Federal Court |
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Cour fédérale |
Ottawa (Ontario), le 12 mai 2009
En présence de monsieur le juge Beaudry
ENTRE :
demandeur
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R., 2001 (ch. 27) (la loi) à l’encontre d’une décision rendue le 9 octobre 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.
[2] Pour les raisons qui suivent la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.
Contexte factuel
[3] Le demandeur, Balraj Singh, un citoyen de l’Inde, est à la fois pharmacien et fermier dans la province du Pendjab. En août 2006, il a embauché un jeune serviteur musulman. En octobre 2006, sous prétexte qu'il fallait interroger tous les employés provenant de l’extérieur du Pendjab, ce dernier a été arrêté et torturé par les autorités policières locales.
[4] Le 13 avril 2007, pendant que le demandeur et son serviteur travaillaient au champ, la police s’est présentée pour arrêter le serviteur. Celui-ci a toutefois réussi à s’enfuir. Le demandeur a donc été arrêté et torturé et accusé d’être complice avec les extrémistes musulmans. Les autorités policières lui ont dit qu’ils avaient retrouvé un fusil dans la chambre du serviteur.
[5] Le demandeur allègue avoir été arrêté et battu deux autres fois, soit en juin et en août 2007.
[6] De son côté, le père du serviteur tient le demandeur responsable de la torture subie par son fils. Il a proféré des menaces contre le demandeur et sa famille en août 2007.
[7] Il est arrivé au Canada le 24 octobre 2007 et il a revendiqué la protection le 5 novembre 2007.
[8] Le demandeur allègue qu’il ne peut retourner en Inde parce qu’il sera arrêté et torturé par la police qui croit qu’il est associé aux musulmans extrémistes.
[9] Le tribunal a rejeté la réclamation du demandeur en déclarant que son récit était fabriqué et non crédible. Le tribunal a mentionné que même s’il avait erré dans son analyse au sujet de la crédibilité, le demandeur avait accès à une possibilité de refuge interne (PRI) dans la ville de Delhi.
Analyse
Norme de contrôle
[10] Lorsqu’il est question de crédibilité et d’appréciation de la preuve, il est bien établi en vertu du paragraphe 18.1(4)(d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, que la Cour n’interviendra que si la décision est basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire ou abusive ou si la décision est rendue sans égard à la preuve (Aguebor c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), 42 A.C.W.S. (3d) 886).
[11] L’évaluation de la crédibilité et l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif qui doit apprécier l’allégation d’une crainte subjective d’un demandeur d’asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1ère inst.), 83 A.C.W.S. (3d) 264 au paragraphe 14). Avant Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable dans des circonstances semblables était celle de la décision manifestement déraisonnable. Depuis, il s’agit de la décision raisonnable.
[12] La norme de contrôle applicable aux questions de PRI était la décision manifestement déraisonnable (Khan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 44, 136 A.C.W.S. (3d) 912 et Chorny c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999, 238 F.T.R. 289). Suivant Dunsmuir, la Cour doit continuer de faire preuve de retenue dans la détermination d’une PRI et cette décision est révisée selon la nouvelle norme de la raisonnabilité. Conséquemment, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus au par. 47). Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel.
[13] Dans la cause sous étude, le tribunal a commis des erreurs qui nécessitent l'intervention de la Cour.
[14] Quant à la crédibilité, le tribunal s'est basé sur de la preuve documentaire pour affirmer qu'il ne croyait pas le demandeur, que son histoire était fabriquée et qu'il était invraisemblable qu'il ait subi les tortures alléguées. Le tribunal ne fait aucune référence à un document intitulé « National Conference on Prevention of Torture in India » daté du mois de juin 2007 qui faisait pourtant partie du cartable mis à la disposition des décideurs.
[15] La Cour croit qu'il aurait été nécessaire de faire référence à la documentation qui contredisait celle utilisée par le tribunal étant donné qu'il s'agissait d'un élément crucial soulevé par le demandeur soit la torture qu'il avait subie. Le tribunal se devait d'expliquer pourquoi il mettait de côté ou ne croyait pas que la documentation au sujet de la torture était pertinente (Simpson c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 970, [2006] A.C.F. no 1224 (QL) par 44).
[16] Ensuite, le tribunal a mentionné qu'il n'accordait pas beaucoup de poids aux affidavits déposés par le demandeur parce qu’il croyait que ces affidavits avaient été dactylographiés à partir de la même machine. Même s'il n'y a pas d'expertise au dossier pouvant supporter cette conclusion, l'erreur du tribunal provient surtout du fait qu'il n'a jamais confronté le demandeur à ce sujet lors de l'audition. Pourtant ces affidavits corroboraient les arrestations du demandeur. Rien n'est mentionné non plus de la part du tribunal au sujet d'une lettre d'un avocat à qui s'était adressé le demandeur et à qui il avait raconté son récit.
[17] Quant à la PRI, le tribunal mentionne que le demandeur allègue qu'il ne peut pas retourner en Inde parce que la police va l'arrêter et le torturer car elle croit qu'il est associé à des musulmans extrémistes. Or, le tribunal concède que la police recherche partout les terroristes extrémistes (voir par. 20 de la décision du tribunal … « Muslim extremist terrorists have police everywhere on the alert. … »).
[18] Malgré tout, le tribunal en arrive à la conclusion que le demandeur jouit d'une PRI.
[19] Le demandeur a fait remarquer qu'il avait été arrêté dans un autre État (Haryana) en Inde et il a expliqué pourquoi il croyait être en danger dans les deux États suggérés soit Delhi et Bombay.
[20] Le défaut par le tribunal de ne pas prendre en considération cette preuve importante ou de ne pas la commenter ou de ne pas expliquer pourquoi une PRI était quand même disponible au demandeur malgré ses assertions requiert l'intervention de la Cour (Owusu-Ansah c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 98 N.R. 312, 15 A.C.W.S. (3d) (C.A.F.)).
[21] Les parties n'ont proposé aucune question à certifier et ce dossier n'en contient pas.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Le dossier est retourné pour être réexaminé par un tribunal nouvellement constitué. Aucune question n’est certifiée.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4815-08
INTITULÉ : BALRAJ SINGH
et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 7 mai 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : le 12 mai 2009
COMPARUTIONS :
Me Michel Le Brun
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POUR LA PARTIE DEMANDERESSE |
Me Daniel Latulippe
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POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Michel Le Brun Montréal (Québec)
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POUR LA PARTIE DEMANDERESSE |
John H. Sims Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |