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Date : 20090414

Dossier : IMM-3447-08

Référence : 2009 CF 373

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

GALINA SUVOROVA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue par une formation de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 15 juillet 2008 (la décision) par laquelle celle‑ci a rejeté la demande de la demanderesse d’être réputée avoir qualité de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

L’HISTORIQUE

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Russie et elle travaillait comme directrice d’école à Ostashkov (Russie). En janvier 2006, elle a appris que certaines de ses étudiantes consommaient des drogues illégales. Lorsqu’elle les a interrogées, celles‑ci ont révélé qu’elles entretenaient des liens avec des personnes qui leur avaient promis des emplois lucratifs de mannequin à l’étranger.

 

[3]               La demanderesse était préoccupée par la consommation de drogue et par le fait que les étudiantes concernées couraient le risque de devenir victimes de la traite de personnes. Elle a fait part de ses préoccupations aux autorités, notamment au responsable de l’enseignement municipal de la ville d’Ostashkov et au responsable de la section municipale du ministère des Affaires intérieures de la ville d’Ostashkov.

 

[4]               La demanderesse a informé la police quant aux étudiantes qui consommaient de la drogue et quant au danger qu’elles deviennent victimes de la traite de personnes. La police s’est rendue à l’école et a rédigé un rapport, signé par la demanderesse, et elle a promis d’entreprendre une enquête.

 

[5]               Des criminels se sont plus tard introduits chez la demanderesse et, lorsqu’elle a pris son téléphone pour appeler la police, les intrus lui ont dit que cela ne donnait rien. Ils lui ont montré une copie de sa propre lettre à la police. La demanderesse a présumé que cela signifiait que les criminels étaient de mèche avec une personne qui travaillait pour la police locale. Lorsque la demanderesse a directement soulevé cette question auprès du chef de la police locale, celui‑ci n’y a prêté aucune attention.

 

[6]               La demanderesse a ensuite écrit à une personne occupant un poste plus élevé dans l’administration municipale, M. Pavlov, qui avait compétence à l’égard du service de police. Il a réagi rapidement et il a invité la demanderesse à une rencontre qui a eu lieu deux jours après qu’elle eut écrit la lettre. Au cours de la rencontre, la demanderesse a fait part de ses préoccupations concernant les activités criminelles et concernant la possible participation de la police locale. La demanderesse prétend que M. Pavlov était intéressé par ses allégations et qu’il lui a demandé de lui faire part de [traduction] « chaque détail ». Il a ensuite promis d’examiner attentivement cette affaire et de punir la personne impliquée. Il a dit à la demanderesse qu’il s’occuperait personnellement de l’affaire et qu’il constituerait un comité spécial d’enquête pour examiner le dossier criminel découlant de sa plainte initiale à la police.

 

[7]               Plus tard, la demanderesse a reçu d’autres menaces. Elle a de nouveau communiqué avec M. Pavlov et celui‑ci a promis de donner suite. La demanderesse a demandé à M. Pavlov la protection de la police et lui a dit qu’on devrait la mettre sous garde policière. M. Pavlov lui a dit qu’il ne disposait pas de suffisamment de personnel pour pouvoir répondre à cette demande. Après qu’elle eut quitté la Russie, la demanderesse a appris que le chef de la police locale avait été relevé de ses fonctions.

 

[8]               La demanderesse a prétendu que, suite à ses actions, le 15 mars 2006, tard dans la soirée, des hommes qu’elle soupçonnait d’appartenir à la mafia russe se sont introduits par effraction dans sa demeure. Ils lui ont montré une copie de la demande qu’elle avait faite à la police. La demanderesse prétend également que des menaces de mort ont été proférées à son endroit et à l’endroit de ses enfants par le chef du « groupe criminel » qui a dit qu’il la tuerait elle et ses enfants si elle se mêlait de leurs affaires. La demanderesse a reçu des appels de menaces et elle a été suivie et surveillée par un inconnu qui, selon elle, était un membre de la mafia chargé de lui faire du mal. À de nombreuses reprises, la police a promis d’examiner la question des menaces de mort et de faire enquête, mais rien n’a été fait pour arrêter ou pour dissuader les personnes concernées.

 

[9]               La demanderesse prétend qu’elle est ciblée par le crime organisé à la suite de son opposition et de son intervention à l’égard des activités liées à la drogue et à la traite de personnes.

 

[10]           La demanderesse est arrivée au Canada par avion le 15 août 2006 à Toronto. Elle a déposé, depuis le Canada, sa demande d’asile le 5 septembre 2006 à Etobicoke (Ontario).

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[11]           La Commission a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[12]           La Commission a conclu que les questions déterminantes étaient celle qui consistait à savoir s’il existait un lien entre la crainte alléguée et l’un des motifs de la Convention et celle qui consistait à savoir si la crainte de préjudice de la demanderesse en cas de retour en Russie reposait sur un fondement objectif.

 

La crédibilité

 

[13]           La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse était crédible en ce qui avait trait aux actes de persécution dont elle aurait été victime. Son témoignage a été « spontané, franc et cohérent ». Toutefois, la Commission n’a pas accepté le témoignage de la demanderesse concernant les risques auxquels elle serait exposée si elle retournait en Russie.

 

Le lien

 

[14]           La Commission a déclaré que, pour qu’une demande d’asile soit accueillie, la persécution alléguée doit être liée à un des motifs prévus dans la Convention. Une vendetta exercée par des membres du crime organisé ne constitue pas nécessairement de la persécution. L’avocat de la demanderesse a prétendu que le lien était constitué par l’appartenance à un groupe social : les femmes qui sont victimes de la traite de personnes. La Commission n’a toutefois pas souscrit à cette affirmation. Rien ne donnait à penser que la demanderesse risquait d’être victime de la traite des personnes. Elle s’était ingérée dans les activités de criminels qui vendaient de la drogue à des étudiantes et les préparaient à une éventuelle traite. La Commission a conclu que l’opposition de la demanderesse à une organisation criminelle ne crée pas en soi un lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention et elle n’a établi aucun autre lien. Par conséquent, la demande d’asile présentée par la demanderesse en vertu de l’article 96 n’a pas été accueillie.

 

Personne à protéger

 

[15]           La Commission a conclu que la preuve présentée à l’appui de la demande de la demanderesse n’établissait pas qu’elle serait exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle retournait en Russie. Selon la Commission, il était invraisemblable que l’organisation criminelle qu’elle craignait chercherait à lui faire du tort. Même si un tel risque existait, la Commission a conclu à l’existence de la protection de l’État. La Commission a mis en doute le témoignage de la demanderesse quant aux risques auxquels elle serait exposée si elle retournait en Russie. La Commission a formulé les observations suivantes :

1)                  La demanderesse ne savait aucunement de quelle façon elle avait perturbé les tentatives de trafic de personnes de la part des criminels. Rien n’indique que des organisations criminelles ciblent expressément des responsables de l’éducation qui s’opposent aux activités criminelles dans les écoles. La demanderesse a agi comme tout directeur ou toute directrice d’école aurait agi. Elle a démissionné de son poste et, deux ans plus tard, cette organisation criminelle ne chercherait plus à lui faire du tort;

2)                  Les membres de la famille de la demanderesse n’ont subi aucun tort et n’ont fait l’objet d’aucune menace depuis que la demanderesse a quitté la Russie, même si l’organisation avait déjà menacé sa famille. La Commission a conclu que cela démontrait que l’organisation criminelle ne cherchait plus à lui faire du tort.

 

La protection de l’État

 

[16]           La Commission a conclu que, même si la demanderesse risquait de subir du tort de la part de l’organisation criminelle, elle n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. Même si la police locale était impliquée dans les activités des criminels, la demanderesse avait la possibilité de s’adresser à une autorité supérieure qui avait manifesté un intérêt pour sa plainte et avait promis d’agir. La demanderesse n’a pas insinué que M. Pavlov n’a rien fait; elle ne savait tout simplement pas s’il avait entrepris les démarches qu’il avait promis d’entreprendre. La demanderesse savait que le chef de la police locale, dont elle s’était plaint, avait été démis de ses fonctions après son départ de Russie. La Commission a conclu qu’il n’y avait rien qui empêchait la demanderesse, après son arrivée au Canada, d’obtenir plus de renseignements quant aux démarches entreprises par M. Pavlov à la suite des craintes qu’elle avait exprimées. La Commission a estimé qu’elle disposait de très peu d’éléments de preuve quant aux démarches que les autorités ont entreprises, ou omis d’entreprendre, en réponse aux craintes exprimées par la demanderesse. Les éléments de preuve présentés semblaient cependant indiquer que les autorités avaient pris les craintes de la demanderesse au sérieux.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[17]           La demanderesse soumet les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

1)                  L’appréciation générale de l’ensemble de la preuve faite par la Commission était‑elle déraisonnable, abusive et arbitraire? La Commission a-t-elle ignoré, mal énoncé ou mal compris une preuve importante dont elle était valablement saisie au point de commettre une erreur de droit?

2)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans les conclusions qu’elle a tirées relativement au lien entre les actes de persécution subis par la demanderesse et l’un des motifs prévus dans la Convention? À titre subsidiaire, la Commission était‑elle tenue d’examiner l’ensemble des motifs possibles de demande d’asile, même ceux qui ne sont pas expressément invoqués par la demanderesse au point que la Commission a commis une erreur de droit?

3)                  La conclusion tirée par la Commission selon laquelle la demanderesse n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État et que l’État est présumé être en mesure de protéger ses citoyens, sauf s’il y a effondrement de l’appareil étatique, a‑t‑elle été valablement tirée, compte tenu du témoignage de vive voix de la demanderesse et de la preuve documentaire soumise à la Commission.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[18]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[19]           Avant l’arrêt Dunsmuir, les conclusions de fait erronées tirées par un office fédéral de « façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose », étaient contrôlées en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, [2004] 3 R.C.F. 523 (C.F.), au paragraphe 51; Powell c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [2000] A.C.F. no 1008 (C.A.F.); Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2003 CAF 325, au paragraphe 25; Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2003 CAF 39, au paragraphe 18.

 

[20]           Lorsque la Cour examine une décision dans laquelle il est question de la protection de l’État, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter (Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 76), sauf lorsqu’elle examine la question de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur car, dans ce cas, c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique (Rosales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 404, aux paragraphes 12 et 13).

 

[21]           En ce qui concerne la crédibilité du demandeur, dans l’arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (l’arrêt Aguebor), au paragraphe 4, il est mentionné ce qui suit : « Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire ». En d’autres termes, les conclusions tirées en l’espèce par la SPR quant à la crédibilité commandent un degré élevé de retenue judiciaire et il incombe au demandeur de démontrer que la SPR ne pouvait pas raisonnablement tirer les conclusions auxquelles elle est arrivée.

 

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement raisonnable se distinguent théoriquement, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). La Cour suprême du Canada a donc conclu qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de raisonnabilité.

 

[23]           La Cour suprême du Canada a également conclu dans l’arrêt Dunsmuir qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse pour établir la norme de contrôle applicable. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question en particulier soumise à la cour de révision est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[24]           Compte tenu de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable aux questions de fait en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Autrement dit, la cour ne doit intervenir que si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

L’ARGUMENTATION

            La demanderesse

 

[25]           La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse au sujet des actes de persécution dont elle a été victime était crédible. Toutefois, la conclusion de la Commission relative à l’absence de lien a été tirée « de façon abusive, arbitraire et ne peut pas résister à un examen de la Cour ». La demanderesse affirme que la Commission a à tort concentré son analyse sur l’existence d’un lien en ne tenant compte que de la question de savoir si la demanderesse risquait d’être victime de la traite de personnes.

 

[26]           La demanderesse prétend que la Commission est tenu d’examiner tous les motifs possibles justifiant une demande d’asile, même ceux qui ne sont pas expressément soulevés par un demandeur (Vilmond c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 926 (décision Vilmond)).

 

[27]           La demanderesse invoque la décision Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1167 (C.F. 1re inst.) dans laquelle il est mentionné au paragraphe 10 qu’il faut « qu’un lien suffisant puisse être établi au soutien d’une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention lorsque les motifs de persécution sont mixtes, mais liés, au moins partiellement, à un motif énoncé dans la Convention ».

 

[28]           La demanderesse prétend que son témoignage ainsi que la preuve objective soumise à la Commission indiquaient clairement l’existence d’un lien entre les actes de persécution dont elle a été victime et les motifs prévus dans la Convention. Il incombait à la Commission d’examiner l’ensemble des motifs possibles justifiant la demande d’asile, même ceux qui ne sont pas expressément soulevés par la demanderesse. La Commission a omis de faire cela et a donc commis une erreur susceptible de contrôle (Vilmond).

 

[29]           La demanderesse invoque la décision Zhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1408 (C.F. 1re inst.) dans laquelle la Cour s’est penchée sur la question de savoir si les actions d’un citoyen chinois témoignant au Canada contre des personnes participant au passage de réfugiés clandestins constituaient l’expression d’une opinion politique au sens de la Convention sur les réfugiés. La Cour a souscrit à l’affirmation selon laquelle il n’était pas nécessaire que le demandeur fasse la preuve que l’État était complice des activités des « snakeheads » afin d’établir l’existence d’un lien. Il était suffisant que l’appareil de l’État soit impliqué dans les activités des « snakeheads ».

 

[30]           La demanderesse invoque également Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.F.), à l’appui de l’affirmation que la décision Klinko infirmait la jurisprudence antérieure qui avait conclu que la persécution découlant de la condamnation de l’activité criminelle ne pouvait reposer sur une opinion politique si la preuve établissait que la corruption de l’État était endémique ou que l’État était complice de l’activité criminelle ou que l’État la tolérait.

 

La protection de l’État

 

[31]           La demanderesse prétend que la Commission a mal appliqué le droit ainsi que le critère juridique dans le cadre de son évaluation et de son analyse de l’existence de la protection de l’État en Russie. La Commission a imposé à la demanderesse un fardeau de la preuve trop lourd et a omis d’entreprendre une analyse minutieuse et satisfaisante de sa demande. La demanderesse affirme que la Commission était tenue de mentionner pourquoi ses nombreuses tentatives d’obtenir la protection de l’État ne suffisaient pas à établir qu’elle avait pris tous les moyens raisonnables dans les circonstances. Le défaut de se faire rend la décision de la Commission déraisonnable et la décision n’est pas justifiée et n’est pas transparente.

 

[32]           La demanderesse affirme que la Commission était saisie d’une preuve objective abondante démontrant la nature hautement raffinée du crime organisé en Russie ainsi que la complicité de l’État avec le crime organisé. La demanderesse renvoie à de nombreux documents faisant partie de la preuve documentaire soumise à la Commission et prétend que la Commission n’a pas tenu compte de cette preuve. Elle n’a pas examiné dans quelle mesure la Russie était capable de protéger efficacement les victimes du crime organisé hautement raffiné.

 

[33]           La demanderesse prétend que, pour qu’il existe une protection adéquate de l’État, un gouvernement doit avoir la volonté et la capacité de mettre en œuvre sa législation et ses programmes. La demanderesse invoque Streanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 792, aux paragraphes 14 à 19 :

14.     Les déclarations publiques et la sensibilisation du public, de même que les services offerts aux femmes qui sont déjà des victimes, n’équivalent pas à la protection de l’État. Compte tenu de la preuve quant aux graves déficiences de la police roumaine (en particulier concernant l’importance de la corruption au sein de la force policière) dans la lutte et la prévention de la traite d’êtres humains, l’agent d’ERAR a eu tort d’utiliser la norme de « mesures sérieuses ».

 

15     La demanderesse soutient que l’agent d’ERAR a commis une erreur en prenant comme critère juridique les « mesures sérieuses ». Dans la décision Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1438 (1re inst.) (QL), au paragraphe 15, la Cour a établi que, pour qu’il existe une protection de l’État adéquate, un gouvernement doit avoir la volonté et la capacité de mettre en œuvre sa législation et ses programmes : Non seulement le pouvoir protecteur de l’État doit-il comporter un encadrement légal et procédural efficace mais également la capacité et la volonté d’en mettre les dispositions en œuvre.

 

16     Dans la décision Mitchell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 133, la Cour a jugé que l’appréciation de la protection de l’État comporte l’appréciation de la « capacité réelle » d’un État à protéger ses citoyens. La Cour a fait remarquer que c’était une erreur de compter sur les bonnes intentions et les initiatives d’un État, si la capacité réelle de l’État de protéger les femmes contre la violence était toujours inadéquate.

 

17     Dans la décision Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, la Cour a jugé qu’un État n’accomplit pas de « sérieux efforts » pour protéger les femmes contre le préjudice de la violence familiale en prenant simplement des initiatives de bonne foi. La Cour a déclaré au paragraphe 14 :

 

On ne saurait dire que l’État fait de « sérieux efforts » pour protéger les femmes du seul fait qu’il prend certaines mesures préventives avec diligence, par exemple en instituant des commissions d’enquête chargées d’examiner la réalité de la violence contre les femmes, en créant des postes de médiateurs chargés de recevoir les plaintes de femmes contre l’inertie policière, ou en organisant à l’intention des policiers des séminaires destinés à les sensibiliser à l’égalité des sexes. De tels efforts ne prouvent pas que l’État assure concrètement la protection des femmes, en d’autres termes, qu’il est capable, à l’heure actuelle de les protéger […]

[Souligné en partie seulement dans l’original.]

 

La décision Garcia donne des détails sur le sens de l’expression « efforts sérieux » au paragraphe 16 :

[...] le critère des « efforts sérieux » ne sera rempli que s’il est établi que la capacité et l’expertise du corps policier sont suffisamment au point pour le rendre apte à prendre véritablement les moyens requis, tant du point de vue de la femme concernée que du point de vue de la collectivité où elle vit. Le même critère s’applique à l’aide qu’une femme pourrait espérer recevoir au comptoir des plaintes d’un poste de police local. En d’autres termes, la police est-elle en mesure de recevoir sa plainte et d’agir avec empressement et bonne volonté? C’est là à mon avis le critère qui non seulement doit être suivi quand on apprécie le sérieux des efforts faits par l’État pour protéger les femmes, mais aussi doit être reconnu comme le critère pertinent quant à toutes les causes mettant en jeu la protection étatique.

 

 

18     Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724, le juge La Forest a déclaré que « le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l’encontre de l’objet de la protection internationale ».

 

19     La preuve de l’amélioration et des progrès réalisés par l’État ne constitue pas une preuve que les mesures actuelles équivalent à une protection adéquate et efficace. Comme l’a jugé la Cour dans la décision Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1080 (QL), au paragraphe 37, la volonté d’un État d’assurer la protection ne suffit pas :

je suis d’avis que le tribunal a commis une erreur lorsqu’il a donné à entendre que la volonté de régler la situation […] pouvait être assimilée à une protection d’État adéquate.

 

 

[34]           La demanderesse invoque également l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724, pour étayer l’affirmation selon laquelle « le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l’encontre de l’objet de la protection internationale ».

 

[35]           La demanderesse conclut sur ce point que la preuve de l’amélioration et des progrès réalisés par l’État ne constitue pas une preuve que les mesures actuelles équivalent à une protection adéquate. La Cour, dans Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F no 1080, au paragraphe 37, a déclaré ce qui suit : « [...] je suis d’avis que le tribunal a commis une erreur lorsqu’il a donné à entendre que la volonté de régler la situation [...] pouvait être assimilée à une protection d’État ».

Le défendeur

            L’allégation de risque n’est pas crédible

 

[36]           Le défendeur prétend que la Cour ne devrait pas substituer son point de vue à celui de la Commission au sujet de la crédibilité lorsqu’une audience a été tenue et que la Commission a eu l’avantage d’entendre les témoins. Lorsque la Commission tire des inférences ou des conclusions qui, au vu du dossier, sont raisonnables, la Cour ne devrait pas intervenir, qu’elle soit ou non en accord avec les inférences tirées (Aguebor; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 551 (C.A.F.), au paragraphe 7 et Krishnapillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 563, au paragraphe 11).

 

Absence de lien avec l’un des motifs mentionnés dans la Convention

 

[37]           Le défendeur prétend que la demanderesse n’a établi aucun lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention. Premièrement, rien ne prouvait que la demanderesse risquait d’être victime de trafic de personnes. Deuxièmement, la Commission a conclu que l’opposition de la demanderesse à une organisation criminelle ne créait pas en soi un lien avec l’un des motifs mentionnés dans la Convention.

 

[38]           Le défendeur affirme qu’un demandeur doit craindre d’être persécuté pour l’un des motifs exposés dans la définition de réfugié au sens de la Convention, c’est‑à‑dire craindre d’être persécuté « du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques » (Rizkallah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 412 (C.A.F.)). La persécution doit viser la personne directement ou la viser en tant que membre d’un groupe particulier (article 96 de la Loi).

 

[39]           La crainte objective de la demanderesse tient au fait que la situation soit instable est dangereuse en Russie. La simple preuve que la situation soit instable et dangereuse dans le pays de la demanderesse ne lui permet pas d’invoquer l’article 96 de la Loi (Darwich c. Canada (Ministre de la Main‑d’oeuvre et de l’Immigration), [1979] 1 C.F. 365 (C.A.F.)).

 

[40]           Le défendeur affirme également que la persécution indirecte ne peut être assimilée à de la persécution selon la définition de réfugié au sens de la Convention car il n’existe aucun lien personnel entre la crainte alléguée par la demanderesse et l’un des motifs mentionnés dans la Convention (Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 810 (C.A.F.) et Kanagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 243 (C.F. 1re inst.)).

 

[41]           Le défendeur souligne que ce que la demanderesse craignait, c’était une vendetta personnelle de la part d’une organisation criminelle et elle n’a pas démontré que la conclusion de la Commission selon laquelle il n’y avait aucun lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention était déraisonnable.

 

[42]           Le défendeur prétend que dans de nombreuses décisions, la Cour a conclu que les victimes d’activité criminelle, notamment les victimes du crime organisé, ne répondent pas à la définition de réfugié au sens de la Convention. La crainte d’une personne d’être la victime de criminels ne saurait constituer le fondement d’une demande d’asile (Ward; Mason; Calero c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1159 (C.F. 1re inst.); Suarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1036 (C.F. 1re inst.); Valderrama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 153 F.T.R. 135; Karpounin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 92 F.T.R. 219).

 

[43]           Le défendeur prétend également que, quant à la question de l’expression d’une opinion politique, la Cour a conclu que signaler un crime ne créait pas en soi un lien avec l’un des motifs énoncés dans la Convention. Il ne s’agit pas en soi de l’expression d’une conviction politique susceptible d’entraîner la protection accordée à un réfugié au sens de la Convention (Ivakhnenko c. Canada (Solliciteur général) 2004 CF 1249, au paragraphe 65; Yoli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1823; Serrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 570 et Marvin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 38, au paragraphe 19).

 

[44]           Le défendeur souligne que, dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a conclu que le fait pour une personne d’être en dissentiment avec une organisation ne lui permettra pas toujours de chercher asile au Canada; le désaccord doit être fondé sur une conviction politique. Les motifs qui ont poussé la demanderesse à dénoncer la situation à la police auraient pu découler de divers facteurs autres que les convictions politiques, notamment ses responsabilités à titre de directrice d’école.

 

[45]           Le défendeur souligne que la demanderesse se fonde dans une large mesure sur l’arrêt Zhu. Toutefois, dans cette affaire, la Cour a confirmé les conclusions de la Commission quant à la crainte du demandeur d’être persécuté parce qu’il avait signalé un crime et qu’il craignait d’être victime de représailles. En appliquant l’arrêt Ward, la Cour a confirmé la décision de la Commission que les personnes qui dénoncent des activités criminelles ne constituent pas un groupe social au sens de la Convention. Par conséquent, l’arrêt Zhu ne permet pas de conclure que les personnes qui dénoncent un crime peuvent établir un lien avec le motif de l’opinion politique. L’erreur susceptible de contrôle que la Cour a relevée dans cette affaire était que la Commission a donné une interprétation trop limitée de ce qui constitue une opinion politique lorsqu’elle a conclu que Zhu n’exprimait pas une opinion politique lorsqu’il a quitté la Chine illégalement. Telle n’est pas la question en litige en l’espèce.

 

La demanderesse bénéficiait d’une protection de l’État adéquate

 

[46]           Le défendeur prétend également que la conclusion de la Commission quant à la protection de l’État est clairement une conclusion subsidiaire. Après avoir analysé le lien de la demanderesse et la question de savoir si elle était une personne à protéger, la Commission a examiné la question de la protection de l’État. Si la Cour estime que la conclusion quant à la protection de l’État comporte une erreur susceptible de révision, cette erreur ne porterait pas un coup fatal à la décision de la Commission.

 

[47]           Le défendeur prétend que le fait de ne pas assurer localement une exécution efficace des lois ne constitue pas un défaut de protection de l’État (Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CAF 94, au paragraphe 32; Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 3, au paragraphe 31; Soberanis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 985, au paragraphe 11).

 

[48]           Le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur d’asile est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie qui existe dans l’État en cause (N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376, au paragraphe 5; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CAF 171, au paragraphe 45) et la protection de l’État doit être adéquate, non pas parfaite (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 et Santiago c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 247, au paragraphe 21).

 

[49]           Le défendeur souligne que la demanderesse s’est adressée à des autorités supérieures et a obtenu une protection adéquate de l’État. M. Pavlov a rencontré la demanderesse quelques jours après avoir reçu sa lettre, il lui a demandé de raconter son histoire en détail, il lui a promis de faire enquête et il a pris sa plainte au sérieux. Il lui a également dit qu’il constituerait un comité spécial d’enquête qui se pencherait sur son cas et le chef de la police local a été destitué de ses fonctions. Le défendeur prétend que cela démontre que les mesures de protection prises par l’État en l’espèce étaient adéquates et efficaces.

 

Aucune erreur dans l’appréciation de la preuve

 

[50]           Le défendeur prétend que la Commission n’est pas tenue d’énumérer chacun des éléments de preuve qui lui ont été soumis. La Commission est présumée avoir apprécié et étudié l’ensemble de la preuve, à moins que le contraire ne soit établi (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.F.) et Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 134, au paragraphe 10).

 

[51]           La preuve documentaire citée par la demanderesse ne traite pas de l’efficacité des forces policières en Russie; elle ne traite pas non plus de la question de savoir s’il y a de la corruption dans les forces policières en Russie. La preuve ne contredit pas les conclusions de la Commission quant à la protection de l’État et la Commission n’était pas tenue de traiter de cette question dans ses motifs (Jean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1414 et Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 1341).

 

[52]           Le défendeur souligne qu’il n’est pas nécessaire d’examiner au microscope les motifs formulés par la Commission. Le défendeur invoque la décision Lazcano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 1242, au paragraphe 30, dans laquelle la Cour a confirmé une décision dans laquelle la Commission n’avait pas renvoyé de façon précise à la jurisprudence ou à la preuve documentaire. Dans cette affaire, la Cour a reconnu que la Commission pouvait raisonnablement conclure comme elle l’avait fait compte tenu des questions posées à la demanderesse et compte tenu de l’analyse de la preuve au dossier.

 

[53]           Le défendeur affirme que, dans la décision Ayala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 1258, aux paragraphes 11 et 12, la Commission devait examiner la preuve fournie par le demandeur et l’apprécier par rapport aux autres éléments de preuve dans l’affaire et mentionner dans ses motifs qu’elle a bel et bien fait cela et mentionner quels éléments de preuve elle estimait déterminants. La preuve sera souvent une preuve documentaire. La Cour doit établir si, dans l’ensemble, les conclusions sont raisonnables. La Cour peut intervenir lorsque des éléments de preuve importants n’ont pas été pris en compte ou n’ont pas été compris. Le défendeur affirme toutefois que les éléments de preuve soulignés par la demanderesse n’auraient pas eu un effet important sur les conclusions de la Commission en l’espèce. Par conséquent, la Cour n’a pas à intervenir.

 

L’ANALYSE

 

[54]           La Commission a reconnu les craintes subjectives de la demanderesse et elle a accepté son récit, mais elle a conclu qu’elle n’avait établi aucun lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention ou avec un risque objectif.

 

[55]           La demanderesse affirme maintenant que la Commission n’a pas tenu compte qu’elle était persécutée en raison de ses opinions politiques. Elle affirme que l’ensemble des actions qu’elle a accomplies et l’ensemble des mesures qu’elle a prises pour attirer l’attention sur une milice corrompue ainsi que sur la complicité de l’État dans la persécution exercée sur elle par la mafia impliquée dans le trafic de personnes révélaient ses opinions politiques.

 

[56]           À l’audience devant la Commission, la demanderesse a prétendu que le lien entre ses expériences et l’un des motifs prévus dans la Convention était constitué par son appartenance à un groupe social : les femmes victimes de trafic de personnes. Je souscris à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la Commission est tenue d’examiner l’ensemble des motifs possibles de protection, même s’ils ne sont pas soulevés par le demandeur, mais il est important de souligner que le motif « politique » n’a pas été immédiatement invoqué par la demanderesse et son avocat lorsque les questions de qualification ont été soulevées lors de l’audience. Les opinions politiques sont quelque chose que la demanderesse a décidé d’utiliser comme moyen de contestation de la décision après qu’elle eut constaté que la Commission ne pouvait pas accepter qu’elle risquait d’être victime de trafic de personnes.

 

[57]           Une lecture de la décision dans son ensemble établit clairement que la Commission a accepté et pris en compte l’ensemble des actions posées par la demanderesse ainsi que ses démarches auprès des autorités, mais elle n’a pas pu les lier à l’un des motifs prévus dans la Convention.

 

[58]           La Commission a traité précisément de la question du lien avec le groupe mentionné par la demanderesse, mais les motifs indiquent clairement que la Commission a examiné son récit eu égard à l’ensemble des motifs prévus dans la Convention et elle n’a pas pu accepter qu’il existait un lien.

 

[59]           Comme toujours, il est possible de ne pas souscrire aux conclusions de la Commission à cet égard et il est évident que, parce que la demanderesse ne souscrit pas, elle estime maintenant que la Commission ne s’est pas penchée sur la question de ses actions et sur la question de la complicité qu’elle a soulevées. Toutefois, compte tenu des motifs et des faits de l’espèce, la Cour ne peut pas affirmer que la Commission a omis de prendre en compte des éléments de preuve importants ou a tiré une conclusion déraisonnable concernant le lien en se fondant sur ces éléments de preuve. Comme la demanderesse l’affirme, le fondement de la persécution peut être divers, mais, compte tenu des faits de l’espèce, on ne peut pas reprocher à la Commission d’avoir conclu que la demanderesse n’était tout simplement qu’une directrice d’école qui a courageusement fait son devoir et qui a éveillé l’attention des autorités de l’État en leur faisant part de ses inquiétudes en matière de consommation de drogue et de trafic de personnes et en leur demandant d’agir. Ses actions n’ont pas fait d’elle une personne exposée au risque d’être victime du trafic de personnes et, compte tenu de la preuve, il n’était pas déraisonnable que la Commission conclut qu’elle était quelqu’un qui avait signalé un crime aux autorités. La Cour a conclu à de nombreuses reprises que les victimes d’activités criminelles, même les victimes du crime organisé, ne répondent pas à la définition de réfugié au sens de la Convention (voir, par exemple, Ward; Mason; Calero; Suarez; Valderrama et Karpounin).

 

[60]           La Commission a également conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’a pas prouvé qu’elle risquait de subir un préjudice de la part des criminels dont elle avait peur. En d’autres mots, la demanderesse n’a pas convaincu la Commission du fondement objectif de sa demande.

 

[61]           Dans la présente demande, la demanderesse ne conteste pas directement cette partie de la décision. Elle conteste la conclusion de la Commission quant à la protection de l’État, qui est manifestement un motif subsidiaire.

 

[62]           Toutefois, après avoir examiné les motifs et la preuve, la Cour ne peut pas affirmer que les conclusions de la Commission quant au fondement objectif de sa demande étaient déraisonnables. Rien ne prouve que la Commission a omis de tenir compte de l’un ou de l’autre aspect de la demande. La Commission ne blâme pas la demanderesse parce qu’elle ne sait pas quelle est l’incidence de ses actions sur les intérêts commerciaux du groupe criminel en question; il n’existe tout simplement aucune preuve que la demanderesse a fait tellement de tort aux criminels que ceux‑ci lui feraient du mal si elle retournait en Russie. Encore une fois, l’idée n’est pas de mettre en doute les craintes subjectives de la demanderesse que la Commission a acceptées comme étant réelles et sincères. Il s’agit tout simplement d’une conclusion selon laquelle, compte tenu des faits de l’espèce, aucun fondement objectif n’a été établi quant à ces craintes. Il est possible de ne pas souscrire à cette conclusion, mais la Cour ne peut pas affirmer qu’elle est déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir.

 

[63]           En ce qui concerne la question de la protection de l’État, la Commission a accepté le récit de la demanderesse concernant les menaces, les introductions par effraction et la possible complicité de la police, mais, dans le contexte des échanges de la demanderesse avec M. Pavlov et de la réponse donnée par celui‑ci, il n’était pas déraisonnable que la Commission conclut que la demanderesse avait été capable d’obtenir une réponse des autorités et que, comme elle avait quitté la Russie et qu’elle n’avait pas reçu de suivi quant aux enquêtes, elle ne pouvait pas vraiment affirmer que la réponse quant aux risques qu’elle avait soulevés avait été adéquate ou inadéquate.

 

[64]           La réponse comportait une enquête et des mesures concernant les problèmes de drogue et de trafic de personnes signalés par la demanderesse ainsi qu’une enquête sur les menaces proférées à l’endroit de la demanderesse et de sa famille. En ce qui concerne l’efficacité de la protection policière, M. Pavlov a clairement mentionné qu’il ne disposait pas suffisamment de personnel pour pouvoir accorder une escorte policière à la demanderesse.

 

[65]           Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’une escorte policière personnelle à temps plein était ce qui était exigé par les circonstances et je ne crois pas que la demanderesse a démontré que, parce qu’on lui a refusé une escorte policière, la présomption de la protection de l’État a été réfutée en l’espèce. La jurisprudence mentionne clairement qu’il n’est pas nécessaire que la protection de l’État soit parfaite (voir, par exemple, Rosales, au paragraphe 16 et Villafranca).

 

[66]           Somme toute, compte tenu des expériences qu’elle a vécues dans le passé, je peux certainement comprendre les craintes de la demanderesse, mais je ne peux pas affirmer que la Commission a commis des erreurs susceptibles de révision du genre de celles qui justifient l’intervention de la Cour.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La demande est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3447-08

 

INTITULÉ :                                       Galina Suvorova c. Le ministre de la citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 14 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roy C. Amadi

 

POUR LA DEMANDERESSE

Elanor Elstub

 

POUR LE DEMANDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Roy C. Amadi

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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