Référence : 2009 CF 121
Montréal (Québec), le 5 février 2009
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAURICE E. LAGACÉ
ENTRE :
ET DE L’IMMIGRATION
demandeur
et
MICHELLE HUND
MEGAN SANDERS
GERARD HUND
MARY HUND
VIRGINIA HUND
TELL SANDERS
défendeurs
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (LIPR), à l’égard d’une décision datée du 13 décembre 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada a jugé que les défendeurs, tous des citoyens des États-Unis d’Amérique, étaient des « réfugiés au sens de la Convention » en vertu de l’article 96 de la LIPR.
II. Les faits
[2] Les défendeurs, quatre adultes et trois enfants, sont nés aux États-Unis. Les parents sont : Matthew, père des trois des plus jeunes demandeurs d’asile, Gerard, Mary et Virginia Hund, et Michelle Hund, mère biologique de Tell et de Megan Sanders, nés d’un précédent mariage, et aussi mère biologique des trois plus jeunes demandeurs d’asile. Les parents se sont mariés en 1994.
[3] Les défendeurs affirment qu’ils étaient des Mennonistes conservateurs avant de changer leur religion pour devenir membres de la communauté amish bénédictine du Vieil Ordre en 2002. Même s’ils ont demeuré près de ladite communauté, ils n’y ont jamais habité.
[4] Avant d’arriver au Canada, les défendeurs vivaient à Drake au Dakota du Nord, aux États‑Unis, une communauté non amish. Ils ont vécu au Kansas et au Wisconsin avant de déménager au Dakota du Nord. À Paxico, au Kansas, ils ont possédé et exploité une ferme pendant 7 ans, soit de 1995 à 2002. Ils ont ensuite déménagé à Cashton, au Wisconsin, où ils ont exploité une ferme pendant 2 ans (d’octobre 2002 à avril 2004).
[5] De mai 2004 à septembre 2004, avant leur première arrivée au Canada, les défendeurs ont quitté les États-Unis pour entreprendre un « voyage spirituel » afin de découvrir si le reste du monde était dans un bon ou piètre état. Dans le cadre de cette quête, ils ont voyagé en Europe, au Portugal, en Espagne, en France, en Suisse, en Autriche, en Pologne, en République Tchèque, en Slovaquie, en Italie, en Allemagne, en Belgique, en Angleterre, en Irlande, et, enfin, au Canada sur leur chemin de retour.
[6] De décembre 2004 à mars 2005, les défendeurs ont possédé et exploité une petite ferme de 5 acres à Mansfield, au Missouri. En mars 2005, ils ont tenté d’entrer au Canada à Sarnia, en Ontario, à titre d’immigrants, mais l’entrée leur a été refusée en raison du manque de documentation appropriée. D’avril 2005 à janvier 2006, les défendeurs ont loué une ferme près de la ville de Drake, au Dakota du Nord, dont ils ont plus tard été propriétaires.
[7] En novembre 2005, ils ont tenté d’entrer de nouveau au Canada à titre d’immigrants sans le visa approprié et ont été admis à titre de résidents temporaires jusqu’au 15 février 2006. Durant cette période, ils ont habité dans deux fermes à Desboro et à Durham, en Ontario. Ils n’ont pas demandé une prorogation de leur visa de résident temporaire.
[8] En janvier 2006, les défendeurs sont entrés de nouveau au Canada à Sault Ste. Marie, en Ontario, avec des passeports américains authentiques qu’ils ont ensuite brûlés après leur arrivée. À leur arrivée, ils ont faussement déclaré à l’agent d’immigration que l’objectif de leur voyage était de visiter un ami au Canada. Ils ont habité à Saint-Raphaël-de-Bellechasse, au Québec, près de la ville de Québec, jusqu’à la fin de 2006, puis ils ont déménagé à Hull-Gatineau, au Québec. Ils ont encore déménagé à Chatham-Brownsburg, au Québec, à l’automne 2007.
[9] Après ce long pèlerinage, les défendeurs ont enfin fait une demande d’asile au Canada pour la première fois le 17 août 2006, se déclarant alors « objecteurs de conscience ». Leurs demandes ont été instruites devant la SPR le 2 octobre 2006 en l’absence du représentant du ministre et de l’agent de protection des réfugiés.
[10] La crainte de persécution des défendeurs aux États-Unis tient essentiellement du fait qu’ils prétendent que trop de gens possèdent des armes. Ils affirment également que leur pays est gouverné par un président qui croit à la guerre et qui mène leur pays à l’autodestruction, et ils ne partagent pas les valeurs politiques de l’administration actuelle. Une de leurs plus grandes craintes est la guerre que le gouvernement des États-Unis mène en Iraq.
[11] Les défendeurs allèguent qu’en raison des divers incidents d’intimidation dont ils ont fait l’objet dans leur pays d’origine, ils se sont sentis figés dans une crainte généralisée qui s’est insinuée dans leurs vies et les a poussés à chercher un autre pays où vivre.
III. La décision contestée
[12] S’il est vrai que la SPR a reconnu que les États-Unis est un pays démocratique, elle a néanmoins affirmé que les défendeurs avaient démontré par une preuve claire et convaincante l'incapacité ou le refus de la part des États-Unis de les protéger adéquatement.
[13] De plus, la SPR a affirmé que les circonstances exceptionnelles et le caractère unique de cette affaire reposent sur le fait important que les défendeurs ont été persécutés par un officier du shérif en janvier 2006 et que cet événement a été combiné à leur système de croyances qui leur interdit d’intenter toute procédure judiciaire à l’égard de quiconque, ainsi qu’à leur devise consistant à tendre l’autre joue, à oublier et à pardonner et à passer à autre chose.
IV. Questions en litige
[14] La SPR a-t-elle commis une erreur en décidant que les États-Unis étaient incapables d’offrir une protection adéquate aux défendeurs, que les défendeurs avaient prouvé qu’ils risquaient vraisemblablement d’être persécutés pour un motif prévu dans la Convention en raison de leur appartenance à un groupe social en particulier, et que les défendeurs étaient des réfugiés au sens de la Convention ayant droit d’obtenir la protection du Canada à titre de « réfugiés au sens de la Convention »?
V. Analyse
Norme de contrôle
[15] La Cour fait preuve de déférence à l’égard des décisions de la SPR, le décideur administratif disposant d’une expertise à l’égard de l’application de la LIPR (Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9).
[16] Toutefois, la présente affaire concerne des questions de fait et des éléments de preuve qui sont intégrés à des questions juridiques commandant l’application de la norme de la décision raisonnable. De plus, « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171.)
[17] Était-il raisonnable de la part de la SPR de conclure que les États-Unis étaient incapables d’offrir une protection adéquate aux défendeurs, que les défendeurs avaient démontré qu’ils risquaient vraisemblablement d’être persécutés pour un motif prévu dans la Convention en raison de leur appartenance à un groupe social en particulier, et que les défendeurs étaient des réfugiés au sens de la Convention ayant droit d’obtenir la protection du Canada à titre de « réfugiés au sens de la Convention »?
Crainte objective de persécution
[18] Les demandes des défendeurs devaient être examinées en fonction de la preuve documentaire non équivoque et irréfutable que les États‑Unis sont un pays démocratique où les pouvoirs des trois branches du gouvernement sont limités par un système de freins et contrepoids, ce qui comprend un appareil judiciaire indépendant et des protections constitutionnelles assurant l’équité du processus. La SPR a reconnu ce fait.
[19] Le critère applicable pour établir l’existence d’une crainte de persécution comporte deux volets. Les défendeurs devaient démontrer qu’ils éprouvaient une crainte subjective de persécution et que cette crainte était objectivement justifiée, c’est-à-dire que cette crainte reposait sur un fondement valide (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689).
[20] Une crainte subjective peut bien être réellement présente, mais si elle n’est pas prévue aux termes de la définition de réfugié au sens de la Convention ou s’il est établi qu’il n’y a pas de possibilité raisonnable que le demandeur soit persécuté à son retour en raison de l’existence d’une protection adéquate de l’État, le demandeur ne répond pas au critère établi pour être admis à titre de réfugié au sens de la Convention (Ward, précité, aux pages 712, 723 et 726; Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, au paragraphe 119).
[21] Le demandeur, tout comme la SPR, n’a pas contesté la crédibilité des défendeurs relativement à la description de leur crainte et de leur appréhension. Cependant, s’il est vrai que les défendeurs ont bien démontré la composante subjective de leur crainte de persécution, ils n’ont pas prouvé que leur crainte était objectivement justifiée compte tenu de l’existence d’une protection de l’État aux États-Unis et de l’existence d’autres recours contre les incidents de harcèlement ou les propos discriminatoires dont ils ont été victimes lorsqu’ils vivaient dans ce pays.
[22] Les incidents allégués par les défendeurs ne correspondent pas à de la persécution au sens de la Convention sur les réfugiés, qu’ils soient examinés individuellement ou cumulativement. En ce qui a trait à l’incident du 10 janvier 2006 concernant un shérif adjoint, les défendeurs pourraient avoir été ciblés par cette personne, mais il faut reconnaître qu’ils disposaient de plusieurs moyens pour régler ce problème aux États-Unis sans devoir fuir leur pays d’origine pour demander le statut de réfugié à l’étranger.
Protection de l’État
[23] Les demandeurs d’asile, comme ceux en l’espèce, qui présentent une demande d’asile pour se protéger d’un pays démocratique comme les États-Unis, ont le lourd fardeau de prouver le bien‑fondé de leur demande de statut de réfugié et d’asile. Ils doivent non seulement démontrer une crainte objective de persécution, mais ils ont également le fardeau de réfuter les présomptions générales de protection de l’État en vertu du droit applicable aux réfugiés (Hinzman, précité).
[24] Lorsque l’État en question est un État démocratique, ce qui est incontestablement le cas en l’espèce, le demandeur d’asile doit en faire plus que ce que les défendeurs ont fait. Le fait qu’ils ont dénoncé leur crainte et leur situation à leurs voisins ou aux membres de leur communauté religieuse ne suffit pas à démontrer qu’ils n’auraient pas pu obtenir un recours approprié au moyen d’autres types de ressources de l’État dans leur pays d’origine.
[25] La conclusion de la SPR concernant l’absence de protection de l’État est fondée, entre autres, sur le fait que les défendeurs utilisaient des diligences pour se déplacer, ce qui rendait leurs déplacements plus difficiles dans les grandes villes où les organismes centraux de l’État sont situés. Toutefois, l’appartenance des défendeurs à la communauté amish ne les libère pas de leur obligation de réclamer la protection de leur pays de nationalité, malgré le fait que les autres organismes de l’État sont situés à une certaine distance de leur lieu de résidence.
[26] La SPR aurait dû prendre note que le mode de vie des défendeurs à titre de membres de la communauté amish ne les a pas empêchés d’effectuer de nombreux déplacements en Europe et au Canada par d’autres moyens de transport que leur moyen de transport habituel. Le pèlerinage que les défendeurs ont entrepris, avant de finalement décider de demander l’asile au Canada en raison du harcèlement de la part d’un shérif local, s’est révélé être un voyage beaucoup plus long qu’un simple déplacement dans une ville du Dakota du Nord dans leur pays d’origine ou en direction du Canada. Une demande d’asile n’est pas une question de choix; si la crainte est réelle, la demande de protection doit être faite à la première occasion et non lorsque le demandeur d’asile trouve un meilleur endroit où vivre, ce qui semble être le cas en l’espèce.
[27] « [I]l ne suffit pas que la preuve produite soit digne de foi; elle doit aussi avoir une valeur probante. […] le demandeur d'asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l'État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l'État en question est insuffisante » (Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2008] A.C.F. no 399 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 30).
[28] « Les appelants n’ont pas satisfait à l’exigence fondamentale en droit des réfugiés voulant que le demandeur d’asile cherche à obtenir la protection de son pays d’origine avant de demander à l’étranger la protection offerte par le système des réfugiés. Les appelants auraient disposé de plusieurs mécanismes de protection aux États‑Unis. […] parce que les appelants n’ont pas tenté adéquatement d’obtenir cette protection, il est impossible pour une cour ou un tribunal canadien d’évaluer l’existence de la protection aux États‑Unis. » (Hinzman, précité, au paragraphe 62).
[29] La SPR n’a manifestement pas pris en compte le fait que les défendeurs n’avaient pas épuisé tous leurs recours pour obtenir une protection à l’égard des problèmes qu’ils vivaient, et n’a pas analysé adéquatement si les défendeurs pouvaient trouver un endroit sécuritaire pour vivre aux États-Unis comme dans une des communautés agricoles amish existant dans plusieurs régions rurales des États-Unis. Cette omission de la part de la SPR constitue une autre erreur susceptible de contrôle.
Circonstances exceptionnelles et uniques
[30] La SPR a également commis une erreur en statuant que les défendeurs ont démontré l’existence de circonstances [traduction] « exceptionnelles et uniques » pour réfuter la présomption de protection de l’État dans un pays démocratique comme les États-Unis, particulièrement après avoir reconnu qu’ils auraient pu signaler l’incident concernant le shérif adjoint aux autorités supérieures. Le fait que les défendeurs ont choisi de ne pas le signaler en raison de leur système de croyances, lequel leur impose de ne pas intenter des poursuites judiciaires, de pardonner et d’oublier et de passer à autre chose, ne saurait servir d’excuse à cet égard.
[31] Le fait que les défendeurs partageaient la devise de leur communauté religieuse consistant à [traduction] « tendre l’autre joue, à oublier et à pardonner et à passer à autre chose » ne correspond pas à des circonstances exceptionnelles pouvant justifier la demande d’asile des défendeurs. L’approche négative qu’ils ont adoptée pour faire face à leurs problèmes était un choix personnel; par conséquent, ils doivent maintenant subir et assumer les conséquences de ce choix puisqu’une demande d’asile au Canada ne constitue pas une solution valide à leurs problèmes.
[32] Curieusement, cette attitude traditionnellement amish invoquée par les défendeurs pour justifier le fait qu’ils n’ont pas demandé la protection de l’État apparaît incompatible avec des situations antérieures que les défendeurs ont porté devant les autorités supérieures et le système judiciaire pour faire reconnaître leurs droits.
La discrimination ne constitue pas de la persécution
[33] La SPR a conclu dans sa décision que les défendeurs ont été victimes d’actes de harcèlement et de discrimination qui, pris cumulativement, équivalaient à de la persécution.
[34] La Cour peut admettre que divers incidents entraînant des préjudices « moindres » liés à un motif énoncé dans la Convention n’équivalent pas à de la persécution lorsqu’ils sont examinés individuellement, mais leur « effet cumulatif » pourrait être suffisamment grave pour constituer de la persécution (Madelat c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 49 (C.A.F.) (QL); Sarmis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 245 F.T.R. 312; Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 771 (1re inst.)).
[35] Toutefois, l’analyse de l’« effet cumulatif » devrait uniquement viser les incidents liés à un motif prévu par la Convention puisque le but ultime consiste à décider si un demandeur d’asile craint avec raison d’être persécuté pour un motif prévu par la Convention.
[36] En l’espèce, la SPR mentionne dans sa décision plusieurs incidents dont les défendeurs auraient été victimes et qui ont été considérés à tort comme des actes cumulatifs de discrimination équivalant à de la persécution, soit : les défendeurs ont été abandonnés par leur propre famille, ils ont été ciblés et attaqués par un shérif adjoint; ils ont reçu des menaces formulées lors d’assemblées par les membres de leur communauté et ils ont déménagé plusieurs fois sur une période de quatre ans.
[37] La plupart des incidents énumérés par la SPR dans ses motifs ne sont pas visés par les définitions de discrimination et de persécution. L’abandon par sa propre famille, même s’il s’agit d’un événement fâcheux, demeure une dynamique sociale et familiale déplorable qui se produit dans les meilleures familles sans égard aux croyances religieuses et aux opinions politiques. Par conséquent, cette situation n’équivaut pas à de la discrimination. Les allégations non corroborées de menaces formulées lors des assemblées par des membres de la communauté des défendeurs, même si elles représentent des incidents malheureux, ne peuvent non plus équivaloir à des actes de discrimination à l’égard des personnes visées.
[38] Quant aux incidents qui auraient impliqués un shérif adjoint, la présence d’une auto de police patrouillant le voisinage près de la propriété des défendeurs pourrait avoir heurté leur [traduction] « sensibilité liée à leur caractère réservé et poli ». Pourtant, peu importe la nature de cet incident, c’est-à-dire que les défendeurs aient perçu ces agissements comme du harcèlement ou qu’il s’agissait simplement d’un policier accomplissant son devoir, il n’en demeure pas moins que les défendeurs ont déclaré avoir déménagé dans un comté voisin à la suite de cet incident sans qu’il s’en produise d’autres concernant le shérif adjoint en question. N’oublions pas non plus qu’avant l’incident impliquant le shérif, des coups de feu d’origine non identifiée avaient été entendus dans le voisinage; ces coups de feu pourraient bien expliquer la présence de la voiture de patrouille du shérif adjoint. Il n’a pas été prouvé que cet incident fortuit était lié aux croyances politiques des défendeurs, puisqu’ils ont affirmé les avoir gardées secrètes. Il n’existe non plus aucune preuve que le député s’en serait pris à eux en raison de leurs croyances religieuses. Le fait qu’ils se sont sentis attaqués à titre de membres d’une communauté minoritaire ne signifie pas qu’ils l’ont réellement été.
[39] Pour ces motifs, on ne peut raisonnablement supposer, comme l’a fait la SPR, qu’il existe un lien entre ces incidents et un motif prévu par la Convention. Il s’ensuit donc que ces incidents ne pouvaient pas être examinés dans le cadre de l’analyse des « effets cumulatifs » de mauvais traitements passés.
[40] Une analyse de la transcription de l’audience et de la décision a révélé à la Cour que la SPR, en raison des remarques formulées par son commissaire, était d’accord avec la prétention des défendeurs à l’effet qu’ils craignaient la persécution en raison du climat politique et culturel général qui régnait aux États-Unis ou, à tout le moins, qu’elle a démontré une attitude réceptive à l’égard de la position politique anti-Bush des défendeurs.
[41] Toutefois, les défendeurs n’ont produit aucune preuve démontrant qu’ils seraient exposés à un risque personnel aux États-Unis en raison de leurs croyances religieuses ou politiques. Rien dans la preuve ne les distingue d’autres citoyens américains mécontents de l’administration Bush et de l’évolution du tissu social américain.
[42] En effet, les défendeurs ont droit à leurs propres croyances politiques, à leurs propres croyances religieuses et à leur propre mode de vie. Cependant, le fait que leurs concitoyens ne partagent pas leurs convictions et que les défendeurs se sentent menacés par ces opinions divergentes ne constitue pas de la discrimination ou de la persécution à leur égard. Lorsqu’un citoyen d’un pays démocratique n’est pas satisfait de l’administration de son pays, la solution n’est pas de chercher refuge ailleurs, mais de voter pour une autre administration.
[43] Quoi qu’il en soit, la définition de réfugié au sens de la Convention est de nature prospective et, compte tenu des développements politiques récents aux États-Unis liés au nouveau régime présidentiel, il reste à déterminer si la crainte politique des défendeurs sera objectivement maintenue.
[44] Afin d’appuyer la conclusion de la SPR liée à la persécution, le commissaire de la SPR s’est fondé sur des articles de journaux à grand tirage traitant de la situation politique du gouvernement des États‑Unis. Ces articles peuvent certes appuyer les opinions politiques des défendeurs, mais ils ne réussissent pas à démontrer que les défendeurs seraient personnellement exposés à une menace de persécution en conséquence de cette situation. Le fait que le commissaire de la SPR s’est fondé sur ces sources documentaires pour appuyer sa conclusion est donc inacceptable (Sinora c. (Canada) ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] 66 F.T.R. 113 (C.A.F.); Alexibich c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] C.A.F. no 57 (QL)).
[45] En interprétant erronément les faits de la présente affaire quant à ce qui constitue de la persécution pour des motifs cumulés et en considérant erronément l’opposition politique et morale à l’égard des politiques d’un pays comme de la persécution, la SPR a agi d’une manière manifestement déraisonnable qui justifie l’intervention de la Cour.
Possibilité de refuge intérieur
[46] Avant de décider que les défendeurs étaient des réfugiés au sens de la Convention, la SPR devait vérifier s’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans leur pays d’origine et si les défendeurs avaient déployé des efforts sérieux pour en trouver un.
[47] Les défendeurs devaient satisfaire à une exigence préliminaire très rigoureuse pour démontrer qu’il serait déraisonnable pour eux de chercher un refuge ailleurs dans leur pays. Il ne fallait rien de moins que l’existence de conditions qui auraient mis en péril la vie et la sécurité des défendeurs en tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il fallait une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions que la Cour n’a pas trouvée dans les éléments de preuve (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.F.)).
[48] La SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en l’espèce en n’examinant pas adéquatement si les défendeurs pouvaient trouver ou non un lieu sûr pour vivre aux États-Unis ou s’ils avaient fait des efforts sérieux pour trouver un tel endroit, comme dans l’une des communautés agricoles amish existant dans plusieurs régions rurales des États-Unis.
Omission de demander la protection ailleurs
[49] Enfin, la SPR a commis une autre erreur susceptible de révision lorsqu’elle a conclu que le fait pour les défendeurs de ne pas avoir demandé l’asile à la première occasion lorsqu’ils voyageaient en Europe et au Canada, jumelé à leur retour aux États-Unis, n’a pas éliminé leur crainte subjective de persécution.
[50] Le fait pour les défendeurs d’avoir parcouru l’Europe et le Canada durant leur pèlerinage avant de présenter leur demande d’asile est incompatible avec le comportement d’une personne craignant la persécution ou un risque pour sa vie ou sa sécurité dans son pays d’origine. Ce comportement a une incidence directe sur la demande des défendeurs et annihile la crainte subjective de persécution qu’ils auraient pu avoir (Caballero c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 154 N.R. 345 (C.A.F.); Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 157 N.R. 225 (C.A.F.); Pan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1116 (C.A.F.) (QL); Ilie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 88 F.T.R. 220 (C.F. 1re inst.)).
VI. Conclusion
[51] Ces erreurs cumulatives de la SPR justifient l’intervention de la Cour. La décision contestée se situe bien en dehors de l’éventail des issues possibles et acceptables qui sont justifiées à l’égard des faits et du droit et, par conséquent, elle ne mérite pas la déférence de la Cour puisqu’elle est déraisonnable.
[52] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accordée et la décision contestée du 13 décembre 2007 sera annulée. La Cour est d’accord avec les parties qu’il n’y aucune question grave de portée générale à certifier.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Section de la protection des réfugiés, datée du 13 décembre 2007, soit annulée et que la demande de statut de réfugié au sens de la Convention soit renvoyée à la Section du statut de réfugié afin qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire conformément à la loi.
« Maurice E. Lagacé »
Traduction certifiée conforme
Mélanie Lefebvre, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5512-07
INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
c. MATTHEW HUND ET AL.
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 janvier 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ
DATE DES MOTIFS : Le 5 février 2009
COMPARUTIONS :
Martine Valois Mireille-Anne Rainville
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POUR LE DEMANDEUR
|
Clarel Midouin
Patrick-Claude Caron
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POUR LES DÉFENDEURS
POUR LE DÉFENDEUR TELL SANDERS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec)
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POUR LE DEMANDEUR
|
Clarel Midouin Law Office Ottawa (Ontario)
Caron Avocats Montréal (Québec) |
POUR LES DÉFENDEURS
POUR LE DÉFENDEUR TELL SANDERS |