Ottawa (Ontario), le 16 mars 2009
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL
ENTRE :
et
CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION
DES CHIPPEWAS DE RAMA MNJIKANING
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l’encontre de la décision rendue par le conseil de bande de la Première nation des Chippewas de Rama Mnjikaning (le conseil de bande) le 1er novembre 2006 (la décision), dans laquelle le conseil de bande a ordonné que le demandeur, James Cottrell, soit expulsé du logement qu’il louait dans la Réserve de la Première nation de Rama, située à Rama, en Ontario.
CONTEXTE
Motifs de résiliation du bail du demandeur
[2] Le demandeur est un Indien inscrit, membre de la bande de la Première nation des Chippewas de Rama Mnjikaning. En 1993, il a présenté une demande au conseil de bande pour obtenir un logement dans la réserve. Le 17 novembre 1993, il a acheté de sa tante, Gail Anderson, un terrain situé dans la réserve, au coût de 2 000 $. Il est devenu le propriétaire inscrit du lot 52-3 fondé sur le plan no 60012, dans la réserve indienne no 32 de Mnjikaning, dans le canton de Ramara.
[3] La bande fournit des logements sociaux destinés aux membres à faible revenu de sa communauté. Le 9 mars 1994, la bande a conclu avec le demandeur une convention de location‑achat (le bail) qui a pris effet le 1er avril 1994. Dans le cadre du bail, le demandeur a transféré à la bande son intérêt de propriété dans le lot 52-3. Il résidait dans une maison qu’il a aidé à construire.
[4] Aux termes du bail, le demandeur payait un loyer établi en fonction de ses revenus. Le contrat prévoyait en outre qu’après 15 ans, le demandeur aurait l’option d’acheter la maison et le terrain de la bande pour la somme de 1 $. Ce droit devait échoir le 1er avril 2009.
[5] Le défendeur fait valoir que dès l’été 2005, la Première nation est venue en aide au demandeur en lui fournissant un déambulateur et un fauteuil roulant, aux frais de la Première nation. À l’automne 2005, la Première nation a proposé au demandeur de l’héberger dans son unité de soins de longue durée pour qu’il puisse subir une évaluation médicale, ce que le demandeur a refusé. Le défendeur allègue que le demandeur a été admis à l’unité de soins de longue durée dès novembre 2005, mais qu’on lui a ordonné de partir le 23 novembre 2005 en raison de son comportement fâcheux, notamment le comportement sexuel déplacé qu’il aurait eu envers le personnel féminin, et de ses éclats bruyants qui dérangeaient les autres résidents, pour la plupart des personnes âgées. Après qu’il eut promis d’améliorer sa conduite, le demandeur a été autorisé à demeurer à l’unité jusqu’au 31 janvier 2006, date à laquelle il est retourné vivre chez lui, comme il le souhaitait. À son retour à la maison, la bande a dégagé la voie d’accès à la maison, nettoyé le logement, lui a livré et installé un lit d’hôpital et a installé chez lui des barres d’appui et autres dispositifs pour l’aider à vivre de façon autonome. Le demandeur nie avoir jamais séjourné dans une unité de soins de longue durée.
[6] Le défendeur déclare que le demandeur a occasionnellement reçu des soins à domicile dispensés par la Première nation et par le Centre d’accès aux soins communautaires, mais tant le Centre que la bande ont été incapables de maintenir ces services en raison de problèmes concernant le comportement du demandeur pendant la prestation des services. Selon le défendeur, à compter du moment où le demandeur a obtenu son congé de l’unité de soins de longue durée, il s’est servi des services d’urgence « 911 » comme s’il s’agissait d'un service de soins à domicile, présentant des demandes inopportunes comme la livraison de nourriture.
[7] Le défendeur indique qu’au cours des deux semaines qui ont précédé la décision d’envoyer le demandeur à l’hôpital le 1er novembre 2006, les services d’urgence ont été appelés à plusieurs reprises. Ils ont constaté que le demandeur vivait dans des conditions lamentables, insalubres. En général, il ne portait aucun vêtement au-dessous de la taille, était souillé de déchets humains, souffrait d’incontinence et était incapable de se laver seul. La résidence était souillée de déchets humains et l’environnement, nocif. Le demandeur avait parfois exprimé le désir de s’automutiler et avait employé un langage belliqueux à l’égard du personnel d’urgence. La mère du demandeur, qui s’était engagée à prendre soin de son fils après qu’il eut obtenu son congé de l’unité de soins de longue durée, a été incapable de le faire parce qu’elle redoute le comportement du demandeur lorsqu’il consomme de l’alcool.
Les antécédents du demandeur en matière d’arriéré
[8] Selon l’alinéa 6 a) du bail, la bande avait le droit d’expulser le demandeur pour retard dans le paiement du loyer. Le demandeur avait accumulé un arriéré de loyer de quelque 5 000 $ depuis mars 1997. Entre le 6 février 2001 et le 6 mars 2006, la bande a envoyé au moins cinq lettres de rappel au demandeur concernant l’arriéré de loyer. Rien dans ces lettres ne donne à penser que la bande envisageait d’expulser le demandeur en raison de cet arriéré.
[9] Vers la fin de 2005, la mère du demandeur, Christina Lawson, a parlé à Randy McKinnon, le gestionnaire immobilier de la bande, pour proposer d’acquitter la dette de son fils. Cette offre aurait été refusée. Le défendeur soutient que le gestionnaire immobilier de la Première nation, M. McKinnon, n’a pas dit à la mère du demandeur qu’elle ne pouvait pas [traduction] « acquitter » l’arriéré de loyer de son fils, mais l’a plutôt informée qu’elle devrait se rendre au service des finances, parce que ce n’était pas lui qui recevait directement les paiements. Selon le défendeur, la mère du demandeur n’a pas tenté de payer M. McKinnon, et ce dernier n’a pas refusé de recevoir le paiement. M. McKinnon a informé la mère du demandeur qu’elle ne pouvait pas effectuer un paiement forfaitaire couvrant tout le solde à payer de manière à ce que le certificat de possession soit transféré au demandeur. Il a expliqué que cette restriction découlait de l’entente contractuelle entre la Première nation et la Société canadienne d’hypothèques et de logement.
La santé du demandeur
[10] Depuis 2005, le demandeur souffre d’une maladie neurologique grave et rare, qui se traduit par un affaiblissement progressif de ses bras et de ses jambes mais qui n’affecte pas ses fonctions cognitives. Le demandeur doit se déplacer en fauteuil roulant électrique et il peut difficilement utiliser ses mains. Il ne peut pas travailler, et ses seules sources de revenu sont le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées et une rente versée par la bande.
[11] Le demandeur a aussi besoin d’aide et d’installations adaptées pour vivre de façon autonome. La bande lui a fourni son fauteuil roulant, et il bénéficie de certaines installations et de quelques heures de services de soutien hebdomadaires dispensés par le Centre d’accès aux soins communautaires, qui est situé en dehors de la réserve, et de l’aide que lui apporte sa mère, une personne âgée. Il n’a pas de rampe d’accès pour entrer chez lui en fauteuil roulant et il ne peut compter sur l’aide de services à contacter en cas d’urgence. Il lui arrive de consommer une quantité excessive d’alcool.
[12] Le demandeur, souligne le défendeur, reconnaît qu’il avait besoin d’aide à la maison et qu’il a de la difficulté à préparer la nourriture, à nettoyer sa maison, à aller à la salle de bains et à prendre un bain. Il a aussi reconnu qu’il avait recours aux services d’urgence parce qu’ils constituent la seule autre source de soutien à laquelle il pouvait avoir accès.
Réunion entre les membres de la famille et la bande
[13] La mère du demandeur a écrit au chef de la bande le 21 septembre 2006 pour lui demander de l’aide au nom de son fils. Le 23 ou le 24 octobre 2006, la mère du demandeur et le frère de ce dernier, Rick, ont rencontré la chef Sharon Stinson Henry, les conseillers de la bande et d’autres représentants, parmi lesquels Mme Sawyer, directrice des services de santé et des services sociaux de la bande. Les dirigeants ont informé la mère du demandeur qu’ils [traduction] « envisageaient » d’expulser le demandeur parce qu’il était incapable de vivre de façon autonome et, peut-être aussi, en raison de l’arriéré de loyer. La mère du demandeur a réitéré ses demandes pour obtenir du soutien pour son fils. Elle prétend que rien n’a été réglé durant cette réunion et dit qu’elle [traduction] « ne croyait pas qu’il arriverait quoi que ce soit ».
[14] Le défendeur fait valoir que la bande a consulté la mère et le frère du demandeur durant un certain temps et que Mme Sawyer était souvent en contact avec le demandeur et sa mère. Ces contacts ont débouché sur la réunion du 23 ou 24 octobre 2006 entre le conseil de bande, Mme Sawyer, la mère du demandeur et le frère de celui-ci.
[15] Le défendeur prétend qu’à cette réunion, le conseil de bande a voulu obtenir l’avis des membres de la famille du demandeur et que tous deux ont reconnu qu’il fallait faire quelque chose au sujet des soins à assurer au demandeur. La famille a accepté d’inviter le demandeur à donner une procuration à sa mère pour ce qui est de ses biens et de ses soins personnels. Le défendeur déclare que Mme Elaine Conroy, un membre du Centre d’accès aux soins communautaires à Orilla, avait apporté à cette réunion les formulaires d’accueil d’un établissement de soins de longue durée à Toronto qui ne nécessitaient que la signature du demandeur. L’admission du demandeur dans un établissement de cette nature a été discutée avec le frère et la mère du demandeur. À la suite de la réunion, le demandeur n’a pas accepté de déménager dans un établissement de soins de longue durée ni de donner une procuration à son frère ou à sa mère. Le défendeur indique qu’après cette consultation, la mère du demandeur a été informée que la bande avait l’intention de se prévaloir de l’article 12 du bail.
[16] Après la réunion, la mère du demandeur a relaté le contenu de la réunion à son fils, qui se trouvait alors en état d’ébriété. Ni le demandeur ni sa mère ne croyaient que la bande pouvait expulser le demandeur ou qu’elle l’expulserait.
[17] Une réunion des dirigeants de la bande a eu lieu le 31 octobre 2006 pour discuter des conditions de vie du demandeur, mais ni le demandeur ni sa famille n’ont été conviés. Par la suite, la mère du demandeur et Mme Sawyer se sont parlé au téléphone. Les parties ne s’entendent pas sur la teneur de cette conversation, mais la mère du demandeur prétend que la bande ne faisait qu’« envisager » l’expulsion du demandeur.
[18] Le demandeur affirme que ni le conseil de bande ni aucun représentant de la bande ne l’ont informé de la nature des reproches qu’on avait à lui faire ou de leur intention de l’expulser. En outre, le conseil de bande n’a pas donné au demandeur la possibilité de présenter des observations au conseil pour répondre à leurs préoccupations.
Résiliation du bail du demandeur
[19] Le 1er novembre 2006, le fauteuil roulant du demandeur est tombé en panne. Le demandeur a dû en descendre et ramper sur le plancher pour atteindre le téléphone. Il a appelé les services médicaux d’urgence de la bande pour qu’on vienne l’aider à déplacer son fauteuil roulant jusqu’à un endroit où il pourrait être rechargé. Deux ambulanciers paramédicaux sont venus, ont installé le demandeur dans son fauteuil roulant, puis ont déplacé le fauteuil à un endroit où il pouvait être rechargé. Contre son gré et malgré ses protestations, les ambulanciers paramédicaux ont amené le demandeur dans l’ambulance qui attendait et l’ont transporté à l’hôpital. Le défendeur précise que le demandeur a été amené au Soldiers’ Memorial Hospital pour qu’une évaluation soit faite en vertu de la Loi sur la santé mentale.
[20] À l’arrivée du demandeur à l’hôpital, Mme Sawyer l’a abordé et lui a remis en main propre un ordre d’expulsion sous forme d’une lettre en date du 1er novembre 2006 signée par un des agents du logement de la bande, Andrea Edgar. Mme Sawyer a ensuite informé verbalement M. Cottrell de son expulsion. L’ordre d’expulsion énonce ce qui suit :
[traduction]
La présente constitue votre avis d’expulsion immédiate du 5759 Willison Side Road, conformément à la résolution du chef et du conseil de Rama Mnjikaning.
Je m’en réfère au contrat de location-achat conclu le 8 mars 1994 entre la Première nation des Chippewas de Rama (la Première nation) et vous-même, James Edmin Cottrell (le locataire).
Article 12 – Droit de résiliation conféré à la bande
Si, à quelque moment que ce soit pendant la durée du bail, le locataire devient incapable de vivre de façon autonome par ses propres moyens, en exerçant ses propres facultés intellectuelles et sa propre faculté de résiliation, la Première nation peut, à son gré, prendre des dispositions pour faire placer le locataire dans un lieu d’hébergement approprié après avoir consulté le membre de la famille du locataire, ou l’ami qui peut être désigné par le locataire dans sa demande. Le cas échéant, le présent bail est automatiquement résilié, et la Première nation peut déménager et entreposer les effets personnels du locataire, aux frais de ce dernier. La Première nation est libre de louer à nouveau les lieux visés par le bail.
Sous réserve de ce qui précède, AVIS VOUS EST DONNÉ PAR LA PRÉSENTE de libérer immédiatement le lot 5203, aussi connu comme le 5759 Willison Side Road. [souligné dans l’original]
[21] Le demandeur dit qu’il ne savait pas que la bande entendait l’expulser et qu’il n’avait préparé aucun vêtement ni aucun effet personnel à apporter. Depuis le 1er novembre 2006, la maison du demandeur est verrouillée, et personne ne l’occupe. Les biens du demandeur sont demeurés dans la maison. La bande n’a pas déménagé ses effets pour les entreposer ni n’a loué à nouveau les lieux; elle attend de connaître le résultat de la présente demande. La bande a besoin des lieux pour d’autres membres.
À la suite de l’expulsion
[22] L’expulsion a privé le demandeur de tout domicile. Il n’a pas obtenu une résidence permanente, et depuis son expulsion, il se déplace et réside à l’hôpital et ailleurs.
[23] Le 8 mars 2007, le juge Phelan a fait droit à la requête du demandeur pour obtenir une prorogation du délai pour déposer la présente demande. Le 17 septembre 2007, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel du conseil de bande et confirmé l’ordonnance du juge Phelan.
QUESTIONS EN LITIGE
[24] Le demandeur prie la Cour de répondre aux questions suivantes :
1) Le conseil de bande avait-il l’obligation d’agir équitablement à son égard?
2) Si oui, quelle était la teneur de cette obligation?
3) Le conseil de bande a-t-il satisfait à son obligation dans les circonstances?
NORME DE CONTRÔLE
[25] Le demandeur soutient que le conseil de bande, à titre d’organisme public investi du pouvoir conféré par la loi de gérer les affaires de la bande et entretenant avec le demandeur une relation de fiduciaire, était tenu d’agir équitablement envers lui lorsque le conseil a résilié le bail.
[26] Le demandeur affirme que tout organisme public qui rend une décision administrative touchant les droits, privilèges ou biens d’une personne, est tenu d’agir équitablement : Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, au paragraphe 14 (Cardinal).
[27] Le demandeur fait aussi valoir que l’existence et l’étendue des obligations procédurales dépendent des éléments suivants : 1) la nature de la décision; 2) la relation entre le décideur et le particulier qui se réclame de l’équité procédurale; 3) l’effet de la décision sur les droits de ce particulier : Knight c. Indian Head School Division no 19, [1990] 1 R.C.S. 653, au paragraphe 24 (Knight).
[28] Ainsi que la Cour l’a exposé dans la décision Angus c. Conseil tribal de la Première nation des Chipewyans des Prairies, [2008] A.C.F. no 1161, les questions de compétence, et plus particulièrement celle de savoir si un conseil de bande a outrepassé sa compétence en adoptant une résolution, sont susceptibles de contrôle suivant la norme de la décision correcte : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Si un conseil de bande est jugé avoir agi dans les limites de sa compétence, la norme de contrôle applicable porte sur des questions d’équité et de justice naturelle, et le contrôle de la décision doit se faire selon la norme de la décision correcte : Pete c. Canada (Procureur général), 2005 CF 993, au paragraphe 75. Il a aussi été décidé dans Vollant c. Sioui, [2006] A.C.F. no 611, que les décisions des conseils de bande sont susceptibles de contrôle suivant la norme de la décision correcte.
ARGUMENTS
Le demandeur
Décision administrative
[29] Le demandeur soutient que les décisions administratives qui ont une incidence sur un particulier donné sont assujetties à l’obligation d’agir équitablement. De plus, les décisions finales sont plus susceptibles de donner lieu à l’obligation d’agir équitablement que les décisions préliminaires ou interlocutoires.
[30] Le demandeur fait remarquer que les conseils de bande sont créés en vertu de la Loi sur les Indiens et que leur pouvoir procède exclusivement du législateur. Un conseil de bande est un organisme public élu dont la principale fonction est de gérer les affaires de la bande. Lorsque le conseil d’une bande indienne exerce son pouvoir sur les membres de la bande, il constitue un organisme public dont les décisions sont susceptibles de contrôle judiciaire. De ce fait, les membres de la bande ont droit à l’application régulière de la loi et au respect de l’équité procédurale lorsqu’une procédure les touche : Loi sur les Indiens, R.S.C. 1985, ch. I-5, au paragraphe 2(3) (la Loi); Whitebear Band Council c. Carpenters Provincial Council of Saskatchewan, [1982] 3 W.W.R. 554 (C.A. Sask.), aux paragraphes 13 à 19; Paul Band c. R., [1984] 2 W.W.R. 540 (C.A. Alb.), au paragraphe 21; Sparvier c. Bande indienne Cowessess (1re inst.), [1993] 3 C.F. 142 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 47.
[31] Le demandeur fait valoir que la Cour a déjà statué que le conseil de bande visé en l’espèce a été institué sous le régime de la Loi et constitue un organisme public soumis au contrôle judiciaire et assujetti à l’obligation d’agir équitablement : CHC Casinos Canada Ltd. c. Conseil de bande de la Première nation des Chippewas de Mnjikaning, [2005] A.C.F. no 414, aux paragraphes 5 et 52.
[32] Le demandeur souligne aussi que la Loi confère aux bandes indiennes le pouvoir d’octroyer des terres à des fins de résidence ou pour les donner à bail à ses membres. Dans le préambule du bail du demandeur, la Première nation établit avec précision son pouvoir d’administrer son propre programme de logement : paragraphes 2(3), 20(1), 20(4), article 25, paragraphe 58(3) et article 60 de la Loi.
[33] En vertu de l’article 81 de la Loi, toute bande indienne peut prendre des règlements administratifs pour « leur répartition [des terres de la réserve] entre les membres de la bande » et « la résidence des membres de la bande ». Le demandeur soutient qu’aucun élément de preuve en l’espèce n’atteste l’existence d’un règlement administratif pris par le conseil de la bande pour la gestion de son programme de logement ou la résiliation des baux. Par conséquent, plaide le demandeur, le conseil de bande, en l’expulsant, n’agissait pas au titre de son pouvoir législatif : alinéas 81i) et 81p.1) et article 82 de la Loi.
[34] Le demandeur invoque la décision Campbell c. Elliot, Alphonse, Charlie et Cowichan Indian Band Council, [1988] 4 C.N.L.R. 45 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 23 et 27, qui met en cause le conseil d’une bande indienne ayant exercé, au titre de l’article 20 de la Loi, son pouvoir d’allouer des terres à certains membres de la bande. La Cour a jugé que le conseil de bande était assujetti à l’obligation d’agir équitablement et que cette obligation valait également pour le cas où le conseil de bande reprendrait la terre.
[35] Le demandeur conclut que la décision de l’expulser est une décision de nature administrative, accessoire à la gestion du programme de logement de la bande. La décision visait précisément le demandeur et s’appliquait exclusivement à lui, et il s’agissait d’une décision finale, puisqu’elle mettait fin immédiatement et de façon permanente à son bail. De l’avis du demandeur, ces facteurs indiquent que la décision est une décision administrative à laquelle l’obligation d’équité s’applique.
L’ordre d’expulsion a eu de graves répercussions
[36] Le demandeur plaide qu’il est reconnu qu’une décision administrative qui touche « les droits, privilèges ou biens d’une personne » suffit pour entraîner l’application de l’obligation d’équité : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 20 (Baker).
[37] Le demandeur prétend que l’ordre d’expulsion l’a pris par surprise et qu’on ne lui a pas donné le temps de s’y préparer ni d’emporter les vêtements et les autres articles dont il avait besoin. On ne lui a pas non plus donné l’occasion d’entreposer ses meubles ou ses effets personnels. Sans avertissement, il s’est retrouvé sans abri et dépendant de l’hébergement en milieu hospitalier.
[38] Le demandeur fait observer qu’avant son expulsion, aucun représentant du conseil de bande ne s’est adressé à lui pour discuter des préoccupations de la bande relativement à son bail ou pour l’avertir que le conseil de bande envisageait de l’expulser, bien que le conseil ait eu tout le temps voulu pour ce faire. Personne n’a non plus examiné avec lui la possibilité de prendre des dispositions pour lui trouver un autre lieu d’hébergement. Le demandeur a aussi perdu l’occasion d’acheter la maison purement et simplement au moment d’exercer cette option, en 2009.
La relation entre le demandeur et la bande commande l’équité procédurale
[39] Le demandeur soutient qu’il existe trois motifs pour lesquels la nature de sa relation avec la bande commande l’équité procédurale. En premier lieu, cette relation comporte une composante contractuelle qui est insuffisante pour écarter l’application des obligations administratives. Deuxièmement, les caractéristiques particulières du bail appellent des garanties d’ordre procédural, et troisièmement, les conseils de bande ont une obligation fiduciaire envers leurs membres, laquelle impose aux conseils de bande d’adopter les principes correspondant à l’équité la plus entière dans leurs rapports avec leurs membres.
[40] Selon le demandeur, le conseil de bande a prétendu devant le juge Phelan que sa relation avec le demandeur était de nature contractuelle et que sa conduite était régie par les seules dispositions du contrat, sans égard à l’obligation d’équité. Or, le demandeur prétend que l’existence d’une relation contractuelle n’écarte pas l’application de l’obligation d’agir équitablement. Le demandeur cite le paragraphe 22 de l’arrêt Knight pour soutenir que l’application moderne du principe d’équité procédurale à un organisme public couvre la relation contractuelle entre un organisme public et le particulier touché.
[41] Le demandeur avance également que, depuis l’époque de la reconnaissance initiale de l’obligation d’agir équitablement, l’approche des tribunaux a évolué, passant de la reconnaissance de l’immunité des transactions contractuelles des acteurs gouvernementaux, à l’autorisation du contrôle judiciaire de la conduite contractuelle. La juge en chef McLachlin, dans l’opinion dissidente rendue dans l’arrêt Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231, a jugé, aux paragraphes 8 à 12, que l’obligation d’équité s’applique parce que les organismes créés par la loi concluent des contrats avec les deniers publics et dans l’intérêt public.
[42] De plus, soutient le demandeur, la Cour fédérale a jugé que ce n’est que lorsque les organismes publics passent des contrats dans un contexte commercial purement privé, dissocié de l’intérêt public et sans lien avec l’exercice d’un pouvoir précis conféré par la loi, que la Cour s’abstient d’appliquer les obligations afférentes au droit administratif : Peace Hills Trust Co. c. Première nation Saulteaux, [2005] A.C.F. no 1646, aux paragraphes 61 et 62.
[43] Selon le demandeur, lorsqu’un organisme public conclut des contrats dans l’intérêt public pour offrir des logements abordables à des personnes à faible revenu dans le cadre d’un programme de logements sociaux, l’obligation d’agir équitablement s’applique, indépendamment des dispositions du bail censées exclure les obligations relatives à l’équité. Le demandeur cite et invoque l’arrêt Re Webb and Ontario Housing Corporation (1978), 93 D.L.R. (3d) 187, aux paragraphes 21 à 23 (C.A. Ont.), qui met en cause la Société de logement de l’Ontario, un organisme public habilité par la Ontario Housing Corporation Act, R.S.O. 1990, ch. O.21, organisme qui, a statué la Cour, était tenu d’agir équitablement envers les locataires qu’il entendait expulser en vertu des contrats de bail. La Cour a jugé que l’un des facteurs pertinents pour imposer l’obligation d’agir équitablement à la Société de logement de l’Ontario était que celle-ci répondait à l’intérêt public d’offrir des logements abordables à des personnes à faible revenu, et qu’en résiliant un bail, elle privait le locataire d’un avantage important.
[44] Le demandeur souligne que le gestionnaire immobilier de la bande, Randy McKinnon, a déclaré que [traduction] « le programme de logements sociaux se veut un avantage pour la communauté, et non seulement pour des membres individuels ». Le bail conclu entre le demandeur et la bande répond manifestement à l’intérêt public et le financement provient des deniers publics par l’intermédiaire de la bande et du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. La relation ainsi établie ne relève pas d’un contrat purement commercial qui devrait être à l’abri du contrôle judiciaire.
Relation locateur et locataire
[45] Le demandeur soutient en outre qu’il existe entre la bande et lui-même une relation de locateur et locataire. Les locataires qui vivent hors réserve jouissent d’une protection que leur reconnaît la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation, L.O. 2006, ch. 17, à son article premier. Il y a par conséquent une justification manifeste pour prévoir dans la loi des mécanismes destinés à protéger les locataires hors réserve, et il est nécessaire de faire en sorte que les programmes de logements sociaux destinés aux résidents des réserves offrent aux locataires des protections procédurales semblables : Price c. Turnbull’s Grove Inc. (2007), 85 O.R. (3d) 641 (C.A. Ont.), au paragraphe 26.
[46] Le demandeur signale que l’article 37 de la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation contient des dispositions concernant le « droit au maintien dans les lieux », lesquelles interdisent, dans les baux, les conditions qui prévoient la résiliation du bail suivant une condition préétablie. Dans l’arrêt Clandfield c. Queen’s University (Apartment and Housing Services) (2001), 54 O.R (3d) 475, au paragraphe 12, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré que ces dispositions existent parce que souvent les locataires n’ont pas le même pouvoir de négociation que le locateur pour la conclusion d’un bail.
[47] Le demandeur expose que sous le régime de la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation, aucune situation ne permet à un locateur d’expulser unilatéralement un locataire, et même les violations les plus graves d’un bail ne donnent pas ouverture à ce droit. Le locateur doit signifier au locataire un avis et une demande visant son expulsion qui énonce les intentions du locateur et ses motifs. Après que la demande du locateur a été signifiée au locataire, une audience devant la Commission de la location immobilière est automatiquement fixée. Cette procédure donne au locataire l’occasion d’être entendu concernant les motifs invoqués pour son expulsion : articles 37, 43, 69 et 80, et paragraphe 194(5) de la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation.
[48] Le demandeur conclut sur ce point en plaidant que la nature de la relation entre locateur et locataire, de même que les protections procédurales habituellement accordées aux locataires hors réserve, fournissent une solide justification pour reconnaître l’application de l’obligation d’équité au conseil de bande en l’espèce.
Relation fiduciaire entre le membre de la bande et la bande
[49] De l’avis du demandeur, le chef et les membres du conseil de bande sont des fiduciaires à l’égard de tous les membres de la bande. Les membres sont à la merci des agissements abusifs du chef et du conseil, et ces derniers ont l’obligation correspondante de traiter les membres de façon juste et équitable : Buffalo c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2003] 1 C.N.L.R. 1 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 11; Gilbert c. Abbey, [1992] 4 C.N.L.R. 21 (C.S. C.-B.), au paragraphe 14.
[50] Le demandeur estime que le conseil de bande avait l’obligation fiduciaire de faire preuve de la plus grande équité dans ses rapports avec lui, compte tenu particulièrement de son incapacité qui le rendait plus vulnérable que les autres membres de la bande.
La teneur de l’obligation d’agir équitablement
[51] Le demandeur souligne que la Cour a déjà défini la teneur de l’obligation d’agir équitablement dans des situations très semblables à celle du cas sous étude. La Cour a régulièrement décidé que l’obligation d’agir équitablement s’applique à l’exécution des contrats de location résidentielle ou de contrats s’y apparentant conclus entre le conseil de bande d’une Première nation et les membres de la bande, et que cette obligation impose ce qui suit aux conseils de bande :
(a) donner avis aux membres du fait que leur expulsion est envisagée;
(b) informer les membres des allégations les concernant qui font naître l’éventualité de leur expulsion;
(c) donner aux membres la possibilité de répondre aux allégations dont ils font l’objet.
Le demandeur soutient qu’en l’espèce, le conseil de bande a l’obligation d’agir équitablement envers lui.
[52] Le demandeur se fonde plus particulièrement sur les décisions Obichon c. Première nation du lac Heart, no 176, [1989] 1 C.N.L.R. 100; Sheard c. Chippewas of Rama First Nation Band Council, [1996] A.C.F. no 659, Gamblin c. Bande de la Nation Crie de Norway House, [2000] A.C.F. no 2132 (C.F. 1re inst.) (Gamblin no 1); et Gamblin c. Bande de la Nation Crie de Norway House, [2002] A.C.F. no 1411 (C.A.F.) (Gamblin no 2).
[53] Selon le demandeur, il est possible de tirer les conclusions suivantes de l’affaire Gamblin :
(a) il a été expressément décidé que l’entente entre M. Gamblin et le conseil de bande ne constituait pas un bail, parce qu’aucun loyer n’était payé;
(b) selon l’entente intervenue entre M. Gamblin et le conseil de bande, le conseil acceptait que M. Gamblin et sa famille continuent de résider dans un logement de la bande en contrepartie de la promesse que M. Gamblin ne permettrait aucune activité illégale dans la résidence;
(c) l’entente relevait du droit privé, et sa violation ne donnait pas lieu à l’obligation d’agir équitablement;
(d) quoi qu’il en soit, même s’il existait une obligation d’agir équitablement, cette obligation avait été remplie dans les circonstances.
[54] Dans le cas présent, le demandeur soutient qu’il existe un contrat entre lui et le conseil de bande parce que son bail prévoit le paiement d’un loyer. Il plaide en conséquence que la situation peut être distinguée de l’entente de droit privé à l’origine de la décision d’expulser M. Gamblin.
[55] Selon le demandeur, la conclusion essentielle de la Cour d’appel dans Gamblin no 2 est qu’il n’existait pas d’obligation d’agir équitablement pour la mise en application du contrat particulier de droit privé intervenu entre M. Gamblin et le conseil de bande. Tout commentaire de la Cour d’appel fédérale sur la qualification de cette convention comme contrat de location résidentielle constituait un simple obiter dictum sans effet décisif quant à l’applicabilité de l’obligation d’agir équitablement dans l’application de contrats de location dans les réserves.
Avis et possibilité de présenter des observations
[56] Le demandeur fait valoir que la teneur de l’obligation d’équité n’est pas figée et varie selon les circonstances particulières de chaque cas : arrêt Baker, au paragraphe 21. Il souligne que la décision, en l’espèce, a eu de graves conséquences pour lui, qui s’est retrouvé sans foyer et a été privé de la possibilité d’acheter éventuellement sa maison, comme le prévoyait le bail. Le conseil de bande n’a suivi aucune procédure précise pour prendre sa décision, s’appuyant simplement sur les pouvoirs généraux que lui reconnaît la Loi. Il s’agissait d’une décision finale, et aucun mécanisme d’appel, dans le bail, ne permettait au demandeur de solliciter le réexamen de la décision.
[57] Le demandeur indique qu’il ne croyait pas que le conseil de bande ordonnerait son expulsion, parce qu’il se savait propriétaire de la terre et qu’il avait une hypothèque sur la maison. Il est donc possible de conclure qu’à la lumière de ces éléments, le demandeur était en droit de ne pas penser que le conseil de bande pourrait tout simplement l’expulser, sans formalités et ni préavis.
Le conseil de bande n’a pas respecté l’équité procédurale à l’égard du demandeur
[58] De l’avis du demandeur, la preuve non contestée dont dispose la Cour montre que le conseil de bande a omis toutes les mesures que lui imposaient les principes d’équité procédurale. Le conseil de bande tente de s’en remettre à une réunion tenue avec la mère et le frère du demandeur plusieurs jours avant la délivrance de l’ordre d’expulsion. Toutefois, le conseil de bande n’a pas expliqué pourquoi ses représentants n’ont pas essayé de parler au demandeur directement, alors que c’était ce dernier, et non sa famille immédiate, qui subirait les importantes conséquences de l’ordre d’expulsion.
[59] Le demandeur plaide que les membres du conseil de bande se sont fiés à la mère du demandeur qui, malgré sa bonne volonté, n’était pas suffisamment avertie pour bien comprendre et bien transmettre le message. Le témoignage de la mère du demandeur permet de conclure, estime celui-ci, qu’elle n’a pas pleinement compris ce que le conseil de bande envisageait de faire et qu’elle ne croyait pas que le conseil de bande songeait sérieusement à expulser son fils. L’information transmise à la mère ne constituait pas un avis suffisant.
[60] De plus, le demandeur relève que Mme Sawyer n’offre aucune explication pour justifier qu’on n’a pas tenté de lui parler. Elle se limite à faire observer que [traduction] « James a été un participant actif dans toutes les situations où divers membres du personnel de la Première nation ont acquis la conviction qu’il était tout simplement incapable de vivre de façon autonome ». Le demandeur soutient que la signature qu’il avait apposée sur le bail plus de dix ans auparavant n’est pas un motif suffisant pour balayer l’obligation du conseil de bande de respecter les principes d’équité, d’autant plus que le demandeur est une personne handicapée et particulièrement vulnérable. Le conseil de bande avait à son égard une obligation fiduciaire, et la disposition sur laquelle le conseil s’est fondé pour expulser le demandeur est inhabituelle, exceptionnelle et mal rédigée, puisqu’elle donne au conseil de bande un pouvoir démesuré. En outre, aucune explication n’a été avancée pour motiver le fait que le conseil n’a organisé aucune rencontre directe avec le demandeur.
[61] Le demandeur conclut sur ce point en affirmant que le conseil de bande avait à son égard une obligation d’agir équitablement qu’il n’a pas remplie. Indépendamment de la question de savoir si la décision du conseil de délivrer l’ordre d’expulsion était fondée, le manquement à son obligation d’équité entache de nullité cet ordre d’expulsion, lequel devrait être cassé.
Le conseil de bande ne peut invoquer l’arriéré de loyer du demandeur comme fondement alternatif de l’ordre d’expulsion
[62] Le demandeur indique qu’il ne conteste pas l’arriéré et qu’il reconnaît que l’article 6 du bail permet au conseil de bande d’expulser les locataires qui accusent un retard de plus de 45 jours dans le paiement du loyer. Toutefois, à son avis, le conseil de bande ne peut s’appuyer sur cette disposition pour motiver l’expulsion dans les circonstances de l’espèce.
[63] Nulle part dans l’ordre d’expulsion ou dans la résolution du conseil de bande autorisant l’expulsion n’est-il question de l’arriéré. La preuve de la bande révèle que celle-ci a tenté d’invoquer l’arriéré comme motif d’expulsion pour la toute première fois près d’un mois après l’expulsion du demandeur. Qui plus est, le conseil de bande n’avait jamais auparavant menacé d’expulser le demandeur pour arriéré, malgré les antécédents de ce dernier à ce chapitre. Dans une série de lettres au demandeur, le conseil de bande n’a jamais fait référence, expressément ou implicitement, à l’article 6 du bail ni au droit d’expulser pour arriéré. Les lettres suggèrent plus généralement que [traduction] « le moment serait idéal pour planifier d’acquitter cette dette », demandent [traduction] « une proposition de calendrier de remboursement » ou invitent le demandeur à des rencontres [traduction] « pour poursuivre la discussion à ce sujet […] ». Le demandeur estime que le conseil de bande ne peut soudainement prétexter l’arriéré pour justifier l’ordre d’expulsion.
Le défendeur
[64] Le défendeur fait valoir que le privilège de résider dans la réserve au titre d’un contrat de location-achat n’est pas donné à tous les membres de la bande et qu’il existe une longue liste d’attente. Le logement, dans la réserve, est une ressource limitée, et le programme de logements sociaux est conçu pour profiter à la communauté, et pas seulement à des membres individuels. Par conséquent, lorsqu’une unité de logement demeure inoccupée, cette ressource, qui pourrait profiter à d’autres membres de la communauté, est gaspillée.
[65] Le défendeur souligne que les services de santé, les services sociaux et les services de police dans la réserve sont également limités et que le fait de devoir assurer des services à domicile constants pour des résidents particuliers représente une lourde charge. L’article 12 du bail conclu avec le demandeur prévoit que la Première nation conserve le droit de résilier le contrat lorsque des locataires deviennent incapables de vivre de façon autonome. Le défendeur explique que l’objet de l’article 12 est de favoriser la prise en charge et le bien‑être de personnes qui ne peuvent vivre de façon autonome, et de préserver la capacité de la Première nation d’aider les membres de la communauté qui peuvent véritablement profiter d’une unité de logement.
Nature de la décision
[66] Le défendeur soutient qu’il a pris la décision de résilier le bail comme il pouvait le faire à titre de locateur, en vertu du droit privé; aussi, dit-il, il est régi par le droit des contrats et n’est pas assujetti à l’obligation d’équité qu’impose le droit public. Le défendeur déclare que le bail signé par le demandeur constitue un contrat privé qui comporte une disposition permettant au locateur de mettre fin au bail si le locataire devient [traduction] « incapable de vivre de façon autonome par ses propres moyens, en exerçant ses propres facultés intellectuelles et sa propre faculté de résiliation ». Malgré l’erreur typographique, il est possible d’interpréter cette disposition et d’en assurer l’application à titre de condition contractuelle. L’intention et l’effet de la disposition ressortent clairement.
[67] Le défendeur indique que cette disposition ne vise pas la capacité du locataire, sur le plan médicolégal, de prendre des décisions concernant ses biens ou ses traitements. Elle traite de la capacité du locataire de continuer à vivre de façon autonome dans les lieux loués, compte tenu de ses « moyens » physiques de pourvoir à ses propres besoins et de sa « faculté » de vivre indépendant du soutien et des soins prodigués par des tiers, en plus de toute question concernant sa capacité médicolégale sur le plan « intellectuel ».
Absence d’obligation d’agir équitablement
[68] Le défendeur invoque la décision Gamblin no 1, dans laquelle le juge, au paragraphe 43, a établi une distinction entre le bannissement et l’expulsion. Le juge Muldoon a conclu que le bannissement donne lieu à l’obligation d’agir équitablement, mais que la résiliation d’une relation de locateur et locataire n’entraîne pas d’obligation de cette nature, car cette question relève du droit privé. La Cour d’appel fédérale a marqué son accord avec le juge de première instance et a statué, au paragraphe 8 de sa décision, dans Gamblin no 2 :
Quant à la question de l’obligation d’équité, on ne nous a reportés à aucun arrêt dans lequel il serait statué que le conseil de la bande est tenu d’accorder une audience au sujet de la mise en application des conditions des contrats de location résidentielle qu’il conclut.
[69] Le défendeur fait remarquer que le demandeur, dans l’affaire Gamblin no 1, s’est appuyé, devant la Section de première instance, sur la décision Obichon que le demandeur invoque en l’espèce pour plaider que la Cour fédérale [traduction] « a régulièrement décidé que l’obligation d’agir équitablement s’applique à l’exécution des contrats de location résidentielle ou de contrats s’y apparentant conclus entre le conseil de bande d’une Première nation et les membres de la bande […] ». Or, souligne le défendeur, la Cour d’appel fédérale s’est déjà prononcée dans le sens contraire, et toute prétention selon laquelle la décision Obichon établit le principe que l’obligation d’équité devrait s’appliquer à une décision visant l’expulsion a été rejetée.
[70] Le défendeur estime que les brefs commentaires concernant l’obligation d’équité formulés dans la décision Obichon constituent un obiter, et il fait observer que la Cour, dans cette affaire, n’a pas expliqué pourquoi une décision d’expulsion devrait donner lieu à l’obligation d’agir équitablement. L’issue, dans cette affaire, découle de la conclusion de la Cour que la décision de déplacer un résident d’une maison à une autre maison plus petite était entachée d’une crainte raisonnable de partialité. La partialité provenait de ce qu’un membre du conseil de la bande qui a proposé de déplacer le résident vers une maison plus petite a obtenu la plus grande maison pour lui‑même.
[71] Le défendeur déclare que l’affaire Sheard invoquée par le demandeur porte sur le bannissement d’une personne non indienne d’une réserve, et n’a rien à voir avec une expulsion. Dans Sheard, le demandeur, un non-Indien, a reçu l’ordre de quitter la réserve et de ne pas y revenir, et il n’était ni locataire ni partie à quelque contrat de location que ce soit. Il vivait avec son épouse, une Indienne, dans une habitation louée de nature semblable à celle qu’occupait le demandeur en l’espèce. La Cour, dans Sheard, a décidé que le non-Indien avait droit à une audience avant que soit prise la décision de le bannir. L’épouse indienne n’a fait l’objet d’aucune mesure, et aucun ordre touchant les droits de cette dernière au titre du bail n’a été rendu.
[72] Selon le défendeur, l’arrêt Knight a été désavoué dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 114 :
[D]ans la mesure où les juges majoritaires n’ont pas tenu compte de l’effet déterminant d’un contrat d’emploi, l’arrêt ne devrait pas être suivi. L’employé qu’un contrat protège contre le congédiement injuste devait pouvoir exercer un recours en droit privé, et non en droit public.
[73] Le défendeur prétend que même si la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir, étudiait la question de savoir si un organisme public avait une obligation d’équité dans le cas du congédiement d’un employé occupant un emploi prévu dans une loi mais régi par un contrat privé, la portée de l’arrêt ne se limite pas à l’emploi statutaire. De l’avis du défendeur, cet arrêt établit le principe général selon lequel un organisme public qui conclut légitimement un contrat privé avec une autre partie, puis exécute une condition du contrat, n’est pas assujetti à l’obligation d’équité qui prévaut en droit public. Cette relation est régie par le droit privé des contrats. L’autre partie est protégée contre les agissements illicites de l’organisme public en vertu du droit privé, par le recours en violation de contrat, et les recours de droit public ne s’appliquent pas.
[74] Le défendeur soutient qu’en l’espèce l’article 12 du bail protégeait l’intérêt du demandeur en droit privé, en prévoyant que la décision de pourvoir à un autre logement pour le locataire devenu incapable de vivre de façon autonome ne pouvait être prise qu’après avoir consulté le parent ou l’ami du locataire. Le conseil de bande a rempli son obligation contractuelle à cet égard aux termes du bail et, précise le défendeur, Mme Sawyer et les autres membres du personnel de la Première nation ont consulté la mère et le frère du demandeur durant une certaine période. En outre, Mme Sawyer était en communication fréquente avec le demandeur et sa mère. À la réunion du 24 octobre 2006, la mère du demandeur a été informée de l’intention du conseil d’appliquer l’article 12 du bail, et le 1er novembre 2006, le conseil de bande a exercé ses droits contractuels de résilier le bail du demandeur conformément à l’article 12.
[75] Le défendeur déclare que le conseil de bande ne conteste pas avoir l’obligation fiduciaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans l’intérêt supérieur de tous les membres de la bande. Une obligation fiduciaire est une obligation en equity qui découle de la nature de la relation entre les parties. Le fiduciaire doit agir avec le plus haut degré de bonne foi et de loyauté à l’égard du bénéficiaire, mais le demandeur confond la nature de l’obligation fiduciaire avec l’obligation d’équité afférente au droit public. La notion d’obligation fiduciaire en equity est distincte, sur le plan conceptuel, de l’obligation d’équité en droit public. En soi, l’existence d’une obligation fiduciaire ne donne pas naissance à un droit à l’équité procédurale découlant du droit public. Le conseil de bande a agi avec le plus haut degré de bonne foi et de loyauté envers tous les membres de la bande lorsqu’il a résilié le bail en vertu de l’article 12.
[76] En conclusion, le défendeur affirme qu’il est clairement établi en droit que le conseil de bande n’est tenu à aucune obligation d’agir équitablement lorsqu’il exerce son droit d’expulser un locataire en application des dispositions d’un bail. La Cour fédérale n’a pas compétence pour connaître d’une affaire qui relève strictement du droit privé lorsque cette compétence ne lui a pas été expressément conférée.
Disponibilité d’un autre recours judiciaire
[77] Le défendeur avance que le pouvoir de surveillance des tribunaux judiciaires sur les tribunaux administratifs, y compris ceux prévus à la Loi sur les Cours fédérales, est fondé sur la codification de recours extraordinaires de la common law. Suivant une règle bien établie de la cour, l’exercice de ce pouvoir est exceptionnel, discrétionnaire et disponible dans les seuls cas où la décision en cause est finale et où tous les autres recours ont été épuisés.
[78] Le défendeur fait remarquer qu’en l’espèce le demandeur et son avocat ont expressément envisagé et menacé, dans leur lettre du 28 novembre 2006, d’exercer un autre recours en déposant une plainte et une demande d’enquête en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon le défendeur, la disponibilité de ce recours constitue une solution de rechange au contrôle judiciaire qui n’a pas été épuisée et qui, de ce fait, constitue une fin de non-recevoir absolue à l’obtention de la réparation sollicitée dans la présente demande.
ANALYSE
[79] La présente demande soulève la question restreinte mais extrêmement importante de savoir si un conseil de bande est assujetti à l’obligation d’équité procédurale afférente au droit public, lorsque la décision attaquée a été prise en vertu d’un contrat de location résidentielle privé conclu entre les parties et qui permet explicitement à la bande de prendre la décision en cause.
[80] Le cas présent ne porte pas sur les obligations et les droits contractuels respectifs des parties. Le dossier révèle que M. Cottrell est un homme très vulnérable, mais également très difficile. Je ne vois rien, dans le dossier, qui donne à penser que le conseil de bande n’a pas agi de bonne foi dans cette affaire, ou que sa décision d’expulser M. Cottrell de sa maison, dans la réserve, n’a pas été prise avec le souci d’assurer son bien-être et les intérêts d’autres membres de la bande. M. Cottrell a besoin d’aide et de soins. Il souhaite aussi demeurer dans sa propre maison. Le conseil de bande ne peut lui dispenser les soins et l’aide dont il a besoin s’il reste dans sa maison. Le conseil de bande est d’avis que sa place est dans un établissement de santé où on pourra s’occuper de lui. C’est la raison pour laquelle il a été expulsé.
[81] Il semble évident qu’un conseil de bande est un organisme public dont les décisions peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale : voir Vollant c. Sioui, [2006] A.C.F. no 611, au paragraphe 25. Cependant, dans le cas sous étude, les parties ont conclu un contrat de droit privé concernant le droit de M. Cottrell d’habiter la maison en cause, et ce contrat prévoyait précisément ce qu’il arriverait si le conseil de bande venait un jour à la conclusion que M. Cottrell n’était plus en mesure de prendre soin de lui-même à la maison. Si M. Cottrell est vulnérable maintenant, rien n’indique qu’il en était ainsi lorsqu’il a conclu le contrat ou qu’il n’a pas compris ce qui pourrait se passer s’il devenait incapable de « vivre de façon autonome par ses propres moyens, en exerçant ses propres facultés intellectuelles […] ».
[82] M. Cottrell, naturellement, dispose de toute la gamme des recours contractuels, s’il estime que le conseil de bande n’a pas respecté le contrat. Néanmoins, il souhaite se prévaloir également des recours du droit public en imposant une obligation d’équité procédurale au conseil de bande. Il prétend qu’avant de procéder à son expulsion en vertu du contrat, le conseil de bande aurait dû l’informer de ses préoccupations et lui permettre d’y remédier.
[83] Il appert clairement du dossier que la façon dont le conseil de bande s’y est pris pour expulser le demandeur est étroitement liée aux problèmes que M. Cottrell a causés dans le passé et à son refus de quitter sa maison et de déménager dans un établissement de santé.
[84] La principale affaire invoquée par le demandeur relativement à ce genre de situation est la décision Obichon c. Première nation du lac Heart, no 176, [1989] 1 C.N.L.R. 100. Cependant, l’affaire Obichon n’est pas tout à fait identique à la présente demande parce que la question de l’obligation d’équité n’a pas été traitée en profondeur et que l’instance semble avoir été fondée sur l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Il n’est pas question de partialité dans le cas qui nous occupe, et de toute façon, quoi qu’il ait été décidé dans Obichon, tant la Cour fédérale que la Cour d’appel fédérale ont refusé de reconnaître cette décision à titre de précédent pour le genre de situation dont traite la présente demande.
[85] Dans la décision Gamblin no 1, le juge Muldoon a statué aux paragraphes 41 à 43 que la relation qui existait entre le conseil de bande et M. Gamblin « au sujet de l’attribution d’un logement est un contrat de droit privé » et qu’« il n’y a pas d’obligation d’agir équitablement lorsqu’il s’agit d’un domaine de droit privé, et il n’y a donc pas lieu de tenir compte de cet aspect ». Le juge Muldoon a aussi conclu au sujet, semble-t-il, d’un moyen subsidiaire : « Néanmoins, si l’on examine davantage cet argument, on peut déclarer que si le conseil avait effectivement l’obligation d’agir équitablement envers les demandeurs, il s’est acquitté de son obligation. »
[86] La Cour d’appel fédérale s’est aussi penchée sur la situation de M. Gamblin dans l’appel interjeté dans Gamblin no 2.
[87] La Cour d’appel fédérale, qui a rendu son jugement à l’audience, a confirmé la décision du juge Muldoon. L’un des points que M. Gamblin a plaidés en appel est que « le juge de première instance a commis une erreur en concluant que le conseil de la bande n’avait aucune obligation d’équité envers les appelants en ce sens qu’il devait leur accorder une audience avant de les expulser ».
[88] La Cour d’appel fédérale a manifestement rejeté ce moyen d’appel parce qu’elle a confirmé la décision rendue par le juge Muldoon dans Gamblin no 1.
[89] Toutefois, la Cour d’appel fédérale a aussi expliqué, dans Gamblin no 2 :
6. Il existait des éléments de preuve permettant au juge de première instance de conclure qu’il existait un contrat de location résidentielle entre le conseil de la bande et M. Gamblin et que, selon une condition de ce contrat, M. Gamblin ne devait pas utiliser de drogues illégales dans le logement ou en faire trafic.
7. Il existait également certains éléments de preuve permettant au juge de première instance de conclure que M. Gamblin avait violé cette condition.
8. Quant à la question de l’obligation d’équité, on ne nous a reportés à aucun arrêt dans lequel il serait statué que le conseil de la bande est tenu d’accorder une audience au sujet de la mise en application des conditions des contrats de location résidentielle qu’il conclut.
[90] La situation n’est pas tout à fait claire, parce que le juge Muldoon, au paragraphe 41 de sa décision dans Gamblin no 1, a déclaré que l’entente intervenue entre M. Gamblin et le conseil de bande ne « constitue pas un bail puisque l’utilisateur ne paie pas de loyer », et il a qualifié l’entente de « contrat de droit privé ».
[91] Après avoir examiné ensemble les deux décisions Gamblin, je ne crois pas qu’il y ait désaccord sur ce point. De toute évidence, le juge Muldoon voulait dire que l’entente en question ne constituait peut-être pas un bail ordinaire ou conventionnel, puisque l’utilisateur ne payait pas de loyer, mais qu’il s’agissait néanmoins d’un « contrat de droit privé » qui ne donnait pas lieu à l’obligation d’équité du droit public.
[92] Je ne pense pas que la Cour d’appel fédérale, en désignant la même entente de « contrat de location résidentielle », se soit méprise sur le fondement de la décision du juge Muldoon. Il existait manifestement une entente de location résidentielle entre M. Gamblin et le conseil de bande, même si cette entente ne pouvait être qualifiée de bail conventionnel comportant le paiement d’un loyer. Il est également significatif que dans l’affaire Gamblin no 1, la décision Obichon a été invoquée devant le juge Muldoon pour étayer précisément le principe que cette décision, de l’avis du présent demandeur, établit, à savoir que le conseil de bande d’après les faits mis en preuve avait à l’égard de M. Obichon une obligation relevant du droit public. La décision Obichon est manifestement un des précédents que la Cour d’appel fédérale a rejetés dans l’arrêt Gamblin no 2, parce que ce cas est cité dans les motifs du juge Muldoon.
[93] Dans le cas sous étude, le bail auquel le demandeur est partie comporte le paiement d’un loyer, mais je ne vois pas comment ce fait peut faire en sorte de soustraire le bail de la catégorie des « contrat[s] de droit privé » qui est à la base des décisions Gamblin.
[94] Je me trouve donc, semble-t-il, dans la même position que la Cour d’appel fédérale dans Gamblin no 2, en ce qu’on ne m’a reporté « à aucun arrêt dans lequel il serait statué que le conseil de la bande est tenu d’accorder une audience au sujet de la mise en application des conditions des contrats de location résidentielle qu’il conclut ».
[95] En fait, les deux décisions Gamblin indiquent qu’une situation comme celle de l’espèce ne donne naissance à aucune obligation d’agir équitablement au-delà de la relation contractuelle.
[96] La courtoisie judiciaire et la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, que je dois respecter, permettent de penser qu’il est inutile d’examiner cette affaire plus avant et que la demande doit être rejetée.
[97] Le défendeur n’a pas demandé les dépens.
JUGEMENT
1. La demande est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1682-07
INTITULÉ : JAMES EDWIN COTTRELL
c.
CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION DES CHIPPEWAS DE RAMA MNJIKANING
DATE DE L’AUDIENCE : Le 20 janvier 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE16 MARS 2009
COMPARUTIONS :
Linda Rothstein Erin Burbridge |
POUR LE DEMANDEUR |
Brendan Van Niejenhuis Owen Rees
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Paliare Roland Rosenberg Rothstein, s.r.l. Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR |
Stockwoods, s.r.l. Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR |