[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Montréal (Québec), le 3 février 2009
En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé
ENTRE :
LISA JOE, mineure, représentée par
sa tutrice à l'instance, Xue Lan Huang
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision du 22 avril 2008 par laquelle une agente de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse pour des raisons d’ordre humanitaire au motif que celles-ci n’étaient pas suffisantes pour lui accorder une dispense de l’exigence qui prévoit qu’une demande de résidence permanente doit être présentée de l’extérieur du Canada.
II. Les faits
[2] Âgée de dix‑sept ans, la demanderesse est une citoyenne de la Nouvelle-Zélande dont les parents sont des citoyens et résidents de la Chine. En raison de la politique chinoise de l'enfant unique, la mère de la demanderesse s'est rendue en Nouvelle-Zélande en 1991 pour rendre visite à sa mère et pour donner naissance, en avril 1991, à la demanderesse, son quatrième enfant. Quelques mois plus tard, la demanderesse est rentrée en Chine munie d’un permis de visiteur en compagnie de sa mère.
[3] Les autorités chinoises ont expliqué aux parents de la demanderesse que leur famille comptait deux enfants non autorisés selon la politique de l'enfant unique et qu'il leur fallait par conséquent payer une amende de 130 000 yuans.
[4] Entre 1991 et 2000, la demanderesse a vécu en Chine en vertu de son permis de visiteur, qui était reconduit chaque année. Elle a fréquenté l'école en Chine pendant une année seulement et, suivant une décision antérieure de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR), il lui a été interdit de continuer ses études tant qu'elle serait sans statut valide en Chine.
[5] En septembre 2000, la demanderesse, qui était alors âgée de neuf ans, a obtenu un visa de sortie l’autorisant à sortir une seule fois de la Chine. Ce visa a expiré le 6 octobre 2000.
[6] En raison de l'impossibilité pour la demanderesse de revenir en Nouvelle-Zélande, à la suite du décès, en 1996, de sa grand‑mère maternelle, qui était le seul membre de sa famille en Nouvelle‑Zélande, la grand‑mère paternelle de la demanderesse, une citoyenne canadienne, a ramené la demanderesse au Canada avec elle le 13 septembre 2000 pour vivre avec elle et plusieurs des membres de la famille élargie du père de la demanderesse. Depuis son arrivée au Canada, la demanderesse vit chez sa grand‑mère paternelle.
[7] Avec l'aide d'un conseiller en immigration, la demanderesse a présenté une demande d'asile que la SPR a examinée en juillet 2000 et rejetée le 17 septembre 2003. La SPR a conclu que la demanderesse n'avait aucun statut en Chine et qu'elle n'avait pas le droit d'y retourner, mais qu'elle ne répondait par ailleurs pas à la définition de réfugiée au sens de la Convention parce qu’elle avait la nationalité néo‑zélandaise, en tant que citoyenne de ce pays.
[8] Une clinique d'aide juridique a aidé la grand‑mère paternelle de la demanderesse à demander la garde de la demanderesse et la requête soumise à la Cour de justice de l'Ontario a été accueillie le 14 février 2006.
[9] En avril 2006, la demanderesse a reçu un avis l'informant qu'elle faisait l'objet d'une mesure de renvoi et qu'elle avait le droit de demander un examen des risques avant renvoi (ERAR). La demanderesse a déposé en mai 2006 une demande d'ERAR qui a été rejetée un an plus tard. Bien que sensible à la situation de la demanderesse, l'agent chargé de l'ERAR a affirmé qu'il n'était pas convaincu que la demanderesse serait exposée à quelque risque que ce soit si elle devait retourner en Nouvelle‑Zélande. L'agent a toutefois signalé que la situation de la demanderesse se prêtait davantage à un examen fondé sur des raisons d'ordre humanitaire.
[10] Par suite de la réception de l'avis de renvoi en mai 2006, la demanderesse a présenté une demande de statut de résidente permanente depuis le Canada en invoquant des raisons d'ordre humanitaire. En juillet 2007, on lui a demandé de soumettre des renseignements complémentaires, renseignements qu'elle a produits en octobre et novembre 2007. La demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire de la demanderesse a été rejetée en avril 2008. La décision défavorable de l'agente chargée d'examiner sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est attaquée dans le cadre du présent recours.
III. La décision fondée sur des raisons d'ordre humanitaire attaquée
[11] L’agente chargée d’examiner la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a conclu qu'on ne lui avait soumis [traduction] « pas le moindre élément de preuve documentaire » pour appuyer la prétention de la demanderesse qu'elle n'avait aucun statut légal en Chine ou qu'elle avait reçu l'ordre du gouvernement chinois de quitter la Chine. L'agente a également fait observer que [traduction] « suivant la législation chinoise sur la nationalité, [la demanderesse] est une citoyenne chinoise. Si tant est qu’elle doive présenter une demande pour que la nationalité chinoise lui soit accordée, je ne dispose d'aucun élément de preuve me convainquant qu'elle a présenté une telle demande ».
[12] L’agente a estimé qu'elle ne disposait [traduction] « d'aucun élément de preuve crédible » tendant à démontrer que la naissance non autorisée de la demanderesse était à l’origine du refus des autorités chinoises de lui reconnaître un statut légal, de son exclusion de l'école et de sa séparation forcée de ses parents. L'agente a par ailleurs rejeté l'argument de la demanderesse suivant lequel les autorités chinoises lui avaient communiqué leur décision verbalement. L'agente a fait observer ce qui suit : [traduction] « Il y a lieu de se demander pourquoi les autorités scolaires n'auraient pas donné un avis écrit de leur décision de refuser à un élève le droit de fréquenter un établissement d'enseignement. Il est bien connu que le système d'éducation chinois est bien géré. »
[13] L’agente a fait observer que la grand‑mère paternelle avait obtenu la garde de la demanderesse aux termes d'un jugement prononcé par un tribunal ontarien en février 2006, ajoutant toutefois que ce jugement [traduction] « n’emporte pas adoption [de la demanderesse] ». L'agente a également expliqué que les raisons invoquées au soutien de la demande de garde n'avaient pas été divulguées et a ajouté : [traduction] « J'ai examiné les arguments et je ne suis pas convaincue que [la demanderesse] pourrait retourner auprès de ses parents et de sa famille dans son pays d'origine. »
[14] L’agente a rejeté les explications fournies par le représentant légal de la demanderesse au sujet des différentes façons d'orthographier le nom propre des parents de la demanderesse dans les différents dossiers. L'agente a fait observer ce qui suit : [traduction] « [É]tant moi‑même Chinoise, je sais qu'il n'en est rien. On ne trouve pas de combinaison des lettres J-O-E et S‑U‑E en pinyin chinois. “Zou” s'écrit “Chow” en cantonais et “Su” s’écrit “So”. J'ai confirmé le tout avec un agent qui parle cantonais. Je pourrais comprendre que des fautes d'orthographe pourraient être commises lors de l'enregistrement en Nouvelle‑Zélande. Toutefois, l'affirmation que l'orthographe était différente en mandarin et en cantonais n'est pas acceptable. »
[15] L’agente a remis en question la crédibilité de la demanderesse du fait qu'elle avait mentionné dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) en 2001 que sa grand‑mère maternelle était une citoyenne néo‑zélandaise, pour ensuite affirmer que sa grand‑mère n'était qu'[traduction] « en visite » en Nouvelle-Zélande où elle avait rendu visite à sa belle-sœur, qui était veuve.
[16] L’agente a conclu qu'elle ne disposait pas de suffisamment d'éléments de preuve pour démontrer qu’advenant le cas où elle devrait retourner en Chine, la demanderesse serait nécessairement exposée à des difficultés indues ou excessives. L'agente a conclu que, comme la demanderesse avait [traduction] « fréquenté l'école en Chine […] [elle] connaît bien le système d'éducation chinois », en faisant observer que la Chine est considérée comme l’un des pays possédant le meilleur système d'éducation.
[17] L’agente a enfin conclu que la demanderesse [traduction] « aurait une vie de famille normale si elle pouvait grandir auprès de ses parents et de ses frères et sœurs. Elle aurait également un avenir prometteur devant elle dans son pays d'origine ».
IV. Questions en litige
A. La décision relative à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire devrait-elle être annulée au motif qu'elle est déraisonnable?
B. La décision relative à la demande fondée sur les raisons d'ordre humanitaire devrait‑elle être annulée au motif qu'un manquement à l'équité procédurale a été commis?
V. Analyse
Norme de contrôle
[18] La présente affaire porte uniquement sur l'application de la loi à une situation factuelle. La norme de contrôle appropriée en l'espèce est donc celle de la décision raisonnable. La question en litige relève de l’expertise de l’agent chargé de l’ERAR et, par conséquent, une déférence s’impose et la Cour ne devrait pas intervenir sauf si la décision de l’agent chargé de l’ERAR n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).
[19] Toutefois, si l’agent chargé de l’ERAR a commis un manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, la Cour n’est pas tenue de faire montre de déférence et elle doit annuler la décision attaquée (Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, au paragraphe 44).
A. La décision relative à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire devrait-elle être annulée au motif qu'elle est déraisonnable?
1. Erreurs entachant les conclusions de fait
[20] Le fait pour un décideur d'avoir négligé de tenir compte de documents qui lui avaient été présentés constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire (Khakh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1030, au paragraphe 4). Une décision peut également être annulée lorsque son auteur a ignoré des éléments de preuve crédibles et dignes de foi ou tiré des conclusions qui ne reposaient sur aucun élément de preuve quant à la crédibilité du demandeur (Mui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1020).
[21] Dans le cas des demandes d'asile, notre Cour a maintes fois affirmé que, lorsqu'un demandeur d'asile jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu'elles le sont, à moins que des raisons bonnes et valables permettent d'en douter. Bien que le défaut de présenter des documents puisse être une conclusion de fait valide, cela ne peut être rattaché à la crédibilité du demandeur en l'absence de preuves contredisant les allégations (Maldonado c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.); Anthonimuthu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 141).
a) Pays de référence
[22] L’agente n'a pas tenu compte des décisions de la SPR et de la décision prise par l’agent chargé de l'ERAR dans lesquelles il avait été confirmé que le pays de référence de la demanderesse était la Nouvelle-Zélande et non la Chine, étant donné que la demanderesse n'a pas de statut légal en Chine. Malgré le fait qu’elle avait expressément affirmé dans sa décision que, même s’il n'existait aucun élément de preuve portant directement sur le statut de la demanderesse en Chine, hormis le fait qu'elle avait été exclue du « hukou » de la famille et que son permis de sortie confirmait son départ forcé, la SPR a néanmoins appliqué ses connaissances spécialisées pour conclure que la demanderesse n'avait aucun statut en Chine et qu’elle n’avait pas le droit d’y retourner.
[23] Bien qu'il semble exister des contradictions au sujet des autres documents relatifs à la situation de la demanderesse en Chine, la Cour est néanmoins convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse n'a aucun statut légal en Chine et que, par conséquent, l'agente chargée d'examiner la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a commis une erreur en tenant pour acquis, dans sa décision, que le pays de référence était la Chine, et non la Nouvelle‑Zélande, contrairement aux conclusions déjà tirées par la SPR et par l'agent chargé de l'ERAR dans leurs décisions, conclusions que, sans aucune raison valable, l’agente a ignorées.
[24] La double citoyenneté n'est pas autorisée en Chine; par conséquent, la demanderesse est citoyenne de la Nouvelle-Zélande, parce que c’est dans ce pays qu’elle est née. De plus, même si la demanderesse pouvait bénéficier de droits de citoyenneté en Chine du fait que son père et sa mère étaient tous les deux des citoyens chinois, le visa de sortie de la demanderesse constitue un autre élément de preuve confirmant qu'elle n'a présentement aucun statut en Chine; elle possède peut‑être des droits, mais elle n'a pas de statut en Chine. Bien que le visa de sortie n'ait pas été versé au dossier du tribunal, notre Cour peut présumer que ce visa existait, puisque la SPR le mentionne expressément dans sa décision.
b) Crédibilité
[25] Pour contester la crédibilité de la demanderesse, l'agente s'est fondée sur le fait qu'elle ne disposait d'aucun élément de preuve crédible démontrant que la demanderesse s'était vue refuser un statut légal en Chine tout en ignorant par ailleurs, et ce, sans raison valable, le fait que la crédibilité de la demanderesse avait déjà fait l'objet de conclusions favorables de la part tant de la SPR que de l'agent chargé de l'ERAR.
c) Amende
[26] L’agente n'a pas tenu compte des éléments de preuve documentaire confirmant que les personnes qui contreviennent à la politique de l'enfant sont passibles d’une amende de 130 000 yuans dans la région où résident les parents de la demanderesse. Il importe peu que les parents de la demanderesse aient payé ou non l'amende, étant donné que la demande d'asile de la demanderesse n'était pas fondée sur le défaut de ses parents de payer l'amende, mais sur le fait que sa mère s’était rendue en Nouvelle-Zélande pour accoucher à cause de la politique de l'enfant unique.
d) Nom des parents
[27] L’agente a tenu compte de facteurs non pertinents pour écarter les explications données au sujet de la différence d'orthographe dans le nom de famille des parents de la demanderesse. La différence d’orthographe n’avait jamais posé problème jusqu’à ce que l'agente soulève la question. Bien que cette question ne soit pas déterminante quant à l'issue de la demande, cette conclusion de l'agente démontre néanmoins l'importance qu'elle a attachée à des aspects insignifiants de la preuve pour miner la crédibilité de la demanderesse tout en fermant par ailleurs les yeux sur des aspects plus importants de la preuve qui étaient susceptibles d’influer sur le résultat souhaité par la demanderesse.
e) La grand-mère maternelle
[28] L’agente a relevé des contradictions entre l'affidavit de la grand‑mère paternelle de la demanderesse et le FPR de la demanderesse au sujet du statut légal de la grand‑mère maternelle de la demanderesse en Nouvelle-Zélande, et ce, malgré le fait que le statut de la grand‑mère de la demanderesse en Nouvelle‑Zélande n'est pas pertinent et que c'est le représentant légal de la demanderesse, et non la grand‑mère paternelle de cette dernière, qui a fait cette déclaration au sujet de son statut. Là encore, l'agente a tenu compte d'une divergence négligeable tout en ignorant des aspects plus importants de la preuve.
2. Intérêt supérieur de l'enfant
[29] Le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur de l’enfant comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 73 et 75).
[30] L'agente chargée d'examiner la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire de la demanderesse n'a examiné aucun des arguments invoqués par cette dernière au sujet de son intérêt supérieur en tant qu’enfant et sa décision n'était pas compatible avec son intérêt supérieur.
[31] Premièrement, l'agente a, sans raison valable, écarté le principal facteur qui avait motivé l'ordonnance de garde rendue par le tribunal ontarien en faveur de la grand‑mère paternelle. Il est de jurisprudence constante que le premier devoir d'un tribunal judiciaire appelé à se prononcer sur une ordonnance de garde est de tenir compte d’abord et avant tout de l'intérêt supérieur de l'enfant. Or, en l'espèce, l'agente poursuit en affirmant que l'ordonnance de garde n'est pas suffisamment motivée, bien que la preuve factuelle portée à sa connaissance démontre que cette ordonnance était amplement justifiée. Par ailleurs, l'agente semble avoir ignoré le fait qu'il y a lieu de présumer que le tribunal ontarien était préoccupé uniquement par « l'intérêt supérieur de la demanderesse comme enfant » lorsqu'il a rendu sa décision. Certes, l'agente n'était pas liée par l'ordonnance de garde en question, mais il était quand même obligé de tenir compte du facteur principal ayant motivé l'ordonnance de garde rendue par le tribunal ontarien en faveur de la grand‑mère paternelle. Néanmoins, l'agente ne fournit aucune raison valable pour justifier sa décision d’écarter cette ordonnance ou d’en minimiser les conséquences juridiques.
[32] Deuxièmement, l’agente a néanmoins conclu que la demanderesse aurait un avenir prometteur en Chine, et ce, malgré les éléments de preuve démontrant qu'elle n'avait aucun statut légal en Chine. L'agente a également conclu que la demanderesse ne subirait aucune difficulté indue ou excessive parce qu'elle avait fréquenté l'école en Chine et qu'elle connaissait donc bien le système scolaire chinois alors qu'en fait, la demanderesse n'avait fréquenté l'école en Chine que pendant une seule année et que l'accès lui en avait été interdit par la suite.
[33] Enfin, l’agente a soit ignoré, soit rejeté les liens étroits que la demanderesse avait forgés au fil des ans avec sa grand‑mère paternelle, les membres de sa famille élargie et son entourage au Canada.
[34] En bref, la Cour conclut que l’agente chargée d’examiner la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a décidé de façon arbitraire en quoi consistait l'intérêt supérieur de la demanderesse en tant qu'enfant, et ce, sans tenir compte des arguments, de la preuve et des préoccupations de la demanderesse. La conclusion tirée par l'agente à cet égard est inacceptable et déraisonnable ce qui, par conséquent, elle justifie l'intervention de la Cour.
[35] Si la demanderesse devait quitter le Canada, elle serait renvoyée en Nouvelle-Zélande, où elle n'a plus de liens familiaux et où elle n'est jamais retournée depuis sa tendre enfance. Bien que la demanderesse soit une citoyenne de la Nouvelle-Zélande, qui est un pays démocratique doté d'un système d'éducation et de services sociaux solides, la Cour ne voit pas comment il serait dans l’intérêt supérieur de la demanderesse de la séparer, à son âge, du reste de sa famille, y compris de sa grand‑mère, à qui la Cour de justice de l'Ontario a confié sa garde légale.
[36] En demeurant au Canada, la demanderesse aura la possibilité de grandir au sein de sa famille élargie. Il serait contraire à son intérêt supérieur de la renvoyer en Nouvelle-Zélande, où elle serait placée dans une famille d'accueil ou dans un foyer de groupe ou serait adoptée. De plus, l'ordonnance de garde rendue par la Cour de justice de l'Ontario devrait être respectée, étant donné qu'il y a lieu de présumer que la Cour était guidée par l'intérêt supérieur de la demanderesse et qu'aucun élément de preuve n'a depuis cette ordonnance été soumis pour démontrer que des faits survenus dans l’intervalle auraient permis à l'agente d'en arriver à une conclusion différente.
B. La décision relative à la demande fondée sur les raisons d'ordre humanitaire devrait‑elle être annulée au motif qu'un manquement à l'équité procédurale a été commis?
[37] Les erreurs et les omissions commises par l'agente sont, lorsqu'on les examine globalement en fonction de la première question en litige, suffisamment importantes pour rendre la décision attaquée déraisonnable sans qu'il soit nécessaire pour la Cour d'aborder l'autre question, celle relative au manquement allégué à l'équité procédurale
[38] La Cour conclut par conséquent que la décision attaquée est déraisonnable et elle l'annulera, même si elle est d’accord avec les parties pour dire qu'il n’y a en l'espèce aucune question grave de portée générale à certifier.
JUGEMENT
LA COUR ACCUEILLE la demande, ANNULE la décision du 22 avril 2008 et RENVOIE l'affaire à un autre agent d'immigration pour qu'il tienne une nouvelle audience.
« Maurice E. Lagacé »
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2218-08
INTITULÉ : LISA JOE (XUE LAN HUANG) c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 4 décembre 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ
DATE DES MOTIFS : Le 3 février 2009
COMPARUTIONS :
Avvy Yao-Yao Go
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POUR LA DEMANDERESSE |
Ladan Shahrooz
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Clinique juridique du Grand Toronto pour les personnes originaires de Chine et de l’Asie du Sud-Est Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous–procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |