Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 5 mai 2009
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAX M. TEITELBAUM
ENTRE :
ROSAS PRADO, ANGEL IBARRA ROSAS,
ERIKA ROSAS IBARRA, ERICK ROSAS IBARRA,
KIMBERLY ANAID ROSAS IBARRA,
ALEJANDRO ANGEL
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté les demandes d’asile présentées par les demandeurs, en application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C., 2001, ch. 27, au motif qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La décision reposait sur la conclusion portant que les demandeurs ne s’étaient pas réclamés de la protection de leur État. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.
[2] Les demandeurs sont des ressortissants du Mexique. M. Angel Rosas Prado est le demandeur principal. Mme Erika Ibarra Rosas est son épouse. Les trois autres demandeurs sont leurs enfants mineurs. La famille vivait précédemment à Mexico, où M. Rosas Prado travaillait comme chauffeur de taxi.
[3] Les faits donnant lieu aux demandes d’asile de la famille sont relatés dans l’exposé circonstancié du formulaire de renseignements personnels (FRP) que M. Rosas Prado a soumis à la Commission. À l’audience devant la SPR, ce dernier a donné plus de détails que dans son exposé sur les circonstances dans lesquelles lui et sa famille ont quitté le Mexique à destination du Canada.
[4] En février 2002, deux individus ont arrêté à main armée M. Rosas Prado dans son taxi. Cela n’avait en soi rien d’exceptionnel; en tant que chauffeur de taxi, il avait déjà été victime de piraterie routière et de vol plusieurs fois au fil des ans. Cette fois, cependant, l’un des deux voleurs, plus tard identifié comme étant Rafael Arellano Solis, avait été appréhendé par la police et condamné à une peine de cinq années d’emprisonnement. Le deuxième voleur n’a jamais été capturé. Les demandeurs craignent tous d’être châtiés en raison de la dénonciation d’Arellano Solis et ils ne croient pas que les autorités mexicaines puissent les protéger. M. Rosas Prado soupçonne les voleurs d’être liés au cartel de la drogue Arellano-Felix, qui aurait des accointances avec la police.
[5] Les demandeurs soutiennent que leur crainte se fonde sur une série d’incidents laissant voir que les voleurs sont bel et bien résolus à se venger. En septembre 2004, un homme correspondant à la description faite du deuxième voleur a abordé et menacé Mme Ibarra Rosas alors qu’elle accompagnait à pied sa fille à l’école. Le mois suivant, le conducteur d’une camionnette a tenté de heurter le taxi de M. Rosas Prado près de chez lui avec son véhicule. Des coups de feu ont été tirés avant que M. Rosas Prado ne prenne la fuite. Ce dernier soutient avoir vu le deuxième voleur – celui qui n’a jamais été capturé – dans la camionnette. Après cet incident, M. Rosas Prado a acquis la conviction que sa vie était en danger, et il a décidé de quitter le Mexique, ce qu’il a fait à destination de Philadelphie en décembre 2004 avec le soutien financier de son oncle. Il y a trouvé du travail dans le secteur de la construction, bien qu’il n’ait eu aux États-Unis aucun statut juridique. Son épouse et ses enfants sont restés chez ses parents à Mexico.
[6] En octobre 2007, Mme Ibarra Rosas a fait l’objet de nouvelles menaces. Une note a été laissé à la maison de la famille, où il était écrit : [traduction] « Vous avez été prévenue et le délai est écoulé ». Cette note a été produite en preuve et a été versée au dossier certifié du tribunal. Les mots sur la note ont été assemblés à partir de lettres individuelles découpées dans des magazines ou des journaux.
[7] Peu après que les menaces eurent été proférées en octobre 2007, la famille a appris que l’emprisonnement d’Arellano Solis avait pris fin. Soucieux de la sécurité de sa femme et de ses enfants, M. Rosas Prado a décidé d’aller les rejoindre au Mexique, où il est arrivé au début de novembre 2007. Après que tous eurent obtenu des titres de voyage moins d’un mois plus tard, les membres de la famille ont déménagé à Toronto, où ils ont présenté des demandes d’asile.
[8] Le 19 août 2008, la SPR a rendu sa décision à l’égard des demandes d’asile des demandeurs. Elle a conclu que la crainte de persécution des demandeurs n’était pas liée à un motif prévu dans la Convention et que ceux-ci n’avaient par ailleurs pas réfuté la présomption de protection de l’État. La Commission a par conséquent rejeté leurs demandes d’asile présentées sur le fondement tant de l’article 96 de la LIPR – la protection des réfugiés – que de l’article 97 – la protection complémentaire.
[9] Dans sa décision, la SPR a exprimé des doutes quant à des éléments particuliers du témoignage de Mme Rosas Prado et à la preuve documentaire présentée pour l’appuyer. Selon la Commission, il était invraisemblable que le prétendu agent de persécution ait pu trouver M. Rosas Prado sur la route et l’agresser dans une ville de 30 millions d’habitants. La Commission n’était pas non plus disposée à prêter foi le moindrement à la note de menaces qui aurait soi-disant hâté le retour des États-Unis de M. Rosas Prado et la fuite subséquente de la famille vers le Canada, en l’absence de tout renseignement vérifiable sur sa véritable provenance.
[10] La SPR a néanmoins procédé à l’analyse sur le fond de la demande d’asile, en supposant que les menaces avaient bel et bien été proférées. Pour ce qui est de la question de la protection de l’État, la SPR s’est appuyée sur la documentation de la Commission sur le pays d’origine qui mentionnait que le Mexique est une démocratie fonctionnelle dont l’appareil judiciaire est relativement indépendant et impartial, qu’il possède des forces de sécurité fonctionnelles, que de « nouvelles lois » visent à s’attaquer à la corruption des fonctionnaires, que l’imposition de sanctions aux policiers corrompus et violents y est en tête des priorités depuis des années et qu’un « certain nombre de mesures importantes ont été mises en œuvre afin d’enrayer la corruption, de mettre fin à l’impunité dont bénéficient les membres de force de sécurité du Mexique et de favoriser le respect des droits de la personne et la responsabilisation à cet égard ». Compte tenu de ces renseignements, la SPR n’était pas satisfaite de l’explication donnée par M. Rosas Prado, selon laquelle il avait tout simplement eu trop peur pour signaler à la police les incidents relatés précédemment. La Commission a en outre fait remarquer que le fait même qu’Arellano-Solis ait été capturé, poursuivi et condamné en lien avec l’acte de piraterie routière de 2002 « démontr[ait] clairement que la règle de droit s’applique au Mexique ».
Questions en litige et analyse
[11] En l’instance, les demandeurs ont soulevé deux questions, soit celles de savoir si la SPR avait erronément statué a) que les demandeurs pouvaient obtenir une protection de l’État adéquate, et b) qu’il n’y avait pas de lien entre leurs demandes d’asile et un quelconque motif prévu dans la Convention. Quant à la première question, les demandeurs soutiennent que la SPR a fait abstraction d’éléments de preuve faisant voir qu’ils ne pouvaient compter sur la protection de l’État mexicain. Quant à la seconde question, ils soutiennent être membres d’un certain groupe social – les victimes d’actes criminels – qui craignent non seulement le crime organisé, mais aussi les agents de l’État eux-mêmes.
[12] Il est de droit constant que la Cour doit faire preuve de retenue, en fonction même du manifestement déraisonnable, face aux décisions de la SPR sur l’existence de la protection de l’État. Par conséquent, la Cour n’interviendra pas si les conclusions de la SPR appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier et qu’il y a preuve de la transparence et de l’intelligibilité du processus (Dunsmuir c. Nouveau-Brunwick, 2009 CSC 9; Sanchez Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 971, paragraphe 10).
[13] Quant à la question de la protection de l’État, les demandeurs ont renvoyé la Cour à deux sources documentaires dont la SPR avait été saisie qui attestent des problèmes associés à la police et au système judiciaire au Mexique. Ainsi, selon un rapport de 2006 du Washington Office On Latin America (WOLA) : [traduction] « Ce sont les trafiquants de drogue qui font la loi dans de nombreuses villes mexicaines parce qu’ils sont en mesure de suborner et menacer les fonctionnaires ». Un document de 2008 du Département d’État des États-Unis renferme pour sa part les passages suivants :
[traduction]
« La corruption constitue toujours un problème, et de nombreux policiers ont pris part à des enlèvements ou des actes d’extorsion, ou ont offert protection à des membres du crime organisé ou à des trafiquants de drogue, voire même ont agi directement pour le compte de telles personnes. L’impunité était si répandue que des victimes ont souvent refusé de porter plainte […] Les autorités gouvernementales ont parfois influé sur les décisions des tribunaux […]
La corruption, l’inefficacité et le manque de transparence ont continué d’entacher sérieusement le système judiciaire […] »
[14] Il est digne de mention qu’en guise d’introduction dans ses motifs sur le sujet, la SPR a déclaré : « Il est présumé qu’un État est capable de protéger ses citoyens, sauf dans les cas où il y a effondrement complet de l’État. Un demandeur d’asile peut réfuter cette présomption en présentant des éléments de preuve clairs et convaincants quant à l’incapacité de l’État d’assurer une protection ». Cet énoncé du droit est conforme à l’exposé qu’a fait la Cour suprême de cette question dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, (1993), 103 D.L.R. (4th) 1, ainsi qu’aux commentaires plus récents de la Cour d’appel fédérale sur la protection de l’État (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 282 D.L.R. (4th) 413 (C.A.F.); Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94).
[15] Selon la Cour, ni le rapport du Département d’État ni celui du WOLA sur lesquels se sont fondés les demandeurs ne renferment de renseignements suffisamment précis pour constituer le type de preuve « claire et convaincante » qui serait nécessaire pour réfuter la présomption de protection de l’État en l’espèce, particulièrement dans la mesure où le prétendu lien des agents de persécution avec le crime organisé est purement hypothétique. Les passages particuliers cités par les demandeurs n’ont pas non plus semblé à la Cour être convaincants au point de devoir être mentionnés nommément par la SPR.
[16] Dans son mémoire des faits et du droit, l’avocate du défendeur renvoie aux commentaires suivants de la juge Anne MacTavish dans la décision Sanchez Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précitée : « Après avoir reconnu les limites de la capacité du Mexique à protéger ses citoyens, la Commission avait le devoir d’apprécier la preuve dont elle était saisie, afin de déterminer si la protection de l’État disponible était adéquate. C’est ce qu’elle a fait. Il ne revient pas à la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’apprécier de nouveau la preuve dont la Commission était saisie ». La Cour convient que ces commentaires de la juge ont leur pertinence en l’espèce, où la SPR s’est bel et bien demandée s’il était raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs aient obtenu la protection des autorités mexicaines s’ils l’avaient sollicitée, et a conclu par l’affirmative. Cette conclusion n’avait rien de déraisonnable au vu du dossier dont la Cour a été saisie, et l’avocate des demandeurs n’a su convaincre la Cour du contraire.
[17] Compte tenu de la conclusion sur la question de la protection de l’État, la seconde soulevée par les demandeurs n’a pas à être examinée. Qu’il suffise de dire que même si les demandeurs ont pu établir un lien avec un motif prévu à la Convention, cela ne saurait compenser leur défaut d’avoir déployé des efforts raisonnables pour obtenir des autorités mexicaines la protection de l’État, compte tenu particulièrement de la conclusion de la SPR selon lesquelles les forces de sécurité du Mexique sont « hiérarchiques, ce qui signifie qu’un plaignant qui est insatisfait des services de l’une des forces policières peut s’adresser à une autre ». En outre, la crainte alléguée de la police semble avoir surgi après coup pendant l’audience et ne ressort par ailleurs pas manifestement de l’ensemble de la preuve.
[18] La demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être rejetée. La certification d’aucune question n’a été proposée, et aucune ne sera certifiée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
Juge suppléant
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4024-08
INTITULÉ : ROSAS PRADO, ANGEL ET AL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 30 avril 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 5 mai 2009
COMPARUTIONS :
Lani Gozlan
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POUR LES DEMANDEURS |
Jocelyn Espejo Clarke
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lani Gozlan Avocate Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |