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Date : 20080219

Dossier : IMM-5698-08

Référence : 2009 CF 165

­ [TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 19 février 2009

En présence de monsieur de juge Shore

 

 

ENTRE :

OUMOU DIAKITÉ

demanderesse

et

 

LES MINISTRES DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION ET DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

I. Introduction

 

[1]               La Cour suprême du Canada a statué, dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75, que les agents d'immigration doivent tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant lorsqu'ils prennent des décisions qui peuvent avoir une incidence sur des enfants. L'exigence a maintenant été codifiée dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). De plus, les instruments internationaux auxquels le Canada est partie, inter alia, la Convention relative aux droits de l'enfant, la Déclaration interaméricaine des droits de l'Homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, imposent aux États l'obligation de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant. Ces principes et ces obligations doivent être pris en compte en l'espèce.

 

[2]               Être « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur de l'enfant est une obligation (Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1341, 127 A.C.W.S. (3d) 121).

 

[3]               La Cour a récemment réaffirmé qu'une analyse erronée de l'intérêt supérieur de l'enfant, où l'agent ne démontre pas qu'il est réceptif, attentif et sensible à l'intérêt supérieur de l'enfant, rend la décision déraisonnable (Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 165, 323 F.T.R. 181 and Guadeloupe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 1190, [2008] A.C.F. no 1469 (QL)).

 

II. Faits

[4]               La demanderesse, Oumou Diakité, est une mineure de 17 ans, née au Mali en Afrique.

 

[5]               Comme c'est l'usage courant au Mali, elle a subi la mutilation génitale féminine (MGF) à un très jeune âge.

 

[6]               Oumu a passé son enfance dans le ménage de son père polygame.

 

[7]               Quand Oumu avait douze ans, son père est parti de la résidence familiale, laissant derrière Oumu, sa mère, qui était enceinte à l'époque, ses trois sœurs et son frère cadet.

[8]               L'oncle d'Oumu, Ibrahim Diakité, le frère aîné de son père, a pris en charge la famille quand le père est parti du ménage.

 

[9]               Son oncle a pris des décisions concernant la famille comme il en est l'usage courant au Mali.

 

[10]           En janvier 2006, quand Oumu avait quinze ans, son oncle lui a dit qu'elle allait se marier avec l'un de ses amis, qui avait plus de 50 ans et qui avait déjà trois épouses.

 

[11]           La mère d'Oumu s'est opposée à ce mariage et a dû laisser la résidence familiale.

 

[12]           Puisque les autres membres de la famille d'Oumu étaient plus jeunes qu'elle, ils sont tous partis vivre avec la mère.

 

[13]           Oumu s'est vue forcée de vivre avec son oncle en raison du mariage planifié pour le 21 septembre 2006, pendant que ses sœurs et son frère étaient partis avec sa mère.

 

[14]           Même s'il lui était interdit de visiter sa mère, Oumu a trouvé les moyens de la voir et de voir ses frères et sa sœur quand elle le pouvait.

 

[15]           Sans lui donner de plus amples détails, la mère d'Oumu a dit à sa fille qu'elle était en train de lui trouver un moyen de quitter le pays et d'éviter le mariage forcé.

 

[16]           La mère d'Oumu a effectué toutes les démarches pour que sa fille quitte le Mali.

 

[17]           Le 14 septembre 2006, Oumu a quitté le Mali avec sa mère et elles sont arrivées au Canada le 15 septembre 2006.

 

[18]           Une fois au Canada, la mère d'Oumu a confié les soins de sa fille à sa cousine Santa Keita et est retournée au Mali.

 

[19]           Mme Keita a obtenu des renseignements sur la demande d'asile au Canada et a accompagné Oumu aux bureaux de Citoyenneté et Immigration Canada au début du mois d'octobre 2006 afin qu'elle puisse présenter une demande d'asile.

 

[20]           En novembre 2006, Oumu a commencé ses études secondaires à l'École de La Dauversière à Montréal.

 

[21]           À l'audience tenue le 14 juin 2007 devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), Oumu, âgée de quatorze ans à cette époque, était impatiente et avait de la difficulté à s'exprimer.

 

[22]           Sa demande d'asile a été rejetée le 11 juin 2007, et une demande de contrôle judiciaire de cette décision a également été rejetée par la suite.

 

[23]           En décembre 2007, Oumu a déposé, du Canada, une demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire.

 

[24]           Le 27 décembre 2007, Oumu a déposé une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

[25]           Le 17 décembre 2008, Oumu a reçu une décision l'informant que ces demandes avaient été rejetées.

 

[26]           Le 30 décembre 2008, Oumu a déposé une demande de contrôle judiciaire de ces décisions.

 

[27]           Il s'agit de la décision concernant la demande de résidence permanente d'Oumu pour des motifs d'ordre humanitaire qui fait l'objet de la demande sous-jacente.

 

[28]           Le 15 janvier 2009, Oumu a été avisée, durant une entrevue avec un agent de l'Agence des services frontaliers du Canada, qu'elle devait se présenter en vue de son renvoi au Mali le 23 février 2009.

 

[29]           Le 30 janvier 2009, le nouvel avocat d'Oumu a reçu des observations écrites concernant à la fois la décision de la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire et celle de l'ERAR.

 

[30]           Elle avait refait sa vie au Canada et avait du succès à l'école, dans son travail rémunéré et comme bénévole, tout comme parmi ses amis et sa famille de facto, composée de sa tante, Mme Keita et de son oncle Kalilu Haidara, et de leurs quatre enfants avec qui Oumu avait tissé des liens étroits.

 

[31]           Oumu est actuellement au milieu de son secondaire trois à l'École secondaire Évangéline où elle est très impliquée dans les activités scolaires, notamment dans le conseil étudiant et l'équipe de soccer.

 

[32]           Oumu est également embauchée à temps partiel au restaurant Tim Horton où elle gagne de l'argent pour subvenir à ses besoins.

 

[33]           Oumu craint qu'elle ne puisse plus continuer ses études et qu'elle soit forcée de se marier avec un quinquagénaire si elle retourne au Mali.

 

[34]           Oumu sollicite, pour des motifs d'ordre humanitaire, une ordonnance sursoyant à son renvoi tant que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire soit tranchée dans le dossier IMM-5698-08.

 

III. Discussion

[35]           Conformément au critère à trois volets énuméré dans Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), pour obtenir un sursis à l'exécution, la demanderesse doit démontrer:

a.       qu'elle a soulevé une question sérieuse à trancher dans la demande sous-jacente de contrôle judiciaire;

b.      qu'elle subira un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé;

c.       que la prépondérance des inconvénients, compte tenu de la situation globale des deux parties, favorise l'octroi de l'ordonnance.

 

Question sérieuse

                  La décision faisant l'objet du contrôle

[36]           Une requête en sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi a seulement été présentée à l'égard de la décision de l'agente concernant la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire d'Oumu, bien qu'Oumu ait aussi présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable l'ERAR dans le dossier IMM-5699-08.

 

[37]           Dans sa décision faisant suite à la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire, l'agente commence par énoncer le dossier d'Oumu au Canada, et expose par la suite la famille d'Oumu au Canada, constituée de la cousine de sa mère, Mme Santa Keita, tout en disant que ses parents, ses sœurs et son frère sont toujours au Mali.

 

[38]           L'agente a résumé les motifs invoqués par Oumu, incluant une liste de la preuve documentaire déposée.

 

[39]           L'agente a ensuite procédé à l'analyse des liens d'Oumu au Canada, déterminant que bien qu'elle s'exprime en français, aime l'école et ait tissé des liens avec la cousine de sa mère et la famille de celle-ci, ces éléments ne sont pas déterminants parce qu'elle n'a été au Canada que depuis deux ans, est étudiante et n'est pas indépendante financièrement.

 

 

[40]           L'agente a également conclu que les liens d'Oumu sont de moindre importance que ceux du Mali, et qu'être séparée de la famille avec qui elle habite au Canada ainsi que de ses amis canadiens ne constitue pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[41]           Concernant les risques auxquels fait face Oumu, l'agente adopte, au début, les conclusions défavorables du CISR qui concernent la demande d'asile d'Oumu, et analyse ensuite la situation actuelle au Mali relativement à la MGF et au mariage forcé.

 

[42]           L'agent accorde peu de poids au risque de la MGF parce que si Oumu a souffert de la MGF dans le passé, il y a très peu de chances qu'elle en souffre encore si elle retourne dans son pays. De plus, selon l'agente, Oumu pourrait souffrir de la MGF même au Canada.

 

[43]           L'agente a conclu qu'il n'y avait aucun risque à la sécurité ou à la vie d’Oumu au Mali.

 

[44]           En ce qui concerne la situation générale au Mali, l'agente renvoie aux diverses conventions internationales dont Mali est l'un des signataires, constate que la MGF est surtout pratiquée dans les régions rurales du pays, et déclare qu'il existe au Mali de nombreux groupes qui travaillent pour les droits des femmes.

 

[45]           L'agente conclut finalement que s'il est vrai qu' Oumu veut améliorer sa situation en restant au Canada, utiliser le système de réfugié pour arriver à cette fin, même par une mineure, fait preuve de peu de respect pour les règles et les lois canadiennes.

 

[46]           L'agente a donc rejeté sa demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire.

 

[47]           L'agente n'a mentionné nulle part dans sa décision l'intérêt supérieur de l'enfant et n'a pas non plus donné d'indications qu'elle a effectué le type d'analyse particulier que ces intérêts nécessitent, considérant qu'Oumu est une enfant mineure.

 

            Erreurs en cause

[48]           La demande d'autorisation sous-jacente pour solliciter le contrôle judiciaire de la décision de l'agente de l'ERAR, concernant la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire, inclut ces questions sérieuses de l'examen de la Cour:

(1) L'agente de l'ERAR commet-elle une erreur de droit en ne procédant pas à l'analyse de l'intérêt supérieur d'Oumu, une enfant mineure ?

            (2) Le refus de la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire d'Oumu, formulé par l'agente de l'ERAR, était-il déraisonnable parce qu'il ne tenait pas compte des évidences dont elle disposait?

 

            Normes de contrôle

[49]           Les décisions sur les demandes de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire sont examinées sous la norme de la décision raisonnable simpliciter: Baker, précité, Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

 

[50]           La Cour a récemment réaffirmé qu'une analyse erronée de l'intérêt supérieur de l'enfant, où l'agent n'a pas démontré qu'il ou elle était réceptif, attentif et sensible, rend la décision déraisonnable. (Kolosovs, précitée, et Guadeloupe, précitée).

 

[51]           L'alinéa 18.1(4)d) des Lois sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7, indique que la Cour peut renverser la décision en question si le décideur arrive à une conclusion de fait sans tenir compte des éléments dont il dispose, et plusieurs décisions de la Cour ont confirmé qu'une telle erreur justifierait l'intervention de la Cour (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264 aux paragraphes 17 et 27; Risco-Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1412, 134 A.C.W.S. (3d) 472 au paragraphe 6; Mahanandan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994) 49 A.C.W.S. (3d) 1292, [1994] A.C.F. no 1228 (QL) aux paragraphes 7 et 8; and Kammoun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 128, 153 A.C.W.S. (3d) 1208 au paragraphe 21).

 

[52]           Ainsi, si la Cour est convaincue que l'agente n'a pas tenu compte des éléments dont elle disposait, particulièrement en ce qui concerne l'intérêt supérieur de l'enfant, la décision doit être renversée.

 

L'agente n'a pas tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant

L'obligation de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant

 

[53]           L'agente a été saisie d'une demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire présentée du Canada et soumise par une enfant mineure.

[54]           Oumu avait 16 ans au moment où sa demande pour considérations humanitaires a été déposée, et 17 ans quand l'agente a rendu sa décision défavorable à l'égard de la demande.

 

[55]           Par conséquent, l'agente avait l'obligation légale d'examiner la demande en fonction de l'intérêt supérieur de l'enfant.

 

[56]           Le paragraphe 25(1) de la LIPR exige expressément qu'un agent « tienne compte de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché » pour en arriver à une décision concernant l'enfant.

 

[57]           D'entrée de jeu, il est important de souligner que dans sa décision, l'agente ne fait nulle part mention ou référence à « l'intérêt supérieur de l'enfant », tout comme elle ne mentionne aucun avantage possible que pourrait tirer Oumu en restant au Canada.

 

[58]           L'agente examine plutôt la demande présentée par Oumu, qui est une mineure, comme si la demande avait été présentée par un adulte.

 

[59]           L'agente, ce faisant, a commis une erreur de droit.

 

[60]           Il n'est nulle part plus évident que l'agente a traité la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire comme si elle avait été soumise par un adulte que dans sa conclusion suivante concernant le facteur de l'intégration d'Oumu, comme le fait qu'elle parle couramment le français, qu'elle aime l'école, et qu'elle ait un lien étroit avec sa famille de facto au Canada:

[traduction]

 

[...] ces éléments d’intégration ne sont pas déterminants dans le cas de la requérante, vu qu’elle est au Canada depuis deux ans seulement, qu’elle est étudiante et non autonome financièrement et donc dépendante.

 

(Décision à la p. 3).

 

[61]           Affirmer qu'une enfant qui fréquente l'école à temps plein et qui reçoit des prix pour ses résultats scolaires n'est pas intégrée parce qu'elle n'est pas indépendante ou entièrement autonome au point de vue financier, même si elle travaille à temps partiel, démontre un manque de considération à l'égard de l'intérêt supérieur de l'enfant.

 

Le contenu de l'obligation à considérer l'intérêt supérieur de l'enfant

 

[62]           Le contenu de l'obligation à considérer l'intérêt supérieur de l'enfant exige qu'une analyse précise et qu'une pondération des facteurs soient effectuées afin que la décision en question soit considérée comme raisonnable.

 

[63]           La décision récente de la Cour dans Kolosovs, précitée, est très instructive en ce qui concerne le contenu de l'obligation à considérer l'intérêt supérieur de l'enfant:

I.          Règles régissant la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant

 

[8]        Au paragraphe 75 de l’arrêt Baker, la Cour suprême écrivait qu’une décision en matière de motifs d’ordre humanitaire serait déraisonnable si le décideur n’avait pas suffisamment pris en compte l’intérêt supérieur des enfants touchés par sa décision :

 

Les principes susmentionnés montrent que, pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Ce passage fait ressortir que, même si un poids appréciable doit être accordé à l’intérêt supérieur d’un enfant, cet intérêt ne sera pas nécessairement le facteur déterminant dans tous les cas (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 (CanLII), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.F.)). Pour arriver à une décision raisonnable, le décideur doit montrer qu’il est réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants considérés. Par conséquent, pour savoir si l’agent a été « réceptif, attentif et sensible », il faut considérer le contenu de cette obligation.

 

A. Le décideur doit être réceptif

[9]        Être réceptif signifie être au fait de la situation. Lorsque, dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il est écrit qu’un enfant sera directement touché par la décision, l’agent des visas doit montrer qu’il est au courant de l’intérêt supérieur de l’enfant en indiquant les manières dont cet intérêt entre en jeu […]

 

B. Le décideur doit être attentif

[10]      Dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475 (CanLII), [2003] 2 C.F. 555 (CA) (QL), au paragraphe 52, le juge Evans explique pourquoi il faut prendre en considération avec soi l’intérêt supérieur d’un enfant :

 

Nul doute que l'exigence selon laquelle les motifs des agents doivent clairement attester le fait qu'ils ont attentivement examiné l'intérêt supérieur d'un enfant touché impose un fardeau administratif. C'est cependant ce qu'il convient de faire. Il est tout à fait justifié d'imposer des exigences rigoureuses en matière de traitement lorsqu'il s'agit de trancher des demandes fondées sur le paragraphe 114(2) susceptibles de porter préjudice au bien-être des enfants ayant le droit de demeurer au Canada : l'enjeu concerne les intérêts vitaux de personnes vulnérables et les possibilités d'intervention dans le cadre d'un contrôle judiciaire de fond sont limitées.

 

[11]      Une fois que l'agent connaît les facteurs qui font intervenir l'intérêt supérieur d'un enfant dans une demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire, ces facteurs doivent être considérés dans leur contexte intégral, et la relation entre les facteurs en question et les autres circonstances du dossier doit être parfaitement comprise.. Ce n'est pas être attentif à l'intérêt supérieur de l'enfant que d'énumérer simplement les facteurs en jeu, sans faire l'analyse de leur interdépendance. À mon avis, pour être attentif à l'intérêt supérieur de l'enfant, l'agent des visas doit montrer qu'il comprend bien le point de vue de chacun des participants dans un ensemble donné de circonstances, y compris le point de vue de l'enfant s'il est raisonnablement possible de le connaître.

 

CLe décideur doit être sensible

[12]      Ce n’est qu’après que l’agent des visas s’est fait une bonne idée des conséquences concrètes d’une décision défavorable en matière de motifs d’ordre humanitaire sur l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il pourra faire une analyse sensible de cet intérêt. Pour montrer qu’il est sensible à l’intérêt de l’enfant, l’agent doit pouvoir exposer clairement les épreuves qui résulteront pour l’enfant d’une décision défavorable, puis dire ensuite si, compte tenu également des autres facteurs, les épreuves en question justifient une dispense pour motifs d’ordre humanitaire. Comme l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Baker, au paragraphe 75

 

« […] quand l'intérêt des enfants est minimisé, d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable. »

[…]

 

[14]      … Selon moi, l'application désinvolte de la norme des difficultés excessives dans la présente affaire traduit à l'évidence un manque de sensibilité de l'agent à l'égard de chacun des enfants.

 

[15]      En conséquence, je suis d'avis que la décision de l'agente est déraisonnable.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[64]           Nulle part dans sa décision l'agente note la façon dont l'intérêt d'Oumu entre en jeu et ne détermine pas non plus quels « facteurs d'intérêt supérieurs sont en jeu » dans le dossier d'Oumu.

 

[65]           L'agente n'a pas examiné les facteurs dans son contexte, ni la relation entre les facteurs en question et les autres circonstances du dossier afin d'évaluer les difficultés auxquelles Oumu, en tant que mineure, serait exposée si elle était expulsée du Canada.

 

[66]           L'agente ne tient compte d'aucun avantage que pourrait tirer Oumu comme mineure en restant au Canada, et n'énonce aucune souffrance possible pour Oumu comme mineure susceptibles de découler de sa décision défavorable.

 

[67]           Plutôt que d'établir l'intérêt de l'enfant, l'agente a procédé à l'analyse du degré des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives qu'elle rencontrerait si elle était expulsée du Canada comme dans le cas d'un adulte.

 

[68]           L'agente conclut qu'il n'y a pas de risque pour la sécurité d'Oumu si elle est expulsée au Mali, mais elle ne fait mention d'aucun facteur d'intérêt supérieur qui militerait en faveur de sa vie au Canada si elle y reste.

 

[69]           Concernant la situation actuelle au Mali, particulièrement eu égard aux droits des femmes, aux mariages forcés et aux MGF, l'agente résume simplement ses conclusions sur ces questions aux pages 4 et 5 de sa décision, mais n'indique pas en quoi ou si ces conclusions auraient une incidence positive ou négative sur Oumu si elle était expulsée au Mali.

 

[70]           Comme énoncé dans Kolosovs, précité, la méthode pour évaluer l'intérêt supérieur d'un enfant directement touché par la décision d'une demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire est d'évaluer l'intérêt supérieur de l'enfant, de déterminer où et pour quelles raisons réside cet intérêt, et de mettre ensuite en balance ces considérations et tous les autres facteurs pertinents.

 

[71]           Cette méthode est prescrite par le libellé du paragraphe 25(1) du LIPR, les lignes directrices du guide IP-5, et par la jurisprudence applicable.

 

[72]           Comme il en ressort clairement du libellé du paragraphe 25(1) du LIPR et de la jurisprudence applicable, il faut toujours tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, peu importe si l'enfant souffrait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[73]           À l'article 5.19 du guide IP-5, des instructions sont clairement énoncées sur l'évaluation de l'intérêt supérieur de l'enfant: « L'intérêt supérieur de l'enfant est l'un des nombreux facteurs dont l'agent doit tenir compte lorsqu'il prend la décision d'une demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire ou une décision liée à la politique publique qui affecte directement un enfant. »

 

[74]           Puisque l'intérêt supérieur de l'enfant est un facteur pertinent, l'intérêt supérieur de l'enfant ne peut pas être évalué en fonction des mêmes normes qui s'appliquent globalement à la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire.

 

[75]           L'intérêt supérieur de l'enfant directement touché est un facteur pertinent à lui seul.

 

[76]           Cette interprétation est compatible avec la décision dans Baker, précitée, où Justice Claire L’Heureux-Dubé conclut:

[75]      […]Les principes susmentionnés montrent que, pour que l'exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l'intérêt des enfants est minimisé, d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

            [Non souligné dans l’original.]

[77]           Étant donné que les énoncés du droit applicable l'établissent clairement, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être soupesé par rapport aux facteurs pertinents pour déterminer la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire, dont le critère est la démonstration des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[78]           Il s'agit par conséquent d'une erreur de droit pour écarter l'effet de la décision défavorable sur l'enfant parce que ce n'est pas équivalent, selon l'avis de l'agente, à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[79]           L'agente doit d'abord déterminer le degré de difficultés que causerait son retour au Mali, et ensuite soupeser ces difficultés, quelles qu'elles soient, par rapport aux autres facteurs pertinents, incluant l'intérêt supérieur de l'enfant.

 

[80]           En l'espèce, l'agente n'applique pas le critère approprié de l'examen de l'intérêt supérieur de l'enfant, et conclut finalement, à la page 5 de sa décision:

[traduction]

Je comprends que la requérante veuille améliorer son sort en restant dans notre pays, cependant, le fait d’utiliser le système de demande de protection, même émanant d’une mineure et surtout de sa famille, démontre peu de respect des Lois et prescriptions canadiennes. Par conséquent, compte tenu des liens importants au Mali, des études dans son pays avant de venir au Canada, de sa situation familiale favorable, du peu d’autonomie vu son âge, du fait qu’il n’y a pas de risque pour sa sécurité et sa vie au Mali, je suis d’avis que les circonstances particulières de son cas ne justifient pas l’acceptation de sa demande.

 

Le fait de déposer une demande de visa à l’étranger ne constitue pas une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive. Sa demande est refusée.

 

[Non souligné dans l’original.]

[81]           Le fait d'affirmer que cette conclusion est le résultat d'une analyse de l'intérêt supérieur de l'enfant, ou de divers facteurs en jeu de la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire, est incompréhensible.

 

[82]           Le fait que l'agente ait reproché à Oumu un prétendu manque de respect des lois canadiennes, considérant que l'enfant était une mineure au moment pertinent du processus, montre qu'elle n'a pas été juste envers l'enfant et qu'elle a traité la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire comme si elle avait été déposée par un adulte.

 

[83]           Omettre de procéder à l'évaluation de « l'intérêt supérieur » est un manque à son devoir légal en vertu du paragraphe 25(1) dans la LIPR.

 

[84]           L'obligeance d'être réceptif, attentif et sensible à l'intérêt supérieur de l'enfant comme exigé par Baker, précité, et Kolosovs, précité, est nécessaire.

 

[85]           L' intérêt supérieur de l'enfant est le critère approprié de l'examen de la situation de l'enfant.

 

[86]           En conséquence, la décision est déraisonnable et soulève une question sérieuse.

 

Les études de la demanderesse

[87]           Le témoignage d'Oumu expose en détail ses études et le progrès qu'elle a accompli depuis qu'elle fréquente une école au Canada.

 

[88]           De plus, elle fournit des copies des trois prix qu'elle a mérités depuis le début de ses études au Canada ainsi des lettres de recommandation de ses professeurs.

 

 

[89]           Malgré ses efforts exceptionnels, Oumu a du retard dans certains aspects de ses études, en raison, de toute évidence, des différentes normes pédagogiques entre le Canada et le Mali.

 

[90]           La professeure de mathématiques d'Oumu, madame Horia Cucu, lui écrit la lettre suivante:

[traduction]

Elle est consciencieuse et travaillante, et malgré un petit retard tout à fait compréhensible au niveau scolaire, déterminée à poursuivre ses études pour réaliser son rêve, devenir infirmière.

 

(Dossier de requête (MR) à la p. 61).

 

[91]           En ce qui concerne l'éducation d'Oumu, l'agente souligne simplement, à la page 3 de sa décision:

[traduction]

[...] Elle a pu étudier dans son pays jusqu’à son départ, ce à quoi n’ont pas accès la majorité des jeunes filles du Mali.

 

[92]           Dans un cas semblable, Henry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 100 A.C.W.S. (3d) 1038, [2000] A.C.F. no 1699 (QL), la Cour affirme:

[11]      Je suis convaincu que la demanderesse a soulevé une question sérieuse à juger. Dans l'arrêt Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817, (1999) 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.), le juge L'Heureux-Dubé a déclaré ce qui suit, à la page 230, au sujet du paragraphe 114(2) :

 

À mon avis, l'exercice raisonnable du pouvoir conféré par l'article exige que soit prêtée une attention minutieuse aux intérêts et aux besoins des enfants. Les droits des enfants, et la considération de leurs intérêts, sont des valeurs humanitaires centrales dans la société canadienne.

 

Les risques du mariage forcé de la demanderesse

[93]           Le seul examen de la question qu'observe l'agente consiste en cette déclaration à la page 4 de sa décision (notons que l'agente ne mentionne jamais les sources qu'elle cite pour en tirer ces conclusions):

[traduction]

[...] Selon les documents de sources publiques, l’âge légal du mariage au Mali est de 18 ans pour les filles et 21 ans pour les garçons. Il peut arriver que des parents autorisent un mariage précoce pour des raisons économiques, car cela fait une bouche de moins à nourrir et ils reçoivent une dot du mari. Le gouvernement met en place des démarches pour informer la population sur les droits de femmes au Mali. Je note que la requérante aura 18 ans en 2009.

 

[94]           L'agente semble laisser entendre qu'en raison de l'âge légal prescrit à 18 ans pour qu'une femme se marie, et parce que Oumu aura 18 ans en 2009, elle a presque atteint l'âge légal de se marier et, qu’ainsi, elle ne peut pas être forcée de se marier.

 

[95]           Cette inférence est déraisonnable.

 

[96]           En effet, le fait qu'Oumu ait presque atteint l'âge légal pour se marier signifie qu'elle aura moins recours à un mariage forcé puisque le mariage ne sera pas illégal et qu'aucune protection ne l'État ne sera offerte.

 

[97]           Dans son analyse des risques d'un mariage forcé auxquels est exposée Oumu, l'agente a également ignoré la preuve documentaire dans la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire.

 

[98]           La preuve documentaire déposée par Oumu, la Réponse à la demande d'information (RDI) du CISR intitulée « Mali: information sur la fréquence du mariage [sic] forcé et ses conséquences en cas de refus », souligne que le mariage forcé était une situation extrêmement répandue qui persiste, quelles que soient les mesures prises par le gouvernement pour informer la population des droits des femmes.

[99]           La RDI, qui contredit directement l' « interrogatoire » de l'agente au sujet des mariages forcés, souligne:

[traduction]

Cependant, dans une communication écrite du 23 février 2007 envoyée à la Direction des recherches, la présidente par intérim de l'Association pour le progrès et la défense des droits et des femmes maliennes (APDF) a au contraire indiqué que « le mariage forcé est une pratique courante au Mali, [malgré son interdiction] par le Code [m]alien de mariage et de la [t]utelle » (23 févr. 2007). De même, dans une communication écrite datée du 14 février 2007, le président de l'association du Sahel d'aide à la femme et à l'enfance (ASSAFE), établie à Bamako, a indiqué que « les femmes maliennes se marient très jeunes et très souvent sans [avoir donné] leur consentement » et « [qu]' [elles] sont souvent mariées à 12 ans » (14 févr. 2007). Deux autres sources consultées par la Direction des recherches indiquent que les mariages précoces, assimilables à des mariages forcés, sont fréquents au Mali (Nations Unies 14 juin 2005; Population Council sept. 2005), en dépit de leur interdiction par la loi et de sanctions pouvant aller d’un à cinq ans de prison ou jusqu'à vingt ans d'emprisonnement dont dix de travaux forcés si la fille est âgée de moins de 15 ans (Nations Unies 14 juin 2005).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(MR à la p. 77).

 

[100]       Il est ainsi déraisonnable que l'agente ait rejeté les risques du mariage forcé auxquels est exposée Oumu.

 

[101]       L'agente tire une conclusion qui contredit directement les preuves dont elle dispose, ne cite pas les éléments de preuve qu'elle a effectivement consultés pour tirer ses conclusions.

 

La situation des femmes au Mali

[102]       En rendant sa décision, l'agente n'a pas tenu compte de la preuve documentaire sur la situation des femmes au Mali déposée par Oumu (MR aux pp. 77-85[)], en plus de l'observation écrite d'Oumu concernant le mauvais traitement infligé aux femmes dans le pays (MR aux pp. 30-33).

 

[103]       Tandis que l'agente résume la situation générale au Mali, elle ne tire aucune conclusion et ne procède à aucune analyse, question de savoir si ces conditions causeraient des difficultés indues ou injustifiées à Oumu, ou encore, des effets négatifs sur ses intérêts.

 

[104]       En résumant la situation générale au Mali, aux pages 4 et 5 de sa décision, l'agente formule, sans fournir de référence aux preuves qu'elle a consultées pour tirer ces conclusions, une observation générale concernant l'adhésion du gouvernement aux instruments de loi internationale, la restriction de la MGF aux endroits ruraux et au sud-ouest du pays, et les efforts des organisations non gouvernementales pour limiter la MGF et les mariages forcés.

 

[105]       La preuve documentaire déposée par Oumu, particulièrement dans le Country Report on Human Rights Practices du département des États-Unis de l'année 2007 (MR à la p. 84), contredit directement la déclaration de l'agente:

[traduction]

Section 5: Discrimination, abus de la société, et traite de personnes

 

La constitution et la loi interdisent la discrimination fondée sur l'origine sociale, la couleur, le sexe, ou la race, et le gouvernement a généralement appliqué efficacement ces dispositions législatives; toutefois, la violence et la discrimination envers les femmes, la MGF, et la traite d'enfants posaient problème.

 

Les femmes

 

La violence conjugale contre les femmes, incluant la violence de la part du conjoint, était tolérée et courante. La violence conjugale est un crime, mais les policiers étaient réticents à appliquer les lois contre les cas de violence conjugale et à y intervenir. L'agression est punissable pour une peine d'un à cinq ans et pour une amende d'au plus 1 000$ (465 000 francs CFA) ou, si l'acte a été prémédité, pour un emprisonnement maximal de dix ans. Plusieurs femmes sont réticentes à porter plainte contre leurs maris parce qu'elles sont incapables de subvenir à leurs propres besoins financiers. Le Ministry for the Promotion of Women, Children, and the Family a présenté un guide sur la violence contre les femmes afin que les fournisseurs de soins de santé, les policiers, les avocats et les juges puissent en bénéficier. Le guide fournit des définitions des différents types de violence et des lignes directrices établissant comment chaque type doit être traité. Les organisations non gouvernementale Action for the Defense and Promotion of Women Rights et Action for the Promotion of Household Maids exploitaient des refuges.

 

La loi criminalise les viols, mais la violence conjugale n'est pas illégale. Les dénonciations de viol sont rares, et la plupart des cas n'ont pas été signalés.

 

La MGF était pratique courante, particulièrement dans les endroits ruraux, et était pratiquée sur les filles âgées entre 6 mois et 6 ans. Selon les organisations non gouvernementales du pays, environ 95 pour cent des femmes adultes avaient subi la MGF. Cette pratique était répandue dans la plupart des régions et parmi la plupart des groupes ethniques, n'était pas assujettie aux limites sociales, et ne reposait pas non plus sur la religion. Il n'y avait aucune loi contre la MGF, mais un décret gouvernemental interdit la MGF dans les centres de santé financés par l'État.

….

 

La loi ne traite pas expressément du harcèlement sexuel, qui survenait couramment.

 

Le droit de la famille a favorisé les hommes, et les femmes étaient particulièrement vulnérables dans les cas de divorce, de garde des enfants, et de droit des successions, ainsi que de protection générale des droits civils. Les femmes avaient un accès très restreint aux services juridiques en raison de leur manque d'instruction et d'information ainsi que des frais prohibitifs. Par exemple, si une femme voulait divorcer, elle devait payer approximativement 60 $ (28 000 francs CFA) pour amorcer le processus, un coût prohibitif pour la plupart des femmes.

 

Bien que la loi fournisse aux femmes des droits de propriété égaux, la pratique traditionnelle et l'ignorance de la loi empêchaient les femmes --même celles qui étaient instruites--de tirer pleinement parti de leurs droits. Un mariage des biens communs doit être spécifié dans le contrat de mariage. De plus, si ce type de mariage n'était pas spécifié dans le contrat de mariage, les juges supposaient que le mariage était polygame. La pratique traditionnelle discriminait à l'égard des femmes sur les questions d'héritage, et les hommes héritaient d'une grande partie du patrimoine familial.

 

Les femmes avaient un accès limité aux possibilités en matière d'emploi et en matière économique et éducative. Les femmes représentaient à peu près 15 pour cent du marché du travail, et le gouvernement, l'employeur le plus important du pays, donnait aux femmes le même taux de rémunération que les hommes pour un travail similaire. Les femmes vivaient souvent dans des conditions déplorables, particulièrement dans les régions rurales, où elles exécutaient des travaux agricoles difficiles et s'occupaient de l'éducation des enfants Le Ministry for the Promotion of Women, Children, and the Family a été chargé d'assurer les droits des femmes.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[106]       À ce sujet, également, l'agente ne tient pas compte des preuves documentaires fournies par Oumu, rendant ainsi une décision déraisonnable qui soulève des questions sérieuses.

 

La famille de facto d'Oumu au Canada

[107]       Dans la demande de résidence permanente pour motifs d'ordre humanitaire, Oumu décrit sa nouvelle famille de facto qu'elle a trouvée au Canada ainsi:

[traduction]

[...] Je ne pourrais pas être plus heureuse que chez elle. J’entretiens d’excellentes relations avec tous les membres de la famille. Mes cousins et cousines sont adorables, sans parler [sic] de mon oncle Kalilu Haïdara, que je considère comme mon père […] Quand je pense que je pourrais être séparée non seulement de ma tante et de mon oncle, mais de mes cousins et cousines de Montréal, cela me rend triste et je prie que cela n’arrive pas [...]

 

Évidemment, je m’ennuie de ma mère et de mes frères et sœurs qui sont au Mali, mais, [sic] j’ai vraiment trouvé ici une nouvelle vie, une nouvelle famille. Je ne sais pas comment je pourrais faire pour me réadapter à la vie que j’ai laissée en Afrique. Je m’entends à merveille avec mes cousins et mes cousines. Mon petit cousin Ismail qui n’a que six ans m’a écrit une lettre (produite au soutien de la présente demande) où il m’envoie des bisous d’amour et où il dit qu’il est mon ami. J’adore m’occuper de mon petit cousin et en été je l’amène au parc [...]

 

[...] Je vis dans une famille où il y a beaucoup d’amour et de joie.

(MR aux pages 27-28).

 

[108]       De plus, l'oncle et la tante d'Oumu, ainsi que trois de leurs enfants d'âge mineur, écrivent des lettres de recommandation exposant leurs liens étroits avec Oumu.

 

[109]       L'agente rejette ensuite l'importance des liens qu' Oumu, en tant qu'enfant, a tissés au Canada.

 

[110]       L'agente conclut, à la page 3 de sa décision:

[traduction]

En ce qui a trait à ses liens au Canada, ils sont de moindre importance que ceux au Mali, étant donné que sa famille proche vit à Bamako au Mali et qu’elle vit avec une cousine de sa mère au Canada, [sic] Cette petite cousine, Santa Keita, appelée tante est citoyenne canadienne née au Burkina Faso. Le fait d’être séparée d’une cousine et de petits cousins ne constitue pas une circonstance inhabituelle, injustifiée ou excessive [...]

 

[111]       L'agente a choisi de ne pas tenir compte de l'affirmation d'Oumu formulant qu'elle vient d'un foyer brisé.

 

[112]       L'agente conclut à tort que les parents de l'enfant sont ensemble et que son père, plutôt que son oncle qui l'a gardée, est le chef de la famille. L'agente l'a formulé ainsi à la page 4 de sa décision:

[traduction]

[…] je constate que la situation familiale de la requérante ne correspond pas à ses déclarations, elle vivait avec ses parents et a étudié au Mali, son père l’a autorisé [sic] à voyager ici. De plus, le fait qu’elle ait pu voyager et retourner dans son pays sans problèmes à plusieurs reprises ne supporte pas ses allégations de [sic] de mauvais traitement [sic] par un oncle, étant donné que son père est toujours vivant et le chef de la famille [...]

 

[113]       L'agente tire une conclusion hypothétique en ce qui concerne la situation familiale d'Oumu au Mali, et ne tient pas compte de preuves importantes des liens étroits avec sa famille de facto au Canada.

 

[114]       Encore une fois, l'agente n'a pas évalué l'intérêt supérieur de l'enfant et n'a pas prêté suffisamment attention aux preuves dont elle disposait.

 

 

 

 

 

Conclusion relative à ne pas avoir tenu compte des preuves

[115]       Le fait que l'agente ait rejeté des preuves relatives à l'évaluation de l'intérêt supérieur de l'enfant sans l'évaluer en lien avec l'intérêt supérieur d'Oumu est déraisonnable.

 

[116]       On ne peut dire que l'agente était réceptive, attentive et sensible à l'intérêt supérieur de l'enfant.

 

[117]       En somme, l’agente n'a pas tenu compte des questions urgentes en ce qui concerne l'intérêt supérieur de l'enfant, et a plutôt effectué une analyse superficielle des liens de l'enfant au Canada, l'éducation à laquelle elle pourrait avoir accès au Mali, et les difficultés qu’elle pourrait éprouver en tant que femme au Mali.

 

[118]       L'agente a commis une erreur en n'évaluant pas l'intérêt supérieur de l'enfant et n'a pas tenu compte de la preuve, tous des éléments qui soulève une question sérieuse nécessitant l'intervention de la Cour.

 

[119]       Compte tenu de ce qui précède, Oumu a démontré l'existence d'une cause défendable en ce qui concerne l'évaluation erronée de l'agente à propos de sa demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire.

 

[120]       La demande de contrôle judiciaire d'Oumu n'est manifestement ni vexatoire ni futile.

 

Préjudice irréparable

[121]       La preuve documentaire démontrant le risque de préjudice irréparable a été fournir par les pièces A, E, F, et G de l'affidavit d'Oumu.

 

[122]       Le préjudice irréparable en l'espère découle du fait qu'une expulsion du Canada irait à l'encontre de l'intérêt supérieur d'Oumu comme mineure, et du fait qu'elle serait exposée aux risques d'un mariage forcé au Mali.

 

[123]       Oumu a soulevé une question sérieuse en ce qui concerne son intérêt supérieur, et a allégué que l'agente a commis une grave erreur dans l'évaluation de son intérêt supérieur. Ce faisant, Oumu a également établi qu'en tant qu'enfant, elle est exposée à de grands risques de préjudice irréparable, et que ce renvoi constituerait une menace à son intérêt supérieur.

 

[124]       Étant donné que l'agente n’a pas évalué la qualité de l'éducation accessible aux enfants du Mali, la décision Henry, précitée, est directement applicable en l'espèce.

 

[125]       Oumu travaille actuellement chez Tim Horton à temps partiel, mais elle gagne de l'argent afin de subvenir à ses besoins. Il est difficile de voir comment elle pourrait toucher un revenu semblable au Mali ou être appuyée par sa famille au Mali étant donné que son père est parti de la résidence familiale et que sa mère a perdu son entreprise.

 

[126]       Oumu est également exposé aux risques du mariage forcé (à un homme de plus de cinquante ans), ce qui équivaut à un préjudice irréparable.

 

[127]       Les éléments suivants, qui figurent dans la RDI déposée avec la demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire d'Oumu, ont été cités comme conséquences habituelles subies par les femmes qui refusent un mariage forcé au Mali:

[traduction]

 

- Maltraitance :

 

Elle est très fréquente. Il arrive souvent que les enfants qui refusent de se marier soient punis, voire brutalis[és]et rejet[és] de leurs familles.

 

- Prostitution :

 

Les filles qui refusent le mariage arrangé par les parents sont souvent victimes de prostitution. En effet, une fois la couverture familiale tombée, les filles se retrouvent embauchées comme domestiques et demeurent ainsi sans contrôle parental.

 

Ceci plonge les jeunes filles dans une extrême pauvreté et accroît le risque de les voir entrer dans le commerce du sexe et se faire récupérer par les réseaux mafieux.

 

- Maladies :

 

La vulnérabilité des filles qui refusent les mariages forcés s'accentue avec le « boycott » que les familles mettent en place pour les y contraindre. Ainsi, les besoins élémentaires ne sont plus pris en charge par les parents. Les filles scolarisées souvent cessent de l'être, car les parents se déchargent du paiement des frais de scolarité ; les consultations médicales et les ordonnances ne sont plus payées. Bref, les filles sont abandonnées à elles [-] mêmes.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[128]       Ce sont là des conséquences qui constituent un préjudice irréparable et auxquelles Oumu serait exposée si elle est expulsée.

 

[129]       L'omission de ne pas avoir tenu compte de l'intérêt supérieur d'Oumu qui est une enfant, et d'avoir poursuivi avec son expulsion signifie que son intérêt supérieur sera affecté avant la présentation, dans une certaine mesure où cet intérêt doit être évalué, et ceci, en soi, équivaut à un préjudice irréparable.

[130]       Ce volet de Toth a été clairement rempli.

 

Prépondérance des inconvénients

[131]       Compte tenu de la gravité des questions soulevées et du risque de préjudice irréparable si Oumu est expulsée du Canada, la prépondérance des inconvénients la favorise aux fins de la présente demande.

 

[132]       L'inconvénient à ne pas exécuter la mesure de renvoi au moment où le dossier d'Oumu est examiné par la Cour est minime en comparaison avec celui du préjudice irréparable auquel est exposée Oumu, une enfant du sexe féminin, qui fait face à un retour au Mali dans un mariage forcé avec un quinquagénaire.

 

[133]       Bien qu'elle soit une mineure, Oumu est principalement autonome étant donné qu'elle est embauchée à temps partiel chez Tim Horton.

 

[134]       La présence d'Oumu au Canada au moment en attendant que sa demande soit tranchée n'est en aucun cas préjudiciable à la défenderesse. Expulser Oumu du Canada serait un préjudice irréparable.

 

[135]       La prépondérance des inconvénients est favorable à Oumu pour s'assurer que le droit de demander l'autorisation de réviser une décision ne devienne pas illusoire en raison de l'expulsion d'Oumu avant que son sort soit déterminé par la Cour.

 

[136]       En l'espèce, la prépondérance des inconvénients favorise Oumu.

 

 

IV. Conclusion

[137]       Pour tous ces motifs, un sursis d'exécution de la mesure de renvoi est accordé tant que la Cour ne tranchera pas la demande sous-jacente de contrôle judiciaire du refus de l'agente concernant la demande de résidence permanente pour motifs d'ordre humanitaire d'Oumu.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE qu' un sursis d'exécution de la mesure de renvoi soit accordé tant que la Cour ne tranchera pas la demande sous-jacente de contrôle judiciaire du refus de l'agente concernant la demande d'Oumu de résidence permanente fondée sur des motifs d'ordre humanitaire déposée depuis le Canada.

 

Michel M.J. Shore

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5698-08

 

INTITULÉ :                                       OUMOU DIAKITÉ

                                                            c. LES MINISTRES DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION ET DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               16 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              SHORE J.

 

DATE DES MOTIFS :                      19 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Me Katherine Ramsey

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Bassam Khouri

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

KATHERINE RAMSEY

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, Q.C.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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