Montréal (Québec), le 4 mars 2009
En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé
ENTRE :
JUANA MAGANA MANRIQUE
GUADALUPE ISABEL SANZON MAGANA
JUANA ELIZABETH SANZON MAGANA
MARCO EDUARDO SANZON MAGANA
partie demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
partie défenderesse
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction
[1] Le demandeur principal monsieur Eduardo Sanzon Serna (demandeur), sa conjointe, madame Juana Magana Manrique, et leurs trois enfants Juana Élizabeth, Guadalupe Isabel et Marcos Eduardo Sanzon Magana, tous citoyens mexicains, sollicitent en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), la révision judiciaire de la décision rendue le 3 juillet 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR) de ne pas leur reconnaître la qualité de « réfugié », ni celle de « personne à protéger » conformément au sens des articles 96 et 97 de la Loi, et en conséquence de rejeter leur demande d’asile, et ce, au motif principal qu’ils disposent d’un refuge interne au Mexique et qu’ils n’ont pas démontré qu’il serait déraisonnable pour eux d’y refaire leur vie ni satisfait leur fardeau d’établir une possibilité sérieuse de persécution en vertu d’un des motifs de la Convention.
II. Les faits
[2] Suite à un accrochage entre un autobus conduit par le demandeur et un autre véhicule conduit par un automobiliste à l’identité incertaine (Juan N), ce dernier aurait engueulé, menacé le demandeur et réclamé le paiement des dommages causés à son véhicule. Malgré sa réaction lors de l’incident, Juan N reconnaissait malgré tout sa responsabilité en réglant par la suite avec l’employeur du demandeur les dommages causés à l’autobus lors de l’incident.
[3] Quinze jours après l’accident, Juan N aurait aperçu le demandeur dans une gare routière et se serait jeté sur lui pour essayer de le frapper, mais aurait quitté en furie après l’intervention des compagnons de travail du demandeur.
[4] Quelque temps plus tard, alors que le demandeur visitait ses beaux-parents dans une municipalité voisine, Juan N serait apparu au volant d’un véhicule rouge pour venir le menacer et lui réclamer une indemnisation pour les dommages causés à sa voiture lors de l’accident susdit. Deux jours après ce nouvel incident, soit le 24 juillet 2007, le demandeur serait allé au Ministère Public pour déposer une plainte et obtenir une protection quelconque. On lui aurait alors expliqué qu’il fallait faire enquête et qu’en attendant aucune protection ne pouvait lui être offerte.
[5] Plutôt que de chercher un refuge interne pour lui et sa famille en attendant le résultat de l’enquête du Ministère Public, le demandeur s’empresse de faire le nécessaire pour obtenir des passeports pour tous les membres de sa famille. Dès le 9 août 2007, le demandeur quitte le Mexique par avion avec sa famille et vient au Canada demander l’asile que la décision de la SPR du 3 juillet 2008 leur refusera.
III. Question en litige
Norme de contrôle
[6] Considérant que le présent litige soulève une question mixte de fait et de droit, la Cour appliquera à son analyse la norme de la décision raisonnable énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.
Existence d’un refuge interne
[7] Une analyse attentive de la preuve révèle que le demandeur a quitté le Mexique à peine deux semaines après avoir porté plainte au Ministère Public sans permettre à la police d’entamer une enquête sérieuse et alors qu’aucun autre incident n’était survenu depuis pouvant justifier une telle hâte.
[8] Le demandeur n’a jamais cherché un refuge interne pour lui et sa famille, ne serait-ce que temporairement en attendant de connaître le résultat de l’enquête des autorités approchées. Il tente d’excuser ce fait en prétextant qu’il n’avait pas les moyens financiers de déménager dans une autre localité au Mexique, mais il pouvait financer les frais d’un voyage en avion avec toute sa famille pour venir s’établir à Montréal.
[9] Le demandeur estime que sa vie et celle de sa famille seraient menacées partout dans ce grand et vaste pays qu’est le Mexique, et que les autorités ne peuvent leur offrir la protection recherchée. Néanmoins, à ce jour, le demandeur ne peut même pas confirmer l’identité de l’agresseur qui l’aurait menacé, sauf peut-être son prénom, et n’a fait aucune démarche raisonnable afin d’obtenir plus d’information à son sujet ou pour aider les autorités dans leur enquête.
[10] Les demandeurs opposent par ailleurs la conclusion de la SPR selon laquelle un refuge interne existe pour eux au Mexique qu’« il n’y a aucune preuve soumise dans le présent dossier pouvant démontrer que Juan N. n’a pas les ressources financières nécessaires pour (les) poursuivre ». Puisque les demandeurs semblent l’oublier, il convient de leur rappeler que le fardeau de la preuve ne reposait pas sur la SPR, mais bien sur leurs épaules. Or, ils n’ont fait aucune démarche concrète et réelle pour démontrer qu’il existait un risque réel et concret pour leur vie ou sécurité ailleurs au Mexique. Ils n’ont même pas cherché un refuge interne temporaire en attendant que les autorités puissent faire enquête et donner suite à la plainte du demandeur.
[11] Un demandeur d’asile doit démontrer qu’il existe, sur l’ensemble du territoire de son pays, un risque réel pour sa vie ou un risque de peines cruelles et inusitées (Olmos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 809, par. 18). Les demandeurs n’ont présenté aucune preuve qui aurait pu permettre à la SPR de conclure dans ce sens.
[12] Par ailleurs, la SPR a bien apprécié chacun des éléments de preuve qui devaient l’être et a conclu à bon droit à l’existence d’un refuge interne que les demandeurs auraient dû envisager et tenter sérieusement d’obtenir avant de venir chercher refuge au Canada. Les demandeurs ont eu tort de fonder leur demande sur la situation générale prévalant au Mexique, de ne faire aucun effort pour chercher un refuge interne, et de n’offrir aucune preuve qu’ils étaient personnellement et réellement à risque partout au Mexique.
[13] La conclusion de la SPR quant à l’existence d’un refuge interne s’appuie sur les éléments de preuve qu’il lui appartenait d’apprécier à la lueur du droit et de son expertise; elle est plus que raisonnable même si son effet sur la demande des demandeurs ne correspond pas à leur attente.
[14] Le bien-fondé en fait et en droit de cette conclusion de la SPR quant à l’existence pour les demandeurs d’un refuge interne justifie à lui seul le rejet du présent recours sans qu’il soit nécessaire pour la Cour de traiter des autres griefs dirigés par les demandeurs contre la décision de la SPR (Palacios c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 816, par. 28).
[15] La décision de la SPR quant à l’existence d’un refuge interne est justifiée tant par les faits mis en preuve que le droit s’y rapportant; il s’agit donc d’une décision raisonnable qui suffit en soi à disposer du présent recours. La demande sera donc rejetée.
[16] Aucune question importante de portée générale n’ayant été proposée, aucune question ne sera certifiée.
JUGEMENT
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
REJETTE la demande de contrôle judiciaire.
« Maurice E. Lagacé »
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3383-08
INTITULÉ : EDUARDO SANZON SERNA ET AL. c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 4 février 2009
DATE DES MOTIFS : Le 4 mars 2009
COMPARUTIONS :
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Odette Desjardins Montréal (Québec)
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POUR LA PARTIE DEMANDERESSE |
Mario Blanchard Montréal (Québec) |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Odette Desjardins Montréal (Québec) |
POUR LA PARTIE DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec)
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POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |