant d’ordonner à l’ASFC de divulguer les notes non expurgées du jury de sélection, lesquelles portaient sur l’évaluation des candidats retenus constituant l’échantillon?
[30] M. Hughes soutient qu’on ne lui a pas donné tous les éléments de preuve pertinents qu’il avait demandés afin de pouvoir plaider et faire valoir sa cause. En particulier, il soutient que le contenu de l’ensemble de l’entrevue est pertinent quant à une évaluation de la CIE d’un postulant, mais les notes d’entrevue fournies qui constituaient l’échantillon des candidats retenus étaient expurgées. On en trouve un exemple dans la pièce I de l’affidavit de M. Hughes.
[31] M. Hughes se plaint que sa candidature n’a pas été évaluée de façon adéquate. L’enquête de l’enquêteuse n’a porté que sur la question de savoir si la capacité liée à la CIE de M. Hughes avait été évaluée adéquatement par le jury de sélection (voir, par exemple, le courriel de l’enquêteuse daté du 25 juillet 2006, qui se trouve dans la pièce H de l’affidavit de M. Hughes). Étant donné que M. Hughes avait réussi les deux autres critères d’évaluation, il ne s’agissait pas d’une décision déraisonnable.
[32] Avant ou pendant la réunion d’instruction, M. Hughes a reçu les éléments suivants :
· la grille d’évaluation du CIE;
· les notes d’entrevue de M. Hughes qui avaient été rédigées par les deux membres du jury de sélection qui l’avaient interviewé;
· des copies de notes d’entrevue d’un échantillon de dix candidats retenus, lesquelles avaient été rédigées par des formations du jury de sélection et expurgées pour des motifs liés à la pertinence quant à l’évaluation de la CIE, aux exigences relatives au droit à la vie privée et à la protection des renseignements personnels.
[33] Lors de la réunion d’instruction, M. Hughes a eu l’occasion de contreinterroger les membres du jury de sélection, le président du jury de sélection et un membre du jury de sélection qui avait interviewé d’autres candidats. La réunion d’instruction a duré trois jours.
[34] La teneur de l’obligation d’équité varie. Il est nécessaire d’avoir une procédure équitable et ouverte, « adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social ». La personne visée par la décision doit avoir l’occasion de présenter pleinement son point de vue et ses éléments de preuve, de sorte qu’ils soient considérés par le décideur. Voir : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 22.
[35] M. Hughes n’a pas réussi à établir qu’il n’avait pas eu une occasion valable de présenter sa position pleinement et équitablement (voir Baker, au paragraphe 30).
[36] La grille de correction concernant la CIE révèle clairement que l’évaluation de ce facteur lié aux capacités devait être fondée sur la façon dont chaque candidat communiquait. Par exemple, la grammaire, le vocabulaire, la capacité à relever l’ensemble des éléments nécessaires, la logique, la confiance ainsi que l’aplomb avec lequel les candidats s’exprimaient étaient particulièrement importants. Les notes d’entrevue au sujet de M. Hughes rédigées par Mme Black renferment les commentaires suivants : [traduction] « peu d’enthousiasme dans le ton et façon de s’exprimer monotone », « donne des renseignements non pertinents », « difficile à comprendre » et « candidat fait des commentaires inappropriés ». Les notes de M. Cronin comprennent les commentaires suivants : [traduction] « longues pauses », « voix très douce », « difficile à entendre » et « très mauvaise CIE ».
[37] Grâce à ces notes d’entrevue, à la grille d’évaluation de la CIE et à l’occasion qu’il a eu de contreinterroger les membres du jury de sélection, M. Hughes a eu une occasion valable de plaider sa cause. Il n’a pas été établi que les parties expurgées des notes d’entrevue des autres candidats (expurgées pour des motifs de pertinence, de vie privée et de confidentialité des renseignements personnels) avaient empêché M. Hughes d’avoir une occasion valable de contester la raisonnabilité de l’évaluation de ses capacités liées à la CIE effectuée par le jury de sélection.
Existe‑t‑il une crainte raisonnable de partialité de la part de l’enquêteuse à l’égard de M. Hughes?
[38] Dans son affidavit M. Hughes a juré que l’enquêteuse a régulièrement ri de lui et gloussé et que, à plusieurs reprises, elle a crié après M. Hughes. Il soutient que l’enquêteuse a également fait preuve de partialité en refusant d’ordonner l’entière divulgation des documents, en refusant de lui permettre [traduction] « de poser certaines questions pertinentes », en refusant [traduction] « d’ajouter aux allégations une allégation selon laquelle le comportement axé sur l’exécution de la loi et le professionnalisme auraient été notés de façon incohérente » et en omettant d’enquêter sur la prétention selon laquelle M. Hughes aurait été placé sur une liste noire ainsi que sur d’autres allégations qu’il a avancées lors de l’enquête. M. Hughes soutient également que son allégation d’impartialité n’a pas été réfutée par le procureur général, qui n’a pas déposé d’affidavit de l’enquêteuse ni les bandes sonores de la réunion d’instruction. M. Hughes demande qu’une conclusion défavorable soit tirée de cette omission.
[39] Les principes qui doivent être appliqués lors d’une allégation de partialité ont récemment été résumés par la Cour dans la décision Detorakis c. Canada (Procureur général), [2009] A.C.F. no 191. Mon collègue, le juge Mosley, a écrit ce qui suit aux paragraphes 52 à 54 :
[traduction]
52 Le critère relatif à la partialité entraînant l’inhabilité du décideur ou à la partialité apparente est bien établi en droit. La Cour suprême du Canada a énoncé, dans un certain nombre d’arrêts, les éléments importants dont il faut tenir compte lorsqu’il faut traiter d’allégations de partialité, tout d’abord dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et al. c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S 369, puis dans l’arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, 151 D.L.R. (4th) 193, et enfin dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 R.C.S. 259. On peut soulever une crainte raisonnable de partialité lorsqu’une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait à la conclusion que, selon toute vraisemblance, le décideur a, consciemment ou non, rendu une décision injuste.
53 Les allégations de partialité constituent des allégations très sérieuses. Elles remettent en question l’intégrité du décideur. Le fardeau d’établir une crainte raisonnable de partialité incombe à la partie qui plaide l’inhabilité du décideur. En outre, il s’agit d’une analyse qui dépend énormément des faits et il ne peut y avoir aucun « raccourci » dans le raisonnement à l’appui de l’allégation : Wewaykum, paragraphes 59 et 77.
54 Il existe une présomption selon laquelle l’office fédéral ou le tribunal est impartial. Les motifs de crainte doivent être importants. Une réelle probabilité de partialité doit être établie, et un simple soupçon n’est pas suffisant. Ce qui importe c’est la perception de la personne bien renseignée et non une supposition non appuyée. Le fait de tarder à soulever une crainte raisonnable de partialité peut donner à penser que les allégations sont sans fondement.
[40] En l’espèce, il est frappant de constater que la première allégation de partialité soulevée par M. Hughes envers l’enquêteuse a été présentée après que l’enquêteuse eut refusé d’ordonner à l’ASFC de fournir une version non expurgée des notes d’entrevue des autres candidats (voir le courriel de M. Hughes daté du 10 août 2006, qui fait partie de la pièce H de son affidavit).
[41] Les comportements qui, selon M. Hughes, établiraient la partialité de l’enquêteuse sont, en grande partie, de nature imprécise. Aucune date ou moment précis n’est fourni en ce qui concerne les allégations de comportement inapproprié. À l’exception de l’allégation selon laquelle il a été placé sur une liste noire par l’ASFC, M. Hughes ne mentionne pas quelles sont les autres allégations qu’il a présentées et qui n’ont pas fait l’objet d’un examen par l’enquêteuse et ne donne aucun détail en ce qui concerne les questions pertinentes que l’enquêteuse ne lui aurait pas permis de poser.
[42] À mon avis, M. Hughes n’a pas réussi à se décharger du fardeau de la preuve qui lui incombait, c’estàdire établir qu’il y a une crainte raisonnable de partialité. Il était possible à M. Hughes de demander que l’enregistrement de la réunion d’instruction soit déposé, mais il ne l’a pas fait, et il n’a présenté aucune demande en vertu de l’article 317 des Règles. Cette omission fait en sorte que le fardeau de persuasion n’est pas passé au procureur général. Si M. Hughes avait déposé des éléments de preuve établissant qu’il s’était acquitté de son fardeau de la preuve, alors seulement y auraitil eu un fondement en droit justifiant de tirer une conclusion défavorable contre le procureur général. Voir : Première nation des Chippewas de Kettle et de Stony Point c. Shawkence, [2005] A.C.F. no 1030, aux paragraphes 42 à 44; confirmée [2006] A.C.F. no 655.
L’enquêteuse a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le jury de sélection n’avait pas fait preuve de partialité à l’égard de M. Hughes?
[43] M. Hughes allègue ce qui suit :
[traduction]
29. M. Northcote a saboté l’entrevue du demandeur lorsqu’il a divulgué des résultats d’examen confidentiels à M. Cronin avant l’entrevue du demandeur en avril 2005. Les résultats précédents concernaient une entrevue qui avait eu lieu en 2004 entre M. Northcote et le demandeur. Non seulement il s’agit d’une violation de la vie privée du demandeur, cela contrevient également aux règles fédérales en matière de dotation, selon lesquelles les résultats d’examen ne peuvent être divulgués à personne, sauf aux personnes qui doivent avoir ces renseignements. Il n’y avait aucune raison administrative en raison de laquelle M. Cronin aurait dû connaître les résultats des examens antérieurs du demandeur. La divulgation n’avait qu’un seul objectif : nuire au demandeur dans le processus actuel. Ce que M. Northcote, président du jury de sélection et chef de facto de M. Cronin, a dit à M. Cronin, c’est qu’il avait déjà estimé que le demandeur n’était pas un candidat qui devait être retenu. Lorsque le demandeur lui a posé la question, M. Cronin a reconnu avoir effectué la divulgation. Lorsqu’il a été établi qu’il y avait bien eu partialité dans un concours fédéral en matière de dotation, les tribunaux ont conclu que le principe du mérite n’avait pas été respecté et que l’ensemble du concours devait être annulé.
[44] L’enquêteuse a traité les allégations de partialité présentées par M. Hughes de la façon suivante :
[traduction]
33. M. Cronin a fait savoir, en réponse à une question posée par M. Hughes, que M. Northcote n’avait pas participé à l’évaluation de M. Hughes.
[…]
41. M. Cronin a reconnu qu’il savait que M. Hughes n’avait pas été retenu lors d’un processus de sélection précédent. Personne ne lui a dit ou ne lui a laissé entendre quoi que ce soit en ce qui concerne la participation de M. Hughes au présent processus.
[…]
43. Dans des réponses précises à des séries de questions qui lui ont été posées par M. Hughes, M. Northcote a nié avoir participé d’une façon ou d’une autre dans l’évaluation ou dans l’entrevue de M. Hughes. Il n’a communiqué aucun renseignement au jury de sélection au sujet des contestations judiciaires ou des autres plaintes présentées par M. Hughes contre l’organisation. Il a reconnu qu’on avait fourni au jury des questions visant à rompre la glace, mais elles ne servaient que de lignes directrices visant à mettre le candidat à l’aise. Les membres du jury devaient prendre des notes pendant l’entrevue et noter chaque candidat immédiatement après l’entrevue.
[…]
50. M. Hughes a avancé lors de la réunion d’instruction que le jury de sélection devait être au courant de ses problèmes juridiques avec l’organisation ou que M. Northcote devait leur en avoir parlé. Rien ne donne à penser que cela s’est produit ou que cela a eu une conséquence sur son évaluation.
[45] Dans son affidavit, M. Hughes a déclaré que M. Cronin avait admis pendant la réunion d’instruction que M. Northcote lui avait dit que M. Hughes [traduction] « avait échoué dans le cadre d’un processus de sélection précédent de l’ASFC ». Au paragraphe 41 de ces motifs cités cidessus, l’enquêteuse a reconnu que M. Cronin savait que M. Hughes n’avait pas été retenu dans un processus de sélection précédent. Cette connaissance, en soi, n’établit pas qu’il y a eu partialité ou que M. Northcote avait mentionné au jury de sélection les problèmes juridiques de M. Hughes avec l’ASFC.
[46] Vu le dossier de preuve dont je dispose, je ne peux conclure que l’enquêteuse a commis une erreur en omettant de conclure que le jury de sélection a fait preuve de partialité à l’égard de M. Hughes.
L’enquêteuse a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le jury de sélection n’était pas tenu de prendre en considération les évaluations du rendement de M. Hughes?
[47] M. Hughes a déclaré dans son affidavit que, à la fin de son entrevue, il avait donné au jury de sélection [traduction] « de nombreuses évaluations du rendement et références qui établissent que le demandeur était un excellent employé. L’une des évaluations du rendement renferme un examen de la CIE en milieu de travail effectué alors que le demandeur avait travaillé pendant cinq mois en qualité d’agent des douanes. La définition de la CIE était exactement la même que celle utilisée lors du concours actuel. »
[48] Au vu de ces éléments de preuve, M. Hughes soutient que le jury de sélection était tenu de traiter l’apparente contradiction entre son dossier d’emploi, qui établissait sa compétence, et sa performance lors d’une entrevue. M. Hughes s’est fondé sur la décision Canada (Procureur général) c. Bates, [1997] 3 C.F. 132 (C.F. 1re inst.), rendue par la Cour.
[49] L’enquêteuse a conclu que le jury de sélection n’était pas tenu d’examiner les évaluations du rendement de M. Hughes pour les motifs suivants :
[traduction]
52. M. Hughes a allégué que le jury de sélection était tenu d’examiner les évaluations du rendement effectuées par l’organisation et d’en tenir compte comme étant des facteurs révélant qu’il était effectivement qualifié pour ce poste. Je ne peux pas souscrire à cette allégation. Dans l’arrêt Re Ratelle, le juge Pratte a conclu comme suit :
L’appréciation du mérite de diverses personnes est bien souvent affaire d’opinion et il n’y a pas de raison de préférer, sur ce sujet, l’opinion du Comité d’appel à celle du jury de sélection. […] Dans le cas où un jury de sélection a accompli son travail en se conformant à la Loi et aux règlements et en cherchant honnêtement par les moyens qu’il juge appropriés à choisir le candidat le plus méritant, un Comité d’appel outrepasse ses droits s’il accueille l’appel de la décision du jury pour le motif que le jury n’a pas, dans l’accomplissement de sa tâche, utilisé les moyens que le Comité d’appel juge les plus appropriés. [Renvoi omis.]
53. Alors que l’affaire Ratelle découle d’un appel interjeté en vertu de l’article 21 de la Loi, les principes qui y sont énoncés nous éclairent néanmoins dans le cadre d’une enquête menée en vertu de l’article 7.1. Ce n’est pas le rôle de l’enquêteur que de déterminer quels outils il aurait utilisés si on lui avait confié la tâche d’effectuer l’évaluation et son objectif est plutôt d’examiner si les actions et les conclusions du jury de sélection sont viables du point de vue de la raisonnabilité.
54. Le jury de sélection a décidé d’évaluer la CIE au moyen d’une entrevue de type questions et réponses. À première vue, il n’y a rien de déraisonnable dans cette décision et M. Hughes n’a pas établi le contraire dans la présente enquête.
55. M. Hughes soutient également que ses évaluations du rendement auraient dû établir qu’il était qualifié auprès du jury de sélection. Il fonde également cette allégation sur la décision Bates rendue par la Cour fédérale, qui portait également sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Comité d’appel. Des extraits de la décision rendue par le juge Campbell suivent :
Dans le contexte de la présente affaire, je conclus que l’appel a pour but de révéler et de corriger les erreurs commises dans l’application de normes qui ont pour effet de saper le principe de la sélection au mérite qui veut que l’on nomme le candidat le plus qualifié. En d’autres termes, en révélant et en corrigeant des erreurs, on n’attaque pas le principe du mérite, mais on le protège en tant que concept.
[…] [E]n appliquant le principe du mérite, on doit être conscient de la réalité critique des faits de l’affaire et de la situation personnelle des personnes en cause et, au besoin, y réagir. Il est incontestable qu’on peut conclure, à la lecture de leurs décisions, que Mme Preto et M. Rosenbaum étaient vivement préoccupés par l’existence d’un écart aussi grand entre le rendement pratique au travail et les résultats à un examen écrit. Il est évident que, dans ces deux décisions, Mme Preto et M. Rosenbaum ne cherchaient pas à accorder un avantage à Mme Bates, mais plutôt à corriger l’écart constaté pour s’assurer que Mme Bates soit traitée avec justice et sur un pied d’égalité avec tous les autres candidats. [Renvoi omis.]
Pendant cinq ans, Mme Bates a occupé un poste important et s’est acquittée de ses fonctions de façon satisfaisante avant d’être estimée non qualifiée pour le poste, une décision que le Comité d’appel et la Cour fédérale ont trouvée injustifiée. Les circonstances de l’affaire Bates diffèrent grandement de celles de M. Hughes. M. Hughes n’était pas un employé permanent et ne jouissait pas des états de service de Mme Bates. Il a travaillé de façon irrégulière en tant qu’inspecteur des douanes de 2001 à 2005 et, au moment de l’entrevue, il était à l’emploi de l’organisation.
56. En outre, si le jury de sélection avait permis à M. Hughes de déposer ses évaluations du rendement afin que le jury puisse en tenir compte dans son évaluation, il aurait risqué de lui conférer un avantage injuste qui n’aurait pas pu être « surmonté par un exercice de diligence raisonnable ». En fin de compte, le jury de sélection a mené un processus transparent dans le cadre duquel chaque candidat participant au présent processus de sélection a été évalué au moyen des mêmes outils. Les évaluations de performance de M. Hughes n’ont pas été utilisées. [Renvoi omis.]
[50] À mon avis, pour les motifs qui suivent, l’enquêteuse n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans sa conclusion.
[51] La Loi accorde un important pouvoir discrétionnaire au jury de sélection en ce qui concerne la façon de procéder. Le paragraphe 16(1) de la Loi autorise le jury de sélection, qui agit au nom de la Commission de la fonction publique, à choisir les candidats « après avoir tenu les examens, épreuves, entrevues et enquêtes qu’elle estime souhaitables ».
[52] Le jury de sélection a choisi d’évaluer la CIE dans le cadre d’une entrevue. Il ne s’agissait pas d’une décision déraisonnable, surtout si l’on tient compte du fait qu’une entrevue peut révéler l’efficacité de la communication interactive.
[53] L’enquêteuse a également noté que dans l’arrêt Ratelle c. Canada (Commission de la fonction publique, Direction des appels) (1975), 12 N.R. 85, la Cour d’appel fédérale a conclu que ce n’était pas le rôle du comité d’appel de déterminer quel était le moyen le plus approprié d’évaluer les capacités. Le rôle du Comité d’appel est plutôt de faire enquête afin de déterminer si la sélection du jury a été faite de façon telle qu’on puisse dire qu’elle constitue une « sélection établie au mérite ». Le rôle d’un enquêteur est semblable : sa tâche est de déterminer si le jury de sélection a agi d’une telle façon que ses sélections ont été faites selon le mérite. Voir : Deering c. Canada (Procureur général) (1997), 136 F.T.R. 248, au paragraphe 2 (C.F. 1re inst.).
[54] J’ai noté que M. Hughes s’est fondé sur la décision Bates. Dans cette décision, le juge Campbell avait conclu que le jury de sélection était tenu de prendre en considération des renseignements contradictoires. Cependant, cette décision doit être lue à la lumière des faits dont la Cour était alors saisie.
[55] Mme Bates avait travaillé pendant cinq ans en tant que représentante du service à la clientèle pour ce qui était à l’époque Emploi et Immigration Canada. Elle était reconnue pour faire un excellent travail et ses évaluations du rendement étaient « entièrement favorables ». L’employeur a effectué un concours interne afin de donner des prolongations de contrat aux représentants du service à la clientèle dont les contrats allaient bientôt expirer. Le poste pour lequel Mme Bates avait postulé était le même que celui pour lequel elle avait été nommée et qu’elle avait occupé dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée. Le gestionnaire de l’unité de Mme Bates était membre du premier jury de sélection qui avait évalué Mme Bates. Un premier comité d’appel a par conséquent conclu que ce gestionnaire ne pouvait d’aucune façon affirmer que Mme Bates faisait du bon travail et du même souffle, sur le fondement d’une évaluation, conclure que Mme Bates n’était pas qualifiée pour être nommée à ce poste. Dans la seconde décision rendue par le comité d’appel, il a été conclu que le deuxième jury de sélection avait été négligent parce qu’il n’avait pas communiqué avec le gestionnaire afin d’obtenir des renseignements au sujet des connaissances de Mme Bates.
[56] L’enquêteuse a conclu que les faits de la décision Bates étaient différents de ceux en l’espèce parce que M. Hughes n’avait pas accumulé les mêmes types d’antécédents en matière d’emploi que Mme Bates. Je conclus que la décision Bates diffère de l’espèce au motif que, dans cette affaire, le comité d’appel connaissait réellement les capacités de Mme Bates et que le concours avait été un concours interne entre les représentants du service à la clientèle qui cherchaient à obtenir des prolongations de contrat. Par conséquent, on peut déduire que l’ensemble des postulants avait déjà obtenu une évaluation du rendement, ce qui fait en sorte que le comité d’appel aurait pu disposer de telles évaluations du rendement.
[57] En l’espèce, cependant, rien ne donne à penser que l’un ou l’autre des membres du jury de sélection savait effectivement que les capacités liées à la CIE de M. Hughes ne correspondaient pas aux résultats de son entrevue. En outre, il s’agissait d’un concours public pour un poste de premier échelon. Je conviens que le fait d’accepter les évaluations du rendement de M. Hughes afin de racheter ou de pallier sa performance lors de l’entrevue aurait pu faire en sorte qu’il y ait un risque de lui accorder un avantage indu. Les autres candidats qui n’avaient pas travaillé pour l’ASFC et dont la CIE n’avait jamais fait l’objet d’une évaluation du rendement n’auraient pas pu bénéficier de cet avantage.
L’enquêteuse a-t-elle commis une erreur en concluant que la note de M. Hughes concernant la CIE était raisonnable?
[58] M. Hughes soutient que [traduction] « la preuve établit que le demandeur a réussi l’entrevue sur le fondement des réponses données, d’une comparaison des notes obtenues des autres candidats qui montrent une notation incohérente, de la grille de correction, de la question portant sur les affaires internes et des évaluations du rendement déposées ». De façon subsidiaire, il soutient ce qui suit :
[traduction]
79. Même si le jury a, à juste titre, accordé au demandeur la note de 55, le jury et [l’enquêteuse] ont commis une erreur en ne tenant pas compte du rendement au travail (sur une période de 15 mois) en matière de CIE afin de concilier ce rendement au travail avec le résultat totalement différent obtenu lors de l’entrevue. Les allégations selon lesquelles le demandeur avait une voix douce et manquait de confiance peuvent être expliquées par le grand stress lié au fait qu’il avait été mis sur la liste noire par l’ASFC ainsi que par l’enquête des Affaires internes. Le rendement au travail du demandeur établit que sa CIE est très efficace et qu’il a une grande confiance.
[59] Dans son affidavit, M. Hughes a déclaré :
· qu’il a été noté de façon incohérente parce qu’un autre candidat a reçu un avantage dans le « scénario Rolex », avantage qui ne lui avait pas été donné;
· qu’il a été noté de façon incohérente parce que M. Runghen a affirmé qu’il avait permis à des candidats de prendre leur temps pour formuler leurs réponses, alors que M. Hughes a été pénalisé pour avoir pris de trop longues pauses;
· que d’autres formations du jury de sélection avaient fourni des copies des questions aux candidats, ce qui l’a désavantagé parce que la formation qui l’avait interviewé n’avait pas donné de copies des questions aux candidats qu’elle a évalué en entrevue;
· que, à deux ou trois occasions, il était devenu stressé lorsqu’il avait parlé du fait que l’Agence canadienne du revenu et l’ASFC l’avait mis sur une liste noire ainsi que de l’enquête actuelle des Affaires internes ou bien lorsqu’il y avait pensé. À la fin de l’entrevue, il a parlé de l’enquête des Affaires internes à M. Cronin et il lui a fourni le nom et le numéro de téléphone de l’enquêteur principal;
· que les membres du jury de sélection savaient que le stress peut affecter la voix et la façon de s’exprimer d’une personne;
[60] En outre, M. Hughes renvoie à des évaluations de candidats afin de souligner des passages où il y avait eu des commentaires négatifs au sujet de leur performance, des passages qui, selon M. Hughes, renferment des réponses erronées ou une notation erronée. Voir, par exemple, les paragraphes 46, 47, 61 et 62 de l’affidavit de M. Hughes.
[61] Pour les motifs qui suivent, l’enquêteuse a rejeté l’allégation de M. Hughes selon laquelle il a été évalué de façon inadéquate :
[traduction]
46. L’obligation du jury de sélection est énoncée de façon succincte dans la jurisprudence. Comme l’a mentionné le juge Pratte dans la décision Blagdon :
En résumé, en vertu de la seule règle générale qui régisse l’activité d’un jury de sélection, la sélection doit être fondée sur le mérite. […] Il faut bien comprendre que l’appréciation du mérite de différentes personnes, fonction attribuée au jury de sélection, ne peut être réduite à une fonction mathématique; dans bien des cas, c’est une affaire d’opinion. [Renvoi omis.]
On forme un jury de sélection afin qu’il évalue les candidats et qu’il se fasse une opinion à leur sujet dans le cadre d’un processus de sélection.
47. Quelle est la norme applicable au contrôle des décisions rendues par le jury de sélection? Dans l’arrêt Scarizzi, le juge Rothstein a conclu :
Ce n’est que lorsqu’un jury de sélection se fait une opinion à laquelle aucune personne raisonnable ne pourrait arriver qu’un comité d’appel peut modifier sa décision. [Renvoi omis.]
Par conséquent, dans le cadre de l’enquête, tout comme lors d’un appel, l’affaire consiste à examiner les décisions prises par le jury de sélection afin de déterminer si ces décisions sont entachées d’une erreur parce qu’elles sont, par exemple, déraisonnables, incohérentes ou illogiques. [Renvoi omis.]
48. En ce qui concerne la question de savoir si M. Hughes a été évalué de façon différente des autres candidats, je ne peux trouver aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation. M. Hughes conteste énergiquement l’évaluation des autres candidats. J’en ai inclus quelquesunes dans le résumé des faits cidessus. La preuve établit que le jury de sélection commençait avec une note de 70 puis ajoutait ou soustrayait des points selon la performance du candidat. Je ne peux trouver aucune erreur dans cette méthode, qui tient compte de la performance du candidat. En outre, la preuve documentaire et ce dont les membres du jury de sélection se souvenaient lors de la réunion d’instruction appuyaient l’évaluation définitive des candidats. Par exemple, en ce qui concerne la question no 2, ni le jury de sélection ni M. Hughes n’a laissé entendre que M. Hughes avait insisté pour que sa femme parle au téléphone ou que l’affaire était d’une quelconque façon urgente.
49. La présente affaire n’est pas visée par les principes de la décision Field, dans laquelle la Cour a conclu que « le dossier ne fait état d’aucune preuve convaincante, orale ou écrite, indiquant la manière dont le Comité de sélection a évalué [le mérite] des candidats ». En l’espèce, le dossier de preuve est clair et bien étoffé. [Renvoi omis.]
[…]
51. M. Hughes a été évalué selon sa performance le jour de son entrevue. Bien que M. Hughes puisse expliquer sa voix calme et sa performance personnelle, le jury de sélection avait néanmoins le droit d’évaluer les qualifications que le candidat doit posséder pour avoir un bon rendement dans le poste. Le jury de sélection a indiqué qu’il y avait des lacunes relevées dans la performance de M. Hughes le jour de l’entrevue. La note qui lui a été accordée était raisonnable étant donné sa performance lors de l’entrevue.
[62] Je commence par noter qu’il n’était pas permis à l’enquêteuse de substituer son opinion à celle du jury de sélection. L’enquêteuse a, à juste titre, reconnu qu’il lui était permis d’intervenir seulement si la décision du jury de sélection constituait [traduction] « une opinion à laquelle aucune personne raisonnable ne pourrait arriver ». Voir : Scarizzi c. Marinaki (1994), 87 F.T.R. 66, au paragraphe 6. Par conséquent, l’enquêteuse devait déterminer si la décision du jury de sélection était entachée d’une erreur parce qu’elle était, par exemple, déraisonnable, incohérente ou illogique.
[63] L’enquêteuse a également reconnu à juste titre que l’évaluation du jury de sélection « ne peut être réduite à une fonction mathématique; dans bien des cas, c’est une affaire d’opinion ». Voir : Blagdon c. Canada (Commission de la fonction publique, comité d’appel), [1976] 1 C.F. 615, page 623 (C.A.F.).
[64] L’enquêteuse a conclu que rien ne donnait à penser que M. Hughes avait été évalué de façon différente des autres candidats. Selon l’enquêteuse, la preuve documentaire et les témoignages des membres du jury de sélection appuyaient l’évaluation définitive.
[65] J’ai examiné attentivement les allégations de M. Hughes, mais j’estime qu’elles ne justifient pas une conclusion selon laquelle l’enquêteuse a commis une erreur dans sa décision en concluant que la décision du jury de sélection était raisonnable et cohérente. Par exemple, le fait que M. Runghen a affirmé qu’il avait accordé du temps aux candidats afin de formuler leurs réponses ne vicie pas la décision du jury de sélection et ne rend pas déraisonnable sa décision de noter ce qui semble être des pauses fréquentes et longues (par exemple, des pauses d’une durée de trois minutes et demie et de deux minutes et demie).
[66] De façon semblable, le fait que certaines formations du jury de sélection ont donné aux candidats les questions écrites alors que d’autres formations ont posé les questions de façon orale ne justifie pas d’établir qu’il y a eu iniquité ou désavantage qui vicie le processus de sélection. C’est d’autant plus vrai étant donné que la grille de correction mentionnait que la CIE [traduction] « […] comprend la réception d’information, la compréhension et la réponse ouverte et efficace aux interactions avec les autres (exclut la communication écrite) ». Étant donné que la définition de la CIE excluait la communication écrite, il n’était pas déraisonnable qu’une formation du jury de sélection pose les questions oralement.
[67] J’ai également examiné les questions d’entrevue qui se trouvent dans la pièce G de l’affidavit de Mme Suzanne Charbonneau. À mon avis, il n’y avait aucune question si complexe qu’elle ne pouvait pas être facilement comprise si elle était posée oralement. Par exemple, la question no 4 est rédigée ainsi :
[traduction]
Vous travaillez en tant qu’inspecteur pour la SPCA. Une femme appelle au bureau de la SPCA et affirme qu’un chien qui vit un peu plus loin a attaqué son fils de trois ans. La femme est bouleversée et demande que le chien soit euthanasié. Votre patron vous demande de mener l’enquête.
Comment procédez-vous?
[68] Les notes des membres du jury de sélection qui avait interviewé M. Hughes font état de leurs réserves quant à la capacité liée à la CIE de M. Hughes. M. Hughes a confirmé qu’il avait ressenti du stress lors de l’entrevue. Comme il l’a mentionné, le stress peut faire en sorte qu’une personne normalement éloquente et confiante semble être [traduction] « docile et non confiante ». Cette explication tend à appuyer la décision du jury de sélection.
[69] Vu l’ensemble de la preuve, M. Hughes ne m’a pas convaincue que la décision de l’enquêteuse n’était pas raisonnable. Je conclus que les motifs de l’enquêteuse étaient justifiés (c’estàdire que ses conclusions étaient appuyées par la preuve), transparents et intelligibles. La décision appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la décision de l’enquêteuse concernant la note de M. Hughes liée à la CIE est raisonnable.
Conclusion
[70] La Cour n’est pas insensible à la grande insistance de M. Hughes à faire valoir que sa capacité liée à la CIE justifie qu’il aurait dû obtenir la note de passage ni au fait que M. Hughes n’a pas établi qu’il y avait eu partialité, des représailles, ou que la décision n’était pas raisonnable. Cependant, les personnes ont de mauvaises journées et leur performance lors d’une journée donnée peut ne pas être représentative de leurs compétences générales, ce que le juge Nadon, alors juge de la Cour, a énoncé comme suit aux paragraphes 27 et 28 de la décision Chappell c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 606 :
27 Cependant, au paragraphe 20 des observations écrites, l’avocat des requérants s’exprime comme suit :
[traduction]
Le jury de sélection n’a pas tenu compte de la possibilité que les candidats les plus méritants aient été malades ou incapables de donner un bon rendement pour plusieurs raisons valables [...]. Il se peut fort bien que les résultats indiquent tout simplement que c’était un mauvais jour pour le candidat le plus méritant [...].
28 Je dois convenir avec l’avocat que ce scénario est possible. Cependant, il en serait de même pour tout test ou examen, quel que soit le moment où il est administré. Nous connaissons tous de mauvais jours et certaines personnes ne donnent pas un bon rendement lors de tests en raison de la survenance d’événements particuliers dans leurs vies. Est-ce à dire qu’il faut administrer chaque test indéfiniment simplement pour obtenir les résultats les plus exacts qui soient? L’évaluation n’en finirait plus. Le fait que les résultats du test remontent à dix mois n’a rien à voir avec la possibilité que le candidat le plus méritant ait connu une mauvaise journée. Enfin, le jury de sélection n’est nullement tenu de créer un système à toute épreuve pour assurer la sélection du candidat le plus méritant en tout temps. La seule exigence est celle qui découle de l’article 10, selon lequel la sélection doit être fondée sur le mérite. La perfection n’est pas requise ni de la part du jury de sélection, ni chez le candidat retenu.
[71] La preuve ne justifie tout simplement pas d’annuler la décision de l’enquêteuse.
[72] Le procureur général sollicite les dépens. Au vu des facteurs non exhaustifs énumérés à l’article 400 des Règles des Cours fédérales et des circonstances de l’espèce, aucuns dépens ne sont adjugés.
Traduction certifiée conforme
Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.
1. Même si la Loi a depuis été abrogée, les parties s’entendent pour dire que les dispositions de la Loi continuent de s’appliquer à la présente demande. Je partage cette opinion. Voir les dispositions transitoires de l’actuelle Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13, et le projet de loi C-25, Loi modernisant le régime de l’emploi et des relations de travail dans la fonction publique, modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur le Centre canadien de gestion et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, 2e session de la 37e législature, 2003, article 72 (sanctionnée le 7 novembre 2003).
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-962-07
INTITULÉ : CHRIS HUGHES c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 8 AVRIL 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS : LE 8 JUIN 2009
COMPARUTIONS :
Pour son propre compte |
POUR LE DEMANDEUR
|
Graham Stark
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pour son propre compte
|
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR
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