Cour fédérale |
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Federal Court |
Vancouver (Colombie‑Britannique), le 17 février 2009
En présence de monsieur le juge Blanchard
ENTRE :
demandeur
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] M. Mohmed Abdasalm Abossa (le demandeur), citoyen de la Libye, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 25 février 2008 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a rejeté sa demande d’asile.
[2] Le demandeur a quitté la Libye le 18 octobre 2004, et a présenté une demande d’asile le 15 juin 2006 sur le fondement de ses opinions politiques. L’élément principal de sa demande était un message hors ligne qu’il affirmait avoir reçu de son frère qui se trouvait en Libye. Le demandeur a soutenu que son frère l’avait informé que la Sécurité intérieure attendait son retour en Libye et qu’elle prendrait des mesures contre lui en raison d’un message qu’il avait écrit sur la paroi rocheuse d’une montagne en janvier 2004.
II. Les faits
[3] Le demandeur a travaillé pour Waha Oil Company à Tripoli en qualité de programmeur d’ordinateur. En janvier 2004, alors que le demandeur rendait visite à ses parents à Azentan en Libye, lui et un ami, Othman Al Alazhary, sont allés faire une balade en automobile et se sont arrêtés près d’une montagne. Le demandeur ressentait de la frustration envers le régime libyen et, à l’aide de cendre de bois, il a écrit des commentaires méprisants à l’endroit du gouvernement libyen sur la roche.
[4] En octobre 2004, le demandeur a été envoyé ici muni d’un permis d’études afin de suivre une formation à la Southern Alberta Institute of Technology (l’Institut de technologie du Sud de l’Alberta). En octobre 2005, avant l’expiration de son permis d’études, le demandeur a demandé à l’entreprise pour laquelle il travaillait de prolonger son permis d’études d’un mois afin de terminer ses examens. Bien qu’il ne soit pas clair si la prolongation était liée au permis du demandeur, et, si c’est le cas, comment son employeur aurait obtenu cette prolongation, l’employeur a néanmoins rejeté sa demande. Le demandeur a cependant reçu l’autorisation d’utiliser ses jours de vacances et a présenté une demande pour rester au Canada jusqu’en mars 2006.
[5] Le demandeur s’est par la suite inscrit à un cours d’anglais à Calgary afin d’obtenir un nouveau permis d’études, et ce permis lui a été accordé, lequel était valide de novembre 2005 jusqu’au 30 juin 2006. Le demandeur n’a seulement participé qu’aux deux premiers jours du cours et n’a jamais payé au complet ses frais de scolarité.
[6] Après avoir terminé ses examens en novembre et en décembre 2005, le demandeur a pris des renseignements concernant la possibilité de s’inscrire à un programme de maîtrise au Canada. Il a affirmé avoir présenté en Libye, par l’entremise de son père, une demande de bourse d’études, et que les autorisations préalables avaient été accordées.
[7] Au début de 2006, le demandeur a présenté une demande de visa pour séjours multiples au consulat général du Canada à Seattle parce qu’il voulait être capable de retourner en Libye pour fêter l’Aïd, une fête religieuse, et que le permis d’étude ne lui permettait pas de faire un tel voyage.
[8] En mars 2006, le demandeur a demandé à son employeur s’il pouvait avoir plus de jours de vacances; l’employeur lui a accordé des vacances jusqu’en mai 2006, soit deux mois avant l’expiration de son deuxième permis.
[9] En avril 2006, le demandeur a été informé que sa demande de bourse d’études était rejetée par le ministère de la Sécurité intérieure de la Libye. Le demandeur a affirmé qu’il avait alors immédiatement commencé à préparer son retour à la maison parce qu’il n’avait pas les moyens de continuer à étudier au Canada sans aide financière. Il a également mentionné d’autres raisons expliquant sa décision de retourner en Libye : sa sœur se mariait et sa grand‑mère était malade.
[10] Le ou vers le 6 mai 2006, le demandeur aurait reçu un message hors ligne sur son compte Yahoo Messenger de la part de son frère, qui l’informait qu’un ami de leur père qui travaillait pour le ministère de la Sécurité intérieure avait avisé leur père que la Sécurité intérieure avait arrêté Othman Alazhary – l’ami du demandeur –, lequel avait révélé que le demandeur était l’auteur des commentaires méprisants écrits deux ans plus tôt sur le flanc de la montagne. Selon le demandeur, l’ami de son père avait également mentionné que la Sécurité intérieure attendait le retour du demandeur et qu’elle allait alors prendre des mesures contre lui.
[11] Le demandeur a consulté un avocat et a déposé sa demande d’asile en mai ou en juin 2006. Une séance a été tenue à Edmonton le 20 août 2007, et l’audience s’est poursuivie à Calgary le 27 novembre 2007.
[12] Le 25 février 2008, la Commission a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger, et elle a donc rejeté sa demande d’asile.
III. La décision contestée
[13] La Commission a conclu que la preuve que le demandeur avait présentée n’établissait pas de façon crédible et fiable ses prétentions et a donc rejeté sa demande d’asile fondée sur ses opinions politiques. La Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié, ni une personne à protéger.
[14] Je résume ci‑dessous les conclusions sur lesquelles repose la décision de la Commission :
· Le demandeur n’a fourni aucun renseignement crédible concernant l’arrestation de son ami.
· Les autorités n’ont pas communiqué avec la famille du demandeur.
· Bien que le demandeur ait affirmé dans son témoignage qu’il ne savait pas si la Sécurité intérieure le recherchait au moment de son départ et qu’il n’y avait aucune rumeur qui circulait au sujet du message méprisant qu’il avait écrit, les notes prises par l’agent d’immigration lors de la première entrevue révélaient une version contraire de ce récit. La Commission n’a pas accepté les explications du demandeur au sujet des contradictions, explications selon lesquelles l’interprétation de l’arabe avait peut-être été fautive.
· L’élément principal de la demande du demandeur est le message hors ligne que son frère lui aurait envoyé de la Libye, mais il n’y aucune preuve de l’envoi ou de la teneur du message.
· La Commission a rejeté les explications données par le demandeur pour ne pas avoir demandé à son frère des éléments de preuve documentaire corroborants, et elle a noté que le demandeur avait pourtant communiqué avec son père concernant d’autres questions telles que l’obtention de relevés de notes de la Libye et la demande de bourse d’études afin de pouvoir étudier au Canada.
· Le demandeur était prêt à manipuler le régime d’immigration en s’inscrivant à un cours d’anglais afin d’obtenir une prolongation de son permis d’études; les efforts qu’il a déployés afin d’obtenir un visa pour séjours multiples avant de présenter sa demande d’asile donnent à penser qu’il désirait grandement rester au Canada et révèlent un comportement compatible avec celui d’une personne voulant obtenir un statut juridique. La Commission a conclu que le demandeur avait inventé ses allégations afin de créer le fondement de sa demande « sur place ».
· Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve portant sur sa situation personnelle ou sur toute difficulté qui lui aurait été causée par les autorités gouvernementales avant de quitter la Libye.
· Les facteurs susmentionnés réfutent à eux seuls la présomption de véracité; par conséquent, l’élément principal de la demande du demandeur n’est pas corroborée de façon crédible.
IV. Les questions en litige
[15] Le demandeur a soulevé les questions suivantes :
1) La commissaire a‑t‑elle commis une erreur, en ce sens qu’elle a compris le témoignage du demandeur d’une telle façon que cela a faussé l’impression qu’elle avait de sa crédibilité et l’appréciation qu’elle en a fait?
2) La conclusion de la commissaire au sujet du contrôle exercé par le gouvernement de la Libye sur les communications était‑elle étayée par la preuve dont disposait la commissaire?
3) La commissaire a‑t‑elle omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait dans le cadre de son analyse quant à savoir si le demandeur ferait face à un risque parce qu’il avait présenté une demande d’asile au Canada?
V. La norme de contrôle
[16] Les trois questions en litige, telles que plaidées par le demandeur, portent essentiellement sur des conclusions de fait. Il est de jurisprudence constante que la norme applicable à de telles conclusions est la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, 1 R.C.S. 190, paragraphe 51). Par conséquent, l’appréciation de la preuve déposée doit avoir mené à une décision appartenant « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47).
VI. Analyse
[17] Le demandeur conteste ce que la Commission décrit comme étant une contradiction entre son témoignage et les renseignements fournis à l’agent d’immigration lorsqu’il a présenté sa demande.
[18] La Commission a écrit ce qui suit au paragraphe 16 de ses motifs :
Le tribunal relève une importante contradiction entre le témoignage du demandeur d’asile et l’information qu’il a fournie aux agents d’immigration lorsqu’il a présenté sa demande. Le demandeur d’asile a déclaré qu’aucune rumeur ne circulait relativement au message qu’il allègue avoir écrit avant de quitter la Libye et a ajouté qu’aucune rumeur ne circulait non plus à ce sujet à son lieu de travail. Il a dit ignorer si le personnel de la sécurité le recherchait au moment de son départ. Le demandeur d’asile a été renvoyé aux notes prises par l’agent d’immigration durant l’entrevue tenue au moment de la présentation de sa demande. Ces notes indiquent que le demandeur d’asile a déclaré que, deux jours après avoir écrit le message, il est retourné au travail et des rumeurs circulaient selon lesquelles la sécurité intérieure recherchait les auteurs des graffitis.
[19] Un examen approfondi de la transcription de l’audience révèle qu’on a demandé au demandeur s’il y avait eu des rumeurs qu’il serait l’auteur des graffitis, et le demandeur a répondu par la négative. Cependant, il a également affirmé dans son témoignage que des personnes parlaient du message qu’il aurait écrit. Il a soutenu que, deux jours après l’incident, son père lui avait dit que cela [traduction] « faisait jaser ». Il ressort également clairement de la transcription que le demandeur a affirmé que des collègues de travail étaient au courant du message environ un mois après le fait.
[20] La conclusion de la Commission, selon laquelle le demandeur « a dit ignorer si le personnel de la sécurité le recherchait au moment de son départ », est également discutable. Cette conclusion est fondée sur la réponse du demandeur à la question suivante posée par la commissaire : [traduction] « […] croyez-vous que la Sécurité intérieure soit allée dans votre village à cette époque pour trouver l’auteur du message? » Le demandeur a répondu ce qui suit :
[traduction]
Il pourrait s’agir d’une affaire où, parce qu’elle n’a pas de preuve, la Sécurité intérieure ne peut pas simplement arrêter des personnes de façon arbitraire et les accuser d’être l’auteur du message. Il pourrait s’agir d’une affaire où elle pourrait prendre des photographies du message, procéder à son enquête et essayer d’en trouver l’auteur avant de prendre des mesures.
Dans sa réponse, le demandeur a mis l’accent sur la question de savoir si la Sécurité intérieure était allée à son village plutôt que sur la question de savoir s’il y avait une enquête en cours. Cette réponse était raisonnable étant donnée la formulation de la question qui lui avait été posée, et elle était conforme au Formulaire de renseignements personnels du demandeur (le FRP), dans lequel il avait affirmé que la Sécurité intérieure le recherchait, mais où il n’avait pas affirmé qu’elle s’était rendue dans son village dans ce but.
[21] Par suite d’un examen de l’ensemble de la preuve, il est difficile de conclure qu’il y a une grande contradiction entre le témoignage du demandeur et les notes prises par l’agent d’immigration. Bien que la preuve puisse révéler une contradiction au sens strict, il ne s’agit pas d’une contradiction qui justifierait le rejet d’une demande d’asile. En fait, la Commission l’a reconnu dans ses motifs : elle a conclu que la contradiction, bien qu’importante, pouvait ne pas entraîner le rejet de la demande.
[22] Cependant, la décision de la Commission est également fondée sur d’autres conclusions que j’ai résumées précédemment dans les présents motifs. La Commission a examiné le comportement du demandeur depuis son arrivée au Canada et a conclu qu’il correspondait au comportement d’une personne voulant obtenir un statut au Canada. Elle a noté la connaissance du demandeur au sujet des processus et des politiques du régime d’immigration au Canada et sa volonté de manipuler le régime pour parvenir à ses fins. Vu la preuve, il était loisible à la Commission de tirer ces conclusions.
[23] La Commission a conclu que le demandeur n’avait déposé aucune preuve étayant l’élément principal de sa demande, à savoir qu’il avait reçu un courriel « hors‑ligne » de son frère qui se trouvait en Libye. Elle a rejeté l’explication du demandeur, selon laquelle il n’avait pas essayé d’en obtenir la preuve parce que sa famille était en danger. Le demandeur n’a pas établi que sa famille avait un profil politique quelconque ou des problèmes de quelque type que ce soit avec les autorités libyennes. La preuve révèle que son père avait des amis dans le gouvernement et travaillait pour la poste. La Commission a également noté qu’aucune preuve n’avait été déposée au sujet de l’arrestation de l’ami du demandeur. Il était loisible à la Commission de conclure qu’il n’y avait pas de preuve prépondérante que le demandeur avait même reçu un message de son frère.
[24] Le demandeur conteste l’examen de la Commission concernant la preuve documentaire portant sur le contrôle exercé par le gouvernement de la Libye sur les communications. La Commission a conclu qu’il ne ressortait pas de la preuve que tous les téléphones étaient sur écoute ou que tous les ordinateurs étaient sous surveillance. L’examen de la preuve et, en particulier, des parties qui ont été portées à mon attention par le demandeur, ne réfute pas cette conclusion. Rien ne donne à penser que les personnes ayant le profil du demandeur ou de la famille du demandeur sont ciblées par les autorités en Libye. Bien que la preuve documentaire montre qu’il ne faut pas croire sur parole les autorités de la Libye, la conclusion de la Commission au sujet du contrôle qui serait exercé par le gouvernement de la Libye sur les communications n’est pas incompatible avec la preuve documentaire.
[25] Malgré la conclusion discutable tirée par la Commission selon laquelle il y aurait eu contradiction dans la preuve du demandeur, je suis d’avis que, vu l’ensemble de la preuve, les conclusions de fait et de crédibilité tirées par la Commission ne sont pas déraisonnables. Il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur avait inventé les allégations sur lesquelles reposait sa demande afin de présenter une demande « sur place » qui aurait pu lui permettre de rester au Canada. La Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve, et, dans le cadre de l’appréciation et de l’analyse de la preuve, elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée. Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.
VII. Conclusion
[26] Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[27] Les parties ont eu l’occasion de soulever une question grave de portée générale, comme le prévoit l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et n’en ont proposé aucune. Je suis convaincu qu’aucune question grave de portée générale n’est soulevée en l’espèce. Je propose de n’en certifier aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. La demande contrôle judiciaire de la décision rendue le 25 février 2008 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée.
2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.
Traduction certifiée conforme
Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1251-08
INTITULÉ : Mohmed Abdasalm ABOSSA c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Edmonton (Alberta)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 21 JANVIER 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE BLANCHARD
DATE DES MOTIFS : LE 17 FÉVRIER 2009
COMPARUTIONS :
Simon K. Yu
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Camille N. Audain
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Simon K. Yu Avocat Edmonton (Alberta)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Edmonton (Alberta) |