ENTRE :
YANHONG FENG
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
Introduction
[1] Les présents motifs font suite à une audience, tenue le 9 avril 2009 à Toronto, qui portait sur le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SPR a rejeté les demandes du statut de réfugié au sens de la Convention ou de protection semblable présentées par les demandeurs, au motif que, par application de la section E de l’article premier (la section 1E) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 (la Convention), les demandeurs étaient exclus de l’application de la Convention. Le commissaire de la SPR a écrit ce qui suit :
À mon avis, les deux demandeurs d’asile avaient, selon la prépondérance des probabilités, le statut de résident permanent au moment de l’audience, de sorte qu’ils pouvaient ou auraient pu retourner au Chili avec leur fils chilien, où ils avaient suffisamment de droits et d’obligations similaires à ceux des ressortissants chiliens. Ainsi, leurs demandes d’asile au Canada sont rejetées en application de la section E de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Par conséquent, je rejette les demandes d’asile [des demandeurs]. J’ai également rejeté la demande d’asile de leur fils Jun Yan ZENG FENG, comme il a été mentionné précédemment.
[2] Le fils des demandeurs dont il est question dans la citation précédente est né au Chili et en est citoyen.
[3] La décision contestée a été rendue le 12 juin 2008.
Le contexte
[4] Les demandeurs, un homme et son épouse, sont citoyens de la République populaire de Chine (la Chine). Lorsqu’ils ont quitté la Chine, ils ont laissé derrière eux leur fille, qui est sous la garde de ses grands-parents.
[5] M. Guanqiu Zeng a quitté la Chine pour aller au Chili le 6 novembre 2002. Il avait reçu une offre pour travailler au Chili. Le 23 avril 2003, il a obtenu un permis de travail pour le Chili et un statut au Chili conféré par un visa d’étranger (résident temporaire).
[6] Mme Yanhong Feng est allée rejoindre son époux au Chili le 23 décembre 2003 munie d’un visa de visiteur. Elle a reçu un permis de travail pour le Chili le 23 avril 2004 et le statut conféré par un visa d’étranger (résident temporaire) le 17 novembre 2004.
[7] Le second enfant des demandeurs, un fils, est né au Chili le 29 août 2005.
[8] Le 19 mai 2006, les demandeurs et leur fils ont quitté le Chili afin de retourner en Chine. Ils ont voyagé munis de billets aller-retour vers la Chine via le Canada.
[9] Les demandeurs affirment avoir été victimes de persécution à leur retour en Chine en raison de la politique chinoise de l’enfant unique. Par conséquent, le ou vers le 21 juin 2006, soit seulement un peu plus d’un mois après leur retour en Chine depuis le Chili, les demandeurs ont utilisé leur billet de retour, mais, au lieu de se rendre au Chili via le Canada, ils sont entrés au Canada à leur arrivée ici et ils ont présenté des demandes du statut de réfugié au sens de la Convention ou de protection semblable.
La décision contestée
[10] Au début de ses motifs, la SPR a noté ce qui suit en ce qui concerne le fils du demandeur :
Leur fils, demandeur d’asile à charge, ne demande pas l’asile à l’égard d’un pays en particulier [...].
Le conseil des demandeurs d’asile reconnaît que leur fils, demandeur d’asile à charge, Jun Yan Zeng Feng, est un citoyen du Chili et non de la Chine. Il n’a fait aucune demande d’asile à l’égard du Chili. Par conséquent, le conseil admet qu’il n’a pas de demande d’asile valide au Canada [...].
[11] L’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[1] (la Loi) dispose qu’une personne visée par les sections E ou F de l’article premier de la Convention ne peut pas avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger. Les sections E et F de l’article premier de la Convention sont annexées à la Loi. La section 1E se lit comme suit :
E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.
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E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country. |
[12] La SPR a noté ce qui suit :
La ministre soutient que les époux ont obtenu le statut de résident permanent au Chili, statut qui leur confère les droits et obligations rattachés à la possession de la nationalité de ce pays, de sorte que la section E de l’article premier de la Convention s’applique et que leur demande d’asile doit donc être rejetée. Comme il a été mentionné précédemment, le conseil des demandeurs d’asile a répondu à cette allégation qu’aucun des deux n’a ce statut et que, par conséquent, ils ont le droit de demander l’asile au Canada.
[13] La SPR a souligné que, dans le cadre de l’examen de l’exclusion par application de la section 1E, « le moment approprié pour déterminer le statut du demandeur d’asile dans le pays de remplacement visé est une question importante qu’il faut prendre en considération ».
[14] La SPR a en outre précisé :
Dans l’arrêt Madhi, la Cour d’appel fédérale a jugé que la véritable question qui devait être tranchée était la suivante : la demandeure d’asile était-elle encore reconnue par les autorités compétentes du pays visé à la section E de l’article premier de la Convention comme une résidente permanente de ce pays lorsqu’elle a demandé son admission au Canada? Cette question devait être tranchée selon la prépondérance des probabilités.
Dans d’autres décisions, il a été conclu que le moment approprié pour déterminer le statut était le moment où avait lieu l’audience à la Commission [...].
[Souligné dans l’original; renvois omis.]
[15] La SPR a conclu sur la question du moment approprié de la façon suivante :
Le présent tribunal a entendu les conseils de la ministre et du demandeur d’asile au sujet de cette question. En l’espèce, les deux conseils étaient d’avis que le moment approprié pour déterminer le statut des demandeurs d’asile dans le pays visé à la section E de l’article premier de la Convention était le moment de l’audience. C’est donc ce moment que je choisis pour évaluer la demande d’asile
[Souligné dans l’original.]
[16] L’avocat des demandeurs, les demandeurs d’asile devant la SPR, soutient que, même si les demandeurs avaient obtenu le statut de résident permanent, ce qu’il n’a pas admis, étant donné qu’ils ont été absents du Chili pendant plus d’un an avant la date d’audience devant la SPR, et ce, sans avoir fait des démarches pour prolonger leur statut, les demandeurs, à la date de l’audience devant la SPR, avaient perdu leur statut au Chili, et que, par conséquent, la section 1E de la Convention ne s’appliquait pas à eux. À ce sujet, la SPR a conclu comme suit :
[…] En outre, ils ont pu perdre ce statut, comme l’a laissé entendre leur conseil, parce qu’ils ont été à l’extérieur du Chili pendant plus d’un an sans demander la prolongation de sa période de validité. Les demandeurs d’asile ne peuvent tirer profit du fait qu’ils ont omis de faire une telle demande, comme l’ont indiqué les autorités.
[17] Par conséquent, comme je l’ai déjà noté, la SPR a conclu que les demandeurs étaient exclus de l’application de la Convention ou d’une protection semblable.
Les questions en litige
[18] Dans un mémoire des faits et du droit supplémentaire déposé le 24 mars 2009 par les demandeurs, l’avocat des demandeurs a formulé les questions dont est saisie la Cour de la façon suivante :
- Quelle est la date pertinente quant à la question de savoir si une personne devrait être exclue par application de la section E de l’article premier de la Convention?
- Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que les demandeurs avaient encore le statut de résident permanent au Chili?
[19] Dans un mémoire des faits et du droit supplémentaire déposé par le défendeur, l’avocate du défendeur a soutenu que la seule question dont est saisie la Cour, à l’exception de la question de la norme de contrôle, était de savoir si la SPR avait commis une erreur en concluant que les demandeurs devaient être exclus par application de la section 1E de la Convention.
[20] Pour les motifs qui ressortiront de l’analyse qui suit, je privilégie la définition large de la question de principe en litige, définition avancée par le défendeur.
Analyse
a) La norme de contrôle
[21] L’avocate du défendeur soutient que le critère de l’exclusion prévu à la section 1E de la Convention constitue une question de droit qui commande la décision correcte comme norme de contrôle. À l’appui de sa position, l’avocate du défendeur renvoie aux paragraphes 45, 49, 50, 55, 63, et 64 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick[2].
[22] Cela étant dit, l’avocate du défendeur reconnaît que la question de savoir si les faits d’une affaire donnée corroborent une conclusion selon laquelle une personne est exclue par application de la section 1E de la Convention, suivant l’article 98 de la Loi, constitue une question faisant partie du domaine d’expertise de la SPR et que, par conséquent, la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité.
[23] Je conclus que le critère de l’exclusion par application de la section 1E de la Convention constitue une question de droit susceptible de contrôle suivant la décision correcte comme norme de contrôle applicable et que, par conséquent, si le mauvais critère est appliqué, la décision contestée doit être infirmée. Je conclus également que l’application du critère approprié aux faits particuliers dont est saisie la SPR est susceptible de contrôle suivant la raisonnabilité comme norme de contrôle applicable et que la Cour doit faire preuve d’une grande retenue envers les conclusions tirées par la SPR à cet égard.
b) Le critère de l’exclusion par application de la section 1E de la Convention
[24] Alors que la Cour suprême du Canada n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur l’application appropriée de la section 1E de la Convention, il est intéressant de noter que, même si la Cour suprême des États-Unis (la CSEU) n’a traité que du droit états-unien dans l’arrêt Rosenberg c. Yee Chien Woo[3], elle a y abordé la question de savoir si un demandeur d’asile qui a des liens avec un tiers pays pourrait obtenir la qualité de réfugié. La CSEU a conclu qu’un [traduction] « réétablissement ferme » dans un tiers pays [traduction] « constitue l’un des facteurs dont le Service d’immigration et de naturalisation doit tenir compte afin de déterminer si un réfugié cherche à obtenir l’asile aux États-Unis afin de fuir la persécution », mais elle n’est pas allée jusqu’à exiger l’exclusion péremptoire du demandeur si le [traduction] « réétablissement ferme » était établi. D’ailleurs, les quatre juges dissidents n’ont accordé aucune importance à l’établissement dans un tiers pays.
[25] On peut, à juste titre, affirmer que le Canada a été moins indulgent envers les demandeurs d’asile qui ont des liens avec un tiers pays sûr, lesquels demandeurs peuvent être exclus de façon péremptoire par application de la section 1E de la Convention. Je suis convaincu que, au vu de la jurisprudence, il y a lieu d’apporter des nuances. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Manoharan[4], j’ai écrit ce qui suit au paragraphe 28 de mes motifs :
Selon la preuve présentée à la Cour, lorsque le défendeur a demandé l’admission au Canada, il était, pour paraphraser le libellé de la section 1E de la Convention, une personne considérée par les autorités compétentes de l’Allemagne comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays. Cela dit, les termes de l’arrêt Mahdi ne sont pas absolus à mon avis. Je préfère interpréter ces termes d’une manière conforme au raisonnement suivi par le juge Rouleau dans la décision Choovak. Il faut interpréter la section 1E non seulement de manière à empêcher la recherche abusive du pays le plus favorable, mais également, selon les termes du juge Rouleau, d’une façon « plus conforme à son objet, qui est de fournir un refuge sûr à ceux qui en ont vraiment besoin » . Une telle interprétation est conforme au premier élément de l’objet de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui est décrit comme suit au paragraphe 3(2) : « de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution » . Cet élément n’était pas un objet du droit canadien des réfugiés à l’époque de l’arrêt Mahdi et de la décision Choovak, ni du droit du Canada à l’époque de la décision sur l’exclusion qui a été rendue en faveur du défendeur et de sa mère et qui fait l’objet du présent contrôle. Cela dit, je suis convaincu, compte tenu des faits très particuliers de l’espèce, que cette décision était correcte et qu’une distinction peut être établie avec l’arrêt Mahdi en raison des faits différents et du nouvel élément de l’objet de la Loi mentionné ci-dessus.
[Renvois omis.]
[26] Je suis convaincu que ce qui précède n’est pas incompatible avec la position adoptée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mahdi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[5]. Les deux décisions, à mon avis, donnent à penser que le critère de l’exclusion par application de la section 1E de la Convention est plus complexe qu’une simple application des faits, à savoir le choix entre la date de la demande d’asile au Canada ou la date de l’audience visant à déterminer si la protection devrait être accordée.
[27] Beaucoup plus récemment, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Parshottam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[6], était saisie d’un appel d’une décision de la Cour où la question suivante avait été certifiée :
[traduction]
Une fois que la Section de la protection des réfugiés a refusé l’asile à une personne en vertu de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés et de l’article 98 de la LIPR au motif qu’elle possède la nationalité d’un tiers pays, quelle date doit retenir l’agent d’ERAR qui est appelé à décider si cette personne devrait également se voir refuser l’asile en vertu de la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés et de l’article 98 de la LIPR : la date de son admission au Canada ou la date de la demande d’ERAR?
[28] Le juge Evans, au nom de la majorité, a refusé de répondre à la question certifiée au motif que cette réponse ne serait pas déterminante quant à l’issue de l’appel. Cela étant dit, le juge Evans a ajouté par la suite qu’il n’était pas d’avis qu’il était « de jurisprudence constante » que – lorsqu’il faut trancher la question de savoir si un demandeur d’asile au Canada est un résident permanent d’un tiers pays pour les besoins de l’analyse effectuée dans le cadre de la section 1E – la seule date dont il faut tenir compte est l’admission au Canada et que les faits ultérieurs ne sont pas pertinents.
[29] La juge Sharlow, dans des motifs concourants, a écrit ce qui suit au paragraphe 38 de l’arrêt Parshottam, précité :
[…] Je suis d’accord avec le juge Evans pour dire que cette question n’a pas été réglée, mais je ne suis pas d’accord pour dire qu’on doit la laisser en suspens, et ce, même si elle ne permet pas de trancher le présent appel. J’arrive à cette conclusion parce que la jurisprudence de la Cour fédérale fait état d’une certaine confusion à cet égard et qu’en certifiant cette question, le juge Mosley s’est dit d’avis qu’il s’agissait d’une question grave de portée générale.
La juge Sharlow a par la suite répondu à la question certifiée en des termes qui ne peuvent s’appliquer qu’à l’affaire dont la Cour d’appel fédérale était saisie.
[30] En l’espèce, tant l’avocat des demandeurs que l’avocate du défendeur m’ont prié d’utiliser la présente affaire pour proposer un critère plus général. J’accepte de relever le défi.
[31] Je pense qu’il est important que tout nouveau critère respecte les principes établis en matière de droit des réfugiés au Canada, et deux principes me semblent particulièrement dignes de mention dans le présent contexte :
- d’une part, la Cour et la Cour d’appel fédérale ont de façon constante conclu que l’omission du demandeur de demander l’asile à la première occasion peut nuire à sa demande, car une telle omission peut révéler une absence de crainte de persécution; voir la décision Semextant c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[7], rendue par le juge Michel Shore, et les jugements qui y sont cités. L’omission du demandeur de demander l’asile dans un pays où il a transité en route vers le Canada ne justifiera cependant pas le rejet péremptoire de sa demande, parce que, lors de l’analyse du bien-fondé de la demande, il pourrait ressortir des facteurs expliquant cette omission de demander l’asile à la première occasion;
- d’autre part, l’obtention du statut de réfugié repose sur une analyse prospective, c’est‑à‑dire que la protection ne devrait être accordée que si un demandeur craint avec raison d’être persécuté à l’avenir; Fernandopulle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[8].
En gardant ces principes à l’esprit, je suis convaincu que l’on doit se garder d’établir tout critère qui prévoirait une exclusion péremptoire de la protection en raison du statut qu’a le demandeur dans un tiers pays au moment de la demande d’asile – par opposition à son statut au moment où la demande est tranchée – parce que ce critère ne respecterait pas l’approche prospective propre à l’examen des demandes d’asile.
[32] Cela étant dit, si, au moment de présenter sa demande d’asile, un demandeur d’asile avait, dans un tiers pays, un statut qui est par la suite devenu caduc, alors la sincérité de la crainte de persécution alléguée peut être remise en question. Il s’agit, par contre, d’un facteur qui ne peut être judicieusement examiné que dans le cadre d’une analyse portant sur la question de savoir si le demandeur a présenté des raisons valables de ne pas s’être réclamé de la protection du tiers pays alors que c’était encore possible. Cette analyse nécessitera toujours au moins un examen minimal du bien‑fondé de la demande.
[33] L’avocate du défendeur a plaidé ce qui suit dans son mémoire des faits et du droit supplémentaire :
[traduction]
Le défendeur soutient que la Section de la protection des réfugiés peut vérifier le statut des demandeurs lors de leur admission au Canada et par la suite, et ce, jusqu’à la date d’audience. La Section de la protection des réfugiés doit également déterminer quel degré de responsabilité devrait incomber aux demandeurs si leur statut a changé.
[34] Je souscris aux observations précédentes, cependant je propose le critère à trois volets suivant, qui est plus précis :
1. Le demandeur, le jour où il a présenté sa demande d’asile au Canada, jouissait-il d’un statut dans un tiers pays (en l’espèce, le Chili), statut auquel sont attachés des droits et des obligations considérés par les autorités compétentes du tiers pays comme étant équivalents à ceux attachés à la possession de la nationalité de ce pays?
Dans la négative, le demandeur n’est pas exclu par application de la section 1E. Dans l’affirmative, le décideur devrait alors poursuivre et répondre à la question suivante :
2. Si le demandeur avait essayé d’entrer dans le tiers pays (en l’espèce, le Chili) le jour où sa demande d’asile a été tranchée, aurait‑il, selon la prépondérance de la preuve, été admis dans ce pays comme s’il jouissait d’un statut équivalent à celui qu’il avait le jour où il a présenté sa demande d’asile au Canada?
Dans l’affirmative, le demandeur devrait être exclu par application de la section 1E. Dans la négative, le décideur devrait poursuivre et répondre à la question suivante :
3. Si le demandeur n’aurait pas été admis dans le pays en question (en l’espèce le Chili), aurait‑il pu empêcher ce résultat et, le cas échéant, a‑t‑il une raison valable pour ne pas avoir empêché ce résultat?
Si le demandeur aurait pu préserver son droit d’entrer dans le pays en question et que, sans raison valable, il ne l’a pas fait, il devrait être exclu par application de la section 1E. Si le demandeur n’aurait pas pu préserver son droit d’entrer dans le pays en question, ou qu’il aurait pu mais qu’il a une raison valable pour ne pas l’avoir préserver, alors, il ne devrait pas être exclu par application de la section 1E.
c) Application du critère formulé précédemment aux faits de l’espèce
[35] La SPR a conclu que les demandeurs, selon la prépondérance de la preuve, et au vu de la preuve déposée par le défendeur, avaient obtenu un statut au Chili auquel étaient attachés des droits et des obligations équivalents à ceux attachés à la nationalité chilienne et n’avaient pas perdu ce statut au moment de l’audience devant elle, soit le moment approprié selon les observations des avocats des demandeurs et du défendeur. La SPR a simplement oublié de déterminer si les demandeurs jouissaient encore de ce statut pour la seule et unique raison que les demandeurs avaient été à l’extérieur du Chili pendant plus d’un an et que les autorités chiliennes ne s’en étaient pas rendu compte.
[36] Que les autorités chiliennes n’aient pas été au courant de la durée de l’absence des demandeurs n’est pas surprenant, et il n’est également donc pas surprenant que, si les demandeurs avaient effectivement eu un tel statut, qu’ils s’étaient présentés au port d’entrée au Chili et que la durée de leur absence avait fait l’objet d’un examen, ils n’auraient peut-être pas été admis au Chili étant donné que leur statut aurait pu être considéré comme caduc.
[37] La SPR ne disposait d’aucune preuve à ce sujet, et je suis convaincu qu’il incombait au défendeur de déposer une telle preuve. En l’absence de cette preuve, il était simplement impossible pour la SPR de respecter l’objet de la Loi énoncé à l’alinéa 3(2)a), à savoir reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution. Étant donné que la SPR n’a pas respecté l’objet de la Loi, c’est‑à‑dire qu’elle n’a pas examiné l’allégation des demandeurs – selon laquelle ils craignaient d’être persécutés s’ils étaient obligés de retourner en Chine parce qu’ils ne seraient peut-être pas réadmis au Chili –, je suis convaincu que, au regard de n’importe quelle norme de contrôle applicable, la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en tranchant la présente affaire comme elle l’a fait.
Conclusion
[38] Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision contestée sera infirmée et les demandes d’asile des demandeurs seront renvoyées à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.
La certification d’une question
[39] À la clôture de l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour a avisé les avocats qu’elle leur communiquerait les présents motifs de décision et leur fournirait l’occasion de présenter des observations portant sur la certification d’une question. Les présents motifs seront communiqués aux avocats, qui auront quatorze (14) jours à compter de la date de la communication pour discuter de la question de la certification et pour fournir des observations à la Cour, lesquelles confirmeront qu’il y a bien eu discussion, et présenteront, motifs à l’appui, toute recommandation portant sur la certification d’une question.
OTTAWA (ONTARIO)
Le 8 mai 2009
Traduction certifiée conforme
Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4183-08
INTITULÉ : GUANQUI ZENG
YANHONG FENG c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 9 AVRIL 2009
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE SUPPLÉANT GIBSON
DATE DES MOTIFS : LE 8 MAI 2009
COMPARUTIONS :
Lorne Waldman |
POUR LES DEMANDEURS
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Bridget O’Leary
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates Avocats Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LES DEMANDEURS
POUR LE DÉFENDEUR |
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