Ottawa (Ontario), le 23 avril 2009
En présence de monsieur le juge Beaudry
ENTRE :
APRIL DIAZ AHUMADA
demanderesses
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R., 2001, ch. 27 (la loi) à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) en date du 15 août 2008 selon laquelle les demanderesses n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni la qualité de personne à protéger.
Questions en litige
1. Est-ce que le tribunal a commis une erreur en concluant que la demanderesse principale n’était pas crédible?
2. Est-ce que le tribunal a erré en concluant qu’il y avait une possibilité de refuge interne (PRI)?
[2] Pour les raisons qui suivent la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
Contexte factuel
[3] Les demanderesses, Madame Santa Yazmin Ahumada Lara, âgée de 43 ans et sa fille April Diza Ahumada, âgée de 17 ans, sont des citoyennes du Mexique qui demandent l’asile au Canada aux termes des articles 96 et 97(1)(b) de la loi. La demanderesse principale allègue qu’elle est victime de violence conjugale et elle craint retourner dans son pays puisqu’elle aurait peur de Francisco Solano Cruz. Santa Yazmin Ahumada Lara est la représentante désignée de sa fille mineure.
[4] La demanderesse allègue qu’elle a entamé une relation amoureuse avec Francisco Solano Cruz en novembre 2006. Après quelques mois de fréquentation, la demanderesse devient enceinte en mai 2007 et elle décide de lui annoncer la nouvelle. Il devient furieux et la frappe violemment et il semble qu’elle perd son bébé.
Décision contestée
[5] Le tribunal a conclu que l’histoire de la demanderesse n’était pas crédible. Toutefois, même si elle l’était, le tribunal a conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans le District Fédéral à Mexico et explique les raisons qui justifient cette conclusion en tenant compte de la preuve documentaire et de la situation personnelle de la demanderesse.
[6] Le tribunal relève plusieurs invraisemblances dans le témoignage la demanderesse principale, notamment au sujet de sa visite chez le médecin suggéré par son conjoint ainsi que de l'absence d’un certificat médical.
[7] Le tribunal soulève aussi plusieurs incohérences au sujet d'une plainte faite à la police.
Analyse
Norme de contrôle
[8] Lorsqu’il est question de crédibilité et d’appréciation de la preuve, la Cour n’interviendra que si la décision est basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire ou abusive ou si la décision est rendue sans égard à la preuve (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), 42 A.C.W.S. (3d) 886).
[9] L’évaluation de la crédibilité et l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif qui doit apprécier l’allégation d’une crainte subjective d’un demandeur d’asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1ère inst.), 83 A.C.W.S. (3d) 264, par 14). Depuis Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable dans des circonstances semblables est celle de la décision raisonnable.
[10] La même norme s'applique maintenant aux questions de PRI. Autrefois, il s'agissait de la décision manifestement déraisonnable (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 44, 136 A.C.W.S. (3d) 912 et Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999, 238 F.T.R. 289). Donc, la Cour n’interviendra que si la décision ne reflète pas une solution rationnelle acceptable (Dunsmuir, par. 47). Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel.
1. Est-ce que le tribunal a commis une erreur en concluant que la demanderesse principale n’était pas crédible?
[11] Après avoir analysé et considéré les notes sténographiques, les documents au dossier ainsi que les représentations écrites et la jurisprudence soumise, la Cour est d'opinion que la conclusion du tribunal fait partie de la gamme de solutions acceptables eu égard à la preuve.
[12] Le tribunal a tenu compte des Directives de la Commission au sujet des revendications de femmes victimes de persécutions en raison de leur sexe. Lorsqu'il a apprécié la crédibilité de la demanderesse principale il a tenu compte des explications que cette dernière lui a fournies au sujet des invraisemblances et des incohérences soulevées mais il ne les a pas considérées satisfaisantes. La Cour est d'avis que le tribunal est le mieux placé pour apprécier la crédibilité d’un revendicateur que ce soit par son témoignage et/ou son comportement lors de l'audition (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 266, [2002] 4 C.F. 193; Ithibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 288, 202 F.T.R. 233; Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 88 A.C.W.S. (3d) 1062, [1999] A.C.F. no. 805 (C.F. 1ère inst.) (QL); Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 70 A.C.W.S. (3d) 1059, [1997] A.C.F. no 444 (C.F. 1ère inst.) (QL); Boye c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 83 F.T.R. 1, 50 A.C.W.S. (3d) 643).
[13] En l’espèce, la conclusion du tribunal n’est pas déraisonnable compte tenu des multiples divergences dans le témoignage de la demanderesse. La demanderesse n’a pas obtenu de certificat du médecin suite à l’intervention chirurgicale de l’ami de son ex-amant et elle n’a pas apporté une copie de la plainte déposée auprès des autorités policières lorsqu’elle est arrivée au Canada. Il était raisonnable pour le tribunal de conclure qu’il était invraisemblable que la demanderesse ne pose pas de questions au sujet des actes médicaux de l’ami de son ex-conjoint et qu’elle n’est pas allée voir un médecin suite au viol par ce dernier.
2. Est-ce que le tribunal a erré en concluant qu’il y avait une possibilité de refuge interne (PRI)?
[14] La conclusion du tribunal sur la possibilité de refuge interne est raisonnable eu égard aux circonstances particulières ici. La demanderesse n’a démontré aucune preuve à l’effet que la PRI est déraisonnable.
[15] Dans Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.F.) au par. 15, la Cour a établi un seuil très élevé pour ceux qui demandent l'asile :
… Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lien sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. …
[16] La décision du tribunal en l’espèce est basée sur le témoignage de la demanderesse principale ainsi que la situation personnelle des demanderesses, la preuve documentaire et la possibilité raisonnable qu’elles puissent se relocaliser ailleurs au Mexique. Rien ne justifie l'intervention de la Cour étant donné l'absence d'erreur révisable.
[17] La présente demande ne soulève aucune question importante de portée générale.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3987-08
INTITULÉ : SANTA YAZMIN AHUMADA LARA
APRIL DIAZ AHUMADA
ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 9 avril 2009
ET JUGEMENT : Le juge Beaudry
DATE DES MOTIFS : le 23 avril 2009
COMPARUTIONS :
Claudia Aceituno POUR LES DEMANDERESSES
Evan Liosis POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Claudia Aceituno POUR LES DEMANDERESSES
Montréal (Québec)
John Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)