Cour fédérale |
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Federal Court |
ENTRE :
demandeur
et
ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
Introduction et contexte factuel
[1] Le 21 mai 2009, j’ai suspendu l’expulsion du demandeur vers la Somalie en attendant qu’une décision soit rendue sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Les présents motifs expliquent pourquoi j’ai accordé ce sursis.
[2] La procédure principale à laquelle se greffe la demande de sursis est une décision rendue le 12 mars 2009 par M. Sohal, agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR).
[3] Le demandeur est entré au Canada le 31 décembre 1988 et il a immédiatement déposé une demande d’asile qui, pour diverses raisons, n’a pas été entendue. Il a déposé une autre demande d’asile en février 2003. Cette demande a été rejetée le 25 février 2004 pour des motifs de crédibilité : la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) n’a pas cru son récit de persécution.
[4] Le tribunal a ensuite déterminé les risques visés à l’article 97 auxquels serait exposé le demandeur. Le tribunal a noté que le clan Dir, auquel le demandeur prétend appartenir, réside dans le Nord-Ouest de la Somalie, et que « [c]ette région jouit d’une certaine indépendance par rapport au reste de l’ensemble du pays ». Il a aussi conclu que cette région était une PRI viable pour le demandeur, laquelle était « accessible et non seulement raisonnable ». Le tribunal a jugé que le demandeur n’était pas une personne à protéger.
[5] Avant la décision sur sa demande d’asile rendue en 2004, le demandeur avait, depuis octobre 1994, accumulé un casier judiciaire, qui incluait une déclaration de culpabilité pour fraude de plus de 1 000 $ concernant les services sociaux. En raison de cette déclaration de culpabilité, il s’est vu imposer une peine avec sursis, une ordonnance de restitution de 13 243,76 $ et une période de probation de trois ans.
[6] Le 11 décembre 2003, il a été déclaré coupable d’un manquement aux conditions de la probation et condamné à une peine d’un an de probation assortie d’une ordonnance de restitution de 2 400 $.
[7] Le 30 octobre 2006, le demandeur a déposé une demande CH sans payer les droits exigibles. Ils ont été payés plus tard. Le 20 septembre 2007, la demande CH a été transmise au bureau local de CIC. Cette demande est toujours pendante.
[8] Le 23 avril 2009, le demandeur a présenté une demande de report en invoquant sa demande CH pendante et le fait qu’il vivait au Canada depuis 20 ans, était marié et avait cinq enfants qui dépendaient de lui sur le plan financier. La demande de report a été rejetée le 27 avril 2009. Cette décision n’a fait l’objet d’aucune demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.
[9] Le dossier révèle aussi les faits suivants :
· En 1995, le demandeur a été accusé d’agression sexuelle, accusation pour laquelle il n’a pas comparu en septembre 1995. Un mandat d’arrêt a été décerné à l’audience;
· La même année, il a été accusé d’un manquement aux conditions de la probation, accusation pour laquelle il a fait défaut de comparaître, et un autre mandat d’arrêt a été décerné à l’audience;
· Le 2 décembre 1997, un rapport fondé sur l’article 27 a été établi relativement à sa déclaration de culpabilité pour fraude;
· Le 11 mars 2002, un mandat d’arrestation été décerné en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration;
· Le 4 février 2003, une mesure d’expulsion a été prise contre le demandeur en raison de sa grande criminalité, compte tenu de sa déclaration de culpabilité pour fraude;
· Avant cette mesure d’expulsion, le demandeur avait été arrêté par la police de Toronto le 23 janvier 2003. Apparemment, en 1996, il se serait enfui à Calgary. Il a dit qu’il était retourné en Ontario en septembre 2002 pour répondre aux accusations qui pesaient contre lui, mais ce n’est qu’en janvier 2003 qu’il s’est livré à la police.
Décision de l’agent d’ERAR
[10] L’agent d’ERAR a décelé un nouveau risque — un changement de situation — depuis que le tribunal a rendu sa décision. Le demandeur craignait d’être persécuté ou que sa vie soit menacée parce que le Conseil des cours islamiques, qu’il décrit comme un groupe musulman extrémiste, avait pris le contrôle d’une bonne partie du pays en 2006 et était maintenant en guerre contre un gouvernement somalien impuissant. Le Conseil des cours islamiques a été chassé de Mogadiscio, capitale de la Somalie, lorsque les troupes éthiopiennes sont venues prêter main-forte au gouvernement. Toutefois, le Conseil des cours islamiques a récemment repris le contrôle de plusieurs régions du pays et se bat maintenant pour s’assurer le contrôle de Mogadiscio.
[11] Selon l’agent d’ERAR, la crainte du demandeur repose sur le fait qu’il n’est pas un musulman pratiquant : 1) il ne porte pas de barbe; 2) il porte des vêtements occidentaux; 3) il a une coupe de cheveux occidentale; 4) il ne prie pas 5 fois par jour; 5) il est contre le fait que les femmes portent l’habit traditionnel; et 6) il est contre la MGF. Il craint d’être pris pour cible par les extrémistes musulmans parce que ses opinions sont différentes des leurs.
[12] En résumé, l’agent d’ERAR a tiré les conclusions suivantes en se fondant essentiellement sur le plus récent rapport du Département d’État américain publié en 2008, sur les Operational Guidance Notes du Royaume-Uni (les UK Notes) publiées en décembre 2008 et sur la décision de la SPR :
1) Le demandeur appartient au clan Dir et, selon la SPR, il vivait à Mogadiscio quand il était en Somalie;
2) Selon les UK Notes, le demandeur ne pouvait pas retourner à Mogadiscio car il serait exposé à un risque de violence généralisée là-bas;
3) Les UK Notes soulignent également que ceux [les individus] qui sont affiliés aux importantes familles organisées en clan — leurs groupes de clan les plus proches et les clans associés — [traduction] « devraient donc pouvoir vivre en sécurité dans une région à l’extérieur de Mogadiscio où le clan est présent »;
4) Tel qu’il est mentionné dans sa décision, la SPR a conclu que le demandeur pouvait habiter dans le Nord-Ouest de la Somalie puisqu’il appartenait au clan Dir. Pour le demandeur, comme il a été mentionné précédemment, la situation en matière de sécurité est meilleure dans le Nord du pays. La SPR souligne dans sa décision qu’il y a peu de preuve indiquant que le demandeur ne pourrait pas déménager dans la région susmentionnée ou dans le Nord-Ouest où le clan Dir réside;
5) En fait, je reconnais que les conditions en Somalie ne sont certainement pas favorables au demandeur; toutefois, je ne suis pas convaincu d’avoir en main assez d’éléments de preuve pour conclure qu’il serait personnellement exposé à un risque au titre de l’article 96 et/ou de l’article 97 de la LIPR dans les régions du Nord et de l’Ouest de la Somalie en raison de son profil de musulman non pratiquant. En ce qui a trait à la viabilité de la possibilité de refuge intérieur, le demandeur serait dans une région où le clan Dir réside, tel que le confirme l’encyclopédie Brittanica; par conséquent, je conclus que le demandeur bénéficierait d’un réseau de soutien en Somalie.
Analyse
[13] Il est bien établi que le demandeur, pour obtenir un sursis de son renvoi en Somalie, devait démontrer : 1) qu’il existait une question sérieuse à trancher; 2) qu’il subirait un préjudice irréparable; et 3) que la prépondérance des inconvénients penchait en sa faveur. Pour les motifs suivants, je suis d’avis que le demandeur s’est acquitté du fardeau de la preuve pour chacun de ces trois éléments.
a) Question sérieuse
[14] Après étude des conclusions de l’agent d’ERAR, je conclus que les questions suivantes sont sérieuses :
· L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en décidant que le demandeur avait une PRI viable dans le Nord-Ouest de la Somalie? Je suis d’accord avec l’avocat du demandeur pour dire qu’en se fondant sur la conclusion de la SPR, l’agent d’ERAR s’est appuyé sur des documents périmés et qu’en ce qui a trait aux UK Notes, il s’est appuyé sur la preuve documentaire sans prendre en considération ou analyser la situation actuelle dans cette région – « les faits sur le terrain ».
· La question de savoir si une bonne partie des conclusions de l’agent d’ERAR sur ce point ont été tirées sur la base de simples conjectures à propos d’un possible soutien est une deuxième question sérieuse. Où devait aller le demandeur? Dans quelle ville? Comment l’agent a-t-il résolu la question de l’accessibilité et de la viabilité? Comment le demandeur devait-il se rendre là-bas alors qu’il atterrirait à Mogadiscio sans escorte?
· Une troisième question sérieuse se pose quant à savoir si l’agent d’ERAR a mal compris la preuve lui ayant été soumise ou s’il n’en a pas tenu compte. En effet, des éléments de preuve établissaient que des troubles sociaux et politiques sévissaient dans le Nord-Ouest de la Somalie, qu’une guerre ouverte se déroulait dans cette région ou dans ses alentours et que les habitants de cette région pouvaient à peine subvenir à leurs besoins. Des éléments de preuve démontraient aussi que les milices contrôlaient une grande partie de la région;
· Une quatrième question sérieuse se pose quant à la façon dont l’agent d’ERAR a traité de la question de la nouvelle crainte du demandeur fondée sur croyances religieuses et sur l’étendue du contrôle actuel exercé par les groupes extrémistes sur les régions de la Somalie. L’analyse de l’agent d’ERAR au sujet de cette crainte semble inadéquate.
b) Préjudice irréparable
[15] Un préjudice irréparable est établi lorsque la vie, la liberté ou la sécurité du demandeur sont exposées à un risque. La preuve documentaire soumise par le demandeur – particulièrement les récents avis aux voyageurs – établit que le demandeur risque d’être exposé à un préjudice grave à son retour.
c) Prépondérance des inconvénients
[16] Dans les circonstances, la prépondérance des inconvénients favorise le demandeur.
[17] L’avocat du défendeur a invoqué le récent arrêt de la Cour d’appel fédérale Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, pour soutenir que la prépondérance des inconvénients favorise le ministre. Je ne suis pas prêt à affirmer que la présente espèce est semblable à l’affaire Baron ou que les principes formulés dans cette affaire l’emportent nécessairement sur le préjudice irréparable.
« François Lemieux »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 29 mai 2009
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2098-09
INTITULÉ : ABDIKARUM ADEN c. LE MINISTRE
DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 21 mai 2009
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : Le juge Lemieux
DATE DES MOTIFS : Le 29 mai 2009
COMPARUTIONS :
David Yerzy
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Ned Djordjevic
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Yerzy Avocat Toronto (Ontario)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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