Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), ce 13e jour de mai 2009
En présence de l’honorable Orville Frenette
ENTRE :
Partie demanderesse
et
LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION
ET DE LA CITOYENNETÉ
et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision rendue le 15 juillet 2008 par le délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, qui rejetait la demande de protection du demandeur en vertu du paragraphe 112(3) de la LIPR en tant que personne interdite de territoire pour grande criminalité et représentant un danger pour le Canada.
Exposé des faits et procédures
[2] Le demandeur, citoyen haïtien, né dans ce pays, est arrivé au Canada le 14 août 1983, à l’âge de 20 ans.
[3] Au Canada, il a été trouvé coupable de 44 condamnations suite à la commission d’infractions criminelles, entre 1986 et 2005.
[4] Le 16 novembre 2007, en réponse à une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), l’agente concluait que la vie du demandeur serait menacée ou qu’il pourrait subir des traitements ou peines cruels et inusités, s’il était déporté vers Haïti.
[5] Le 15 juillet 2008, le délégué du Ministre rejetait la demande de protection du demandeur en vertu du paragraphe 112(3) de la LIPR.
[6] Le délégué, dans une décision fort élaborée, analysa l’historique et le casier judiciaire du demandeur ainsi que la documentation publique de nature internationale invoquée par l’agente ERAR dans sa décision du 16 novembre 2007. Le délégué du Ministre considéra la documentation produite par la procureure du demandeur sur la situation en Haïti incluant les mises à jour de cette situation qu’elle a fait parvenir les 27 mars, 19 juin et 30 juin 2008. Le délégué a aussi examiné d’autres documents publics accessibles à tous, couvrant la période de 2001 à 2008.
La décision en litige
[7] Le 15 juillet 2008, le délégué du Ministre, dans une décision motivée de 33 pages, exposait les motifs qui concluaient que la demande de protection du demandeur en tant que personne interdite de territoire pour grande criminalité, était rejetée. Il décidait que, selon la balance des probabilités et malgré le casier judiciaire du demandeur, ce dernier ne serait pas, à son retour en Haïti, soumis à la torture ou exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Il concluait aussi que le demandeur constituait un danger actuel et futur pour la sécurité publique canadienne. Le délégué du Ministre considéra divers documents publics dont un rapport du U.S. Department of State, publié le 11 mars 2008.
[8] Le 22 juillet 2008, le demandeur présentait une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision précitée. L’audition de cette demande fut fixée pour audition le 15 avril 2009.
[9] Le 14 avril 2009, la procureure du demandeur faisait parvenir à la Cour une missive accompagnée d’un document, qu’elle qualifiait de « preuve nouvelle », soit un rapport qu’elle avait commandé dans un autre dossier (celui de Nicolas Joseph), préparé le 23 mars 2009 par Mme Michelle Karshan, une citoyenne des États-Unis qui a vécu neuf années en Haïti (jusqu’en 2004). Celle-ci se décrit comme « experte » et dirige une organisation sans but lucratif dédiée à aider des personnes criminalisées déportées vers Haïti.
[10] La procureure du défendeur s’oppose avec vigueur à la production et à la considération de ce document pour divers motifs de fond et de procédure.
La législation
[11] Les articles pertinents de la LIPR sont les suivants :
Les conditions d’acceptation d’une nouvelle preuve
[12] Il faut dès à présent rappeler que pour infirmer une décision administrative, la jurisprudence énonce que la Cour doit considérer uniquement la preuve que le décideur avait devant lui ou elle, lors de sa décision (Isomi c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1394; OAO (Ordre des architectes de l’Ontario) c. AATO (Assn. of Architectural Technologists of Ontario), [2003] 1 C.F. 331 (C.A.F.)).
[13] La nouvelle preuve ou la preuve extrinsèque peut être accueillie lorsque le tribunal a commis une erreur juridictionnelle ou a violé les règles d’équité procédurale (McFadyen c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 360, 341 N.R. 345).
[14] Les conditions d’acceptation d’une nouvelle preuve découlent de l’application de l’article 113 de la LIPR (supra). La jurisprudence a énoncé les conditions qui peuvent justifier la réouverture d’un débat par une telle nouvelle preuve (Raza c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 385; Sa Majesté la Reine c. Canadian Council for Refugees et al., 2008 CAF 171; Mujib c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1027; Yansane c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1213).
[15] Les conditions les plus importantes sont, selon la juge Sharlow dans l’arrêt Raza, ci-dessus : 1) la pertinence de la preuve. La preuve est-elle pertinente pour établir ou nier un fait essentiel à considérer dans la décision? 2) la crédibilité de la preuve. La preuve est-elle crédible, considérant la source et les circonstances dans lesquelles elle a pris naissance? 3) la nouveauté de la preuve. La preuve existait-elle avant le moment de la décision? 4) la diligence des parties à présenter la preuve. Les parties ont-elles été diligentes à obtenir et produire la preuve avant la décision? Et 5), la matérialité de la preuve : la présence d’une telle preuve aurait-elle supporté une décision différente?
La pertinence de la preuve
[16] Dans un cas comme celui qui nous occupe, concernant le risque de retour en Haïti, la preuve démontre-t-elle une situation différente que celle que le tribunal possédait lors de sa décision? Dans sa décision, le délégué du Ministre réfère à la décision de l’agente ERAR et à la documentation au dossier qui étale la situation et le risque de retour en Haïti : le rapport de Alternative Chance, une organisation établie aux États-Unis qui milite en faveur des personnes déportées vers Haïti (2007) et les deux documents du U.S. Department of State produits par la procureure du demandeur : 2006 Country Reports on Human Rights Practices – Haiti (6 mars 2007) et 2007 Country Reports on Human Rights Practices – Haiti (11 mars 2008). Ces documents démontrent les problèmes sérieux qui existent à Haïti et particulièrement ceux que les Haïtiens grevés de lourds casiers judiciaires, affrontent au retour dans leur pays d’origine, dont l’arrestation et la détention. Ces rapports indiquent que les Nations Unies, la Croix-Rouge et d’autres organisations internationales aident les criminels déportés vers Haïti et que les conditions s’améliorent quelque peu en 2008. Le délégué du Ministre discute des arguments de la procureure du demandeur ainsi que la documentation qu’elle a invoquée (pages 16 à 19 de la décision) ainsi que la documentation générale (pages 19 à 26).
[17] En particulier, il réfère au Country Reports de 2007 qui énonce que les citoyens rapatriés munis de casiers judiciaires sont généralement détenus pour une période allant jusqu’à deux semaines. Le rapport de 2008, publié le 25 février 2009, répète la même constatation.
[18] À mon avis, le « rapport » en litige portant la date du 23 mars 2009 démontre que Mme Karshan rapporte et commente la situation en Haïti pour les mêmes périodes couvertes par la documentation que le délégué du Ministre a considéré lors de sa décision. Elle écrit avoir enquêté concernant Haïti en 2006-2007 et jusqu’en janvier 2008. Elle réfère à la situation en Haïti telle que révélée par la documentation et son enquête depuis 2001. Mme Karshan conclut son exposé dans les termes suivants :
Further, Mr. Joseph will be at risk of execution because of the intense campaign waged by the Haitian Government, without basis, which targets Criminal Deportees and puts Mr. Joseph at risk of being lynched once in the community.
Further, I believe based on my various meetings, observations and research, as well as my meeting with the Police Chief who is a member of the three member commission overseeing Criminal Deportees and is charged with processing and detaining Criminal Deportees upon arrival, that the police will receive and review files, including the criminal history of respondent and the original police complaint and the original indictment, and that the police will also access and view various database information online relating to Mr. Joseph. Further, I believe that Mr. Joseph will be held in illegal police custody.
Therefore, it is my opinion that if Mr. Joseph is deported to Haiti he will more likely than not be subjected to severe physical and mental pain and suffering that will be intentionally inflicted by Haiti’s police and government officials, and at the very least acquiesced to and consented to by administrators of the Government of Haiti such as in the Ministry of Justice, Ministry of Interior, the Immigration department, and the police etc. who would have custody and physical control of Respondent (said custody being illegal under Haitian law and ruled as illegal by Haiti’s own courts in 2006) and that said torture will be for the purpose of making conditions particularly harsh and inhumane in order to further a pervasive and widespread extortion campaign to extract an illegally gotten sum of U.S. monies from the Respondent in exchange for a promise for liberation from a police station holding cell.
I believe for all the aforesaid reasons that Mr. Joseph, if placed in police custody in a police station holding cell, will be more vulnerable and more threatened and more likely than not will suffer gross persecution, mental and life-threatening physical harm or death because of his serious medical conditions.
Finally, I believe that Mr. Joseph will specifically be targeted and be more vulnerable to torture and extortion efforts because the Haitian government will intentionally withhold medical care or medications and will deliberately seek to exploit his grave medical condition by making his condition in illegal detention worse in an effort to gain monies through extortion.
I believe that based on all the above stated reasons, Mr. Joseph’s applications for relief from removal to Haiti should be granted.
[19] Une analyse du document en litige révèle qu’il s’agit fondamentalement d’une opinion partiale ou non objective, de la nature d’un plaidoyer d’un avocat dans un litige. Il n’apporte aucun élément nouveau au débat qui n’a pas déjà été considéré par le délégué du Ministre fondé sur la preuve et la documentation générale couvrant la période se terminant au 15 juillet 2008.
[20] De plus, ce genre de document ne respecte pas les conditions essentielles exigées pour être considéré de la preuve nouvelle et considéré après la décision rendue, parce que 1) le document ne contient pas de faits nouveaux quant aux conditions en Haïti et le retour au pays de citoyens ayant un casier judiciaire; 2) il n’y a eu aucune explication valable justifiant le motif de non production du document avant la décision; 3) le document ne contient pas une opinion objective et impartiale et 4) il ne satisfait pas aux critères de crédibilité et de matérialité (voir Mustafa c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 361, aux paragraphes 22 à 24).
Conclusion
[21] Pour tous ces motifs, la Cour ordonne que le rapport de Mme Karshan, en date du 23 mars 2009 déposé dans le dossier en l’espèce, est inadmissible comme preuve et doit être écarté dans l’analyse de la décision rendue.
ORDONNANCE
L’objection du défendeur à la production et à la considération du rapport de Mme Michelle Karshan en date du 23 mars 2009, est accueillie et le document doit être rejeté du dossier.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3257-08
INTITULÉ : Charles Gérard PLACIDE c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 15 avril 2009
ET ORDONNANCE : L’honorable Orville Frenette, Juge suppléant
DATE DES MOTIFS : Le 13 mai 2009
COMPARUTIONS :
Me Marie-Hélène Giroux POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Me Claudia Gagnon POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Monterosso Giroux, s.e.n.c. POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Montréal (Québec)
John H. Sims, c.r. POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada