Federal Court |
|
Cour fédérale |
Ottawa (Ontario), le 4 mars 2009
En présence de monsieur le juge Harrington
ENTRE :
ADRIANA BUCIO RUIZ,
CARLOS RITO BUCIO,
DULCE FERNANDA RITO BUCIO
ET ARIADNA RITO BUCIO
demandeurs
et
ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Rito Suarez a connu des moments difficiles à Mexico. Il s’est fait volé à plusieurs occasions alors qu’il travaillait comme chauffeur de taxi. Il a été témoin d’un vol de banque et, bien qu’il ait collaboré avec la police, il n’a pas été en mesure de reconnaître aucun suspect lors d’une séance d’identification ni l’accusé dans un procès subséquent. Pourtant, un membre de la famille de cet accusé l’a menacé au palais de justice. Des hommes à l’allure menaçante et ne s’ayant pas identifié, qui étaient à sa recherche, se sont rendus chez son père et plusieurs menaces téléphoniques ont été reçues.
[2] En combinant le tout, et compte tenu de sa forte méfiance envers la police, il a jugé que cette dernière ne le protégerait pas en tant que témoin d’un vol et qu’il avait suscité son inimitié en ne réussissant pas à identifier l’accusé, lequel aurait pu être arrêté.
[3] Le demandeur, son épouse et ses enfants, se sont enfuis de Mexico et sont arrivés au Canada où ils ont présenté une demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés. Le présent contrôle judiciaire vise la décision qui a rejeté cette demande.
[4] L’affaire porte sur la protection de l’État, étant donné que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’a pas examiné la possibilité de refuge intérieur à Mexico. L’avocate de la famille de Rito Suarez soutient que le Tribunal a simplement examiné pour la forme les principes de la protection de l’État et qu’il a omis de faire une analyse particulière de la documentation tirée de la propre bibliothèque de la Commission et d’ailleurs, selon laquelle la police, en particulier celle de Mexico, est corrompue, et qu’il n’existe pas de protection en faveur des témoins de crime. Par conséquent, la présomption relative à la protection de l’État a été clairement réfutée.
[5] La décision ne devrait être modifiée que si elle est jugée déraisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190). À mon avis, la décision était raisonnable et je dois donc rejeter le présent contrôle judiciaire.
[6] Les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies puisqu’il n’y a pas de lien entre les cinq motifs qu’ils ont invoqués et leur situation. M. Suarez est une victime du crime et la cible possible d’une vendetta personnelle. À cet égard, la question est de savoir s’il a besoin d’une protection internationale, malgré la présomption selon laquelle son propre pays a la capacité de le protéger.
[7] Il a été allégué que le Tribunal a utilisé le mauvais critère en ce qui concerne le nombre de recours qu’une personne doit exercer auprès des autorités avant d’abandonner son pays d’origine. Si le Tribunal avait déclaré que M. Suarez devait épuiser tous les recours possibles avant de quitter Mexico, cette allégation aurait très bien pu être exacte. Comme l’a souligné la juge Tremblay‑Lamer dans Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232 (QL), le demandeur n’a pas à aller aussi loin que se faire tuer pour établir qu’il n’existe pas une protection de l’État. Cependant, ce n’est pas le critère énoncé par le Tribunal. Ce dernier a indiqué à juste titre qu’il existe une présomption selon laquelle l’État a la capacité de protéger ses citoyens, sauf s’il y a un effondrement complet de l’appareil étatique, et qu’il appartient au demandeur de démontrer que la protection de l’État est insuffisante, d’après la prépondérance des probabilités. Le Tribunal a déclaré : « [I]l lui incombe de solliciter la protection de l’État lorsqu’elle pourrait raisonnablement être assurée. » Après avoir examiné la preuve, le Tribunal a conclu que « […] la protection de l’État mexicain est adéquate et que les demandeurs d’asile n’ont pas raisonnablement épuisé tous les recours qui s’offraient à eux pour se prévaloir de la protection de l’État ». On est loin d’affirmer qu’ils devaient épuiser tous les recours, raisonnables ou non.
[8] On reproche au Tribunal de ne pas avoir fait une analyse en profondeur des arguments détaillés de l’avocate sur les conditions dans le pays. Il existe une présomption selon laquelle le Tribunal a examiné l’ensemble de la preuve (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL)). Cependant, cette présomption peut être réfutée. Plus la documentation s’appliquant au cas particulier du demandeur est importante, plus elle devrait être mentionnée expressément dans les motifs de l’ordonnance (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL)).
[9] Dans la présente affaire, le Tribunal a reconnu sans peine que la corruption policière est un grave problème, mais il a en même temps souligné que des efforts acharnés sont faits pour corriger la situation, ou au moins pour réduire le nombre d’incidents. Malgré ce qui a été dit, l’analyse du Tribunal n’indique pas que celui-ci a procédé à un examen « comme il se devait » des conditions dans le pays. Le Tribunal n’est pas tenu de mentionner expressément ni d’analyser dans ses motifs un document simplement parce que l’avocat l’a spécifiquement mentionné, d’autant plus que le Tribunal a reconnu d’emblée la corruption policière.
[10] Étant donné que M. Suarez n’a jamais identifié les suspects de vol que lui avait présentés la police, le motif d’absence de protection suffisante à l’égard des témoins est plutôt injustifié.
[11] Les propres démarches de M. Suarez auprès de la police ne révèlent aucune preuve tangible de corruption. Au contraire, le vol de banque indique que la police tentait de résoudre le crime. C’est pure conjecture que de supposer qu’elle était complice avec les voleurs pour piéger d’innocentes personnes. Lorsqu’il a signalé à la police qu’il s’était fait voler dans son taxi, celle-ci a fait enquête. De plus, il n’a jamais informé la police des menaces qu’il avait reçues au palais de justice.
[12] Il n’était pas déraisonnable que le Tribunal conclut que les demandeurs n’ont pas réussi à établir que la protection de l’État est insuffisante. Une récente décision de la Cour d’appel fédérale portant sur la protection de l’État offerte à Mexico est l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Flores Carillo, 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. no 399 (QL).
ORDONNANCE
LA COUR STATUE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.
« Sean Harrington »
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3601-08
INTITULÉ : Carlos Jorge Rito Suarez et al. c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 26 février 2009
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : Le 4 mars 2009
COMPARUTIONS :
Karen Kwan Anderson
|
|
David Cranton
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pace Law Firm Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR |