Ottawa (Ontario), le 23 mars 2009
En présence de monsieur le juge Hughes
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
et
ELI LILLY AND COMPANY
défenderesse/brevetée
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La présente instance a été introduite en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié (le Règlement AC). La demanderesse cherche à faire interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Novopharm Limited pour une version générique du médicament chlorhydrate de raloxifène de la demanderesse jusqu’à l’expiration du brevet canadien 2,158,399 (le brevet 399).
[2] Dans une instance connexe instruite simultanément (T‑1562‑07), la demanderesse cherche à faire interdire au ministre de délivrer à Novopharm Limited un avis de conformité relativement à sa version générique du même médicament jusqu’à l’expiration du brevet canadien 2,250,191 (le brevet 191).
[3] Une troisième instance opposant les mêmes parties et portant sur le même médicament (dossier T‑1563‑07) a été ajournée sine die, aux termes de l’ordonnance prononcée le 6 janvier 2009 par la protonotaire Tabib. Elle ne nous concerne pas en l’espèce. On m’informe que cette instance concerne le brevet canadien 2,101,356, qui a fait l’objet d’une décision que j’ai rendue (2008 CF 142) et qui est depuis lfrappée d'appel.
[4] Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande et condamne la demanderesse à payer les dépens à Novopharm.
LES PARTIES
[5] La demanderesse Eli Lilly Canada Inc. (Lilly Canada) a obtenu du ministre de la Santé (le ministre) un avis de conformité concernant un médicament contenant du chlorhydrate de raloxifène sous forme de comprimés de 60 mg. La demanderesse vend ce médicament au Canada sous la marque EVISTA avec le numéro d’identification du médicament (DIN) 02239028. Ce médicament est utilisé pour le traitement et la prévention de l’ostéoporose. La demanderesse est désignée par l’appellation de « première personne » dans le Règlement AC.
[6] La défenderesse Novopharm Limited (Novopharm) a envoyé à Lilly Canada un avis d’allégation l’informant de son intention de commercialiser une version générique des comprimés de 60 mg en question contenant du chlorhydrate de raloxifène. Elle réclame du ministre un avis de conformité l’autorisant à commercialiser son produit en déposant une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) dans laquelle le produit de Lilly Canada est mentionné. La défenderesse Novopharm est désignée par l’appellation de « seconde personne » dans le Règlement AC.
[7] Le ministre défendeur est chargé d’appliquer le Règlement AC et de délivrer des avis de conformité lorsque les conditions applicables sont réunies.
[8] La défenderesse Eli Lilly and Company (Lilly US) est la titulaire du brevet 399 et elle a été constituée partie aux présentes instances conformément au paragraphe 6(4) du Règlement AC.
LE BREVET EN LITIGE
[9] Les débats portent sur le brevet canadien 2,158,399 (le brevet 399). La demande relative à ce brevet a été déposée auprès du Bureau canadien des brevets le 15 septembre 1995. Le brevet est donc régi par les dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, dans leur rédaction en vigueur à la suite des modifications apportées le 1er octobre 1989. Ces dispositions peuvent être désignées par l'appellation "nouvelle Loi sur les brevets."
[10] La demande relative au brevet 399 est devenue accessible au public le 20 mars 1996. Cette date revêt une importance particulière pour ce qui est de l’interprétation du brevet. La demande relative au brevet porte revendication de priorité sur la base de demandes déposées devant le Bureau des brevets des États‑Unis le 19 septembre 1994 et le 26 avril 1995. Le brevet 399 expirera 20 ans après la date du dépôt de la demande au Canada, c’est‑à‑dire, le 15 septembre 2015. Le brevet 399 a été délivré et accordé le 20 mars 2001. Cette date n’est pas particulièrement importante dans la présente instance, sauf pour indiquer que le brevet a bel et bien été délivré et accordé.
[11] À la première page du brevet, il est indiqué dans le paragraphe introductif qu’il est question d’une nouvelle forme cristalline non solvatée appartenant à une classe de substances chimiques désignée par la formule chimique suivante :
[TRADUCTION]
La présente invention porte sur un produit pharmaceutique nouveau. Plus précisément, elle concerne une nouvelle forme cristalline non solvatée d’un 2‑aryl‑6‑hydroxy‑3‑[4‑(2‑aminoéthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène.
[12] Plus précisément, le brevet vise une substance particulière de cette classe désignée par la formule énoncée au deuxième paragraphe de la première page :
[TRADUCTION]
chlorhydrate de 6-hydroxy-2-(4-hydroxyphényl)-3-[4-(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène
[13] Heureusement, à la même page du brevet, le nom chlorhydrate de raloxifène a été utilisé plutôt que la formule. Les parties ont également recours à ce nom, et je ferai de même.
LA PREUVE
[14] Dans la présente instance, la preuve produite consiste, comme c’est habituellement le cas lorsque notre Cour est saisie d’une demande, en des affidavits, des pièces jointes aux affidavits, des transcriptions des contre‑interrogatoires et de pièces jointes à ces contre‑interrogatoires. Une ordonnance de confidentialité a été prononcée dans la présente instance le 15 octobre 2007. Cependant, compte tenu du fait que les questions en litige sont moins nombreuses que celles qui sont énoncées dans l’avis d’allégation, la Cour est seulement appelée à se prononcer sur celle de la validité, de sorte qu’aucun des éléments de preuve portant sur cette question ne demeure confidentiel.
[15] La demanderesse a produit les affidavits des témoins suivants :
• M. Joel Bernstein est professeur titulaire de chimie à l’Université Ben‑Gourion du Néguev à Beer Sheva, en Israël. Il se dit expert dans les domaines du polymorphisme, de la cristallographie et de la chimie organique de l’état solide.
• Nancy Gallagher est auxiliaire juridique au cabinet des avocats de la demanderesse. Elle a produit les copies de l’avis d’allégation, du brevet en litige, de certaines antériorités et de l’avis de demande. Aucun de ces documents n’est contesté.
• M. Leonard J. Chyall est actuellement chercheur principal au service‑conseil d’Aptuit, un laboratoire de recherche indépendant. Il a tenté de reproduire les exemples 16 et 18 du brevet américain no 4,418,068 (le brevet 068) et a examiné les résultats de M. Ferrari, un des témoins de Novopharm. Cet affidavit a été déposé en réponse.
[16] MM. Bernstein et Chyall ont été contre‑interrogés. Leur qualité d’experts n’a pas été contestée. Toutefois, Novopharm a contesté les domaines d’expertise déclarés par M. Bernstein.
[17] La défenderesse Novopharm a déposé des affidavits souscrits par les témoins suivants :
• M. Massimo Ferrari est directeur des services de recherche et de développement chez Erregierre S.P.A., fabricant italien de produits pharmaceutiques. Il a témoigné sur la synthèse d’un composé chimique jugé conforme aux exemples 16 et 18 du brevet 068. Ce témoignage, conformément aux observations de l’avocat de Novopharm lors de l’audience, a été produit comme élément de fait. M. Ferrari a également témoigné en réplique au témoignage de M. Chyall, que celui-ci a rendu à titre d’expert. L’affidavit de sa réplique contenait également des preuves relatives à ses expériences subséquentes, qui ont été radiées par une ordonnance du protonotaire. Il reste toutefois dans la preuve une partie des éléments avancés au sujet de ces expériences par MM. Chyall et Stradi, dans leurs contre‑interrogatoires.
• M. Riccardo Stradi est professeur au Département de chimie organique de la Faculté de pharmacie de l’Université de Milan, en Italie. Il a effectué des analyses par diffraction de rayons X sur poudre d’échantillons du composé synthétisé par M. Ferrari. Il a rendu son témoignage à titre d’expert.
• M. Thomas T. Tidwell est professeur émérite au Département de chimie de l’Université de Toronto. Il se dit expert dans les domaines de la synthèse des composés organiques, de leur analyse par purification et de la détermination de leur structure. Il a examiné le brevet en litige, les antériorités, notamment le brevet 068 et l’article de Jones, ainsi que le témoignage de M. Bernstein.
• A. Louise McLean est auxiliaire juridique au cabinet des avocats de Novopharm. Elle a produit les copies de l’avis d’allégation et des antériorités dont il est ici question. Cette preuve n’est pas contestée.
[18] MM. Ferrari, Stradi et Tidwell ont été contre‑interrogés.
[19] Le ministre n’a pas produit d’éléments de preuve et il n’a pas pris une part active au déroulement de l’instance. Lilly US n’a pas participé activement à la présente instance. Je présume que Lilly Canada a veillé à la défense des intérêts de Lilly US.
[20] Je retiens les observations du juge Harrington de notre Cour dans la décision Lundbeck Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 146, au paragraphe 74: dans ce genre de procès, on ne dispose pas vraiment du témoignage de personnes de chair et de sang ou même de « pontes » et qu’on doit se contenter de mots sur des feuilles de papier. Hormis les cas les plus exceptionnels, le tribunal n’est pas en mesure de dire si certains témoins ont été évasifs ou ont pris fait et cause pour une des parties ou se sont pliés aux directives des avocats de manière à inciter le tribunal à voir d’un mauvais œil l'attitude de l’un des témoins de la partie adverse. Je veux ajouter ma voix à celle des personnes qui crient dans le désert et qui réclament que l’on améliore la façon de procéder en la matière.
LA REQUÊTE EN RADIATION
[21] À l’ouverture de l’audience, Lilly Canada a saisi la Cour d’une requête tendant à la radiation du premier affidavit de M. Massimo Ferrari, de l’affidavit en réplique souscrit par M. Ferrari, y compris les annexes A et B, et de l’affidavit de M. Riccardo Stradi, y compris les annexes A, B, C et D, qui ont tous été produits par Novopharm avec la transcription du contre‑interrogatoire de MM. Ferrari et Stradi et, du consentement de l’avocat de la demanderesse à l’audience, y compris aussi les éléments de preuve de la demanderesse elle‑même, dont l’affidavit de M. Chyall et la transcription de son contre‑interrogatoire. Je n’ai pas fait droit à la requête. Tous les éléments de preuve en question demeureront donc au dossier; il reviendra au tribunal de les apprécier.
[22] A l'appui de la requête, ils ont invoqué les deux moyens suivants :
a. Il ressort du contre‑interrogatoire de M. Ferrari que Novopharm et une société affiliée, Teva, étaient des clients de la compagnie pour laquelle M. Ferrari travaille, Erregierre, de sorte qu’il était probable qu’il ait un parti pris;
b. Les expériences menées par M. Ferrari ne sont pas pertinentes et, de toute façon, les résultats de celles-ci sont contestables.
[23] J’ai rejeté ces deux moyens. En premier lieu, en ce qui a trait à l’allégation de parti pris, je tiens à signaler que cette allégation repose sur les réponses suivantes que M. Ferrari a données à deux questions qui lui ont été posées lors de son contre‑interrogatoire :
[TRADUCTION]
Q. La compagnie pour laquelle vous travaillez, Erregierre, est un fournisseur de Novopharm au Canada, c’est exact?
R. Je ne suis pas chargé des activités commerciales de la compagnie. Je ne peux donc pas vous donner une réponse catégorique. Mais autant que je sache, Novopharm est un de nos clients.
Q. Et Teva aussi?
R. Oui.
[24] On ne saurait prétendre que cet échange donne lieu à une crainte de partialité suffisante justifiant l'exclusion du témoignage de M. Ferrari. Il démontre tout au plus qu’il travaille pour une société qui compte parmi ses clients Novopharm et Teva. On ignore si le produit en question est en cause, si les clients sont importants ou négligeables ou si les clients étaient en mesure d’influencer M. Ferrari ou les expériences qu’il a faites. La Cour fera preuve de prudence dans son examen du témoignage de M. Ferrari, mais, à défaut d’autres éléments, elle exercera la même prudence que si elle examinait le témoignage donné par un expert externe qui, comme la Cour le sait pertinemment, est rétribué par la partie qui l’a appelé à la barre.
[25] En second lieu, pour ce qui est de la solidité des éléments de preuve, elle doit-être appréciée au regard de l’ensemble de la preuve présentée dans le cadre de la présente instance. Je ne suis pas convaincu que les expériences qui ont été faites étaient si peu concluantes qu’on doive les exclure du dossier. Les éléments de preuve demeureront au dossier; il reviendra au tribunal de les apprécier.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[26] Les questions en litige en l’espèce se rapportent à la validité des revendications du brevet 399, compte tenu de :
a. l’antériorité
b. l’évidence.
La défenderesse Novopharm a également soulevé une question mixte de validité et de contrefaçon en invoquant le moyen de défense tiré de la jurisprudence Gillette. À l’ouverture de l’audience, l’avocat de Novopharm a informé la Cour que ce moyen n'était plus invoqué.
LA CHARGE DE LA PREUVE
[27] La question de savoir qui a la charge de la preuve dans les instances relatives à des avis de conformité en ce qui concerne la validité d’un brevet ou la contrefaçon d’un brevet est une question que je croyais réglée. Pourtant, elle est toujours matière à controverse dans le cadre de ces instances. Il semble que la décision que j'ai rendue récemment dans l’affaire Brystol‑Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 137, apporte de l’eau au moulin de ceux qui veulent constamment relancer le débat sur le sujet. Je tiens à signaler fermement que, dans la décision Brystol‑Myers, je n’avais nullement l'intention de rejeter les observations que j'avais faites dans des décisions antérieures au sujet de la change de la preuve.
[28] Pour dissiper tout doute au sujet de la charge de la preuve en matière d’invalidité du brevet, j’ai, dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), (2008), 69 C.P.R. (4th) 191, 2008 CF 11, passé en revue la jurisprudence et notamment les arrêts récents de la Cour d’appel fédérale. J’ai conclu ainsi, au paragraphe 32 :
32 À mon avis, la décision de chacune des deux formations de la Cour d’appel fédérale n’est pas substantiellement divergente. Le juge Mosley de la Cour a concilié ces deux décisions dans les motifs qu’il a énoncés dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971 (aux paragraphes 44 à 51). Certains éléments, formulés comme suit, sont requis lorsque sont soulevées des questions de validité d’un brevet :
1. La seconde personne peut, dans son avis d’allégation, soulever un ou plusieurs motifs pour faire valoir l’invalidité.
2. La première personne peut, dans son avis de demande déposé auprès de la Cour, lier contestation à l’égard d’un ou de plusieurs de ces motifs.
3. La seconde personne peut produire une preuve pendant l’instance devant la Cour pour étayer les motifs à l’égard desquels a été liée contestation.
4. La première personne peut, à ses risques, se fier simplement sur la présomption de validité prévue par la Loi sur les brevets ou, si elle est plus prudente, présenter sa propre preuve quant aux motifs d’invalidité mis en cause.
5. La Cour apprécie la preuve. Si la première personne se fie uniquement sur la présomption, la Cour va malgré cela apprécier la solidité de la preuve produite par la seconde personne. Si cette preuve n’est pas concluante ni pertinente, la présomption prévaudra. Si les deux parties produisent une preuve, la Cour appréciera la preuve et tranchera la question selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités.
6. Si la preuve de l’une et l’autre partie s’équivaut à l’étape 5 (ce qui est rare), le requérant (la première personne) n’aura pas réussi à démontrer l’absence de fondement de l’allégation d’invalidité et n’aura pas droit à la délivrance de l’ordonnance d’interdiction sollicitée.
[29] J’ai exposé la question plus succinctement dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 500, au paragraphe 12 :
12 La seule question qui se pose en l’espèce est la validité. Pharmascience a soulevé trois arguments à cet égard. Pfizer et Pharmascience ont toutes deux présenté des éléments de preuve et fait des observations sur ces points. Au bout du compte, il me faut trancher l’affaire selon la prépondérance de la preuve, en me fondant sur les éléments de preuve dont je dispose et sur le droit actuellement en vigueur. Si, au vu des éléments de preuve, je conclus que l’affaire s’équilibre, il me faudra conclure que Pfizer n’a pas établi que l’allégation de Pharmascience est injustifiée.
[30] Les décisions précitées exposent correctement, à mon avis, le droit applicable à la charge de la preuve en matière d’invalidité dans les instances portant sur des avis de conformité.
[31] Pour ce qui est de la contrefaçon, il est de jurisprudence constante que lorsqu’un fabricant de produits génériques allègue l’absence de contrefaçon, les affirmations qu’il fait à cet égard dans son avis d’allégation sont tenues pour avérées. Il incombe au requérant (la première personne) de convaincre le tribunal, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’absence de contrefaçon ne sont pas justifiées; il ne suffit pas de se contenter de soulever la possibilité qu’il y ait contrefaçon. La Cour d’appel fédérale a fait des observations claires à ce sujet dans l’arrêt
Novopharm Limited c. Pfizer Canada Inc., (2005), 42 C.P.R. (4th) 97, 2005 CAF 270, aux paragraphes 19, 20 et 24 :
19 Dans Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), (1995) 64 C.P.R. (3d) 450 (C.A.F.), le juge Hugessen a examiné le fardeau de preuve qui incombe au fabricant de médicaments génériques en vertu du Règlement. Il a fait siens les motifs du juge de première instance, qui a décrit le fardeau en ces termes :
[...] les motifs qui poussent le titulaire du brevet à contester l’avis d’allégation du fabricant de médicaments génériques devraient être énoncés dans l’avis de requête introductive d’instance qui est déposé en application de l’art. 6(1) du Règlement. [...] Le fabricant de médicaments génériques peut ainsi être informé des motifs de l’opposition du titulaire du brevet et de la raison pour laquelle une ordonnance d’interdiction visant à empêcher la mise en marché de ses produits devrait être rendue. Initialement, c’est‑à‑dire devant le ministre, le fabricant de médicaments génériques a eu l’occasion de soulever la question de la non‑contrefaçon. À l’étape actuelle, devant la Cour, le fabricant a maintenant la possibilité de produire des éléments de preuve appuyant son énoncé détaillé. Voilà, essentiellement, la charge de présentation qui incombe à la partie intimée.
(Voir Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), (1995) 60 C.P.R. (3d) 328, aux pages 339 et 340 (C.F. 1re inst.), le juge Wetston)
20 À mon avis, cet énoncé demeure valable. Lorsque l’avis d’allégation est jugé suffisant, comme en l’espèce, le fardeau ultime incombe clairement à Pfizer, c’est‑à‑dire qu’il appartient à cette dernière d’établir, selon la prépondérance de la preuve, que les allégations formulées dans l’avis d’allégation ne sont pas justifiées. Novopharm n’a aucune obligation de fournir des éléments de preuve au soutien des allégations figurant dans son avis d’allégation et dans son énoncé détaillé (voir AB Hassle 2, au paragraphe 35). En conséquence, il suffisait à Novopharm de fournir des éléments de preuve au soutien de son énoncé détaillé afin de réfuter, au besoin, la preuve fournie par Pfizer dans le cadre de l’instance en interdiction.
[…]
24 Pour je ne sais quelle raison, Pfizer a décidé de s’en remettre aux seules spéculations du Dr Munson dans la présente instance. Le droit est bien établi sur ce point, c’est‑à‑dire qu’il ne suffit pas à Pfizer de soulever une simple possibilité de contrefaçon pour s’acquitter de son fardeau de preuve en vertu de l’article 6 (voir Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), (1998) 80 C.P.R. (3d) 424 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 9). En s’appuyant uniquement sur le témoignage du Dr Munson, Pfizer n’a pas satisfait à son obligation de prouver que l’énoncé d’allégation de Novopharm n’était pas justifié.
L’INTERPRÉTATION DU BREVET ‑ CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
[32] Avant de se lancer dans l’examen de la validité du brevet, la Cour doit interpréter le brevet et les revendications qu’il comporte. En ce qui concerne l’interprétation du présent brevet, qui est un brevet délivré sous le régime de la « nouvelle » Loi sur les brevets, la date pertinente est celle de sa publication, c'est-à-dire le 20 mars 1996; elle doit être faite sous l'angle de la personne versée dans l’art, en fonction de ses connaissances à cette date. Pour interpréter le brevet, il faut tenir compte de l’ensemble de celui-ci, de l’exposé de l’invention et des revendications qui y figurent. On peut au besoin solliciter les lumières d’un expert pour comprendre le sens de certains termes et les
connaissances que la personne versée dans l’art était censée avoir à cette date. Ainsi que la juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Novopharm Limited c. Janssen‑Ortho Inc., (2007), 59 C.P.R. (4th) 116, 2007 CAF 217, au paragraphe 4 :
L’interprétation de la revendication 4
4 Chaque fois que la validité ou la contrefaçon d’un brevet est en question, il y a nécessité d’interpréter la revendication : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 43. La date pertinente pour l’interprétation du brevet 080 est la date de sa délivrance, soit le 23 juin 1992. Il faut comprendre le brevet comme destiné à une personne versée dans l’art dont il relève et en tenant compte des connaissances qu’une telle personne est censée posséder à la date pertinente. L’interprétation du brevet appartient à la Cour; elle doit se fonder sur l’ensemble de l’exposé de l’invention et de la revendication, lus à la lumière de témoignages d’experts concernant la signification de certains termes et les connaissances que la personne versée dans l’art est censée posséder à la date pertinente.
[33] Elle a formulé le principe que l'on doit interpréter le brevet en se reportant à la date de délivrance de celui-ci dans une affaire où était en jeu un brevet régi par l' « ancienne » Loi sur les brevets; cependant, ce principe est toujours d'actualité sous le régime de la « nouvelle » Loi sur les brevets.
LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART
[34] Les parties ne se sont pas longuement attardées lors des débats ou dans leurs observations écrites à définir ce qu’il faut entendre par « personne versée dans l’art » à qui le brevet est censé s’adresser.
[35] Des renseignements utiles à ce sujet se trouvent à la première page du brevet 399. Il y est indiqué que l’invention porte sur un produit pharmaceutique nouveau, soit un composé cristallin non solvaté connu sous le nom de raloxifène, obtenu par un procédé de synthèse jusque‑là inconnu :
[TRADUCTION]
La présente invention porte sur un produit pharmaceutique nouveau. Plus précisément, elle concerne une nouvelle forme cristalline non solvatée d’un 2‑aryl‑6‑hydroxy‑3‑[4‑(2‑aminoéthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène.
[…]
Conformément à la présente invention, les demandeurs ont découvert un procédé de synthèse, jusque‑là inconnu, permettant d’obtenir une nouvelle forme cristalline non solvatée de raloxifène exempte de contaminants, notamment de chlorobenzène et d’aluminium.
[36] On peut donc supposer que la personne versée dans l’art connaît bien les formes cristallines de produits pharmaceutiques, comme le raloxifène, et ainsi que les procédés de fabrication possibles de ceux-ci.
[37] Au paragraphe 27 de son affidavit, M. Bernstein, un expert de la demanderesse, a défini ainsi la personne versée dans l’art aux fins de l'espèce :
[TRADUCTION]
Comme les revendications en question traitent d’une nouvelle forme cristalline du chlorhydrate de raloxifène, je considère que la personne versée dans l’art possède au moins un Baccalauréat ès sciences en chimie et quelques années d’expérience en recherche sur les processus de mise au point de médicaments, notamment une exposition aux composés polymorphiques et à leur caractérisation.
[38] Au paragraphe 11 de son affidavit, M. Tidwell, un expert de Novopharm, a défini ainsi la personne versée dans l’art :
[TRADUCTION]
11. À mon avis, le brevet 399 s’adresse à la personne ayant un diplôme en chimie organique et au moins plusieurs années d’expérience en synthèse de composés chimiques organiques, notamment de molécules médicamenteuses. Cette personne connaît les domaines de la synthèse, de la cristallisation et de la purification des molécules médicamenteuses et aurait de l’expérience dans ces domaines. Elle comprend également le rôle de la diffraction de rayons X sur poudre pour la différentiation des structures cristallines. Telle personne est pour moi la « personne versée dans l’art ».
[39] Il y a peu de différence entre les définitions des deux experts, sauf que M. Tidwell précise que la personne versée dans l’art doit avoir des connaissances suffisantes en matière de synthèse des composés organiques. Je suis du même avis. Il faut reconnaître que la personne versée dans l’art doit non seulement avoir des connaissances sur les formes cristallines, mais également sur leurs procédés de synthèse.
L’INTERPRÉTATION DU BREVET 399 LUI-MÊME
[40] Le paragraphe introductif à la première page du brevet 399 énonce que l’invention porte sur ce qui est décrit comme un produit pharmaceutique nouveau, soit une forme cristalline non solvatée du raloxifène :
[TRADUCTION]
La présente invention porte sur un produit pharmaceutique nouveau. Plus précisément, elle concerne une nouvelle forme cristalline non solvatée d’un 2‑aryl‑6‑hydroxy‑3‑[4‑(2‑aminoéthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène.
[41] À la suite de ce paragraphe, à la première page du brevet 399, il est reconnu que le chlorhydrate de raloxifène est un produit pharmaceutique déjà connu. À cet égard, on fait référence au brevet américain no 4,418,068 (le brevet 068) et à l’article nommé « article Jones » dans la présente instance. Le brevet 068 et l’article de Jones sont importants aux fins de discussion des questions de validité. Le brevet 399 indique que le composé est difficile à purifier, qu’il contient des solvants et d’autres contaminants et que son odeur est déplaisante :
[TRADUCTION]
Le brevet américain no 4,418,068 décrit le chlorhydrate de 6‑hydroxy ‑2‑(4 ‑ hydroxyphényl)‑3‑[4‑(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène, connu sous le nom de chlorhydrate de raloxifène, qui s’est révélé particulièrement prometteur comme substance pharmacologiquement active. Malheureusement, ce composé s’est montré extrêmement difficile à purifier. En particulier, des problèmes ont été causés par la contamination par des solvants. Par exemple, le procédé de synthèse du raloxifène décrit dans le Journal of Medicinal Chemistry, 27(8), 1057‑1066 (1984) présentait l’inconvénient notable de produire un composé solvaté contaminé par le chlorobenzène, un cancérogène connu. De plus, d’autres procédés décrits dans la littérature utilisaient une acylation de Friedel‑Crafts classique faisant appel à du chlorure d’aluminium comme catalyseur. Le produit de ces procédés contient de l’aluminium et divers sous‑produits de thioester, qui sont difficiles à éliminer. Ils ont également une odeur résiduelle déplaisante de thiol ou de sulfure.
[42] Puis, toujours à la première page, la « découverte » des inventeurs désignés est brièvement décrite. Il s’agit d’un procédé, jusque‑là inconnu rendant possible l'obtention d'une nouvelle forme cristalline non solvatée du raloxifène exempte de certains contaminants :
[TRADUCTION]
Conformément à la présente invention, les demandeurs ont découvert un procédé de synthèse, jusque‑là inconnurendant possible l'obtention d'une nouvelle forme cristalline non solvatée du raloxifène exempte de contaminants, notamment de chlorobenzène et d’aluminium.
[43] Dans la description du « nouveau procédé » aux pages 6 et 7, il est énoncé que [TRADUCTION] « […] le nouveau procédé élimine l’utilisation de l’aluminium ainsi que les odeurs causées par les thiols et le sulfure ».
[44] La nouvelle forme cristalline de l’invention alléguée est décrite dans le brevet 399 à partir du bas de la première page jusqu’au milieu de la troisième page, par deux colonnes de chiffres obtenus à l’aide de la technique de diffraction de rayons X sur poudre (tableau 1). Les experts conviennent que ces nombres sont un « profil » qui représente une « signature » propre à cette forme cristalline du chlorhydrate de raloxifène. En effet, une autre forme cristalline du composé aurait une « signature » ou un « profil » différent. Je ne reproduirai pas ici ces chiffres.
[45] Il est important de signaler que le brevet ne présente ni d’explications de la supériorité de la prétendue nouvelle forme cristalline par rapport aux autres formes, ni d’avantages ou de caractéristiques qui lui sont propres. Seule la forme semble y être, sans plus.
[46] Aux pages 3 et 4 du brevet, il est indiqué que la nouvelle forme doit être composée d’au moins 95 % de chlorhydrate de raloxifène, préférablement 98 % ou 99 %, et être « essentiellement exempte » d’impuretés, soit de chlorobenzène, de sels d’aluminium et d’aluminium organique. Elle doit également être essentiellement inodore. Il est précisé pour chacune de ces impuretés ce qui est entendu par « essentiellement exempte » :
[TRADUCTION]
La teneur en chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4‑hydroxyphényl) ‑3‑[4‑(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène de la nouvelle forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de raloxifène doit être d’au moins 95 % en poids (p/p), mais préférablement, de 98 % et idéalement, de 99 %. Plus précisément, la forme privilégiée est essentiellement exempte de chlorobenzène. De plus, elle est essentiellement exempte d’impuretés, soit de sels d’aluminium et d’aluminium organique. Elle est également essentiellement inodore
L’expression « essentiellement exempte de chlorobenzène », qualifiant dans la présente la forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4‑hydroxyphényl)‑3-[4(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène, fait référence à une teneur en chlorobenzène inférieure à 5 % en poids (p/p). La teneur en chlorobenzène doit être inférieure à 2 % et préférablement, à 1 %. Idéalement, la teneur en chlorobenzène de la matière cristalline non solvatée est inférieure à 0,6 %.
L’expression « essentiellement exempte d’impuretés, soit de sels d’aluminium et d’aluminium organique », qualifiant dans la présente la forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4‑hydroxyphényl)‑3‑[4‑(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène, fait référence à une teneur en sels d’aluminium ou en aluminium organique inférieure à 5 % en poids (p/p). Les sels d’aluminium suivants sont des exemples représentatifs, mais il ne s’agit pas d’une liste exhaustive : hydroxyde d’aluminium, oxyde d’aluminium et leurs formes hydratées. Les alcoolates d’aluminium, le complexe aluminium III sur les composés de formule I ou IV et le thioaluminate sont des exemples représentatifs d’aluminium organique, mais n’en constituent pas une liste exhaustive. La teneur en sels d’aluminium et en aluminium organique est préférablement inférieure à 2 % et idéalement, à 1 %.
L’expression « essentiellement inodore », qualifiant dans la présente la forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4‑hydroxyphényl)‑3‑[4‑(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène, fait référence à une teneur en thiols et en sulfure inférieure à 3 %. Préférablement, la teneur en thiols et en sulfure est inférieure à 2 % et idéalement, à 1 %. Les alkylthiols C1 à C6 et les sulfures d’alkyle C1 à C6 sont des exemples représentatifs d’impuretés thioliques ou sulfuriques, mais n’en constituent pas une liste exhaustive.
[47] A la page 4, le brevet indique que le produit obtenu est plus pur que la matière produite par les procédés antérieurs décrits dans la littérature et il est exempt d’aluminium, de solvants aliphatiques chlorés et de solvants aromatiques. Il est par conséquent privilégié pour la fabrication de composés pharmaceutiques :
[TRADUCTION]
La matière cristalline non solvatée est plus pure que la matière produite par les procédés décrits dans la littérature. La présente matière est exempte d’aluminium, d’hydrocarbures aliphatiques chlorés et de solvants aromatiques. La forme cristalline non solvatée est privilégiée pour la fabrication de produits pharmaceutiques.
[48] L’affirmation selon laquelle le produit est exempt d’aluminium, d’hydrocarbures aliphatiques chlorés et de solvants aromatiques contredit l’affirmation des pages 3 et 4 du brevet selon laquelle le produit est [TRADUCTION] « essentiellement exempt » de telles impuretés, c’est‑à‑dire que sa teneur en impuretés est inférieure à 2 % et préférablement, à 1 %. C’est comme si, en cours de rédaction du brevet, l’auteur avait décidé d’assurer ses arrières. Il est mentionné que le nouveau procédé n’utilise pas du tout d’aluminium ou de solvants aromatiques. La raison de leur présence possible dans le produit final n’est pas expliquée dans le brevet.
[49] Du bas de la page 4 du brevet 399 jusqu’à la fin de la description à la page 25 se trouvent la description du procédé de synthèse de cette forme plus pure du produit et plusieurs exemples à cet égard. Il est important de remarquer que le tableau des pages 15 et 16, qui présente deux colonnes de chiffres décrivant un « profil » de diffraction de rayons X d’une forme cristalline du chlorhydrate de raloxifène, diffère de celui présenté au tableau 1 des pages 2 et 3 du brevet. Cette forme différente a été nommée forme I à la page 15, mais il est constant qu’il s’agit d’une erreur d’appellation et qu’il s’agit de la forme II. Les exemples 2, 3 et 6 sont associés à la forme I (tableau 1) et l’exemple 4, à la forme II (tableau 2). Cependant, il est constant que l’exemple 3 est en réalité associé à la forme II (tableau 2) et que cette référence à la forme I est une erreur.
[50] Dans les revendications, seule la forme I (tableau 1) est exposée. Les revendications ne concernent que la forme cristalline « non solvatée » du chlorhydrate de raloxifène. Toute autre forme mentionnée dans la description du brevet, notamment la forme II, est solvatée. Le terme « solvaté » signifie qu’une quantité mesurée du solvant utilisé dans le procédé de fabrication du cristal reste fixée à la structure du réseau moléculaire du cristal.
LES REVENDICATIONS DU BREVET 399
[51] Le brevet 399 comprend 8 revendications. Les revendications 1 à 5 concernent la forme I cristalline non solvatée du chlorhydrate de raloxifène. La revendication 6 porte sur une préparation pharmaceutique contenant cette forme du chlorhydrate de raloxifène et la revendication 7, son utilisation comme produit pharmaceutique.
[52] Voici les revendications (à l’exception de la page et demie de données sur le profil de diffraction de rayons X) :
[TRADUCTION]
1. Une forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4‑hydroxyphényl)‑3‑[4‑(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène présentant essentiellement le profil de diffraction de rayons X suivant obtenu avec le rayonnement du cuivre :
[Tableau 1]
[…]
2. La forme cristalline du chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4-hydroxyphényl)‑3‑[4‑(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène de la première revendication représente au moins 95 % en poids du produit.
3. La forme cristalline du chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4-hydroxyphényl)‑3‑[4‑(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène des deux premières revendications est essentiellement exempte de chlorobenzène.
4. La forme cristalline du chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4-hydroxyphényl)‑3‑[4‑(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophènedes des trois premières revendications est essentiellement exempte d’impuretés, soit de sels d’aluminium ou d’aluminium organique.
5. La forme cristalline du chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4-hydroxyphényl)‑3‑[4‑(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène des quatre premières revendications est essentiellement inodore.
6. Une préparation pharmaceutique contenant la forme cristalline du composé exposée dans les cinq premières revendications et au moins un vecteur, diluent ou excipient pharmaceutiquement acceptable.
7. La forme cristalline du composé exposée dans les cinq premières revendications pour une utilisation comme produit pharmaceutique.
[53] Si la formule chimique est remplacée par l'expression « chlorhydrate de raloxifène », les revendications ce lisent alors comme suit :
1. Une forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de raloxifène présentant essentiellement le profil de diffraction de rayons X suivant obtenu avec le rayonnement du cuivre :
[Tableau 1]
2. La forme cristalline du chlorhydrate raloxifène de la première revendication représente au moins 95 % en poids du produit.
3. La forme cristalline du chlorhydrate de raloxifène des deux premières revendications est essentiellement exempte de chlorobenzène.
4. La forme cristalline du chlorhydrate de raloxifène des trois premières revendications est essentiellement exempte d’impuretés, soit de sels d’aluminium ou d’aluminium organique.
5. La forme cristalline du chlorhydrate de raloxifène des quatre premières revendications est essentiellement inodore.
6. Une préparation pharmaceutique contenant la forme cristalline du composé exposée dans les cinq premières revendications et au moins un vecteur, diluent ou excipient pharmaceutiquement acceptable.
7. La forme cristalline du composé exposée dans les cinq premières revendications pour une utilisation comme produit pharmaceutique.
[54] La Cour doit interpréter ces revendications en gardant à l’esprit la manière dont la personne versée dans l’art les comprendrait et en tenant compte de la divulgation. En ce qui a trait à la divulgation, j’ai porté une attention particulière aux extraits présentés plus haut dans les présents motifs qui traitent de la signification d’« essentiellement exempte » de diverses substances et odeurs.
[55] Même si je ne suis pas lié par leur interprétation, j’ai également examiné le sens donné à ces revendications par M. Bernstein, un expert de la demanderesse, aux paragraphes 28 à 37 de son affidavit, et par M. Tidwell, un expert de Novopharm, aux paragraphes 45 à 52 de son affidavit.
[56] Sont présentés ci‑dessous les éléments de chaque revendication du brevet 399 qui sont, à mon avis, essentiels à l’interprétation :
• Revendication 1 : Une forme du chlorhydrate de raloxifène ayant les caractéristiques suivantes :
- elle est cristalline,
- elle n’est pas solvatée,
- elle a le profil de diffraction de rayons X exposé au tableau 1.
Elle n’est pas nécessairement pure.
• Revendication 2 : La forme du chlorhydrate de raloxifène présentée à la première revendication est pure à au moins 95 %.
• Revendication 3 : La teneur en chlorobenzène de la forme du chlorhydrate de raloxifène des deux premières revendications est inférieure à 5 % en poids.
• Revendication 4 : La teneur en impuretés, soit en sels d’aluminium ou en aluminium organique, de la forme du chlorhydrate de raloxifène des trois premières revendications est inférieure à 5 % en poids.
• Revendication 5 : La forme du chlorhydrate de raloxifène des quatre premières revendications est essentiellement exempte d’odeur et a une teneur en impuretés, soit en thiol ou en sulfure, inférieure à 3 % en poids.
• Revendication 6 : Une préparation pharmaceutique contenant une forme du chlorhydrate de raloxifène d’une des cinq premières revendications.
• Recommandation 7 : La forme du chlorhydrate de raloxifène d’une des cinq premières revendications utilisée comme produit pharmaceutique.
[57] Dans le brevet 399 ou dans la preuve, il n’y a pas de signe de l’existence d’une autre forme du chlorhydrate de raloxifène à la fois cristalline et non-solvatée ayant un profil de diffraction de rayons X différent de celui présenté au tableau 1. Il existe des formes cristallines solvatées ayant d’autres profils de diffraction, mais pas de formes non-solvatées. Les experts ont affirmé, dans leur affidavit ou lors de leur contre‑interrogatoire, qu’il est théoriquement possible qu’une forme cristalline non solvatée ayant un profil de diffraction de rayons X différent soit ultérieurement trouvée ou créée. Toutefois, actuellement, la seule forme connue du chlorhydrate de raloxifène à la fois cristalline et non solvatée est celle dont le profil ou « la signature » de diffraction de rayons X est présenté au tableau 1.
L’ANTÉRIORITÉ
[58] La validité du brevet 399 est attaquée sous deux angles, celui de l’antériorité et celui de l’évidence. Ainsi que l’a rappelé maintes fois la jurisprudence, et notamment l’arrêt Imperial Tobacco Ltd. c. Rothmans Benson & Hedges Inc., (1993), 47 C.P.R. (3d) 188 rendu par la Cour d’appel fédérale sous la plume de la juge Desjardins, aux pages 197 à 199, ainsi qu’un arrêt récent de la Cour suprême du Canada (affaire Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc. 2008 CSC 61), l’antériorité et l’évidence sont des concepts connexes qui nécessitent tous les deux que l’on examine l’état antérieur de la technique, mais l’antériorité doit être traitée différemment. L’antériorité ou l’absence de nouveauté obligent la Cour à rechercher si l’invention revendiquée a déjà été révélée au public au moyen d’une seule divulgation laquelle rend possible la mise en pratique de l’invention. L’évidence (ou l’absence d’invention) oblige la Cour à examiner un certain nombre de divulgations qui auraient été connues ou découvertes par la personne versée dans l’art pour déterminer s’il y a eu une activité inventive a été réalisée.
[59] En l’espèce, Novopharm se fonde sur deux éléments d’antériorité : le brevet américain 4,418,068 (le brevet 068) qui est mentionné à la page 1 du brevet 399 en litige, ainsi qu’un article de Jones et autres, qui est également cité à la page 1 du brevet 399 et qui a été publié dans le Journal of Medicinal Chemistry 2718), 1057‑1066 (1984) (l’article de Jones). Les deux éléments d’antériorité ont été publiés il y a suffisamment longtemps pour qu’on en tienne compte du point de vue des dates. Il est admis que Jones, un des auteurs de l’article, est également l’inventeur désigné du brevet 068.
[60] Dans le brevet 068 qui a été délivré à la défenderesse, Lilly US, M. Jones est désigné comme inventeur. Il semble, d’après ce qui est dit à la première page de cet article, que Jones et les autres auteurs de l’article soient membres du laboratoire de recherche de Lilly US.
LE BREVET 068
[61] Dans le brevet 068, tel qu’il a été reconnu à la page 1 du brevet 399, on revendique le chlorhydrate de raloxifène, présenté comme un produit pharmaceutique actif prometteur. Le brevet 068 divulgue la méthode de synthèse de divers composés, notamment du chlorhydrate de raloxifène. Les exemples 16 et 18 sont particulièrement intéressants à cet égard. L’exemple 16 indique la méthode de fabrication du chlorhydrate de raloxifène brut et l’exemple 18, sa méthode de purification.
[TRADUCTION]
EXEMPLE 16
Chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4‑hydroxyphényl)‑3‑[4-(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène. Un mélange de 1,5 g de chlorhydrate d’acide 4‑(2‑pipéridinoéthoxy)benzoïque, de 20 ml de chlorobenzène, de 3 ml de chlorure de thionyle et de 2 gouttes de diméthylformamide a été brassé entre 75° et 79° pendant 2 heures, afin de préparer le chlorure d’acide correspondant. Il a par la suite été mis sous vide et la température a été abaissée à 65°. La distillation a été poursuivie jusqu’à ce que la température du récipient atteigne 90°. On a ajouté 20 ml additionnels de chlorobenzène. Le mélange a été distillé de nouveau à une température de 90°, puis refroidi. On ajouté au mélange 15 ml de dichlorométhane, 1,35 g de 6‑hydroxy‑2‑(4‑hydroxyphényl)‑3‑[4-(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène, 5 g de chlorure d’aluminium et 15 ml supplémentaires de dichlorométhane. Le mélange a été brassé entre 27° et 29° pendant 90 minutes, puis 1,6 ml d’éthanethiol a été ajouté. On a brassé le mélange sous refroidissement pour maintenir sa température égale ou inférieure à 35°. Après 30 minutes, le mélange a subi le traitement conclusif décrit à l’exemple 8 ci‑dessus, toutefois il n’a été utilisé que 18 ml de tétrahydrofurane et d’eau afin d’obtenir 2,6 g du produit brut attendu, dont le point de fusion se situe à 217°. On a démontré par la RMN et la chromatographie sur couche mince que ce produit est essentiellement identique à celui de l’exemple 8.
[…]
EXEMPLE 18
Purification du chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4‑hydroxyphényl)‑3-[4‑2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène
On a ajouté 200 g de chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4-hydroxyphényl)‑3‑[4‑(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène brut, représentatif du produit de l’exemple 16 ci‑dessus, à 4 400 ml de méthanol et 60 ml d’eau désionisée dans un flacon de 3 litres. La bouillie a été chauffée au reflux, de sorte que la majorité du produit brut a été dissoute. Le solide restant a été éliminé par filtration sous vide à l’aide d’une membrane filtrante. Une colonne de distillation a été fixée au flacon et le solvant a été distillé jusqu’à ce que le volume de la solution atteigne environ 1 800 ml. Le chauffe‑ballon a par la suite été éteint, et la solution a refroidi très lentement pendant toute une nuit en étant constamment agitée. Le produit cristallin a ensuite été recueilli par filtration sous vide et le flacon a été rincé avec le filtrat de manière à prélever tout le produit. Le filtre a été rincé deux fois à l’aide de 100 ml de méthanol froid (à moins de 0°) et les cristaux obtenus ont été séchés sous vide à 60° pour obtenir 140 g de produit sec.
Le produit a été dilué dans 3 000 ml de méthanol et 42 ml d’eau, chauffé au reflux, puis refroidi très lentement. Le produit a été filtré et séché, selon la méthode décrite ci‑dessus, pour obtenir 121 g d’un produit très pur, dont le point de fusion se situe entre 259° et 260°.
[62] À partir de la colonne 28 du brevet 068, de nombreux essais effectués sur des composés, notamment ceux préparés dans ces exemples, sont décrits. Aucun essai n’a été mené chez l’humain. Néanmoins, aux lignes 46 à 49 de la colonne 38, il est indiqué que les essais « permettent manifestement de prédire » les effets bénéfiques chez l’humain. Aucun problème lié à une impureté dans le composé n’a été signalé.
[63] Je suis d’avis que l’analyse de M. Tidwell aux paragraphes 57 à 61 de son affidavit expose les étapes décrites aux exemples 16 et 18 du brevet 068; cependant, il faut garder l’esprit ouvert en ce qui concerne la signification du terme « pur » à l’égard du produit final. Je cite ces paragraphes :
[TRADUCTION]
57. À mon avis, en examinant le brevet 268, la personne versée dans l’art comprendrait que la synthèse et la cristallisation décrites dans les exemples 16 et 18 produisent du raloxifène pur. Cette conclusion est fondée sur les motifs suivants.
58. Le produit de départ de l’étape de cristallisation de l’exemple 18 est le raloxifène brut obtenu par le procédé de l’exemple 16 du brevet 068. L’exemple 16, qui inclut l’exemple 8, décrit un procédé de synthèse du chlorhydrate de raloxifène brut lequel, en langage profane, comprend les étapes d’activation, de distillation, d’acylation, de déprotection, de purification et de collecte.
59. Les étapes de l’exemple 16 sont présentées ci‑dessous :
a) L’activation de l’acide benzoïque substitué à l’aide de la conversion par le chlorure de thionyle et du chauffage dans un solvant, soit du chlorobenzène, afin de produire un chlorure d’acide. L’activation est nécessaire pour faciliter la liaison de l’acide benzoïque au benzothiophène.
b) La distillation sous vide élimine le chlorobenzène qui formerait sinon une impureté dans le produit final. La distillation est une technique de purification.
c) L’acylation du chlorure d’acide par le benzothiophène à l’aide du chlorure d’aluminium comme catalyseur et du dichlorométhane comme solvant. L’acylation est le procédé de création d’une liaison chimique entre le chlorure d’acide et le benzothiophène. L’usage du chlorure d’aluminium à cette étape peut engendrer des impuretés, soit des sels d’aluminium ou de l’aluminium organique.
d) La déprotection par l’ajout de chlorure d’aluminium, d’éthanethiol et de dichlorométhane au produit de l’étape c) et le brassage de ce mélange. L’ajout du chlorure d’aluminium aboutirait à la formation d’autres impuretés, soit des sels d’aluminium. L’étape de déprotection est nécessaire pour éliminer les groupes méthoxyméthyles, pouvant produire des impuretés contenant du sulfure.
e) La purification par l’ajout de tétrahydrofurane, d’acide chlorhydrique aqueux, d’eau et de chlorure de sodium aqueux, suivi d’une précipitation. Il s’agit d’une étape de cristallisation où interviennent la dissolution du composé dans un solvant aqueux et le refroidissement lent afin que le composé se précipite.
f) La collecte du précipité par filtration, rinçage et séchage. C’est ce composé que j’ai nommé « raloxifène brut ».
60. L’exemple 18 du brevet 068 présente la purification supplémentaire du chlorhydrate de raloxifène brut par un procédé de recristallisation qui comprend les étapes de chauffage/filtration, de distillation, de cristallisation, de collecte et leur répétition.
61. Les étapes de l’exemple 18 sont présentées ci‑dessous :
g) Le chauffage du composé cristallin obtenu à l’exemple 16 dans du méthanol et de l’eau et la filtration de la solution obtenue. Le méthanol est un bon solvant pour le raloxifène. La filtration élimine toutes les impuretés insolubles présentes, notamment les sels d’aluminium et l’aluminium organique.
h) La distillation pour éliminer partiellement le méthanol, l’eau et les autres impuretés volatiles.
i) La cristallisation par le refroidissement lent de la solution en la brassant, ce qui cause la précipitation de la forme cristalline du chlorhydrate de raloxifène.
j) La collecte de la forme cristalline par filtration, suivie du rinçage et du séchage.
k) La répétition des étapes g) (à l’exception de la filtration) à j), c’est‑à‑dire une recristallisation afin d’éliminer toute autre impureté.
L’article de Jones
[64] Jones est l’inventeur désigné dans le brevet 068. En 1984, il a écrit en collaboration un article publié aux pages 1057 à 1066 du Journal of Medicinal Chemistry, 27(8) – l’« article de Jones ». Tous les auteurs de cet article semblent être membres du laboratoire de recherche de Lilly US. Cet article est reconnu à la première page du brevet 399. De plus, il y est admis que cet article présente un procédé de synthèse du raloxifène, mais il est allégué que les composés obtenus présentent des problèmes de pureté.
[65] Aux pages 1065 et 1066 de l’article de Jones, un procédé de synthèse de la substance nommée « composé 50 » est exposé. Il est reconnu que ce composé est le chlorhydrate de raloxifène. À la page 1066, on signale que l’effet de ce composé sur les tumeurs de la glande mammaire a fait l’objet d’un essai chez le rat. Les résultats sont présentés dans les tableaux IV et V de la page 1062.
[66] Je ne reproduirai pas le procédé de synthèse du chlorhydrate de raloxifène présenté dans l’article de Jones en raison de sa longueur et de la complexité des données. Je retiens la description qu’en a faite M. Tidwell aux paragraphes 71 à 74 de son affidavit. Je signale également sa conclusion, au paragraphe 75, selon laquelle le procédé de l’article de Jones et celui du brevet 068 sont pratiquement identiques :
[TRADUCTION]
71. Aux pages 1065 à 1066 de l’article de Jones, la préparation du chlorhydrate de raloxifène (nommé « composé 50 » dans cet article) est présentée en détail. Comme il a été indiqué dans le brevet 068, l’utilisation de chlorobenzène, de chlorure d’aluminium et d’éthanethiol est essentielle au procédé de synthèse du composé 50 (le « procédé du composé 50 »). Le procédé du composé 50 comprend en fait les étapes a) à f) de l’exemple 161 décrites ci‑dessus. Il comporte donc nécessairement les deux étapes de purification de l’exemple 16. Je signale que l’auteur principal de l’article de Jones (Charles Jones d’Eli Lilly and Co.) est l’inventeur désigné du brevet 068.
72. Le procédé du composé 50 décrit dans l’article de Jones comporte une étape de plus que l’exemple 16. Il s’agit d’un ajout et d’une élimination supplémentaire de chlorobenzène visant l’élimination du chlorure de thionyle. À mon avis, cette étape n’influence pas la pureté du composé 50 en ce qui concerne le chlorobenzène, les sels d’aluminium, l’aluminium organique et les impuretés contenant du sulfure (responsables de l’odeur).
73. L’article de Jones signale que le chlorhydrate de raloxifène brut sous la forme d’un solvate de tétrahydrofurane du composé 50 est obtenu par le procédé du composé 50. Ce solvate est appelé « 50 brut » et son point de fusion déclaré est 217 °C.
74. Le « 50 pur », ou composé 50, est ensuite obtenu par une étape de recristallisation. À cette étape, du méthanol et de l’eau sont utilisés comme solvants. Elle est identique à la recristallisation (sans filtration) décrite dans l’exemple 18 du brevet 068.
75. Comme le procédé du composé 50 décrit dans l’article de Jones est pratiquement identique au procédé décrit aux exemples 16 et 18 du brevet 068, le composé 50 est, à mon avis, la même forme cristalline que le chlorhydrate de raloxifène du brevet 068.
L’ANTÉRIORITÉ ET L’ÉVIDENCE – PRINCIPES JURIDIQUES
[67] Au Canada, les principes juridiques relatifs à l’antériorité et à l’évidence ont récemment été examinés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., précité. À la suite du prononcé de cet arrêt, j’ai examiné les règles de droit, notamment celles qui ont trait aux antériorités, dans l’affaire Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359. La Cour d’appel fédérale a, il y a quelques semaines, rendu sa décision dans l’affaire Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2009 CAF 8, dans laquelle elle a examiné l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans le contexte de l’évidence.
[68] Dans l’arrêt Sanofi, le juge Rothstein observe, pour la Cour suprême, qu’en ce qui concerne les antériorités, l’état antérieur de la technique doit révéler à l’examen ce qui est revendiqué par les revendications en litige et contenir suffisamment de renseignements pour que la personne versée dans l’art soit en mesure de mettre en pratique ce qui y est révélé. Au paragraphe 30, le juge écrit :
30 Deux questions se posent dès lors en ce qui concerne le critère de l’antériorité : 1) en quoi consiste la divulgation antérieure et 2) dans quelle mesure le caractère réalisable admet‑il les essais successifs?
[69] Dans le cas précis de l’affaire Sanofi, la Cour suprême était appelée à se pencher sur ce qu’on appelle parfois un brevet de sélection, lorsqu’une catégorie de composés ont été révélés mais que le brevet en litige ne retient qu’un des éléments de la catégorie en raison des avantages particuliers qu’il comporte. À la lumière de ces précisions, on peut mieux comprendre les observations du juge Rothstein au sujet de la divulgation, au paragraphe 32 de l’arrêt Sanofi :
32 Pour ce qui est de la divulgation au sens de l’arrêt Synthon, [traduction] « l’absence de découverte des avantages particuliers » dont fait mention lord Wilberforce dans l’arrêt Witsiepe’s s’entend de la non‑divulgation dans le brevet de genre des avantages particuliers de l’invention visée par le brevet de sélection. Dès lors, les avantages particuliers de l’objet du brevet de sélection par rapport à l’objet du brevet de genre n’ont pas été découverts, de sorte qu’il n’y a pas d’antériorité. À cette étape, la personne versée dans l’art lit le mémoire descriptif du brevet antérieur pour déterminer s’il divulgue les avantages particuliers de l’invention subséquente. Les essais successifs ne sont pas admis. Lorsque la lecture du brevet de genre ne permet pas de connaître les avantages particuliers de l’invention visée par le brevet de sélection, celui‑ci n’est pas antériorisé par le brevet de genre.
[70] Le juge Rothstein est ensuite passé à l’examen de la question du caractère réalisable et a dressé une liste non exhaustive de quatre facteurs dont on pouvait tenir compte pour rechercher si ce qui a été divulgué rendait possible la réalisation de l’invention, c’est‑à‑dire si le brevet antérieur renfermait suffisamment de renseignements pour rendre possible la mise en pratique du brevet subséquent. Voici ses observations au paragraphe 37 :
37 Au vu de cette jurisprudence, j’estime que les facteurs suivants — dont l’énumération n’est pas exhaustive et l’applicabilité dépend de la preuve — doivent normalement être considérés.
1. Le caractère réalisable est apprécié au regard du brevet antérieur dans son ensemble, mémoire descriptif et revendications compris. Il n’y a aucune raison de limiter les éléments du brevet antérieur dont tient compte la personne versée dans l’art pour découvrir comment exécuter ou réaliser l’invention que vise le brevet subséquent. L’antériorité est constituée de la totalité du brevet antérieur.
2. La personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré.
3. Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés. Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.
4. Les erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier.
[71] J’ai examiné cette jurisprudence dans l’affaire Sanofi et d’autres jurisprudences récentes dans la décision Abbott, précitée, et j’ai dressé une liste de facteurs relatifs à l’antériorité auxquels
les avocats de la demanderesse et de la défenderesse Apotex ont souscrit en l’espèce. Je les ai résumés ainsi au paragraphe 75 :
75 Pour résumer les exigences juridiques en matière d’antériorité, dans le contexte des circonstances de l’espèce :
1. Pour qu’il y ait antériorité, il doit y avoir à la fois divulgation et caractère réalisable de l’invention revendiquée.
2. Il n’est pas obligatoire que la divulgation soit une [traductioN] « description exacte » de l’invention revendiquée. La divulgation doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.
3. Si la divulgation est suffisante, ce qui est divulgué doit permettre à une personne versée dans l’art de l’exécuter. Il est possible de procéder à une certaine quantité d’essais successifs du type de ceux auxquels on s’attendrait habituellement.
4. La divulgation, lorsqu’elle est exécutée, peut l’être sans qu’une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe.
5. Si l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité.
6. La Cour est tenue de se prononcer sur la divulgation et la réalisation en se fondant sur la norme de preuve habituelle de la prépondérance des probabilités, et non sur une norme plus stricte, comme une norme quasi criminelle.
7. Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée.
[72] Pour ce qui est de la question de l’évidence, la Cour suprême a examiné un certain nombre de décisions et a estimé que la démarche proposée dans l’arrêt Windsurfing était utile en reformulant les questions qu’on y trouvait. Au paragraphe 67 de l’arrêt Sanofi, le juge Rothstein écrit :
67 Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37, [2007] EWCA Civ 588 (par. 23) :
[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :
(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».
b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne.
(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation.
(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;
(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? [Je souligne.]
[73] Quant à la quatrième question, que l’on peut qualifier de question de l’« essai allant de soi », le juge Rothstein a retenu l’enseignement du juge Jacob dans l’arrêt Saint‑Gobain PAM SA. c. Fusion Provida Ltd., [2005] EWCA Civ 177, au paragraphe 35, à savoir : est‑il « plus ou moins évident » que l’essai sera fructueux. Le juge Rothstein a fait les observations suivantes, aux paragraphes 65, 66, 69 et 70 :
65 Dans l’arrêt Saint‑Gobain PAM SA c. Fusion Provida Ltd., [2005] EWCA Civ 177, le lord juge Jacob a dit ce qui suit au par. 35 :
[traduction] La seule inclusion possible de quelque chose dans un programme de recherche dans l’optique d’en apprendre davantage et de faire une découverte ne suffit pas. S’il en allait autrement, peu d’inventions seraient brevetables. L’éventualité d’une protection ne justifierait la recherche que dans des domaines n’offrant aucune chance de découverte. La notion d’« essai allant de soi » ne s’applique vraiment que lorsqu’il est plus ou moins évident que l’essai sera fructueux.
Dans l’arrêt General Tire, le lord juge Sachs dit à la p. 497 :
[traduction] Après tout, la locution « aller de soi » est très usitée et il ne nous paraît pas nécessaire d’étoffer la principale définition du dictionnaire, à savoir quelque chose de « très clair ».
Dans Intellectual Property Law, le professeur Vaver convient de ce sens (p. 136). J’estime que la notion d’« essai allant de soi » n’est applicable que lorsqu’il est très clair ou, pour reprendre les termes employés par le lord juge Jacob, qu’il est plus ou moins évident, que l’essai sera fructueux.
66 Pour conclure qu’une invention résulte d’un « essai allant de soi », le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas.
[…]
69 Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.
(1) Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?
(2) Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?
(3) L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?
70 Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’antériorité. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.
[74] Dans l’affaire Pfizer, la Cour d’appel fédérale a analysé une décision de notre cour qui avait été rendue avant que la Cour suprême ne rende sa décision dans l’affaire Sanofi. Elle était appelée à dire si avait été appliqué le bon critère, et elle s’est prononcée par l’affirmative. Aux paragraphes 36 et 37, le juge Noël a fait, au nom de la Cour d’appel, les observations suivantes:
[36] Il ressort de l’examen qui précède que le juge de la Cour fédérale, dans son analyse, cherchait plus que de simples possibilités, comprenant que celles‑ci ne suffisaient pas et que l’état antérieur de la technique devait enseigner davantage. Son jugement sur la question est résumé et réitéré dans ses observations en guise de conclusion (motifs, paragraphe 125) :
Malgré les indications importantes suggérant d’explorer l’utilité des inhibiteurs de la PDE du GMP dans le traitement de la DE dans les mois qui ont précédé la découverte de Pfizer, la preuve n’établit pas, à mon avis, que la solution décrite dans le brevet allait de soi à l’époque. Au mieux peut‑on parler d’une hypothèse, que le temps a confirmée par la suite, sur l’utilité possible des inhibiteurs de la PDE5 dans le traitement de l’impuissance. Les expériences avec le zaprinast, un inhibiteur de la PDE du GMPc, avaient été faites, certes, mais dans l’objectif de comprendre le mécanisme de l’érection, et non pour savoir comment traiter la DE.
[Non souligné dans l’original.]
[37] Par cette conclusion, le juge de la Cour fédérale a tracé la ligne là où la Cour suprême l’avait tracée dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, en disant que (paragraphe 66) « [l]a seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas ».
L’ARTICLE DE JONES – A‑T‑IL ÉTÉ RÉGULIÈREMENT INVOQUÉ AU SOUTIEN DE L’ANTÉRIORITÉ OU DE L’ÉVIDENCE ?
[75] Avant de se lancer dans une analyse détaillée de la question de l’antériorité, il est important de vérifier ce que Novopharm dit exactement au sujet de l’antériorité dans son avis d’allégation. On retrouve ces éléments aux pages 44 et 45 de l’avis, dont voici l’extrait qui nous intéresse :
[TRADUCTION]
Le brevet GB 2,097,288 (le brevet 788), le brevet 036 et le brevet 068 ont tous été publiés avant la date pertinente, de sorte qu’à la date pertinente, ce sur quoi ils portaient avait été mis à la disposition du grand public.
Le brevet 788 (p. ex., les exemples 18 et 20), le brevet 036 (p. ex., les exemples 11 et 16) et le brevet 068 (p. ex., les exemples 16 et 18) révélaient tous individuellement ce qui était revendiqué dans chacune des revendications du brevet 399, de sorte que chacune des revendications est invalide par application de l’article 28.2 de la Loi sur les brevets.
Par exemple, le brevet 788, le brevet 036 et le brevet 068 révélaient ce qui suit :
[…]
Les revendications du brevet 399 sont invalides parce que ce sur quoi elles portent avait été révélé au public par le brevet 788, le brevet 036 et le brevet 068 avant la date applicable, contrairement aux exigences de l’article 28.2 de la Loi sur les brevets.
[76] Novopharm n’a pas produit le brevet 788 à titre d’élément de preuve ou lors des débats. Ce brevet semble être semblable au brevet 068 et il n’est pas nécessaire de l’examiner plus longuement. Novopharm n’a cependant jamais cité l’article de Jones au soutien de l’antériorité.
[77] A l’audience, l’avocat de Novopharm a fait valoir que le défaut de mentionner l’article de Jones lorsqu’on traitait de l’antériorité est sans conséquence, puisqu’il ne s’agissait que d’un moyen de procédure mineur et que la demanderesse savait en tout temps que cet article était en jeu, du fait qu’il avait été invoqué au sujet de la question de l’évidence.
[78] La jurisprudence de notre cour a évolué au point où il est maintenant acquis que la seconde personne est tenue de soulever dans son avis d’allégation toutes les questions ainsi que tous les faits et toutes les règles de droit sur lesquels elle se fonde et de les exposer de façon claire et sans équivoque pour permettre à la première personne de savoir exactement à quelles thèses elle devra répondre si elle souhaite introduire une instance sous le régime du Règlement AC. À cet égard, voici les observations que j’ai faites dans la décision Brystol‑Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 137, au paragraphe 130, en me fondant sur les observations du juge Stone dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social) (2000), 7 C.P.R. (4TH) 272 :
[TRADUCTION]
[130 ] L’avis d’allégation est censé être suffisamment complet pour informer la première partie des allégations formulées ainsi que du droit et des faits sur lesquels elles se fondent. L’idée est de décrire de façon détaillée l’ensemble des faits sur lesquels la seconde personne s’appuie. Si l’avis est incomplet, la seconde partie en assume le risque. Je renvoie aux extraits suivants des motifs du juge Stone de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), cité précédemment alors que je discutais de la question de la renonciation. Voici ses propos aux par. 21 et 23 :
21 À mon avis, tout ce qui précède donne à penser que la seconde personne doit satisfaire aux exigences de l’alinéa 5(3)a), c’est‑à‑dire établir dans l’énoncé détaillé « le droit et les faits sur lesquels elle fonde » les allégations de l’alinéa 5(1)b) et le faire d’une manière suffisamment complète pour permettre au titulaire du brevet d’évaluer ses recours en réponse à l’allégation. Voir Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.), par le juge Strayer, J.C.A. à la page 216. Un examen de l’énoncé détaillé en question est ainsi requis afin de déterminer s’il est satisfait à cette exigence à l’égard de l’allégation voulant que les brevets 693 et 891 ne sont pas valides pour cause d’évidence.
[…]
23 L’intimée prétend que la liste des antériorités de l’énoncé détaillé ne se veut pas exhaustive, d’où la présence du mot « notamment», de telle sorte que subsistait la possibilité d’ajouter à cette liste dans le cadre de l’instance relative à la demande visée à l’article 6. Je suis toutefois d’opinion que l’alinéa 5(3)a) n’envisage pas cette possibilité. L’intention serait plutôt que tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans l’énoncé et non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6. La présente Cour a déjà prévenu des personnes dans la position de l’intimée qu’elles assument le risque qu’une allégation en particulier puisse ne pas être conforme au Règlement et que les lacunes ne puissent pas être comblées par le tribunal dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6. Dans l’arrêt Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1995), 60 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), le juge Strayer, J.C.A., en faisant référence à l’arrêt de la présente Cour Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 207, a indiqué, aux pages 133 et 134 :
L’ordonnance dont il est fait appel a été rendue avant que la Cour n’ait eu l’occasion de clarifier certaines des questions que soulève le Règlement. Précisons que dans l’affaire Pharmacia Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [rapporté depuis à 58 C.P.R. (3d) 207], la Cour a déclaré que :
Il nous semble que même si l’avis d’allégation joue un rôle important dans l’issue finale d’un litige de cette nature, ce n’est pas un document au moyen duquel la demande de contrôle judiciaire peut être introduite conformément à l’article 6 du règlement. Ce document a été présenté en guise de preuve par les appelantes; il a pour point de départ la demande déposée auprès du ministre. Parce que ce n’est pas un document qui a été déposé auprès de la Cour, mais auprès du ministre, à notre sens l’avis d’allégation échappe à la compétence de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire. Cela étant, la Cour, selon nous, n’a pas la compétence nécessaire pour radier l’avis d’allégation.
Cela veut dire, à l’évidence, que la Cour n’a pas la compétence nécessaire pour rendre des ordonnances touchant le dépôt des avis d’allégation ou pour exiger que ces avis soient améliorés à tel ou tel égard. Le principe est que, selon les dispositions mêmes du Règlement, l’avis d’allégation précède le dépôt d’une demande de prohibition devant la Cour. L’avis d’allégation appartient au substrat d’une telle procédure, ce qu’on pourrait peut‑être considérer comme une partie constitutive de la « cause d’action ». Une cour de justice ne peut pas ordonner la création d’une cause d’action, ou ordonner que celle‑ci soit créée dans tel ou tel délai ou de telle ou telle manière. La Cour ne peut en connaître qu’une fois que celle‑ci existe, ou à partir du moment où l’on prétend qu’elle existe. Ceux qui omettraient de déposer un avis d’allégation, ou qui déposeraient un avis incomplet, en supporteront les conséquences lorsque, dans le cadre d’une demande de prohibition déposée devant la Cour, quelqu’un invoque les lacunes de ces allégations.
[79] Je conclus donc que Novopharm ne peut se fonder sur l’article de Jones à l'appui de sa thèse au sujet de l’antériorité.
[80] La situation est différente lorsqu’il s’agit de la question de l’évidence. Novopharm soutient, au sujet de l’évidence, à la page 45 de son avis d’allégation, en ce qui concerne le brevet 399, que :
[TRADUCTION]
Toutes les revendications du brevet 399 sont invalides au motif que l’objet que définissent les revendications en question aurait été évident pour la personne versée dans l’art dont relève l’objet, à la date pertinente, selon l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.
Aux termes de l’alinéa 28.3b) de la Loi sur les brevets, une revendication est invalide si l’objet de cette revendication aurait été évident pour la personne versée dans l’art eu égard à toute communication qui a été faite au public par toute autre personne que le demandeur avant la date de la revendication. En ce qui concerne uniquement le présent avis d’allégation, Novopharm allègue que, dans le cas du brevet 399, la date de la revendication est le 19 septembre 1994 (la date du dépôt du premier document de priorité) et que l’objet de la revendication aurait été évident pour la personne versée dans l’art à cette date. Novopharm soutient que, si l’on conclut que la date de la revendication correspond à la date du dépôt de la demande au Canada, soit le 15 septembre 1995, l’objet de la revendication aurait également été évident pour la personne versée dans l’art à cette date.
L’annexe D jointe à la présente lettre est une liste d’exemples d’antériorité citées au sujet du brevet 399. Tous ces exemples d’antériorité étaient accessibles au public avant la date de la revendication applicable, de sorte qu’elles constituent une communication faite par une autre personne au sens de l’alinéa 28.3b) de la Loi sur les brevets. Toutes les antériorités citées à l’annexe D auraient été portées à l’attention de la personne versée dans l’art qui aurait procédé à une recherche minutieuse au sujet de l’antériorité à la date de la revendication.
À la date de la revendication applicable, on trouvait notamment ce qui suit dans les connaissances générales courantes dans le domaine et dans les enseignements contenues dans les références données à titre d’exemple à l’annexe D :
[...]
[81] L’article de Jones figure au point 16 dans la liste des exemples d’antériorité cités à l’annexe D. Novopham a donc invoqué l’article de Jones au sujet de la question de l’évidence, sinon en ce qui concerne même la question de l’antériorité.
LA VÉRITABLE MATIÈRE À CONTROVERSE
[82] Les véritables questions en litige peuvent être formulées comme suit :
1. Le brevet 068 révèle‑t‑il l’invention revendiquée dans le brevet 399 et permet‑il de la réaliser?
2. Vu brevet 068 et l’article de Jones, ajoutés aux connaissances courantes générales qu’était censée avoir la personne versée dans l’art à la date pertinente, l’invention revendiquée dans le brevet 399 va –t-elle plus ou moins de soi?
[83] Dans son premier mémoire des faits et du droit, la demanderesse a décrit l’invention, telle qu’elle est revendiquée dans le brevet 399, comme suit :
[TRADUCTION]
4. Les inventeurs avaient pour objectif de résoudre certains problèmes liés au processus connu de fabrication du chlorhydrate de raloxifène, décrit de la manière suivante dans le brevet 399.
Le brevet américain no 4,418,068 décrit le chlorhydrate de 6 hydroxy‑2‑(4‑hydroxyphényl)‑3‑[4-(2‑pipéridinyléthoxy)benzoyl]benzo[b]thiophène, connu sous le nom de chlorhydrate de raloxifène, qui s’est révélé particulièrement prometteur comme substance pharmacologiquement active. Malheureusement, ce composé s’est montré extrêmement difficile à purifier. En particulier, des problèmes ont été causés par la contamination par des solvants. Par exemple, le procédé de synthèse du raloxifène décrit dans le Journal of Medicinal Chemistry, 27(8), 1057‑1066 (1984) présentait l’inconvénient notable de produire un composé solvaté contaminé par le chlorobenzène, un cancérogène connu. De plus, d’autres procédés décrits dans la littérature utilisaient une acylation de Friedel‑Crafts classique faisant appel à du chlorure d’aluminium comme catalyseur. Le produit de ces procédés contient de l’aluminium et divers sous‑produits de thioester, qui sont difficiles à éliminer. Ils ont également une odeur résiduelle déplaisante de thiol ou de sulfure.
Brevet 399, AR onglet 8, page 190.
5. En modifiant le procédé de synthèse du chlorhydrate de raloxifène en vue de résoudre ces problèmes, les inventeurs ont découvert par hasard la nouvelle forme cristalline non solvatée définie dans les revendications par un profil de diffraction de rayons X comprenant 41 points de données. Ce profil de diffraction de rayons X est une signature propre à la nouvelle forme cristalline.
[84] Cette thèse concernant l’originalité du concept n’est pas vraiment différente de celle qu’a défendue Novopharm dans son mémoire :
[TRADUCTION]
93. L’idée originale à la base du raloxifène du brevet 399, soit la forme cristalline non solvatée du raloxifène pure à 95 %, exempte d’impuretés contaminantes, indiquée dans l’antériorité et identifiée par le profil de diffraction de rayons X sur poudre 399.
[85] La seule vraie différence entre les deux thèses est que Novopharm, contrairement à la demanderesse, signale que le concept comprend l’absence d’impuretés. Dans le brevet 399, l’absence d’impuretés n’est pas indiquée dans la première revendication, mais seulement dans les suivantes.
[86] Quant à l’antériorité et au brevet 068, la demanderesse admet dans son mémoire que les exemples 16 et 18 divulguent [TRADUCTION] « une forme cristalline très pure du chlorhydrate de raloxifène ». Toutefois, selon la demanderesse, il n’est pas mentionné si la forme est solvatée ou non et si son profil de diffraction de rayons X correspond à celui qui est présenté à la première revendication. Dans son premier mémoire, la demanderesse affirme :
[TRADUCTION]
27. Les experts des deux parties conviennent que l’exemple 16 consiste en une divulgation du chlorhydrate de raloxifène brut, solvaté ou non. De même, ils sont d’avis qu’à première vue l’exemple 18 divulgue une forme cristalline très pure, solvatée ou non, du chlorhydrate de raloxifène. […]
28. Tout ce qu’on peut affirmer à propos de l’antériorité déposée par Novopharm est qu’elle expose un procédé de synthèse du chlorhydrate de raloxifène, mais sans divulgation explicite quant à la synthèse d’une forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de raloxifène, dont le profil de diffraction de rayons X est présenté à la première revendication du brevet 399.
[87] J’examinerai la question de l’antériorité du brevet 068 et, plus particulièrement, celle de savoir si le brevet 068 divulgue le procédé revendiqué dans le brevet 399 et permet de le mettre en pratique sans avoir recours à une expérimentation autre que les essais successifs habituels, selon trois points de vue :
1. celui de Lilly US, le breveté des deux brevets (068 et 399) en litige,
2. celui des experts, qui est fondé sur une analyse théorique, et
3. celui des expériences de MM. Ferrari et Chyall.
1. LE POINT DE VUE DE LILLY US
[88] Lilly US est le breveté désigné dans les brevets 068 et 399. Le brevet 068 semble être le premier à présenter le chlorhydrate de raloxifène en tant que produit pharmaceutique utile. Entre la ligne 55 de la colonne 1 et la ligne 11 de la colonne 2 du brevet 068, trois groupes de composés dont l’efficacité pharmaceutique est étudiée sont mentionnés. On considère que le troisième groupe, les benzothiophènes, est le plus efficace et entraîne le moins d’effets secondaires.
[89] Aux lignes 51 à 56 de la colonne 2 du brevet 068, l’invention, maintenant nommée chlorhydrate de raloxifène, est décrite de la manière suivante :
[TRADUCTION]
La présente invention génère un seul composé de benziothiophène ainsi que les esters et les éthers physiologiquement acceptables formés sur un ou deux groupes hydroxy des composés. Toutes les formes de l’invention produisent également des sels physiologiquement acceptables.
[90] Des exemples de diverses méthodes de préparation du chlorhydrate de raloxifène sont donnés, notamment les exemples 8 et 16. Selon la méthode présentée à l’exemple 16 et les quantités de produits de départ énoncées, on est censé obtenir [TRADUCTION] « 2,6 g du produit brut attendu […] ». D’après [TRADUCTION] « […] la RMN et la chromatographie sur couche mince, ce produit est essentiellement identique à celui de l’exemple 8 ».
[91] Le produit de départ de l’exemple 18 du brevet 068 est 200 g du produit brut [TRADUCTION] « représentatif du produit de l’exemple 16 ». Par conséquent, le procédé de l’exemple 16 a été répété ou les quantités ont été mises à l’échelle pour obtenir 200 g de produit « brut ». L’exemple 18 purifie ce produit et donne un produit cristallin qualifié de [TRADUCTION] « très pur ». Il est pertinent de citer de nouveau l’exemple 18 :
[TRADUCTION]
EXEMPLE 18
Purification du chlorhydrate de 6-hydroxy-2-(4-hydroxyphényl)-3-[4-(2-pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène
On a ajouté 200 g de chlorhydrate de 6-hydroxy-2-(4-hydroxyphényl)-3-[4-(2-pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène brut, représentatif du produit de l’exemple 16 ci‑dessus, à 4 400 ml de méthanol et 60 ml d’eau désionisée dans un flacon de 3 litres. La bouillie a été chauffée au reflux, de sorte que la majorité du produit brut a été dissoute. Le solide restant a été éliminé par filtration sous vide à l’aide d’une membrane filtrante. Une colonne de distillation a été fixée au flacon et le solvant a été distillé jusqu’à ce que le volume de la solution atteigne environ 1 800 ml. Le chauffe‑ballon a par la suite été éteint, et la solution a refroidi très lentement pendant toute une nuit en étant constamment agitée. Le produit cristallin a ensuite été recueilli par filtration sous vide et le flacon a été rincé avec le filtrat de manière à prélever tout le produit. Le filtre a été rincé deux fois à l’aide de 100 ml de méthanol froid (à moins de 0°) et les cristaux obtenus ont été séchés sous vide à 60° pour obtenir 140 g de produit sec.
Le produit a été dilué dans 3 000 ml de méthanol et 42 ml d’eau, chauffé au reflux, puis refroidi très lentement. Le produit a été filtré et séché, selon la méthode décrite ci‑dessus, pour obtenir 121 g d’un produit très pur, dont le point de fusion se situe entre 259° et 260°.
[92] Le produit a par la suite fait l’objet de divers essais, notamment chez des animaux de laboratoire, comme il a été signalé dans le brevet 068. Aucun essai chez l’humain n’a été mentionné. Toutefois, aux lignes 44 à 49 de la colonne 38 du brevet 068, il est indiqué que les essais [TRADUCTION] « semblent manifestement permettre de prédire » des effets bénéfiques chez l’humain :
[TRADUCTION]
Des essais effectués sur un composé représentatif de cette invention ont été menés chez des animaux de laboratoire habituels, comme il a été décrit ci‑dessus. Ces essais semblent manifestement permettre de prédire des effets bénéfiques chez l’humain en fonction des effets bénéfiques chez les animaux de laboratoire.
[93] Par conséquent, le brevet 068 présente une méthode de fabrication du chlorhydrate de raloxifène brut (exemple 16) et une méthode de purification du produit brut en une forme cristalline [TRADUCTION] « très pure » du chlorhydrate de raloxifène (exemple 18). L’efficacité pharmaceutique de ce produit est [TRADUCTION] « manifestement » prédite chez l’humain. Les impuretés et les problèmes liés à ces impuretés ne sont pas mentionnés dans le brevet 068.
[94] En raison de leur importance pour l’examen du témoignage de M. Chyall, on doit supposer que le breveté du brevet 068, Lilly US, fournit des renseignements exacts et suffisants à propos des exemples, notamment des exemples 16 et 18, pour permettre à la personne versée dans l’art de les reproduire.
[95] Le brevet 399, quant à lui, est présenté comme une amélioration des procédés décrits dans le brevet 068 et des prétendus [TRADUCTION] « autres procédés » de synthèse du chlorhydrate de raloxifène en raison de l’allégation selon laquelle des impuretés indésirables sont générées par les procédés du brevet 068 et les [TRADUCTION] « autres procédés ». Pour citer de nouveau la page 1 du brevet 399 :
[TRADUCTION]
Le brevet américain no 4,418,068 décrit le chlorhydrate de 6-hydroxy -2-(4 - hydroxyphényl)-3-[4-(2-pipéridinyléthoxy)benzoyl] benzo[b]thiophène, connu sous le nom de chlorhydrate de raloxifène, qui s’est révélé particulièrement prometteur comme substance pharmacologiquement active. Malheureusement, ce composé s’est montré extrêmement difficile à purifier. En particulier, des problèmes ont été causés par la contamination par des solvants. Par exemple, le procédé de synthèse du raloxifène décrit dans le Journal of Medicinal Chemistry, 27(8), 1057‑1066 (1984) présentait l’inconvénient notable de produire un composé solvaté contaminé par le chlorobenzène, un cancérogène connu. De plus, d’autres procédés décrits dans la littérature utilisaient une acylation de Friedel‑Crafts classique faisant appel à du chlorure d’aluminium comme catalyseur. Le produit de ces procédés contient de l’aluminium et divers sous‑produits de thioester, qui sont difficiles à éliminer. Ils ont également une odeur résiduelle déplaisante de thiol ou de sulfure.
[96] Ainsi, selon le brevet 399, le procédé du brevet 068 est problématique : il génère du raloxifène contaminé par du chlorobenzène. D’autres problèmes surviennent au cours de la synthèse du raloxifène par [TRADUCTION] « d’autres procédés », c’est‑à‑dire la contamination par de l’aluminium et l’odeur de sulfure.
[97] Selon l’interprétation de la première revendication du brevet 399 donnée plus haut, le chlorhydrate de raloxifène doit se présenter sous une forme cristalline non solvatée ayant un profil de diffraction de rayons X particulier. Les produits des exemples 16 et 18 du brevet 068 répondent au premier critère, ils sont cristallins, mais il n’est pas spécifié s’ils sont solvatés ou non et leur profil de diffraction n’est pas précisé.
[98] La première revendication ne précise pas le degré de pureté requis. Selon la deuxième revendication, le produit doit être pur à au moins 95 %. La troisième revendication exige que le chlorhydrate de raloxifène des deux premières revendications soit [TRADUCTION] « essentiellement exempt de chlorobenzène », ce que j’interprète comme une teneur en chlorobenzène inférieure à 5 % en poids.
[99] Est‑ce que la personne versée dans l’art suivant les procédés décrits aux exemples 16 et 18 du brevet 068 obtiendrait une forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de raloxifène ayant le profil de diffraction en question, avec une teneur en chlorobenzène inférieure à 5 %?
[100] En ce qui concerne les critères légaux à respecter, il faut garder à l’esprit que la réponse à la question ci‑dessus, portant sur la science, doit être que la synthèse d’un tel produit ne doit pas nécessiter plus d’expérimentation que les essais successifs habituellement attendus de la personne versée dans l’art. Je dois conclure, d’après la preuve, que ce sera le cas selon la norme de preuve civile habituelle, la prépondérance des probabilités.
[101] En quoi, alors, consiste la preuve? Elle est double : d’une part, il s’agit du témoignage des experts et de l’autre, des expériences de MM. Ferrari et Chyall.
2. LE POINT DE VUE DES EXPERTS, FONDÉ SUR LA THÉORIE
[102] En ce qui concerne les témoignages d’experts, je préfère celui de M. Tidwell en ce qui a trait à la synthèse organique. M. Bernstein, l’expert de la demanderesse, a clairement souligné qu’il ne se prétendait pas expert dans le domaine de la synthèse organique. Je cite par example les dialogues suivants aux questions 15 et 221 du contre‑interrogatoire de M. Bernstein :
[TRADUCTION]
15. Q. Vous n’indiquez pas être spécialiste en chimie de synthèse, mais je suppose que vous avez de l’expérience en chimie de synthèse?
R. Je ne suis pas chimiste de synthèse, et je ne fais pas vraiment – nous faisons vraiment très peu de chimie de synthèse à mon laboratoire.
[…]
211. Q. D’accord. À la première étape de synthèse du composé 50, on vous demande de retourner au bas de 49, c’est‑à‑dire à l’activation de l’acide benzoïque à l’aide de chlorure de thionyle et au chauffage dans le chlorobenzène pour former un chlorure d’acide. Est‑ce exact?
R. Bien, je, vous avez parcouru mon CV avec moi, et j’ai fait – je pense que vous m’avez questionné à propos de la chimie organique. J’ai été formé comme physico‑chimiste. Je ne fais pas vraiment, je ne fais essentiellement pas, ni mes étudiants ou mon groupe, nous ne faisons pas de synthèse organique. Je ne me sens pas tellement à l’aise de discuter ici des étapes de synthèse en détail.
[103] Par conséquent, pour déterminer, d’un point de vue théorique, les résultats possibles des exemples 16 et 18, je préfère le témoignage de M. Tidwell qui, comme on peut le constater de ses antécédents et de son expérience tels qu’ils sont présentés aux paragraphes 2 à 9 de son affidavit, a travaillé sur ce type de synthèse pendant toute sa carrière.
[104] Le témoignage de M. Tidwell, en particulier aux paragraphes 56 à 68 de son affidavit, et son contre‑interrogatoire vigoureux, particulièrement aux questions 97 à 108, m’ont convaincu que la personne versée dans l’art s’attendrait raisonnablement à ce que les procédés des exemples 16 et 18 du brevet 068 produisent une forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de raloxifène dont la teneur en chlorobenzène est inférieure à 5 % en poids.
[105] Selon le témoignage de M. Bernstein, on ne sait pas avec certitude si le produit final est solvaté ou non, et il [TRADUCTION] « peut » être un solvate. Son contre‑interrogatoire a surtout porté sur l’article de Jones, mais les questions 179 à 208 illustrent la nature hypothétique de son témoignage. Je préfère la preuve plus positive présentée par M. Tidwell.
[106] Il reste à rechercher si la forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de raloxifène produite par les exemples 16 et 18, même si elle est suffisamment pure, a le profil de diffraction de rayons X présenté à la première revendication (et par inclusion, à toutes les autres revendications). À cet égard, la demanderesse s’appuie sur le témoignage de M. Bernstein, notamment sur ses déclarations figurant aux paragraphes 61 à 64, pour affirmer qu’on ne peut jamais prédire combien de formes différentes d’un cristal, ayant chacune leur propre profil de diffraction ou « signature », seront produites. Cette possibilité a été évoquée lors du contre‑interrogatoire de M. Tidwell, en particulier aux questions 149 à 165 à l’égard des exemples 16 et 18 ainsi que de l’article de Jones. On lui a demandé à plusieurs reprises si diverses formes pouvaient exister. Je conclus, vu ses réponses que le profil de la forme produite par les exemples 16 et 18 pourrait seulement être celui de la première recommandation. Je cite à l’appui ses réponses aux questions 153 à 155 :
[TRADUCTION]
Q. Vous devez tout de même savoir que le profil de diffraction de rayons X de cet échantillon, je veux dire de l’exemple 18, a été effectué afin de savoir s’il est visé par la première revendication?
R. Je pense qu’il est très probable qu’il ait le profil de diffraction présenté à la première revendication. Je pense donc qu’il est visé par la première revendication.
Q. Vous dites « très probable ». Ce n’est donc pas certain. Il vous faudrait effectuer la diffraction de rayons X sur poudre de l’échantillon produit à l’exemple 18, et alors seulement vous en seriez assuré. Est‑ce exact?
R. Bien, je suis sûr qu’il a le même profil de diffraction. Si on me demande de comparer deux profils, je devrais évidemment avoir les deux devant moi. Mais je n’ai aucune raison de croire qu’ils n’auront pas le même profil de diffraction.
Q. Mais il est possible qu’il ait un profil différent?
R. Je dirais que c’est difficilement concevable.
[107] Par conséquent, à la suite de l’examen des témoignages des experts des deux parties, MM. Bernstein et Tidwell, je conclus qu’il a été prouvé, selon la norme civile habituelle et selon les critères de la jurisprudence Sanofi, que le brevet 068, en particulier les exemples 16 et 18, fait la divulgation et permet la synthèse d’une forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de raloxifène, dont la teneur en chlorobenzène est inférieure à 5 %, qui ne présente aucune impureté, soit de l’aluminium ou de l’aluminium organique, ni odeur détectable et dont le profil de diffraction de rayons X correspond à celui de la première revendication du brevet 399 (et de toutes les suivantes).
LES EXPÉRIENCES DE MM. CHYALL ET FERRARI
[108] J’examinerai maintenant les expériences menées par MM. Chyall et Ferrari.
[109] M. Chyall est employé par Aptuit, une entreprise indépendante de recherche et d’analyse située près de l’Université Purdue (Indiana) ou au sein de celle‑ci. Un avocat américain, M. Feldstein, représentant apparemment Lilly US, lui a demandé de reproduire les expériences décrites aux exemples 16 et 18 du brevet 068, ce qui a été fait bien avant le début de la présente instance. La raison d’effectuer ces expériences à ce moment‑là n’est pas claire. Il semble que M. Chyall ait mené plusieurs expériences visant à reproduire l’exemple 16 et qu’il a été incapable d’obtenir autre chose que ce qu’il a décrit comme une [TRADUCTION] « matière visqueuse ». Il n’a donc pas pu effectuer le procédé de l’exemple 18.
[110] Lorsque M. Chyall a obtenu la [TRADUCTION] « matière visqueuse », il a nettoyé la spatule qu’il utilisait pour la brasser à l’aide de l’alcool isopropylique qui se trouvait dans son flacon laveur. Il a ainsi obtenu un solide blanc. Il l’a signalé à M. Feldstein qui lui a apparemment demandé de ne pas s’écarter du procédé. La matière visqueuse et le solide blanc ont été jetés et n’ont jamais été analysés. Je fais plus particulièrement référence aux questions 172 à 184 du contre‑interrogatoire de M. Chyall. Je cite ici sa réponse à la question 178 :
[TRADUCTION]
R. Voici ce qui me passait par la tête en faisant cette expérience.
Je suis devant un procédé qui n’a tout simplement pas fonctionné. Ma spatule est sale et en la nettoyant, j’obtiens accidentellement un solide, ce qui était en quelque sorte ce que je tentais de faire. Je conserve le solide, car il ouvre la possibilité que j’aie inventé une méthode de fabrication du chlorhydrate de raloxifène, mais en même temps, il n’est mentionné nulle part dans l’exemple 16 d’utiliser de l’alcool isopropylique si on obtient une matière visqueuse.
Je considère donc que je me suis écarté du brevet. C’est également ce que m’a dit M. Feldstein.
[111] Il est étrange que Lilly US, non seulement dans le brevet 068, mais également dans l’article de Jones, laisse entendre au public que son procédé de synthèse du chlorhydrate de raloxifène est fonctionnel, alors que M. Chyall est apparemment incapable d’obtenir le résultat attendu. Dans le cas où il a obtenu une [TRADUCTION] « matière visqueuse » ou un solide blanc, un avocat représentant Lilly US lui a demandé de s’en débarrasser et aucune analyse n’a été effectuée. Est‑ce que Lilly US affirme maintenant devant cette Cour que le brevet 068 présente un procédé qui ne fonctionne pas?
[112] M. Ferrari a proposé dans son affidavit des explications des résultats des expériences de M. Chyall, par exemple la méthode de mesure de la température. Il s’agit au mieux d’hypothèses. Je donne peu de poids aux expériences de M. Chyall pour deux raisons : la première est que Lilly US semble se contredire et la deuxième, que les expériences étaient contrôlées par un avocat représentant Lilly US qui semble avoir entravé l’analyse, ou la conservation de la matière visqueuse ou du solide blanc, pour des raisons inconnues. Ces expériences auraient été plus crédibles si la matière obtenue avait été analysée, ou du moins conservée, plutôt que jetée.
[113] M. Ferrari a fait des expériences visant à reproduire les exemples 16 et 18 à plus grande échelle. Il a obtenu une matière qui a été analysée par M. Stradi à l’aide de la diffraction de rayons X sur poudre. Cette analyse montre que le profil de diffraction de la matière est raisonnablement comparable à celui de la première revendication.
[114] La demanderesse a critiqué les travaux de M. Ferrari pour de nombreuses raisons, notamment un parti pris soupçonné dont j’ai déjà discuté, le fait que son cahier de notes sur les expériences contient à peu de choses près une transcription des exemples mêmes et le fait que ses expériences ont été faites à plus grande échelle (environ dix fois plus importante). Je suis d’avis que le cahier de notes n’est pas un fait révélateur. La manière dont un cahier de notes est tenu est très personnelle, et l’avocat de la demanderesse a contre‑interrogé M. Ferrari en détail sans trouver de fait notable permettant de remettre en question sa démarche. Le problème du changement d’échelle a été abordé lors du contre‑interrogatoire de M. Ferrari; il a souligné qu’un changement d’échelle n’influence pas le résultat. On peut lire aux pages 29 et 30 de la transcription sa réponse à une question que l’on trouve à la page 29 :
[TRADUCTION]
Q. Seriez‑vous d’accord avec moi pour dire qu’en général, changer l’échelle d’une expérience peut modifier le résultat?
R. Je dirais que non. Il y a de bonnes chances pour que ça ne soit pas le cas si vous utilisez le même type d’équipement. Je vous donne un exemple. Si vous utilisez un contenant d’une certaine forme et d’un certain volume, le même type de matière et de réacteurs ainsi qu’un bon procédé, « robuste » est le terme technique utilisé dans ce cas, je ne crois pas que les résultats soient complètement différents d’une expérience à l’autre. Les produits peuvent présenter des différences, mais ces différences ne détermineraient pas le succès ou l’échec de l’expérience.
Je voudrais d’ailleurs ajouter que j’ai personnellement vérifié que, dans le cas de l’exemple 16, un changement d’échelle dans la taille du lot utilisé pour la réaction ne produit pas de différence en ce qui concerne la réussite d’une expérience et l’échec de l’autre.
[115] Lors du contre‑interrogatoire, M. Chyall n’était pas certain de l’effet d’un tel changement d’échelle. Il a dit qu’il ne savait vraiment pas. Aux questions 247 et 248, il a répondu :
[TRADUCTION]
Q. Si cela fonctionne à une échelle dix fois plus grande, cela devrait fonctionner à plus petite échelle, est‑ce exact?
R. C’est difficile pour moi de – je suppose qu’il est question de l’exemple 16?
Q. Exact.
R. C’est difficile pour moi de le savoir. Je suis encore perplexe car l’expérience n’a pas fonctionné à l’échelle que j’ai utilisée, ce que j’ai souligné dans l’affidavit. Il y a peut‑être un autre problème que je n’ai pas encore exploré causé par une autre permutation, qui pourrait en être responsable.
Je ne sais vraiment pas.
[116] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les travaux de M. Ferrari sont la reproduction acceptable des exemples 16 et 18 du brevet 068 et qu’il a obtenu une forme cristalline très pure du chlorhydrate de raloxifène, comme il est décrit aux paragraphes 4 à 7 de son affidavit.
[117] La matière obtenue par M. Ferrari a été examinée par M. Stradi à l’aide de la diffraction de rayons X sur poudre. Cette matière ne correspond pas exactement à la description contenue dans la première revendication du brevet 399. Cependant, d’après la preuve, je trouve que la correspondance est suffisamment étroite pour conclure que la forme cristalline obtenue par M. Ferrari est celle qui est décrite à la première revendication. En réponse à une question qui lui a été posée au cours de son contre‑interrogatoire, M. Stradi a affirmé à la page 16 de la transcription :
[TRADUCTION]
Q. […] est‑ce que cela signifie qu’il y a une faible chance pour qu’ils ne correspondent pas?
R. D’après mon expérience personnelle, je dirais que non. Mon expérience me permet de dire que, dans ces conditions, les structures des deux cristaux sont les mêmes. Les deux composés ont les mêmes cellules cristallines. Il y a parfois des petites différences qui empêchent la correspondance parfaite, mais ces deux cristaux ne correspondent pas parfaitement, pourrait‑on dire, en raison des divers instruments et conditions expérimentales, des différentes conditions expérimentales et différents instruments. J’ai analysé des dizaines de milliers de cas semblables et mon expérience me permet de dire que les structures des deux cristaux sont identiques d’après ces données. Puis, par acquit de conscience, j’ai effectué un contrôle expérimental qui montre que les deux cristaux sont parfaitement identiques : celui qui est préparé d’une manière et celui qui est préparé de l’autre manière. Les deux cristaux sont exactement du même type et nous avons ici la documentation des nouveaux cristaux, mais c’était mon problème, entièrement mon problème.
Q. Vous me dites donc que votre expérience ne comporte absolument pas d’erreur expérimentale?
R. Non, il n’y a absolument pas d’erreur expérimentale dans mon expérience.
[118] Il est plutôt étrange que M. Bernstein ait refusé de répondre directement à la question sur l’existence de différences importantes entre les résultats de la diffraction par rayons X de M. Stradi et ceux exposés dans la première revendication. Il protestait qu’il avait seulement vu les résultats [TRADUCTION] « il y a un jour ou deux ». Ses réponses aux questions 339 à 343 du contre‑interrogatoire sont reproduites ci‑dessous :
[TRADUCTION]
339. Q. Et M. Stradi a comparé la liste des pics du brevet 399 avec la liste des pics qu’il a obtenue par l’analyse du chlorhydrate de raloxifène. Est‑ce que vous comprenez cela?
R. Pourriez‑vous m’indiquer où il a dit cela? Je suppose que c’est ce qu’il a fait, mais je ne m’en souviens pas. Comme je l’ai dit, j’ai regardé très rapidement, je n’ai pas eu la possiblité.
340. Q. Au paragraphe 12?
R. De son affidavit?
341. Q. Son affidavit est au début.
R. OK, je veux dire. J’ai comparé – Je suppose que c’est son avis. Il a dit qu’il l’a fait.
343. Q. Et il a dit que, selon lui, ils correspondent; c’est aussi son avis?
R. C’est son opinion.
343. Q. Et avez‑vous fait cette comparaison, M. Bernstein?
R. Non. Comme je l’ai dit, je l’ai seulement vu il y a un jour ou deux. Je n’ai pas du tout eu la possiblité de le faire.
[119] Je conclus que les résultats de M. Stradi montrent que la forme cristalline du chlorhydrate de raloxifène obtenue par M. Ferrari a le même profil de diffraction par rayons X sur poudre que celle de la première revendication du brevet 399 (et que toutes les autres). Cette preuve corrobore donc le témoignage de M. Tidwell selon lequel les exemples 16 et 18 du brevet 068 constituent une divulgation suffisante et permettent à la personne versée dans l’art de mettre en pratique, sans expérimentation excessive, un procédé de synthèse d’une forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de raloxifène, dont la teneur en chlorobenzène est inférieure à 5 % en poids et qui a le profil de diffraction présenté dans les revendications.
[120] Par conséquent, je conclus, vu la preuve, que la thèse de Novopharm selon laquelle les revendications du brevet 399 sont antériorisées doit être retenue.
L’ÉVIDENCE
[121] J’ai conclu que les exemples 16 et 18 du 068 constituent une antériorité suffisante de ce qui est revendiqué dans le brevet 399. Le brevet 068 n’est pas une référence obscure : il est mentionné à la première page du brevet 399. Le brevet 068 vise de toute évidence le chlorhydrate de raloxifène et aurait indéniablement été trouvé à l’époque en cause par la personne versée dans l’art. On peut en dire autant de l’article de Jones, qui confirme simplement ce qui a été dit au sujet du brevet 068.
[122] Je rappelle le critère reformulé de la jurisprudence Windsurfing que la Cour suprême du Canada a retenu dans l’arrêt Sanofi. Dans son analyse de la question de l’évidence, le tribunal doit :
(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».
b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne.
(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation.
(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;
(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?
[123] Le point 1a) a déjà été examiné. Le brevet 068 et l’article de Jones feraient partie des connaissances de la personne versée dans l’art, ainsi qu’il est clairement indiqué à la première page du brevet 399.
[124] L’idée originale a déjà été analysée dans les présents motifs. Il s’agit d’une forme cristalline non solvatée du chlorhydrate de raloxifène, présentant un profil de diffraction de rayons X sur poudre particulier et dont la teneur en chlorobenzène et en autres impuretés est inférieure à 5 % en raison d’un procédé visant à réduire les impuretés indésirables.
[125] La différence entre le concept inventif et qui est révélé dans le brevet 068 et l’article de Jones est également négligeable.
[126] Je conclus, s’il faut le préciser, que la détection des impuretés indésirables et les modifications du procédé de synthèse du chlorhydrate de raloxifène et de purification de la matière obtenue étaient, à tous les moments pertinents, à la portée de la personne versée dans l’art. À cet égard, je renvoie aux paragraphes 95 à 102 de l’affidavit de M. Tidwell. Dans le paragraphe 60 et les suivants de son affidavit, particulièrement au paragraphe 64, M. Bernstein semble reconnaître que la personne versée dans l’art ferait les bons choix, mais qu’on ne peut prédire avec certitude le cristal obtenu, dans le cas où on en obtient un. C’est peut‑être vrai, mais ce n’est pas pertinent, étant donné que le brevet 068 et l’article de Jones renferment la description et permettent la réalisation d’un procédé produisant la forme cristalline revendiquée dans le brevet 399. Ces revendications sont antériorisées et évidentes.
[127] Je m’arrête brièvement à la question de la motivation. Ni le brevet 068 ni l’article de Jones ne parlent d’impuretés ou de problèmes qui y seraient associés. Il n’y a aucune publication ou élément de preuve qui laisse entendre que quelqu’un a perçu un problème en ce qui concerne les impuretés. Seul le brevet 399 précise que les impuretés constituent un problème. Il est raisonnable de présumer que, comme Lilly US était la compagnie ayant découvert le chlorhydrate de raloxifène, elle serait l’organisation qui continuera à l’améliorer.
[128] Ce ne sont cependant pas toutes les améliorations qui sont des inventions. Je conclus, à la lumière surtout du témoignage de M. Tidwell, que les rajustements apportés aux procédés, aux ingrédients et à la purification sont des techniques qui relevaient tout à fait de la compétence de la personne versée dans l’art à l’époque pertinente et qui permettaient de régler le problème des impuretés lorsque ce problème se présenterait. La motivation, s’il y en avait une, était banale.
[129] La thèse de Novopharm au sujet de l’invalidité du brevet 399 pour cause d’évidence est justifiée.
CONCLUSION ET DÉPENS
[130] Je conclus que les allégations de Novopharm au sujet de l’invalidité du brevet 399 pour des raisons d’invalidité et d’évidence étaient justifiées. La demande d’interdiction est par conséquent rejetée.
[131] Novopharm est en droit de recouvrer ses dépens de la demanderesse. Les parties ont convenu que je devais ordonner que les dépens et les débours soient taxés d’une manière semblable à ce que j’ai déjà ordonné dans des affaires de ce genre. Aucuns dépens ne seront adjugés au ministre et à Lilly US, qui n’auront pas à payer de dépens, puisque ni l’un ni l’autre n’ont participé activement à la présente instance.
[132] Les dépens de Novopharm seront taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV. Les honoraires de deux avocats (un avocat principal et un avocat en second) seront accordés pour leur présence à l’audience et, le cas échéant, lors des contre‑interrogatoires. Les honoraires d’un seul avocat (un avocat principal) sont accordés pour agir en défense lors des contre‑interrogatoires. Aucuns dépens ne sont accordés pour d’autres avocats (à l’interne ou non), pas plus que pour les stagiaires, techniciens juridiques ou membres du personnel administratif.
[133] Ainsi que je l’ai précisé dans d’autres affaires, les honoraires excessifs facturés par les experts me mettent mal à l’aise. Novopharm a le droit de faire taxer les honoraires et les débours facturés respectivement par MM. Tidwell, Ferrari et Stradi, mais non pas ceux qui sont réclamés par d’autres personnes qui ont pu les aider ou collaborer avec eux. Les honoraires et débours en question doivent être raisonnables, et non pas disproportionnés par rapport à ceux des experts de la demanderesse. Les parties peuvent me saisir de la question si elles n’arrivent pas à résoudre leur désaccord à ce sujet.
[134] J’ai confiance que, compte tenu de ces directives, les parties pourront s’entendre sur les dépens.
JUGEMENT
PAR CES MOTIFS :
LA COUR :
1. Rejette la requête tendant à la radiation du dossier des témoignages de MM. Ferrari et Stradi et, par conséquent, de celui de M. Chyall;
2. Rejette la demande.
3. Condamne la demanderesse à payer à Novopharm ses dépens, qui devront être taxés conformément aux présents motifs.
Traduction certifiée conforme
François Brunet, réviseur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1561‑08
INTITULÉ : ELI LILLY CANADA INC. c. NOVOPHARM LIMITED et autres
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATES DE L’AUDIENCE : Les 16, 17, 18 et 19 février 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 23 mars 2009
COMPARUTIONS :
Patrick Smith Jeff Mutter
|
POUR LA DEMANDERESSE ELI LILLY CANADA INC.
|
Barbara Murchie Trent Horne
AUCUNE COMPARUTION |
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POUR LE DÉFENDEUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowlings Lafleur Henderson, srl Avocats 160, rue Elgin, bureau 2600 Ottawa (ON) K1P 1C3 Téléc. : 613‑563‑9869 |
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